Date : 20031020
Dossier : A-286-03
Référence : 2003 CAF 384
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LA JUGE SHARLOW
ENTRE :
MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU, TONI
HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD, en leur
qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION SALT
RIVER no 195, élus le 30 août 2002
appelants
(demandeurs)
et
VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR, membre
incontesté du conseil de bande élu, NORA BEAVER, DAVID
GOWANS, CONNIE BENWELL, MICHEL BJORNSON, HARVEY
LEPINE et DON TOURANGEAU, censément élus conseillers de la
bande lors d'une réunion tenue le 3 novembre 2002, et JEANNIE
MARIE JEWELL, agissant à titre de gestionnaire intérimaire
de la bande
intimés
(défendeurs)
Audience tenue à Edmonton (Alberta), le mercredi 1er octobre 2003.
Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE ROTHSTEIN
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE SEXTON
LA JUGE SHARLOW
Date : 20031020
Dossier : A-286-03
Référence : 2003 CAF 384
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LA JUGE SHARLOW
ENTRE :
MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU, TONI
HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD, en leur
qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION SALT
RIVER no 195, élus le 30 août 2002
appelants
(demandeurs)
et
VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR, membre
incontesté du conseil de bande élu, NORA BEAVER, DAVID
GOWANS, CONNIE BENWELL, MICHEL BJORNSON, HARVEY
LEPINE et DON TOURANGEAU, censément élus conseillers de la
bande lors d'une réunion tenue le 3 novembre 2002, et JEANNIE
MARIE JEWELL, agissant à titre de gestionnaire intérimaire
de la bande
intimés
(défendeurs)
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard d'une décision rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale (maintenant la Cour fédérale) relativement à l'appel déposé dans le dossier A-244-03. Dans cet appel, la Cour était chargée de contrôler l'ordonnance en date du 29 mai 2003 rendue par la Section de première instance à la suite d'un différend touchant la question de savoir lequel de deux groupes de conseillers agissait comme conseillers légitimes de la bande de Salt River. La Cour a rejeté cet appel dans une décision prononcée le même jour, confirmant ainsi l'ordonnance datée du 29 mai 2003 par laquelle la Section de première instance a déclaré que les appelants dans le présent appel sont les conseillers légitimes de la bande. L'ordonnance prononcée par la Section de première instance le 29 mai 2003 était de nature définitive.
[2] Il semble qu'en raison d'un règlement en matière de revendications territoriales, une somme bien supérieure à 60 000 000 $ est détenue en fiducie par la Compagnie Trust Royal, à Winnipeg, pour le compte de la bande. Au cours du processus de contrôle judiciaire, diverses demandes ont été présentées au juge des requêtes afin d'obtenir des ordonnances interlocutoires relatives aux fonds de la bande. Le 10 janvier 2003, le juge des requêtes a ordonné que les fonds détenus en fiducie par la Compagnie Trust Royal pour le compte de la bande soient bloqués jusqu'à que la Cour rende une autre ordonnance, que les fonds déposés dans divers comptes de la Banque de Montréal, à Fort Smith (T.N.-O.), soient également bloqués et, enfin, que les paiements effectués sur les fonds se trouvant dans d'autres comptes à la Banque de Montréal soient restreints.
[3] Par l'ordonnance du 29 mai 2003, le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire, décidé qui étaient le chef et les conseillers légitimes de la bande et ordonné que l'ordonnance du 10 janvier 2003 continue de s'appliquer, c'est-à dire que les fonds de la bande demeureraient bloqués ou ne serviraient qu'à des fins limitées jusqu'à l'expiration du délai d'appel, soit trente jours suivant le 29 mai 2003. Au paragraphe 50 de ses motifs, le juge précise en outre que, « [d]ans l'éventualité où les parties auraient besoin d'obtenir des autorisations particulières concernant ces paiements autorisés, elles pourront présenter une demande à cet effet à la Cour et des conférences téléphoniques pourront être organisées afin d'assurer la bonne gestion des affaires de la bande » .
[4] Compte tenu de l'importance des sommes appartenant à la bande, des querelles opposant les deux groupes qui souhaitaient être reconnus comme conseillers de la bande et des allégations de mauvaise gestion des fonds formulées par chaque groupe à l'endroit de l'autre, le juge des requêtes a voulu faire en sorte que les fonds de la bande continuent d'être protégés de la dilapidation ou d'un emploi abusif pendant un appel devant la Cour - objectif qui est certes compréhensible. Si aucun appel n'était introduit, l'ordonnance du 10 janvier 2003 cesserait d'avoir effet à l'expiration du délai d'appel; dans le cas contraire, le juge des requêtes a de toute évidence présumé que le pouvoir de protéger les fonds de la bande par voie d'une ordonnance judiciaire relèverait alors de la Cour d'appel fédérale.
