Date : 20030324
Dossier : A-216-02
OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 24 MARS 2003
LE JUGE EVANS
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
RICHARD GEORGE CHIASSON
intimé
JUGEMENT
L'appel est rejeté, les dépens devant la présente Cour étant adjugés à l'intimé.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.
Date : 20030324
Dossier : A-216-02
Référence neutre : 2003 CAF 155
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
RICHARD GEORGE CHIASSON
intimé
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 mars 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mars 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE STRAYER
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
Date : 20030324
Dossier : A-216-02
Référence : 2003 CAF 155
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
RICHARD GEORGE CHIASSON
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE STRAYER
Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle Monsieur le juge Blanchard, de la Section de première instance, a rejeté un appel de l'ordonnance rendue par Madame le protonotaire Aronovitch. Le protonotaire Aronovitch avait rejeté la requête que l'appelante ici en cause avait présentée en vue de faire radier l'action intentée par l'intimé. L'action visait l'obtention d'un bref de mandamus enjoignant à la Direction des distinctions honorifiques de soumettre au Conseil consultatif des décorations canadiennes la candidature présentée par l'intimé. Dans sa requête, l'appelante alléguait que la demande de l'intimé n'avait plus qu'un intérêt théorique, que la déclaration ne révélait aucune cause d'action valable, que la réparation demandée dans la déclaration, à savoir un bref de mandamus, ne pouvait être accordée que dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et qu'il y avait abus de procédure parce que la déclaration visait l'obtention d'une chose sur laquelle la Cour n'avait pas compétence. Le juge Blanchard, en rejetant l'appel qui avait été interjeté devant lui contre la décision du protonotaire, a également accordé la requête que l'intimé avait présentée en vue de convertir l'action en une demande de contrôle judiciaire.
Au mois de mars 2000, l'intimé a soumis la candidature de son père à une décoration canadienne pour acte de bravoure en invoquant la participation de celui-ci au sauvetage de matelots américains à Louisbourg (Nouvelle-Écosse), au mois de janvier 1943. L'intimé a soumis cette candidature en présentant un formulaire à la Direction des distinctions honorifiques de la Chancellerie, qui est un bureau du gouverneur général du Canada responsable de l'administration de diverses distinctions conférées par le gouverneur général. Il a également soumis une lettre à l'appui, dans laquelle il mentionnait que, pour le même acte, son père avait reçu un Silver Lifesaving Medal du gouvernement américain.
Le début du formulaire de mise en candidature fourni par la Direction des distinctions honorifiques que l'intimé a rempli est libellé comme suit : « Seuls les incidents survenus moins de deux ans avant la date de présentation peuvent être considérés. » Ce délai de prescription a également été confirmé au moyen de conversations téléphoniques avec le personnel de la Direction. Le lieutenant-général Gervais, sous-secrétaire de la Chancellerie, en réponse à des lettres dans lesquelles l'intimé s'opposait à cette règle des deux ans, a entrepris de soumettre l'affaire au Conseil consultatif des décorations canadiennes (le Conseil). Le 14 juin 2000, le Conseil s'est réuni et a examiné les observations de l'intimé. Le procès-verbal de cette réunion disait notamment ce qui suit :
[TRADUCTION] Le Conseil a encore une fois convenu de suivre la pratique qui avait été adoptée l'année même au cours de laquelle les décorations ont été créées. De fait, dès l'année 1972, le Conseil a convenu de ne pas prendre en considération des événements survenus plus de deux ans avant la date de présentation de la candidature. Toutes les candidatures ainsi soumises ont été rejetées [...]
Il devrait être clairement noté que le Conseil n'a pas conclu que la mise en candidature était contraire à une disposition du Règlement pertinent et qu'il n'a pas examiné le bien-fondé de la mise en candidature. Le Conseil a simplement rejeté la mise en candidature pour des motifs qui n'étaient pas prévus dans le Règlement ou dans un autre instrument le liant.
