Date : 20010412
Dossier : A-527-99
Référence neutre : 2001 CAF 114
CORAM : LE JUGE RICHARD
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
DU PONT CANADA INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 22 février 2001.
JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le 12 avril 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE RICHARD
LE JUGE EVANS
Date : 20010412
Dossier : A-527-99
Référence neutre : 2001 CAF 114
CORAM : LE JUGE RICHARD
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
DU PONT CANADA INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Motifs du jugement
Le juge Sharlow
[1] Le 22 janvier 1988, Du Pont Canada Inc. a vendu son usine de fabrication d'explosifs et les actifs connexes. Revenu Canada a adopté comme position que les activités de fabrication d'explosifs formaient une entreprise distincte et, sur ce fondement, a établi une nouvelle cotisation pour la déclaration de revenu de 1988 de Du Pont, comportant une hausse de 24 249 784 $ du revenu imposable. Du Pont a interjeté appel de la nouvelle cotisation à la Cour canadienne de l'impôt. Dans sa décision du 3 juin 1999 (Du Pont Canada Inc. c Sa Majesté la Reine, 99 D.T.C. 1132), le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'appel. Du Pont en appelle maintenant de ce jugement auprès de la présente Cour.
[2] Le principal fondement législatif de la nouvelle cotisation est le paragraphe 1101(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu. Cette disposition, en vigueur depuis au moins 1950, n'a jamais été fondamentalement modifiée. En 1988, elle prévoyait :
1101(1) Lorsque l'annexe II comporte la description de plus d'un des biens d'un contribuable, sous la même catégorie, et |
1101(1) Where more than one property of a taxpayer is described in the same class in Schedule II and where |
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a) qu'un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d'une entreprise, et |
(a) one of the properties was acquired for the purpose of gaining or producing income from a business, and |
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b) qu'un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d'une autre entreprise ou des biens, |
(b) one of the properties was acquired for the purpose of gaining or producing income from another business or from the property, |
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une catégorie distincte est prescrite pour les biens qui |
a separate class is hereby prescribed for the properties that |
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c) ont été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu de chaque entreprise; et |
(c) were acquired for the purpose of gaining or producing income from each business, and |
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d) seraient par ailleurs comprise dans la catégorie. |
(d) would otherwise be included in the class. |
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[3] Cette règle s'inscrit dans le contexte du régime des déductions pour amortissement. Le coût d'un bien amortissable n'est pas déductible dans le calcul du revenu, sauf sur un certain nombre d'années à titre de déductions pour amortissement. Les « déductions pour amortissement » s'entendent des déductions légales qui peuvent être réclamées à la place de l'amortissement. Les biens amortissables acquis par un contribuable en vue de gagner un revenu d'une entreprise ou de biens entrent dans une « catégorie prescrite » , et dans une seule catégorie. Les catégories prescrites sont définies à l'annexe II du Règlement. Le paragraphe 1100(1) attribue un taux spécifique aux déductions pour amortissement applicables à chaque catégorie prescrite. Les règles détaillées de la partie XI du Règlement exposent les modalités à suivre pour réclamer les déductions pour amortissement dans chaque catégorie prescrite.
[4] Selon la règle générale, les coûts de tous les actifs amortissables d'une catégorie prescrite acquis par un contribuable sont intégrés en un compte courant qui est tenu d'année en année. Le montant cumulatif de chaque catégorie prescrite au terme d'une année donnée correspond au solde de l'année précédente, plus le coût des actifs acquis dans cette catégorie au cours de l'année, moins le produit des dispositions de l'année, moins les déductions pour amortissement réclamées pour l'année.
[5] Généralement, si la déduction du produit de la disposition des biens d'une catégorie prescrite entraîne un solde négatif du compte afférent à la catégorie, ce montant négatif est imposable selon le paragraphe 13(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu au titre de la « récupération de l'amortissement » . Si tous les biens d'une catégorie prescrite sont vendus et qu'il reste un solde après déduction du produit de la disposition, ce montant est déductible à titre de « perte finale » . Si ces dispositions formaient la totalité du régime, un contribuable n'aurait qu'un seul compte cumulatif pour chaque catégorie prescrite, sans égard au nombre d'entreprises qu'il exploite. Toutefois, le Règlement de l'impôt sur le revenu comporte des dispositions qui imposent la séparation d'actifs qui seraient autrement intégrés dans la même catégorie prescrite. Le paragraphe 1101(1) est l'une de ces dispositions. Il présume l'existence d'une catégorie distincte pour les biens amortissables qui sont acquis pour être utilisés dans une entreprise distincte d'une entreprise existante.
[6] En s'appuyant sur l'avis d'opposition et l'avis de nouvelle cotisation figurant au dossier, on peut établir la différence de revenu imposable correspondant aux positions opposées des parties. Examinons la première hypothèse : Du Pont a raison d'affirmer qu'elle exploite une seule entreprise. Elle a vendu des actifs pour une somme de 55 millions de dollars (américains), dont 52,8 millions de dollars (américains) correspondaient à des biens amortissables. Il semble que le coût en capital non amorti de tous les biens amortissables de Du Pont à la fin de l'année d'imposition 1987 excédait 52,8 millions de dollars (américains). La déduction en 1988 d'un total de 52,8 millions de dollars (américains) des comptes cumulatifs de déductions pour amortissement afférents aux diverses catégories prescrites produit un solde positif. Par conséquent, il n'y a pas de récupération de l'amortissement imposable pour 1988. C'est le résultat que cherche à obtenir Du Pont.
