Date : 20031127
Dossier : A-512-02
CORAM : LE JUGE DÉCARY
ENTRE :
D & J DRIVEWAY INC.
demanderesse
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
défendeur
Audience tenue à Québec (Québec), les 24 et 27 novembre 2003.
Jugement rendu à Québec (Québec), le 27 novembre 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE LÉTOURNEAU
Date : 20031126
Dossier : A-512-02
Référence : 203 CAF 453
CORAM : LE JUGE DÉCARY
ENTRE :
D & J DRIVEWAY INC.
demanderesse
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Québec (Québec)
le 27 novembre 2003)
[1] Nous sommes encore une fois saisis de la difficile et élusive question de l'assurabilité d'un emploi. Comme c'est souvent le cas, elle se soulève dans un contexte où l'intention des parties n'est pas consignée par écrit et où cette dernière n'a pas été établie, ou n'a pas fait l'objet de recherche auprès des témoins, à l'audience devant la Cour canadienne de l'impôt.
[2] Nous reconnaissons d'emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d'examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, [2003] 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l'interrogatoire des parties sur la question peuvent s'avérer un instrument utile d'interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.
[3] Que la question soit difficile à résoudre dans des cas limites ressort de la présente décision émanant d'un juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt et de celle rendue dans l'affaire Sauvageau Pontiac Buick GMC ltée c. Canada (Ministre du revenu national), [1996] A.C.I. no. 1383 où le juge Archambault de la même Cour en est venu à une conclusion diamétralement opposée à partir de données factuelles très similaires.
[4] Pour les motifs ci-après exprimés, nous sommes d'avis que le juge suppléant s'est mépris quant à l'existence d'un lien de subordination entre la demanderesse et les livreurs. Il s'est référé aux critères de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) développés aux fins d'apprécier l'existence d'un tel lien. Il a fait une appréciation erronée de certains de ces critères ainsi qu'une application fautive aux faits de l'espèce.
[5] Les faits à la source du litige sont assez simples et peuvent être aisément résumés ainsi. La demanderesse est une filiale de la compagnie Dynamic Fiber Ltd (Dynamic) qui fabrique des boîtes en fibre de verre pour camions.
[6] Dynamic commande des camions pour des clients et, une fois les camions chez elle, elle procède à l'installation des boîtes. La demanderesse entre en action une fois le travail complété. Elle s'occupe de livrer les camions à leurs propriétaires qui sont généralement des concessionnaires automobiles. Elle opère exclusivement un service de livraison. Elle le fait en retenant les services soit d'étudiants, soit de personnes à la retraite, soit de travailleurs qui occupent un emploi et qui recherchent un supplément de revenus.
[7] Les livreurs n'ont ni feu ni lieu chez la demanderesse. Leurs services sont retenus et fournis sur appel. Ils sont tout à fait libres de refuser l'offre qui leur est faite de conduire un camion, par exemple, à Halifax, Québec ou Montréal. Les livraisons se font à partir de Saint-Jacques, au Nouveau-Brunswick. Les livreurs reçoivent un montant fixe déterminé en fonction de la distance à parcourir.
[8] Le recrutement des livreurs se fait de bouche à oreille. Ceux-ci téléphonent à la demanderesse ou se rendent à son bureau pour offrir leurs services. Celle-ci conserve une liste de ces offres de services et, tel que déjà mentionné, appelle l'une ou l'autre de ces personnes sur la liste suivant ses besoins.
L'ABSENCE DE LIEN DE SUBORDINATION
[9] Un contrat de travail requiert l'existence d'un lien de subordination entre le payeur et les salariés. La notion de contrôle est le critère déterminant qui sert à mesurer la présence ou l'étendue de ce lien. Mais comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. no. 1337, [1996] 207 N.R. 299, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) 2002 FCA 394, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur. Au paragraphe 10 de la décision, il écrit :
Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.
[10] Il est bien sûr qu'en l'espèce, la demanderesse contrôlait les résultats. Elle s'assurait que les camions seraient livrés aux bons destinataires en temps opportun ou convenu. Mais là s'arrêtait son contrôle.
[11] De fait, les livreurs pouvaient accepter ou refuser de faire une livraison lorsqu'appelés par le demanderesse, ce qui n'est certes pas le propre d'une personne liée par un contrat de travail. Ils n'occupaient aucun emplacement à la place d'affaires de la demanderesse et ils n'étaient pas contraints d'y être disponibles. Ils ne s'y présentaient que pour prendre possession du camion qu'ils avaient accepté de livrer.