La principale question dont le juge Blanchard était saisi était de savoir si cette décision et cette politique du Conseil et de la Direction des distinctions honorifiques constituaient un exercice de la prérogative royale, de sorte qu'elles n'étaient pas assujetties au contrôle judiciaire. Le protonotaire Aronovitch et le juge Blanchard estimaient tous les deux que la décision et la politique comportaient une question relative aux pouvoirs du Conseil par rapport au pouvoir qui était conféré à celui-ci en vertu des lettres patentes du 28 janvier 1997 (C.P. 1997-123) et du Règlement d'application, à savoir le Règlement sur les décorations canadiennes pour actes de bravoure (1996). Selon eux, il n'était pas « clair et évident » que la déclaration de l'intimé visait le contrôle judiciaire de l'exercice de la prérogative royale.
Dans l'appel qui a été interjeté devant nous, telle est la question essentielle qui est énoncée dans le mémoire de faits et du droit de l'appelante. L'appelante soutient que l'on tente de faire examiner par la Cour l'exercice de la prérogative royale relative à l'attribution de distinctions honorifiques, soit une question qui n'est jamais justiciable. C'est l'objet de cet exercice, la sélection des personnes qui ont droit aux distinctions honorifiques, qui selon l'appelante est une question discrétionnaire de nature politique ne se prêtant pas à une décision judiciaire : l'avocat a confirmé que même si le pouvoir de conférer des distinctions honorifiques émanait d'une loi, la sélection elle-même des personnes honorées ne serait néanmoins pas justiciable.
Il importe de se rappeler que dans le cadre d'une requête en radiation fondée sur le fait qu'une instance ne révèle aucune cause d'action, il n'incombe pas au protonotaire qui entend la requête, ou au juge des requêtes en appel, ou encore à la présente Cour, en appel de la décision rendue par celui-ci, de trancher d'une façon définitive la question de savoir si une cause d'action valable est révélée. Pareille requête en radiation devrait plutôt être rejetée à moins qu'il ne soit clair et évident que l'instance n'a aucune chance de succès.
L'appelante se fonde fortement sur la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Black c. Canada (2001) 54 O.R. (3d) 215. Dans cette affaire-là, le demandeur avait intenté une action contre le premier ministre en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le premier ministre avait abusé de son pouvoir et qu'il était coupable de méfait dans l'exercice de ses fonctions. Le demandeur était un citoyen canadien qui avait obtenu la citoyenneté britannique afin de se voir attribuer la qualité de pair au Royaume-Uni. C'était le premier ministre britannique qui avait recommandé cette nomination à la Reine. Toutefois, avant que sa Majesté procède à la nomination, le premier ministre du Canada a informé la Reine qu'il s'opposait à la nomination d'un citoyen canadien. La nomination n'a pas été effectuée à ce moment-là. M. Black a engagé des poursuites et les défendeurs, à savoir le premier ministre et le gouvernement du Canada, représentés par le procureur général du Canada, ont demandé la radiation de l'action en alléguant qu'elle ne révélait aucune cause d'action, pour le motif que le premier ministre du Canada avait agi dans l'exercice de la prérogative royale concernant l'attribution de distinctions honorifiques à des citoyens canadiens. Il a été soutenu que, par suite de l'exercice de la prérogative royale relative à une question purement discrétionnaire, l'action ne pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La Cour d'appel de l'Ontario a confirmé la décision du juge des requêtes de radier l'action. Elle a confirmé que la prérogative royale est composée de ce pouvoir étatique résiduel qui n'est assujetti à aucun contrôle au moyen d'une loi ou d'un texte réglementaire, qu'elle comprend l'octroi de distinctions honorifiques à des Canadiens et que pareil octroi comporte purement des décisions politiques dont le premier ministre est responsable devant le Parlement et non devant les tribunaux judiciaires. En outre, il a été statué qu'aucun citoyen canadien n'a droit à une distinction honorifique et qu'il ne peut pas y avoir, au sujet de l'octroi de pareille distinction, une attente légitime qui restreindrait l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Que l'avis donné à Sa Majesté par le Premier ministre Chrétien ait été considéré comme communiquant la politique du Canada relative aux distinctions honorifiques attribuées aux citoyens canadiens ou comme constituant un avis portant sur le bien-fondé intrinsèque de l'attribution de la qualité de pair à M. Black, cela faisait partie de l'exercice de la prérogative royale dans le cadre de laquelle le premier ministre, pour le compte du Canada, exprimait un avis sur l'octroi d'une distinction honorifique à un citoyen canadien. En tant qu'exercice de cette prérogative, la décision n'était pas justiciable.