[7] Dans la seconde hypothèse, si la Couronne a raison et que les activités de fabrication d'explosifs de Du Pont formaient une entreprise distincte, chaque catégorie d'actifs amortissables employés dans la fabrication des explosifs entre dans une catégorie prescrite distincte aux fins de l'annexe II de la Loi de l'impôt sur le revenu. La vente des actifs amortissables utilisés dans cette entreprise pour un montant de 52,8 millions de dollars (américains) donne lieu à une récupération de l'amortissement imposable de 24 066 437 dollars (canadiens). C'est le résultat que cherche à obtenir la Couronne.
[8] Un compte courant similaire doit être tenu pour les « dépenses en capital admissibles » . Ce terme, qui figure à l'article 14 de la Loi de l'impôt sur le revenu, désigne le coût des biens incorporels acquis en vue de tirer un revenu d'une entreprise. S'agissant de Du Pont, une somme de 2 millions de dollars (américains) sur le produit de la vente a été attribuée aux actifs inscrits au compte cumulatif des dépenses en capital. S'il n'y a qu'un seul compte de cette nature, ce qui est justifié, selon Du Pont, par le fait qu'elle n'exploite qu'une seule entreprise, la vente implique d'inclure dans le calcul du revenu une somme de 1 114 388 dollars (canadiens) en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par contre, si les activités de fabrication d'explosifs sont une entreprise distincte, comme le soutient la Couronne, l'attribution d'une somme de 2 millions de dollars (américains) sur produit de la vente au compte cumulatif distinct de dépenses en capital admissibles de cette entreprise entraînerait l'inclusion dans le revenu de 1 297 735 dollars (canadiens) en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
[9] Du Pont s'oppose à l'inclusion de 24 066 437 dollars (canadiens) dans le calcul du revenu, au titre du paragraphe 13(1) (récupération de l'amortissement) et de l'inclusion supplémentaire d'environ 183 437 dollars (canadiens) au titre du paragraphe 14(1). Il n'est pas contesté que ces deux éléments doivent avoir un sort identique. Du Pont obtient gain de cause si son intention, lors de l'achat des actifs qu'elle a vendus le 22 janvier 1988, était de tirer un revenu de son entreprise existante et non d'une entreprise distincte.
[10] Le dossier mentionne que l'usine de fabrication d'explosifs a été construite entre 1955 et 1957, mais il ne révèle pas exactement à quel moment Du Pont a fait l'acquisition de chacun des autres éléments d'actif vendus le 22 janvier 1988. Quoi qu'il en soit, cela n'a pas de conséquence. La Couronne n'a pas laissé entendre que l'intention de Du Pont en achetant les actifs destinés à la fabrication d'explosifs avait changé au cours du temps.
[11] Il n'y a pas de jurisprudence faisant intervenir des faits exactement semblables à ceux de l'espèce ou soulevant précisément la même question. Toutefois, il existe des décisions qui peuvent éclairer de manière générale la façon de déterminer l'existence d'une entreprise distincte. Le jugement le plus couramment cité est Scales (H.M. Inspector of Taxes) v. George Thompson & Company, Limited (1927), 13 T.C. 83, 138 L.T. 331 (Eng. K.B.), qui concernait une entreprise exploitant des navires et engagée aussi dans les assurances. La question était de savoir s'il y avait une entreprise ou deux. Le juge Rowlatt a conclu qu'il y en avait deux. Il a déclaré à la page 89 :
[TRADUCTION] Je ne puis concevoir deux entreprises qui puissent être plus facilement séparées que ces deux-là. À part le fait qu'elles concernent toutes les deux des navires, elles ne dépendent pas l'une de l'autre, elles ne sont pas interdépendantes, elles ne se raccordent pas l'une à l'autre, si ce n'est que les personnes qui en font partie ont des connaissances sur les navires, mais la conduite effective des entreprises n'indique pas que les deux sont raccordées l'une à l'autre. La fin de l'activité d'assurances n'affecterait pas l'exploitation des navires. La fin de l'exploitation des navires n'affecterait pas l'activité d'assurances.
[...]
[...] Je pense que la véritable question est de savoir s'il y avait une interdépendance entre ces deux entreprises, s'il y avait une unité quelconque; [...].
Le dernier énoncé cité est devenu le critère généralement reconnu pour décider si un contribuable exploite une entreprise distincte.
[12] La décision The Howden Boiler and Armaments Company, Limited v. Stewart (H.M. Inspector of Taxes) (1924), 9 T.C. 204, 1925 S.C. 110 (Scot. Ct. of Sessions) intéresse une société qui exploitait deux usines, l'une de fabrication de chaudières et l'autre de fabrication d'obus pour le gouvernement français au cours de la guerre. Chaque exploitation avait ses propres locaux, ses propres ouvriers, son propre personnel technique et administratif, ses propres livres et ses propres comptes d'exploitation. Toutefois, les deux étaient exploitées par la même direction et étaient réunies dans un même jeu d'états financiers. Les frais de financement et de gestion étaient imputés à la société de manière générale, sans répartition. Il a été décidé que la société constituait une seule entreprise.