[12] En outre, les tâches assumées par les livreurs étaient assez simples et spécifiques : livrer le camion à l'adresse indiquée. Aucun contrôle ne s'exerçait sur la manière ou la façon dont ils exécutaient leurs fonctions. « Ce qui est la marque du louage de services » (aujourd'hui « contrat de travail » ), écrit le juge Pratte dans Gallant c. M.R.N., [1989] A.C.F. no. 330, « ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions » . Dans la présente affaire, ce contrôle quant à l'exécution même des fonctions était inexistant.
[13] En somme, comme dans l'affaire Sauvageau Pontiac Buick GMC ltée, précitée, nous sommes satisfaits qu'il n'existait pas un lien de subordination suffisant entre la demanderesse et les livreurs pour conclure à l'existence d'un contrat de travail. Il faut bien se prémunir à l'encontre d'un réflexe de songer uniquement à une corporation d'affaires ou à une entreprise commerciale structurée lorsque l'on pense à des travaux qui sont réalisés ou des services qui sont fournis autrement qu'en vertu d'un contrat de travail. Ce sont souvent les exemples de l'entrepreneur en électricité, en plomberie ou en construction qui viennent immédiatement à l'esprit dans un tel contexte. Mais il existe toute une gamme de services qui sont offerts en vertu d'un contrat de service. D'ailleurs, le Code civil du Québec, à l'article 2098, a bien pris soin de mettre sur un pied d'égalité le « contrat d'entreprise » et le « contrat de service » et d'appeler « entrepreneur » la personne qui exécute un contrat d'entreprise et « prestataire de services » celle qui exécute un contrat de service. Dans l'un et l'autre de ces contrats, l'entrepreneur et le prestataire de services s'engagent envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à leur payer. L'article 2099 du C.C.Q. énonce que l'entrepreneur, comme le prestataire de services, a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et qu'il n'y a pas de lien de subordination quant à son exécution.
[14] Dans la présente affaire, le travail à exécuter consistait à livrer un véhicule à un client et le livreur n'était soumis à aucun contrôle dans l'exécution de ses fonctions de livraison. Outre la liberté de refuser une offre de livraison, les livreurs n'affichaient aucune dépendance à l'égard de la demanderesse pour obtenir du travail. Tout au plus s'exposaient-ils, comme l'entrepreneur en électricité, par exemple, à ne pas voir leurs services à nouveau retenus si la prestation de services ou la réalisation de l'ouvrage était inadéquate.
[15] Nous croyons qu'il est légalement erroné de conclure à l'existence d'un lien de subordination et, en conséquence, à l'existence d'un contrat de travail, lorsque la relation entre les parties consiste en des appels sporadiques aux services de personnes qui ne sont aucunement tenues de les pourvoir et peuvent les refuser à leur guise. Conclure en pareille situation à l'existence d'un contrat de travail n'est pas non plus sans conséquences pratiques sérieuses et onéreuses pour un payeur surtout que, plus souvent qu'autrement, une telle conclusion et la cotisation qui s'ensuit pour les charges sociales, telles l'impôt sur le revenu, l'assurance-emploi et le régime de pension, que le payeur doit débourser ont un effet rétroactif. Le payeur est redevable non seulement de sa quote-part, mais, avec droit de récupération, de celle que le salarié n'a pas versée.
[16] Notre conclusion sur l'absence de lien de subordination est suffisante pour accueillir la présente demande, puisque l'existence d'un tel lien constitue la caractéristique essentielle du contrat de travail.
[17] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision du juge suppléant de la Cour canadienne de l'impôt sera annulée et l'affaire sera retournée au juge en chef, ou au juge qu'il désignera, pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que, pour la période en litige, les emplois n'étaient pas des emplois assurables ou donnant ouverture à un droit à une pension.
[18] Copie des présents motifs sera déposée dans le dossier A-513-02 au soutien du jugement qui y est rendu. La demanderesse aura droit à un seul jeu de dépens, mais aux déboursés dans chacun des deux dossiers.
Gilles Létourneau
j.c.a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-512-02
INTITULÉ : D & J DRIVEWAY c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE L'AUDIENCE : QUÉBEC (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : 24 et 27 NOVEMBRE 2003
CORAM : LE JUGE DÉCARY
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE NADON
MOTIFS DU JUGEMENT LE JUGE LÉTOURNEAU
DE LA COUR :
DATE DES MOTIFS : 27 NOVEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Me Lyne Thériault et Me Marie-Hélène Montminy POUR LA DEMANDERESSE
Me Martin Gentile et Me Alain Gareau POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pouliot L'Écuyer POUR LA DEMANDERESSE
Sainte-Foy (Québec)
Ministère de la Justice - Canada POUR LE DÉFENDEUR
Montréal (Québec)