Il n'est pas nécessaire d'examiner ici, dans un appel se rapportant à une requête en radiation, la pleine portée de la doctrine de la justiciabilité, mais à mon avis une question est normalement considérée comme non justiciable en l'absence de critères juridiques objectifs à appliquer et de faits à apprécier aux fins du règlement de la question, soit des fonctions qui relèvent normalement du pouvoir judiciaire. La question peut également être non justiciable si une autre branche du gouvernement est manifestement plus apte, dans notre système constitutionnel, à trancher l'affaire. (Pour une analyse similaire, voir Sossin, Boundaries of Judicial Review: The Law of Justiciability in Canada (Toronto, 1999), aux pages 233 à 236). Contrairement à l'affaire Black, dans laquelle il n'y avait pas d'instruments écrits régissant le pouvoir exercé par le premier ministre, il est certes possible de soutenir en l'espèce que le Règlement, une fois adopté, constitue un ensemble de règles qui prévoient des critères permettant à un tribunal judiciaire de déterminer si la procédure qui y est prescrite a été suivie et si le Conseil a exercé la compétence qui lui a été attribuée. Le fait que le Règlement lui-même a été promulgué en vertu de la prérogative royale ne fait pas des questions de conformité avec la procédure qu'il prescrit des questions qui ne relèvent clairement pas du contrôle judiciaire.
Je souscris à l'avis du juge Laskin, qui parlait au nom de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Black (paragraphes 60 à 63), à savoir que personne n'a droit à une distinction honorifique ou ne peut s'attendre légitimement, au sens substantif du terme, à recevoir une distinction honorifique. Toutefois, il est à mon avis possible de soutenir que lorsqu'une procédure a été établie par une autorité publique, soit en l'espèce au moyen d'un règlement publié dans la Gazette du Canada, au sujet de la façon dont un conseil précis, soit un autre organisme public, doit étudier la candidature soumise par un citoyen et de la base sur laquelle il doit le faire, une attente légitime est alors créée, à savoir que la procédure prescrite sera suivie aux fins de l'examen préalable des candidatures avant la présentation au gouverneur général d'une liste de candidats aux fins de l'exercice de la prérogative royale. (Voir par exemple Council of Civil Service Unions c. Minister for the Civil Service [1985] 1 A.C. 374 aux pages 417 à 419 (C.L.)). Je ne suis donc pas convaincu qu'il soit clair et évident que les principes énoncés dans l'arrêt Black s'appliquent en l'espèce. Dans l'arrêt Black, la Cour d'appel de l'Ontario considérait que l'on sollicitait l'examen de l'avis donné au sujet des distinctions honorifiques attribuées à des Canadiens, soit une question ne relevant pas du contrôle judiciaire. En l'espèce, il me semble que l'on sollicite l'examen des actions d'un conseil agissant en vertu d'un règlement précis dans le cadre de la sélection des candidats à une distinction honorifique avant que le gouverneur général prenne la décision par laquelle pareille distinction est de fait attribuée.