[13] Au Canada, l'arrêt clé est Frankel Corporation Ltd. v. Minister of National Revenue, [1959] S.C.R. 713, [1959] C.T.C. 244, 59 D.T.C. 1161. La société Frankel s'occupait de ferraille, de métaux non ferreux affinés ou non affinés, effectuait des opérations de récupération et de sauvetage, fabriquait de l'acier et construisait des ouvrages en acier. En 1952, elle a vendu à une autre société la division d'affinage des métaux non ferreux, y compris les stocks. La portion du prix de vente attribuée aux stocks était plus élevée que le coût des stocks pour Frankel. Selon la législation de l'impôt sur le revenu alors en vigueur, Frankel n'avait pas d'impôt à payer en raison de la vente s'il s'agissait de la vente d'une entreprise distincte, car dans ce cas la totalité de l'opération serait inscrite à un compte en capital. Si l'opération de vente ne concernait pas une entreprise distincte, Frankel serait assujettie à l'impôt sur le bénéfice découlant de la vente des stocks.
[14] Un certain nombre de facteurs établissaient la séparation entre les activités d'affinage des métaux non ferreux et les autres activités de Frankel. Les sources d'approvisionnement en matériel et en fournitures étaient distinctes. Les groupes de travailleurs étaient distincts. Les machines étaient distinctes, aménagées dans des locaux distincts de Frankel. Les clients étaient distincts. Il y avait des marques de commerce et des noms commerciaux distincts. La supervision du personnel était distincte. Mais il y avait aussi quelques liens. De faibles quantités de ferraille étaient achetées auprès des activités de sauvetage. Il y avait une certaine intégration de la comptabilité des métaux ferreux et non ferreux. Il y avait un seul conseil d'administration , une seule convention collective pour l'ensemble du personnel et les mêmes régimes de retraite et d'assurances pour tout le personnel. L'établissement final du compte de résultats reflétait les résultats globaux de la société. Quant à l'opération de vente proprement dite, elle comprenait non seulement la cession des stocks, mais également le transfert de l'équipement, le droit d'utiliser les locaux pour une durée déterminée, le transfert de commandes de clients non remplies, le transfert du personnel ainsi que le transfert du nom commercial, de la marque de commerce et du fonds commercial. En outre, l'opération de vente impliquait que Frankel se retirait du commerce de l'affinage des métaux non ferreux. Ayant pris tous ces facteurs en considération, la Cour a conclu en faveur de Frankel que l'activité d'affinage de métaux non ferreux était la vente d'une entreprise distincte, bref une opération en capital.
[15] Dans l'affaire Utah Co. of the Americas v. Minister of National Revenue, [1960] Ex. Ct. 128, [1959] C.T.C. 496, 59 D.T.C. 1275, la question soulevée était de savoir si le contribuable exploitait une ou deux entreprises, une entreprise minière et une entreprise de construction. Chacune de ces activités était menée de manière indépendante, sous la direction de cadres distincts, mais sous la supervision générale d'un seul conseil d'administration. La comptabilité des deux activités était distincte. Il n'y avait pas de relations fonctionnelles entre les deux activités, elles n'étaient pas interreliées, interdépendantes ou entremêlées. Elles faisaient appel à des procédés différents, elles fournissaient des produits et services différents, avaient des clientèles, des locaux, des conventions collectives et des personnels différents. Les coûts du siège social étaient répartis entre les deux divisions. Parfois, l'équipement d'une division était utilisé par l'autre. La Cour a conclu que le contribuable exploitait deux entreprises distinctes.
[16] Dans l'arrêt H.A. Roberts Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] S.C.R.719, [1969] C.T.C. 369, 69 D.T.C. 5249, la question qui se posait était de déterminer si l'activité du contribuable en matière de gestion de créances hypothécaires dans le cadre d'un contrat de mandat constituait une entreprise distincte de son entreprise de courtage immobilier. Le personnel affecté aux deux activités travaillait dans des locaux distincts, sous la direction de cadres différents. L'activité de gestion hypothécaire avait son propre système comptable. Il était interdit au personnel affecté à la gestion hypothécaire d'échanger des renseignements avec ceux qui travaillaient au courtage immobilier. Le seul élément commun était le conseil d'administration. L'arrêt a établi que l'activité de gestion des créances hypothécaires formait une entreprise distincte.
[17] L'affaireRiver Estates Sdn Bhd v. Director General of Inland Revenue, [1984] S.T.C. 60 (P.C.) intéressait un appel interjeté à l'encontre de la Cour fédérale de Malaisie. Le contribuable a fait valoir que ses plantations et ses activités d'exploitation forestière sur cinq domaines constituaient une seule entreprise. Les commissaires spéciaux, agissant, semble-t-il, à titre de tribunal de première instance, ont conclu que les activités de déboisement à des fins agricoles formaient une entreprise distincte des activités forestières menées sur les terres qui n'appartenaient pas au contribuable et qui n'étaient pas destinées à l'agriculture. Le Conseil privé a confirmé la décision au motif qu'il s'agissait d'une conclusion raisonnable compte tenu de la preuve.
[18] Je résumerai maintenant les faits de l'espèce, qui ne sont pas contestés. Il est intéressant, sinon strictement nécessaire, de revenir rétrospectivement en 1852, année où la Canada Power Company a commencé la fabrication d'explosifs au Canada. En 1862, ses actifs ont été acquis par la Hamilton Powder Company. En 1877, l'entreprise s'est enrichie d'un investissement de capitaux et de savoir-faire provenant de la famille du Pont de Wilmington, qui fabriquait de la poudre explosive depuis 75 ans. En 1899, l'entreprise a continué de progresser grâce à l'arrivée de la famille Nobels d'Angleterre. La Hamilton Powder Company est vite devenue le chef de file canadien des fabricants d'explosifs. En 1910, la Hamilton Powder a opéré une fusion avec un certain nombre de plus petites sociétés pour former la société Canadian Explosives Limited. L'entreprise de fabrication d'explosifs a poursuivi son activité au Canada jusqu'au terme de la Première Guerre mondiale.
