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Date : 20031208

 

Dossier : A-163-03

 

Référence : 2003 CAF 469

 

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

 

 

ENTRE :

 

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                        demanderesse

 

                                                                       et

 

                                                ALEXANDER AKIWENZIE

 

                                                                                                                               défendeur

 

 

 

 

 

                             Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2003.

 

                             Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2003.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE STRAYER

                                                                                                       LE JUGE LÉTOURNEAU


 

 

 

 

 

                                                                                                                     Date : 20031208

 

                                                                                                                 Dossier : A-163-03

 

                                                                                                    Référence : 2003 CAF 469

 

CORAM :      LE JUGE STRAYER

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

 

 

ENTRE :

 

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                        demanderesse

 

                                                                       et

 

                                                ALEXANDER AKIWENZIE

 

                                                                                                                               défendeur

 

 

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 


[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision (procédure informelle) (2003 DTC 235; [2003] 3 C.T.C. 2001) par laquelle le juge Miller, de la Cour canadienne de l'impôt a renvoyé au ministre les cotisations d'impôt dont le défendeur avait fait l'objet pour que de nouvelles cotisations soient établies compte tenu du fait que la totalité du revenu que le défendeur avait tiré de son emploi auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) au cours de ses années d'imposition 1997 et 1998 est exempté d'impôt conformément au paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens et à l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

[2]               La demanderesse a concédé devant le juge de la Cour de l'impôt que le revenu du défendeur, dans une proportion de 15 p. 100, était visé par l'exemption pour le motif que le défendeur était, 15 p. 100 du temps, physiquement présent dans des réserves dans l'exercice de son emploi. La demanderesse prend maintenant la position selon laquelle, compte tenu de la preuve présentée devant le juge de la Cour de l'impôt, ce chiffre devrait être de 20 p. 100; elle soutient donc que le juge de la Cour de l'impôt est arrivé à la bonne conclusion pour ce qui est de 20 p. 100 du revenu du défendeur.

 

[3]               Dans la mesure où cette concession est fondée sur la prémisse selon laquelle le lieu où le défendeur a fourni ses services est déterminant en ce qui concerne le situs de son revenu, cela n'est pas conforme au droit (voir Canada c. Monias, [2002] 1 C.F. 51, paragraphe 37). Toutefois, nous devons lui donner effet puisque la présente instance a été engagée dans le cadre d'un contrôle judiciaire et que la contestation porte sur la décision rendue par le juge de la Cour de l'impôt dans la mesure où il est statué que le reste du revenu du défendeur est exempté d'impôt.

 


[4]               Par conséquent, seul le revenu d'emploi gagné par le défendeur à l'égard du travail accompli en dehors de la réserve, c'est‑à‑dire depuis son bureau au MAINC, à Hull (Québec), entre en ligne de compte. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que ce revenu, ou plus précisément le droit y afférent, se rattachait suffisamment aux diverses réserves dont le défendeur devait s'occuper dans l'exercice de son emploi pour qu'il soit possible de conclure qu'il s'agit d'un bien meuble situé dans ces réserves pour l'application du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens.

 

[5]               En tirant cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt s'est fondé sur le « poste unique » que le défendeur occupait par suite du fait que ses fonctions « faisaient partie intégrante de l'avenir des réserves » et que « tout ce qu'il a[vait] fait, il l'a[vait] fait comme un Indien en tant qu'Indien » en ce sens qu'il était réellement un Indien et que sa vie était entièrement axée sur le maintien ou l'amélioration de la qualité de vie des Indiens en leur qualité d'Indiens dans les réserves (motifs du juge de la Cour de l'impôt, paragraphes 56 et 57).

 

[6]               Compte tenu de la nature de ces facteurs de rattachement (que le juge de la Cour de l'impôt considère comme un facteur unique), le juge de la Cour de l'impôt devait faire face à la décision rendue par la présente cour dans l'affaire Canada c. Monias, précitée, et déterminer si le lien économique nécessaire entre le revenu du défendeur et ces réserves était présent. Dans l'arrêt Monias, il a été statué ce qui suit :


[67] En édictant l'alinéa 87(1)b), le législateur a créé une exception importante au principe qui veut que les personnes qui sont dans des situations semblables doivent être traitées de la même façon aux fins de l'impôt. Toutefois, cette disposition ne peut être interprétée comme exemptant de l'impôt sur le revenu le revenu d'emploi des Indiens qui n'a pas clairement été gagné dans des circonstances qui lient son acquisition à une réserve en tant qu'unité économique [voir également le paragraphe [46] de cette décision, dans lequel le lien existant avec une réserve est assimilé à une « réalité physique »].