Il est important de tenir compte de la nature de la fonction du Conseil consultatif des décorations canadiennes et de la source de son pouvoir. Ce pouvoir a son origine dans les lettres patentes délivrées le 28 janvier 1997, remplaçant les anciennes lettres patentes qui s'appliquaient au moment où se sont produits les événements dont il est ici question. Dans les lettres patentes, il est déclaré ce qui suit :
Nous décrétons que les décorations canadiennes pour actes de bravoure sont régies par le Règlement sur les décorations canadiennes pour actes de bravoure (1996) [...]
Le Règlement est joint aux lettres patentes et prévoit notamment ce qui suit. L'article 2 prévoit que le Règlement s'applique à l'égard des décorations suivantes pour acte de bravoure : la Croix de la vaillance, l'Étoile du courage et la Médaille de la bravoure. Les articles 3, 4 et 5 prévoient en termes généraux la nature de l'acte pour lequel chacune de ces décorations devrait être attribuée :
CROIX DE LA VAILLANCE
3.(1) La Croix de la vaillance est attribuée pour reconnaître des actes de courage vraiment remarquables accomplis dans des circonstances extrêmement périlleuses. |
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CROSS OF VALOUR
3.(1) The Cross of Valour shall be awarded for acts of the most conspicuous courage in circumstances of extreme peril.
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(2) La Croix de la vaillance est une croix en or à quatre branches égales : |
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(2) The Cross of Valour shall consist of a gold cross of four equal limbs, as follows: |
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a) dont l'avers est revêtu d'émail rouge bordé d'or et porte, superposée en son centre, une feuille d'érable en or entourée d'une couronne de laurier en or; |
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(a) the obverse shall be enamelled red and edged in gold with, superimposed in the centre, a gold maple leaf surrounded by a gold wreath of laurel; and |
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b) dont le revers porte la couronne et le chiffre royaux ainsi que les mots VALOUR - VAILLANCE. |
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(b) on the reverse, the Royal Cipher and Crown and the words VALOUR - VAILLANCE shall appear. |
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ÉTOILE DU COURAGE
4.(1) L'Étoile du courage est attribuée pour reconnaître des actes de courage remarquables accomplis dans des circonstances très périlleuses. |
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STAR OF COURAGE
4.(1) The Star of Courage shall be awarded for acts of conspicuous courage in circumstances of great peril. |
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(2) L'Étoile du courage est une étoile en argent à quatre pointes ayant une feuille d'érable dans chaque angle, qui porte : |
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(2) The Star of Courage shall consist of a silver star of four points with a maple leaf in each of the four angles, as follows: |
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a) à l'avers, superposée en son centre, une feuille d'érable en or entourée d'une couronne de laurier en or; |
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(a) on the obverse, superimposed in the centre, there shall be a gold maple leaf surrounded by a gold wreath of laurel; and |
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b) au revers, la couronne et le chiffre royaux ainsi que le mot COURAGE. |
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(b) on the reverse, the Royal Cipher and Crown and the word COURAGE shall appear. |
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MÉDAILLE DE LA BRAVOURE
5.(1) La Médaille de la bravoure est attribuée pour reconnaître des actes de bravoure accomplis dans des circonstances dangereuses. |
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MEDAL OF BRAVERY
5.(1) The Medal of Bravery shall be awarded for acts of bravery in hazardous circumstances. |
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(2) La Médaille de la bravoure est une médaille circulaire en argent qui porte : |
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(2) The Medal of Bravery shall consist of a circular silver medal, as follows: |
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a) à l'avers, une feuille d'érable entourée d'une couronne de laurier; |
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(a) on the obverse, there shall be a maple leaf surrounded by a wreath of laurel; and |
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b) au revers, la couronne et le chiffre royaux ainsi que les mots BRAVERY - BRAVOURE. |
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(b) on the reverse, the Royal Cipher and Crown and the words BRAVERY - BRAVOURE shall appear. |
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L'admissibilité est définie comme suit :
6. Est admissible à une décoration canadienne pour acte de bravoure toute personne :
a) qui est un citoyen canadien; [. . .] |
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6. A person is eligible to be awarded a Canadian bravery decoration if that person is
(a) a Canadian citizen; . . .