[5] Après le prononcé de l'ordonnance du 29 mai 2003, les parties ont présenté d'autres demandes au juge des requêtes. À la suite d'une conférence téléphonique avec le juge le 19 juin 2003, au cours de laquelle les appelants et les intimés ont récriminé les uns contre les autres, le juge des requêtes a rendu l'ordonnance maintenant frappée d'appel. Cette ordonnance a été prononcée le 20 juin 2003. Elle prévoit notamment ce qui suit :
[traduction] Il est en outre ordonné qu'à partir du lundi 23 juin 2003, seules les personnes suivantes seront les signataires autorisés du conseil de bande dûment élu de la Première nation Salt River no 195 :
Le chef Victor Marie
Norman Starr
Melvin Wanderingspirit
Delphine Beaulieu
Tony Heron
Raymond Beaver
Sonny McDonald
Avant d'être honorés, tous les titres négociables doivent être signés par au moins trois des personnes susmentionnées, dont l'une doit toujours être le chef Victor Marie.
[6] Il semble que la majorité des conseillers de la bande n'appuient pas le chef. Probablement en vue d'inciter les groupes qui sont parties au différend à veiller de façon raisonnable au paiement des comptes et des salaires appropriés, le juge des requêtes a décidé que le groupe de conseillers majoritaire devrait collaborer avec le chef de manière qu'il signe tous les titres négociables.
[7] Cette exigence voulant que le chef signe tous les chèques n'est pas acceptable aux yeux des appelants et ils ont donc interjeté appel de l'ordonnance de la Cour datée du 20 juin 2003.
[8] Dans le présent appel, les appelants affirment que le juge des requêtes n'avait pas compétence pour prononcer l'ordonnance du 20 juin 2003. Ils soutiennent que le juge des requêtes, lorsqu'il a rendu son ordonnance définitive du 29 mai 2003 déclarant que les appelants dans le présent appel, ainsi que Victor Marie à titre de chef et Norman Starr à titre de conseiller, sont le chef et les conseillers légitimes de la bande, s'est dessaisi de la question. À compter de ce moment, le pouvoir de choisir les signataires autorisés relevait à nouveau du conseil de bande. On a invoqué qu'il n'était pas dans la pratique des conseils de bande de Salt River, par les années passées, d'obtenir la signature de trois conseillers ou d'obligatoirement exiger la signature du chef.
[9] La Cour est saisie de la question de savoir si le juge des requêtes avait compétence pour rendre l'ordonnance du 20 juin 2003, laquelle précise le nom des signataires autorisés et exige que le chef, en qualité de signataire autorisé obligatoire, signe tous les titres négociables.
[10] À mon sens, même si je comprends les objectifs visés par le juge des requêtes, je dois conclure que l'ordonnance du 20 juin 2003 a été rendue en l'absence de compétence.
[11] Lorsque la Cour fédérale prononce une ordonnance définitive, toutes les ordonnances provisoires antérieures cessent de s'appliquer. C'est ce qui ressort de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale :
La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
[Non souligné dans l'original.] |
On an application for judicial review the trial division may make such interim orders as it considers appropriate pending the final disposition of the application. |
Les ordonnances provisoires sont rendues dans l'attente du règlement définitif d'une demande. Dès qu'une demande est tranchée de manière définitive, plus rien n'est en instance. À ce moment, toutes les ordonnances provisoires prononcées dans le cadre de la poursuite cessent d'avoir effet. Ce serait le cas de l'ordonnance du 10 janvier 2003, laquelle bloque les fonds de la bande et limite l'utilisation d'autres fonds. Je crois que l'ordonnance du 10 janvier 2003 était tout à fait appropriée à titre d'ordonnance provisoire dans l'attente d'une décision établissant lequel des groupes en cause se composait du chef et des conseillers légitimes de la bande. Mais une fois que la Cour a prononcé l'ordonnance définitive du 29 mai 2003 et tranché la question en litige, l'ordonnance du 10 janvier 2003 devenait caduque et le paragraphe 50 des motifs du juge des requêtes ne pouvait la prolonger.
[12] Il s'ensuit qu'après avoir prononcé une ordonnance définitive, la Cour fédérale n'a plus compétence pour rendre d'autres ordonnances provisoires. Par conséquent, l'ordonnance du 20 juin 2003 ne peut être assimilée à une ordonnance provisoire.
[13] La compétence de la Cour fédérale de rendre des ordonnances après le prononcé d'une ordonnance définitive est restreinte. En effet, les ordonnances de ce genre sont uniquement possibles dans le cadre d'une requête en réexamen fondée sur le paragraphe 397(1) des Règles et visant la correction de fautes de transcription, d'erreurs et d'omissions en application du paragraphe 397(2) des Règles ou dans le cadre d'une requête demandant à la Cour d'annuler ou de modifier une ordonnance en raison de faits nouveaux survenus ou découverts après son prononcé ou parce qu'elle a été obtenue par fraude aux termes de l'article 399 des Règles. Dans la présente affaire, les appelants n'ont invoqué aucune de ces dispositions devant le juge des requêtes. De fait, l'ordonnance du 20 juin 2003 n'est pas rendue comme si elle se fondait sur tel ou tel motif énuméré dans les Règles. De toute évidence, il ne s'agit ni d'un réexamen, ni de la correction d'une faute de transcription ou d'une erreur ou omission, ni d'une modification apportée en raison de faits nouveaux survenus ou découverts après le prononcé de l'ordonnance.