 

 

[7]               Le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt sur ce point est fondamentalement énoncé dans les trois paragraphes suivants qui figurent à la fin des motifs :

[58] Pour ce qui est des principes énoncés dans laffaire Monias, je dois décider si ce facteur de rattachement établit bel et bien un lien nécessaire avec la réserve en tant quunité économique. Cest possible si je peux justifier une interprétation de larticle 87 de la Loi sur les Indiens et des décisions récentes de la Cour dappel fédérale comme comprenant un lien entre le revenu demploi et les réserves en général, car, même si M. Akiwenzie résidait dans une réserve, seules ses dépenses personnelles lient son revenu demploi à cette réserve. En ce qui concerne la détermination du situs de son revenu demploi, celui-ci est, en fait, rattaché à chacune des réserves au Canada.

 

[59] Dun point de vue politique, je crois quil ne serait pas contraire à lobjet de larticle 87, tel que le définit le juge LaForest, de permettre à M. Akiwenzie, étant donné les circonstances exceptionnelles liées à son emploi, de bénéficier de cette exemption. Il nest pas nécessaire dinterpréter lutilisation de lexpression « biens meubles situés sur une réserve » à larticle 87 comme signifiant que ces biens sont situés sur plus dune réserve. Je peux facilement imaginer la situation où un Indien est présent physiquement dans trois ou quatre réserves pour y travailler, et réside possiblement dans une cinquième. Est-ce quil na pas droit à lexemption parce quil a un lien avec plus dune réserve? Je ne le crois pas. Il nest pas moins rattaché à une réserve simplement parce quil avait des liens avec 480 réserves. Le rattachement doit être établi avec chacune des réserves, mais il nest pas nécessaire quil soit limité à une seule. Il est certain que M. Akiwenzie a probablement un rattachement un peu plus fort à la réserve dans laquelle il réside, car on suppose quune plus grande partie de ses biens meubles son revenu demploi serait dépensé dans cette réserve; cependant, cette situation nempêche pas son lien avec toutes les autres réserves. Ce nest que considérées ensemble quelles ont constitué lunité économique requise par la décision de la Cour dappel fédérale dans laffaire Monias. Le gouvernement du Canada paie M. Akiwenzie pour avoir accès aux collectivités indiennes, à leurs connaissances et à leurs points de vue et, en bout de ligne, afin dobtenir leur consensus sur ce que les réserves sont maintenant et devraient être dans lavenir. À cet égard, les réserves en général servent effectivement dunités économiques pour le revenu demploi de M. Akiwenzie. Cette situation nest pas si différente de celle de lemployée dhôpital qui est payée sur les fonds du gouvernement attribués pour les soins des Indiens.

 


[60] Même si le lieu de résidence de M. Akiwenzie et celui des services fonciers et fiduciaires des Affaires indiennes et du Nord sont des facteurs pertinents, cest la nature de lemploi de M. Akiwenzie et les circonstances particulières qui sy rapportent qui mamènent à conclure quil a gagné son revenu demploi comme un Indien en tant quIndien. Ce revenu est un bien meuble situé sur une réserve. Par conséquent, il a droit à ce que son revenu demploi soit protégé par lentité même qui le lui a versé le gouvernement du Canada.

 

[8]               Avec égards, je crois que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit lorsqu'il a statué que le bien meuble en question pouvait être situé dans « chacune des réserves du Canada » avec laquelle le défendeur était lié dans l'exercice de son emploi auprès du MAINC compte tenu des facteurs qu'il a identifiés.

 

[9]               La question que le juge de la Cour de l'impôt devait trancher était de savoir s'il est possible de dire que les biens incorporels constitués par le droit du défendeur à un revenu pour les services fournis dans l'exercice de son emploi étaient situés dans une réserve. Sur le plan strictement juridique, ces biens étaient situés au bureau du MAINC où le défendeur pouvait légalement demander le paiement de son salaire.