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L'article 7 prévoit le maintien du Conseil consultatif des décorations canadiennes et établit sa composition. Les fonctions du Conseil sont énoncées comme suit à l'article 8 :
8. Le Conseil :
a) étudie les candidatures présentées en vertu de l'article 10 en vue de l'attribution : |
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8. The Committee shall
(a) consider nominations under section 10 for the award of |
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(i) de la Croix de la vaillance, (ii) de l'Étoile du courage, (iii) de la Médaille de la bravoure; |
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(I) the Cross of Valour, (ii) the Star of Courage, and (iii) the Medal of Bravery: |
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b) décide de l'admissibilité des candidats à l'attribution de décoration canadienne pour acte de bravoure; |
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(b) determine whether nominees are eligible to be awarded a Canadian bravery decoration; |
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c) établit et soumet au gouverneur général la liste des candidats qui, à son avis, sont les plus méritants pour l'une ou l'autre des décorations visées à l'alinéa a); [. . .] |
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(c) compile and submit to the Governor General lists of those nominees who, in the opinion of the Committee, have the greatest merit for each of the decorations mentioned in paragraph (a); . . .
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Le Règlement définit qui peut soumettre une candidature en vue de l'attribution d'une décoration :
10. Toute personne ou organisation peut soumettre au secrétaire du Conseil, pour examen par le Conseil, une candidature d'une décoration canadienne pour acte de bravoure. |
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10. Any person or organization may submit to the Secretary of the Committee for consideration by the Committee a nomination of a person for the award of a Canadian bravery decoration.
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Enfin, l'article 17 est ainsi libellé :
17. Le présent règlement n'a pas pour effet de restreindre le droit du gouverneur général d'exercer tous les pouvoirs de Sa Majesté à l'égard des décorations canadiennes pour actes de bravoure. |
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17. Nothing in these Regulations limits the right of the Governor General to exercise all powers and authorities of Her Majesty in respect of Canadian bravery decorations.
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Il ressort de ce qui précède que les seuls critères, en ce qui concerne les actes de bravoure admissibles, sont ceux qui sont énoncés aux articles 3, 4 et 5 du Règlement. Par l'article 6, une personne est admissible à l'attribution d'une décoration, notamment si elle est un citoyen canadien. En vertu des alinéas b) et c) de l'article 8, le Conseil a pour fonction de décider de l'admissibilité d'un candidat (c'est-à-dire s'il est citoyen canadien) et de soumettre au gouverneur général la liste des candidats qui, à son avis, sont les plus méritants. Selon l'article 10, toute personne peut soumettre la candidature d'une personne en vue de l'attribution d'une décoration pour acte de bravoure. Il n'est manifestement pas question, dans le Règlement, du délai dans lequel les candidatures doivent être soumises, à la suite de l'acte de bravoure, pour que le Conseil soit tenu d'étudier une candidature en vertu de l'alinéa 8a).
En l'espèce, il est évident que l'intimé avait le droit, en vertu de l'article 10, de désigner son père comme candidat à l'attribution d'une décoration pour acte de bravoure. Je crois qu'il n'est pas contesté que le père de l'intimé est un citoyen canadien. Il semble donc qu'il soit clairement possible de soutenir que le Conseil était tenu d'étudier la candidature en vertu de l'alinéa 8a).
Par conséquent, s'il n'est pas clair et évident que la candidature n'était pas visée par le Règlement, et s'il n'est pas évident que le Conseil n'était pas tenu d'étudier cette candidature en vue de déterminer s'il devait recommander la personne en cause au gouverneur général, en vertu de l'alinéa 8c), comme étant l'un des candidats « les plus méritants » , il reste à savoir s'il est clair et évident que le refus du Conseil d'étudier cette candidature compte tenu de la date à laquelle l'acte de bravoure a été accompli relève de l'exercice de la prérogative royale et qu'il est à l'abri du contrôle judiciaire.