[14] Selon l'alinéa 398(1)a) des Règles, la Cour fédérale peut surseoir à une ordonnance qu'elle a rendue. Néanmoins, l'ordonnance du 20 juin 2003 ne vise pas à surseoir à l'ordonnance du 29 mai 2003. Même si c'était le cas, elle aurait été rendue sans compétence puisque les appelants, à la même date que celle du prononcé de l'ordonnance du 29 mai 2003, avaient déjà déposé auprès de la Cour un avis d'appel de cette ordonnance. Dès le dépôt de l'avis d'appel, tout pouvoir de surseoir à l'ordonnance du 29 mai 2003 relevait de la Cour d'appel fédérale et non plus de la Cour fédérale suivant l'alinéa 398(1)b) des Règles.
[15] Je reconnais que la Cour fédérale peut, par une ordonnance définitive, autoriser les parties à lui soumettre une demande afin d'obtenir des précisions ou des directives. Cependant, les précisions ou directives doivent porter sur les conditions de l'ordonnance définitive. En l'espèce, les appelants ont demandé à la Cour de déclarer qui étaient les conseillers légitimes de la bande. C'est cette question que l'ordonnance définitive a tranchée.
[16] Le paragraphe 50 est censé s'étendre à l'ordonnance provisoire du 10 janvier 2003, jusqu'à l'expiration du délai d'appel, et autoriser les parties à demander à la Cour les autorisations nécessaires. Or, comme il est mentionné plus haut, à partir du moment où il a rendu l'ordonnance définitive, le juge des requêtes n'avait plus compétence pour prolonger une ordonnance provisoire. De même, il ne pouvait, dans le cadre de son ordonnance définitive, préciser quelles personnes étaient les signataires autorisés de la bande. Lorsque le juge des requêtes a finalement décidé qui étaient les membres légitimes du conseil de bande, il a perdu compétence pour intervenir dans leur exercice des pouvoirs du conseil, y compris le pouvoir de nommer les signataires autorisés.
[17] Comme je l'ai déjà mentionné, je suis parfaitement conscient que le juge des requêtes tentait, avec prudence, de faire en sorte que les deux parties à ce litige envenimé travaillent ensemble et fassent uniquement les paiements appropriés. Je regrette toutefois que le juge des requêtes n'avait pas la compétence nécessaire pour agir ainsi.
[18] J'accueillerais l'appel avec dépens. Pour plus de précision, l'ordonnance provisoire du 10 janvier 2003 et l'ordonnance du 20 juin 2003 frappée d'appel ont cessé d'avoir effet.
« Marshall Rothstein »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
J. Edgar Sexton, juge »
« Je souscris aux présents motifs
Karen Sharlow, juge »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-286-03
INTITULÉ : KELVIN WANDERINGSPIRIT et al.
c.
VICTOR MARIE et al.
LIEU DE L'AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 1er octobre 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE ROTHSTEIN
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE SEXTON
LA JUGE SHARLOW
DATE DES MOTIFS : Le 20 octobre 2003
COMPARUTIONS :
Christopher Harvey |
POUR LES APPELANTS |
Ian Blackstock |
POUR LES APPELANTS |
Jeannie Marie Jewell, intimée |
POUR LES INTIMÉS |
Neil J. Duboff |
POUR ROYAL TRUST |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mackenzie Fujisawa Vancouver (C.-B.) |
POUR LES APPELANTS |
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Yellowknife (T.N.-O.) |
POUR LES APPELANTS |
Date : 20031020
Dossier : A-286-03
OTTAWA (ONTARIO), LE 20 OCTOBRE 2003
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LA JUGE SHARLOW
ENTRE :
MELVIN WANDERINGSPIRIT, DELPHINE BEAULIEU, TONI HERON, RAYMOND BEAVER et SONNY MCDONALD, en leur qualité de CONSEILLERS DE LA PREMIÈRE NATION SALT RIVER no 195, élus le 30 août 2002
appelants
(demandeurs)
et
VICTOR MARIE, chef incontesté, et NORMAN STARR, membre incontesté du conseil de bande élu, NORA BEAVER, DAVID GOWANS, CONNIE BENWELL, MICHEL BJORNSON, HARVEY LEPINE et DON TOURANGEAU, censément élus conseillers de la bande lors d'une réunion tenue le 3 novembre 2002, et JEANNIE MARIE JEWELL, agissant à titre de gestionnaire intérimaire de la bande
intimés
(défendeurs)
JUGEMENT
L'appel est accueilli avec dépens. L'ordonnance provisoire du 10 janvier 2003 et l'ordonnance du 20 juin 2003 frappée d'appel ont cessé d'avoir effet.
« Marshall Rothstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.