[19] Après la guerre, la Canadian Explosives Limited s'est engagée dans un programme de diversification et a commencé à produire des peintures, des vernis, des tissus enduits et des plastiques cellulosiques. En 1927, elle avait conclu des ententes avec deux de ses principaux actionnaires, la E.I. du Pont de Nemours and Company et Imperial Chemical Industries, deux fabricants de produits chimiques, ce qui a marqué le début de la production d'acides, d'alcalis et de produits chimiques lourds. La dénomination sociale Canadian Explosives Limited a été remplacée par Canadian Industries Limited (CIL).
[20] Au cours des deux décennies suivantes, la société Canadian Industries Limited a commencé la production du cellophane et du nylon, produit développé par son actionnaire, E.I. du Pont de Nemours and Company. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, la Canadian Industries Limited s'est concentrée sur la production du matériel de guerre. Après la guerre, elle a mis fin à cette activité mais a donné de l'expansion à ses autres activités, notamment à la production du cellophane et du nylon. La fabrication des explosifs est progressivement devenue un aspect moins important de ses activités.
[21] En 1952, le gouvernement des États-Unis a intenté une poursuite au titre des lois antitrust contre E.I. du Pont de Nemours and Company et Imperial Chemical Industries, les deux principaux actionnaires de la Canadian Industries Limited. À l'issue de ce procès, les deux actionnaires ont été forcés de diviser leurs intérêts dans la Canadian Industries Limited. Cette opération, réalisée en 1954, a fait appel à une réorganisation complexe. La dénomination Canadian Industries Limited a été remplacée par Du Pont of Canada Securities Limited, et l'entreprise est devenue une société de portefeuille sous le contrôle de E.I. du Pont de Nemours and Company.
[22] La société de portefeuille a fait l'acquisition de deux filiales nouvellement créées, la Canadian Industries (1954) Limited (CIL 54) et la Du Pont of Canada Limited, l'appelante en l'espèce. Chacune des deux nouvelles filiales a acquis des actifs de la Canadian Industries Limited. CIL 54 a fait l'acquisition des actifs destinés à la production des produits chimiques agricoles et des autres produits chimiques, des explosifs, des peintures, des tissus enduits et des plastiques. Du Pont s'est porté acquéreur de la division désignée [TRADUCTION] « Pellicules et fibres textiles » , qui comprenait notamment les actifs servant à la production du cellophane et du nylon. Ainsi, en 1954, Du Pont n'avait pas de capacité de production d"explosifs.
[23] Le rapport annuel de 1956 de Du Pont et de sa société mère, renommée à l'époque Du Pont Company of Canada (1956) Limited, indique que Du Pont a poursuivi l'expansion et la diversification de ses activités. Une nouvelle installation de recherche a été construite à Kingston (Ontario). Une usine de fabrication d'hydrocarbures fluorés a été construite à Maitland, en Ontario. L'usine de fabrication de cellophane de Shawinigan Falls (Québec) a été agrandie. Une nouvelle usine de production d'apprêts automobiles et industriels a été terminée à Ajax, en Ontario. Les installations de production de nylon et de polymères de Maitland et de Kingston ont été agrandies. Une nouvelle usine de fabrication d'Orlon a été construite à Maitland, en Ontario.
[24] De 1955 à 1957, Du Pont a construit une usine à Nipissing (Ontario), destinée à la production d'explosifs. Cette installation et ses actifs connexes ont été vendus le 22 janvier 1988 dans le cadre d'une opération qui a donné lieu à la nouvelle cotisation dont il est interjeté appel.
[25] Les états financiers publiés dans le rapport annuel de 1956 de Du Pont présentent les résultats d'ensemble de la société, sans ventilation par usine ou par produit. L'extrait suivant du rapport annuel de 1956 (page 9) semble faire état de l'attitude qu'avait alors Du Pont à l'égard des relations entre ses diverses activités :
[TRADUCTION] Dans la croissance de toute société chimique, il importe évidemment de rechercher le degré le plus logique d'intégration entre les diverses activités. La planification est donc orientée vers un ensemble d'usines et de procédés interreliés, intégrés en vue de faire une utilisation maximale tant des matières premières que des produits dérivés reliés aux procédés.
[26] Les états financiers publiés dans les rapports annuels de 1987 et 1988 présentent également les résultats financiers de l'ensemble de la société. Les notes aux états financiers exposent de l'information ventilée pour trois groupes, comme l'atteste cet extrait du rapport annuel de 1987 (page 2) :
Au moyen d'une technologie complexe, nous transformons des produits chimiques de base et des matières premières en produits spéciaux destinés à nos clients des secteurs de la fabrication, des ressources et des services.
Nos entreprises se rangent en trois grands groupes : Fibres et produits intermédiaires, Matières et produits chimiques spéciaux, et Pellicules et plastiques spéciaux. La croissance de Du Pont Canada au cours de ses 125 années d'histoire est attribuable à un intérêt réel pour la recherche et le développement et à l'introduction constante de produits nouveaux ou améliorés.