 


[10]           Toutefois, les tribunaux ont élaboré une approche fondée sur l'objet visé en interprétant l'exemption relative aux biens meubles prévue par la Loi sur les Indiens, selon laquelle le situs du bien peut néanmoins être considéré comme étant dans une réserve lorsqu'il peut être démontré au moyen de facteurs de rattachement pertinents que le revenu gagné par un Indien se rattache à une réserve à un point tel que son imposition représenterait « une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve » (Williams c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 877, paragraphe 37). C'est le but de l'exemption, à savoir la préservation des biens mis à la disposition de l'Indien à titre d'Indien dans une réserve, qui a amené la présente cour à statuer, dans l'arrêt Monias, que pour que le revenu d'emploi d'un Indien soit visé par l'exemption, il doit exister un lien entre son acquisition et une réserve en tant que réalité physique ou en tant qu'unité économique. Le juge LaForest a parlé de cette exigence fondamentale en des termes différents dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 133, lorsqu'il a dit que l'article 87 n'offre aucune protection « [...] en l'absence d'un lien discernable entre le bien en question et l'occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien [...] ».

 

[11]           Cela étant, le fait que le défendeur exerçait des fonctions dont bénéficiaient les réserves et que ces fonctions « faisaient de fait partie intégrante de l'avenir des réserves », comme le juge de la Cour de l'impôt l'a conclu, ne peut faire en sorte que le revenu du défendeur était situé dans ces réserves. Comme la cour l'a dit dans l'arrêt Monias, précité :

[66] Le fait que le travail qui donne lieu au revenu d'emploi soit au bénéfice des Indiens dans les réserves et qu'il puisse être essentiel au maintien des réserves comme groupes sociaux viables, n'est pas en soi suffisant pour situer le revenu d'emploi dans les réserves. La politique qui sous‑tend l'alinéa 87(1)b) n'a pas pour but d'offrir une subvention fiscale aux services fournis aux réserves. Il s'agit plutôt de protéger la propriété que les Indiens peuvent acquérir, conserver et utiliser dans une réserve, de toute atteinte par le biais de l'impôt, bien que dans le cas d'un bien incorporel, comme le revenu d'emploi, c'est le situs de son acquisition qui est particulièrement important. (Le même point fondamental est soulevé d'une façon convaincante dans l'arrêt Desnomie c. Canada, 186 D.L.R. (4th) 718 (C.A.F.), à la fin du paragraphe 21).

 

On ne saurait accorder plus d'importance à la qualité réelle du défendeur à titre d'Indien ou à son « indiannité » si je puis m'exprimer ainsi, et ce, pour ce motif même.

 


[12]           Eu égard aux faits portés à sa connaissance, le juge de la Cour de l'impôt a conclu, avec raison à mon avis, que le revenu du défendeur ne se rattachait pas suffisamment à la réserve dans laquelle ce dernier vivait du fait de son occupation de la réserve et compte tenu des montants qu'il aurait dépensés dans la réserve pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille (voir Bell c. Canada, 2000 DTC 6365, paragraphe 41). Toutefois, le  « lien véritable » auquel le juge a conclu est un lien virtuel avec « chacune des réserves du Canada », compte tenu de la nature exceptionnellement avantageuse des services fournis par le défendeur dans l'exercice de son emploi et de sa qualité réelle d'Indien (voir le paragraphe 5, précité).

 

[13]           Avec égards, ces facteurs n'ont rien à voir avec la préservation des biens meubles du défendeur à titre d'Indien dans ces réserves. Plus précisément, on ne saurait dire que l'imposition du revenu du défendeur porterait atteinte à son droit à titre d'Indien dans ces réserves étant donné qu'il n'existe absolument aucun lien entre ce revenu en tant que tel et ces réserves en tant qu'unités économiques ou en tant que réalités physiques (Monias, précité, paragraphes 46 et 67).

 


[14]         J'accueillerais donc la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du juge de la Cour de l'impôt et je renverrais l'affaire au juge en chef de la Cour de l'impôt ou au juge que celui‑ci aura désigné avec la directive selon laquelle l'appel du défendeur doit être accueilli en partie, les cotisations devant être renvoyées au ministre compte tenu du fait que, dans une proportion de 20 p. 100, le revenu du défendeur est exempté d'impôt. Chaque partie devrait supporter ses propres frais. Malgré ce résultat, le défendeur a droit aux frais engagés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire conformément à l'article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

 

 

 

 

« Marc Noël »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs.

B.L. Strayer, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs.

Gilles Létourneau, juge »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   A-163-03

 

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D'UNE DÉCISION RENDUE PAR LE JUGE MILLER, DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT, LE 25 FÉVRIER 2003.

 

INTITULÉ :                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

c.

ALEXANDER AKIWENZIE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                            OTTAWA

 

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 3 DÉCEMBRE 2003

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                    LE JUGE STRAYER

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 8 DÉCEMBRE 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sandra Phillips                                              POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Reynolds                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morris Rosenberg                                         POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada           

 

Reynolds, Dolgin                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

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