[27] Les activités de fabrication d'explosifs figuraient dans le groupe des « produits chimiques spéciaux » , associées à la production d'une vaste gamme d'autres produits chimiques et industriels, dont le peroxyde d'hydrogène, les fluorocarbures, les acides spéciaux, les peintures, les revêtements et les solvants pour l'industrie automobile, les pellicules radiographiques, le matériel médical, les produits pharmaceutiques et les produits chimiques agricoles.
[28] La politique d'entreprise de Du Pont était de centraliser certaines fonctions commerciales clés plutôt que de donner à chaque division un fonctionnement indépendant. Cette politique est présentée au paragraphe 11 des motifs du jugement du juge de la Cour de l'impôt (non souligné dans l'original) :
[11] Les témoins ont expliqué que, en 1928, la C.I.L. avait abandonné sa pratique consistant à utiliser des filiales distinctes et qu'elle avait combiné toute ses activités en une seule structure organisationnelle. Cette organisation par divisions a été utilisée par la C.I.L. et la société qui la remplace, l'appelante, jusqu'à la vente de la division Explosifs effectuée en 1988.Toutefois, l'appelante insistait pour dire qu'un contrôle centralisé était exercé sur trois éléments principaux, soit Finances, Personnel et Technologie. Des services généraux comme la recherche étaient fournis à partir de Kingston, et les services concernant la trésorerie, le système central de paye, les ressources humaines et les relations industrielles ainsi que les systèmes et services informatiques étaient fournis à partir de Mississauga. Ces services étaient fournis à la division Explosifs et à d'autres divisions. Chacune de ces fonctions relevait d'une gestion centrale, et les divisions n'étaient guère autonomes à cet égard, voire pas du tout.
[29] Tous les produits fabriqués par Du Pont, y compris les explosifs provenant de l'usine de Nipissing, étaient commercialisés sous la marque de Du Pont et portaient le nom commercial et les logos de Du Pont, bien en vue sur tous les produits et le matériel promotionnel.
[30] Les activités de fabrication d'explosifs employaient plus de 200 personnes, dont la plupart travaillaient à l'usine de Nipissing. Une trentaine d'employés étaient postés dans des chantiers de production en vrac situés dans les mines qui achetaient les explosifs de Du Pont et une trentaine d'autres, dans les bureaux de Du Pont à Mississauga. La force de vente comptait environ 25 employés, dont un directeur national de la commercialisation qui travaillait exclusivement pour les activités de fabrication d'explosifs et commercialisait ses produits au Canada. Le directeur de la commercialisation relevait du directeur de l'usine de Nipissing.
[31] Le directeur de l'usine de Nipissing relevait du vice-président du groupe de la production, qui était posté au bureau de Du Pont à Mississauga. Le personnel comptable sur place relevait directement du directeur du contrôle du groupe, et ultérieurement du vice-président contrôleur à Mississauga. Le personnel affecté aux activités de fabrication d'explosifs relevait d'un certain nombre de vice-présidents, selon l'évolution des besoins de Du Pont.
[32] L'usine de Nipissing possédait certaines installations de recherche, mais les installations de recherche de Du Pont à Kingston étaient responsables des principaux travaux de recherche, notamment les recherches qui dépassaient les capacités de l'usine de Nipissing.
[33] Les activités de fabrication d'explosifs faisaient l'objet de registres comptables, mais non suffisants pour permettre de déterminer la rentabilité de ces activités. Par exemple, les registres de fabrication d'explosifs faisaient état des coûts des biens produits et vendus, mais ne tenaient pas compte du coût des stocks de matières premières dont l'acquisition était centralisée, ni du coût des stocks de produits finis. Ils ne prenaient pas en compte non plus le coût des services centralisés ni les frais généraux d'entreprise non répartis, comme les coûts de financement, de recouvrement, les dépenses pour créances irrécouvrables et l'impôt sur le revenu. Les registres portant sur cette information étaient tenus de manière centralisée.
[34] Les coûts des services centralisés étaient ventilés par division, parfois sur une base régulière, parfois sur la base des services fournis. Les services centralisés comprenaient les services de crédit et de financement, la gestion de la trésorerie, la gestion du change, le crédit, la facturation des clients et l'encaissement des comptes, les achats, le règlement des fournisseurs et l'élaboration des rapports de dépenses. En 1987, Du Pont évaluait à environ 4,4 millions de dollars les services centralisés assurés aux activités de fabrication d'explosifs. Les activités de fabrication des explosifs n'étaient autorisées à assurer elles-mêmes aucun de ces services. Elles n'avaient même pas leur propre compte bancaire.
[35] Les diverses divisions de Du Pont collaboraient entre elles dans l'utilisation et la commercialisation des produits de Du Pont. Ainsi, les installations de Du Pont à Sarnia fabriquaient des pastilles de polyéthylène (résine) nommées « Sclair » , produit qui avait été développé par les installations de recherche de Du Pont à Kingston. Ce produit constituait la base d'un certain nombre d'autres produits à l'usage des sociétés minières, qui étaient aussi des acheteurs des explosifs de Du Pont. Le Sclair était expédié aux installations de Du Pont à Whitby pour y être extrudé sous forme de pellicule, puis transformé en tubes de plastique flexible. La pellicule servait également d'apprêt de séchage dans les trous humides où les produits explosifs de Du Pont étaient utilisés. Elle servait également d'emballage pour les explosifs en bouillie de petit diamètre.
[36] Le Sclair était également utilisé à l'usine de Du Pont à Huntsville pour fabriquer de la tuyauterie rigide destinée aux sociétés minières clientes, pour le transport de l'eau et des boues de minerais. L'assemblage des tuyaux était réalisé par le personnel de Du Pont sur place à la mine avec un technologie exclusive développée aux installations de recherche de Du Pont à Kingston. En outre, le Sclair était utilisé pour la fabrication d'un produit appelé le Fabrene, qui était vendu aux mines par le personnel commercial affecté aux explosifs pour des usages dans les filtres et conduits de ventilation.
[37] Une matière appelée ANFO, mélange de nitrate d'ammonium et de fuel-oil, était utilisée à l'usine de Nipissing pour la production des explosifs. S'il était placé dans du polyéthylène, l'ANFO coulait et l'usine d'explosifs de Nipissing employait un sac spécial en pellicule de nylon appelé Dartek, fabriqué à l'établissement de Du Pont à Whitby. De plus, le personnel commercial affecté aux explosifs vendait aux clients miniers de Du Pont une résine de polyester et un mélange chimique appelé FASLOC, qui servait à fixer et stabiliser le roc désagrégé dans les plafonds des mines. Un produit nommé Imron, développé par Du Pont et produit à son installation d'Ajax, était utilisé comme revêtement protecteur pour empêcher la corrosion des véhicules servant au transport de produits chimiques corrosifs, comme le nitrate d'ammonium utilisé dans la fabrication des explosifs.
[38] Les conditions relatives à la vente du 22 janvier 1988 des actifs de l'usine de fabrication d'explosifs à l'acheteur, la ETI Explosives Technologies International (Canada) Ltd., figurent dans un certain nombre de documents, notamment dans la convention d'achat et de vente datée du 4 septembre 1987, et des modifications datées des 15 et 30 décembre 1987. Ces documents ne mentionnent pas clairement si les parties considéraient l'opération comme la vente d'une entreprise distincte ou comme la vente d'un certain nombre d'actifs seulement. L'ambiguïté ressort dans la première phrase de l'article 1.1 de la convention du 4 septembre 1987. Il y est écrit, d'abord, que l'acheteur achète [TRADUCTION] « l'entreprise » comme une entreprise en exploitation. Toutefois, le terme [TRADUCTION] « entreprise » est défini dans la convention comme [TRADUCTION] « certains actifs de l'entreprise commerciale canadienne d'explosifs du vendeur [Du Pont], et non pas [TRADUCTION] « tous » ou même [TRADUCTION] « presque tous » ces actifs. Le phrase se poursuit en des termes qui affirment que Du Pont souhaite vendre les [TRADUCTION] « actifs de l'entreprise » , définis de manière tautologique comme les actifs de [TRADUCTION] « l'entreprise » énumérés dans l'objet de la vente.
[39] Le prix d'achat total des actifs était de 55 millions de dollars (américains), dont 37 millions de dollars (américains) étaient acquittés comptant et 18 millions de dollars (américains) étaient payables dans un délai de huit ans. L'obligation de l'acheteur à l'égard des paiements différés était attestée par des billets portant intérêt. Les stocks des magasins, les pièces de rechange, les matériels d'emballage, les produits semi-finis et les matières premières étaient vendus à un prix convenu séparément.
[40] Sur le prix d'achat de 55 millions de dollars des actifs autres que les stocks, une somme de 52,8 millions de dollars était affectée aux immeubles et aux biens corporels autres que les terrains, soit à l'équipement, à l'outillage, aux agencements, aux réservoirs de stockage, aux laboratoires et à leurs équipements techniques, au mobilier, aux outils, à l'équipement de bureau, aux ordinateurs personnels exclusivement affectés aux activités de fabrication des explosifs et aux logiciels informatiques de technologie appliquée en matière d'explosifs.
[41] Sur le reste du prix d'achat, un montant de 200 000 dollars (américains) était affecté aux terrains et un montant de 2 millions de dollars (américains), aux actifs incorporels, notamment aux brevets et aux demandes de brevets visant les explosifs et à certains renseignements exclusifs exposés dans une convention distincte de transfert de technologie, ainsi qu'au fonds commercial. La composition du fonds commercial n'était pas détaillée, mais elle incluait à tout le moins, semble-t-il, les ventes, commandes et autres contrats déjà passés, des listes de clients et des renseignements de commercialisation confidentiels relatifs à la fabrication des explosifs, qui étaient cédés à l'acheteur avec les actifs d'exploitation.
[42] Tout élément d'actif des activités de fabrication d'explosifs non spécifiquement énuméré dans la convention n'était pas vendu. Les actifs non vendus comprenaient la dénomination Du Pont, la marque de commerce ovale de Du Pont et sa marque de commerce sous forme de logo représentant une feuille d'érable dans un pentagone. N'étaient pas vendus non plus les comptes débiteurs et les effets à recevoir, l'encaisse, les dépôts bancaires, les investissements, les causes d'action contre des tiers sauf celles qui étaient mentionnées, les sommes payées d'avance sauf celles qui étaient mentionnées, les retenues fiscales payables pour le compte de tiers, les polices d'assurance, les registres financiers et d'autre nature ne concernant pas spécifiquement les activités de fabrication d'explosifs, certains actifs utilisés par Du Pont exclusivement pour la revente de produits explosifs à caractère non commercial fabriqués par l'actionnaire contrôlant, ainsi que les matériels et logiciels informatiques autres que ceux qui étaient énumérés.
[43] L'acheteur s'engageait à faire des offres d'emploi à tout le personnel travaillant à la fabrication des explosifs, sauf à certaines personnes que Du Pont souhaitait garder. Les conditions d'emploi devaient être au moins aussi favorables que celles qu'accordait Du Pont. Tous les employés de Du Pont affectés aux activités de fabrication d'explosifs, à l'exception de trois, ont accepté de travailler pour l'acheteur.
[44] Du Pont faisait les déclarations suivantes à l'acheteur des actifs reliés à la fabrication des explosifs (non souligné dans le texte) :
[TRADUCTION]
4.4 Caractère suffisant des actifs de l'entreprise. Les actifs de l'entreprise [les actifs vendus] ainsi que les actifs loués par l'entreprise (les actifs loués), les actifs de la société et d'autres divisions servant à fournir des services de soutien de manière générale au vendeur et les actifs exclus constituent fondamentalement l'ensemble des actifs utilisés par le vendeur pour l'exploitation de l'entreprise, sauf certains actifs appartenant à DUS [actionnaire contrôlant de Du Pont] qui seront cédés à la ETI [la société américaine affiliée à l'acheteur] conformément à l'opération connexe d'acquisition par la ETI de l'entreprise des États-Unis. Les actifs loués représentent moins de 15 % des actifs de l'entreprise et des produits de substitution sont généralement disponibles pour remplacer les actifs loués.
[45] La déclaration qui précède semble être la reconnaissance expresse par l'acheteur que les actifs achetés n'étaient pas suffisants pour former une entreprise autonome, parce qu'il fallait à l'entreprise des actifs qui n'étaient pas visés par l'opération. Pour régler ce problème potentiel, l'acheteur et Du Pont ont conclu une convention distincte relative aux services de soutien, aux termes duquel Du Pont assurait les services nécessaires moyennant des frais pendant 120 jours après la clôture de l'opération, avec possibilité de prolongation de 90 jours.
[46] La convention de vente comporte aussi les déclarations suivantes de l'acheteur des actifs de Du Pont :
[TRADUCTION]
5.6 Intention d'exploiter l'entreprise. L'acheteur entend actuellement continuer l'Entreprise pendant huit (8) ans.
Vraisemblablement, l'intérêt de Du Pont dans la poursuite de l'exploitation de l'entreprise par l'acheteur pendant huit ans s'expliquerait par le délai de huit ans qui s'applique à la fraction différée du prix d'achat, ce dont font foi les billets portant intérêt au montant de 18 millions de dollars (américains).
[47] À l'époque de la vente des actifs en 1988, l'actionnaire contrôlant de Du Pont, E.I. du Pont de Nemours and Company, produisait des explosifs aux États-Unis. L'acheteur des actifs relatifs à la fabrication des explosifs de Du Pont était la ETI Explosives Technologies International (Canada) Ltd., filiale de la CIC Canadian Investment Capital Limited. Une autre filiale de cette société achetait simultanément les actifs de fabrication d'explosifs de la E.I. du Pont de Nemours and Company. À mon avis, la vente simultanée des actifs canadiens et américains est dépourvue de conséquences.
[48] Les rapports annuels présentés en preuve au procès indiquent que Du Pont se présente comme un fabricant de divers produits chimiques dont les activités sont intégrées. Cela n'est pas conforme avec la notion que ses activités de fabrication d'explosifs forment une entreprise distincte. En même temps, Du Pont fait quelquefois mention de ses activités de fabrication d'explosifs comme d'une [TRADUCTION] « entreprise » . Ni la description que fait Du Pont de son entreprise comme intégrée ni son emploi ordinaire du terme [TRADUCTION] « entreprise » ne sont décisifs pour résoudre la question soulevée en l'espèce.
[49] Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les activités de fabrication d'explosifs de Du Pont formaient une entreprise distincte. Elle a résumé sa conclusion en ces termes (aux paragraphes 35 et 36) :
[35] Les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Frankel et H.A.Roberts Ltd. ne diffèrent pas de ceux qui avaient été énoncés par les tribunaux britanniques dans l'affaire Scales, et mon analyse de ces principes est la suivante : on considérera qu'il y a une seule entreprise lorsqu'il existe une interdépendance telle que l'on peut conclure à l'existence d'une seule entité productive de revenu; on considérera qu'il y a une entreprise distincte lorsque les circonstances sont telles que l'ensemble du processus donnant lieu à la réalisation de profits est bien distinct des autres, malgré le fait que l'entreprise n'aie pas fait l'objet de statuts constitutifs distincts. À mon sens, cette interprétation offre l'avantage d'être conforme au concept d'entreprise au sens de la Loi.
[36] À mon avis, la preuve indique clairement que la division Explosifs était gérée comme étant en soi une entité productive de revenu : la fabrication, la supervision et l'orientation, la commercialisation, les ventes des produits, le personnel ainsi que la comptabilité relevaient d'un organe central, malgré le fait que certaines règles s'appliquaient de façon générale à toutes les divisions et à certains services. Donc, il s'agissait d'une entreprise distincte de l'appelante.
[50] Je suis d'accord avec la formulation du critère juridique adoptée par le juge de la Cour de l'impôt. Cependant, je suis d'avis que le juge a correctement appliqué le critère. Il me semble qu'il a été induit en erreur par une mauvaise compréhension de la preuve relative à la combinaison particulière d'un pouvoir décisionnel à la fois au niveau central et au niveau divisionnel adoptée et pratiquée par Du Pont au cours des années, et par les relations fonctionnelles importantes entre ses activités de fabrication d'explosifs et ses autres activités commerciales. Cette mauvaise compréhension se traduit dans sa description de ces dimensions de l'entreprise de Du Pont, qu'elle qualifie simplement de certaines « règles [qui] s'appliquaient de façon générale à toutes les divisions » et de « certains services [qui] sont centralisés » .
[51] Une société telle que Du Pont qui fabrique divers produits dans diverses usines a d'innombrables choix en matière d'organisation de ses activités. Elle peut, par exemple, faire de chaque usine une entreprise distincte, autonome, ayant son propre pouvoir décisionnel sur tous les aspects des affaires. C'est le choix fait, par exemple, dans les affaires Scales et H.A. Roberts. Elle peut encore s'organiser comme une seule entreprise, possédant plusieurs divisions n'ayant aucune autonomie ou indépendance, situation où aucune division ne constitue une entreprise distincte. Toutes les positions intermédiaires sont également possibles, les divisions étant autonomes pour certains aspects de leur exploitation mais non pour les autres.
[52] Du Pont a choisi une position intermédiaire. Cela étant posé, la question à trancher est de savoir, compte tenu de l'organisation adoptée par Du Pont pour ses affaires, si les dimensions de ses activités typiques d'une entreprise unique intégrée sont plus importantes que les dimensions caractérisant des entreprises distinctes.
[53] Les indicateurs les plus importants de l'intégration sont ici la centralisation du financement, de la gestion du crédit et des achats ainsi que les installations de recherche communes. Le revers de cette médaille est l'absence d'autonomie de l'usine d'explosifs de Nipissing à l'égard de ces fonctions commerciales fondamentales. Ces faits distinguent la présente affaire de la jurisprudence établie dans les jugements Frankel, Utah Co. et H.A. Roberts, qui avaient conclu à l'existence d'entreprises distinctes.
[54] Autre fait important, le nom commercial et les marques de commerce de Du Pont ont toujours été utilisés pour tous les produits de Du Pont, mais ont cessé de l'être pour les explosifs produits à l'usine de Nipissing après la vente. Dans l'arrêt Frankel au contraire, l'existence d'une entreprise distincte a été établie, le nom commercial et la marque de commerce ayant été cédés avec l'usine.
[55] Un autre fait distingue l'espèce des affaires Frankel, Utah Co. et H.A. Roberts. Il s'agit du degré d'intégration des produits attesté par la pratique des ventes croisées. La division des explosifs en particulier avait des clients en commun avec d'autres usines de Du Pont et leur vendait des produits qui n'étaient pas fabriqués à l'usine de Nipissing. C'est là un résultat naturel et prévisible de la stratégie générale d'entreprise de Du Pont, décrite ci-dessus.
[56] Certains facteurs séparaient les activités de fabrication d'explosifs du reste des affaires de Du Pont. Ainsi, l'usine de Nipissing était matériellement séparée des autres activités de Du Pont, ce qui séparait naturellement la plupart de ses employés des autres, sauf de ceux de Mississauga et de Kingston qui fournissaient des services destinés à la fabrication des explosifs. Cependant, je ne puis conclure à partir des faits en l'espèce que ces indicateurs de séparation sont suffisants pour l'emporter sur les nombreux indicateurs importants attestant que Du Pont exploite une seule entreprise intégrée.
[57] La Couronne s'appuie sur la présence du « fonds commercial » parmi les actifs vendus pour soutenir que les actifs vendus doivent constituer une entreprise autonome parce que, dans le cas contraire, il n'y aurait pas de fonds commercial à céder. Cette position contredit la déclaration de l'acheteur qui reconnaît qu'il n'acquiert pas la totalité des actifs nécessaires à une entreprise de fabrication d'explosifs. À mon avis, la Couronne veut accorder beaucoup trop d'importance à une disposition type qui, dans les circonstances, s'explique suffisamment par la cession d'actifs incorporels tels que les contrats, les listes de clients et les renseignements confidentiels.
[58] Pour ces motifs, je conclus que les activités de fabrication d'explosifs de Du Pont ne formaient pas une entreprise distincte. Par conséquent, l'appel est accueilli avec dépens, le jugement de la Cour de l'impôt est annulé et les nouvelles cotisations attaquées dans l'appel sont renvoyées pour un réexamen en conformité avec les présents motifs.
Karen R. Sharlow
Juge
« J'y souscris.
Juge Richard »
« J'y souscris.
Juge John M. Evans »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 20010412
Dossier : A-527-99
CORAM : LE JUGE RICHARD
LE JUGE EVANS
LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
DU PONT CANADA INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
L'appel est accueilli avec dépens, le jugement de la Cour de l'impôt est annulé et les nouvelles cotisations attaquées dans l'appel sont renvoyées pour un réexamen en conformité avec les présents motifs.
J. Richard
Juge en chef
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
DIVISION D'APPEL
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
N º DU GREFFE : A-527-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : DUPONT CANADA INC.
-et-
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 22 février 2001
MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE RICHARD
LE JUGE EVANS
EN DATE DU : 12 avril 2001
ONT COMPARU :
M. Alan M. Schwartz, c.r.
M. Mitchell L. Thaw
M. Jeffrey Leon POUR L'APPELANTE
M. J.S. Gill, c.r.
M. David W. Chodikoff
M. Bobby Sood POUR L'INTIMÉE
AVOCATS AU DOSSIER :
Fasken Martineau DuMoulin POUR L'APPELANTE
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR L'INTIMÉE
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)