Je suis convaincu qu'il n'est pas clair et évident que ces fonctions du Conseil relèvent de la prérogative royale. Le Conseil ne participe pas à la décision finale relative à la question de savoir qui recevra une décoration pour acte de bravoure : il incombe au gouverneur général de le faire; il s'agit d'une prérogative royale typique qui est réservée à celui-ci par la structure et la procédure établies par le Règlement, notamment à l'article 17. En ce qui concerne le Conseil, la prérogative royale a été exercée lorsque les lettres patentes ont été délivrées, en 1997. Lorsque cela s'est produit, le gouverneur général a exercé sa prérogative, sur l'avis du premier ministre, en vue d'adopter le Règlement par lequel le Conseil était maintenu et le mandat du Conseil défini.
À mon avis, il est possible de soutenir que la prérogative royale ayant été utilisée pour créer un organisme (le Conseil consultatif des décorations canadiennes) chargé d'exercer une fonction de sélection avant que le gouverneur général exerce son pouvoir discrétionnaire pour attribuer la distinction honorifique, l'organisme est lié par le Règlement qui le crée et ses activités peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire. (Voir par exemple R. v. Criminal Injuries Compensation Board ex parte Lain [1967] 2 Q.B. 864 (Div. d'appel ang.)). En outre, il est possible de soutenir que le Conseil a refusé d'exercer ses pouvoirs conformément aux dispositions par lesquelles ces pouvoirs lui étaient conférés. Pour des raisons qui ne sont pas reconnues dans le Règlement, le Conseil a refusé d'agir en vertu de l'article 8 afin de déterminer si une personne qui avait à juste titre été désignée comme candidat en vertu de l'article 10 pouvait recevoir une décoration pour acte de bravoure et, dans l'affirmative, quel serait son mérite par rapport à celui d'autres personnes également admissibles, en vue de faire rapport au gouverneur général. Dire que le refus du Conseil d'étudier la candidature peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire n'est pas reconnaître que quelqu'un a droit à une décoration ou peut légitimement s'attendre à recevoir une décoration. Cependant, il est possible de soutenir que l'on reconnaîtrait peut-être ainsi qu'une personne qui est capable de soumettre la candidature d'une autre personne possède certains droits procéduraux à l'examen de la candidature par le Conseil conformément au Règlement dûment adopté. Même si l'avis final que le Conseil donne au gouverneur général en vertu de l'alinéa 8e) du Règlement et la décision finale du gouverneur en conseil ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire, cela ne devrait pas nécessairement empêcher la Cour d'examiner la procédure et les critères suivis par le Conseil pour voir si le Règlement a été observé.
Pour ces motifs, je crois que le protonotaire et le juge des requêtes ont eu raison de conclure qu'il ne convenait pas de radier la demande et je rejetterais l'appel. Ce faisant, je m'abstiens expressément de tirer une conclusion au sujet du bien-fondé ultime de la demande de contrôle judiciaire présentée par l'intimé : je conclus simplement que l'action qui y a donné naissance ne peut pas être rejetée à ce stade pour le motif qu'il est clair et évident que la question est non justiciable.
L'intimé devrait avoir droit à ses dépens devant la présente Cour.
« B.L. Strayer »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
John M. Evans, juge »
Je souscris aux présents motifs
B. Malone, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-216-02
INTITULÉ : La Reine
c.
Richard George Chiasson
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 4 mars 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : le juge Strayer
Y ONT SOUSCRIT : le juge Evans
le juge Malone
DATE DU JUGEMENT : le 24 mars 2003
COMPARUTIONS :
M. Jan Brongers
M. Edward Burnet POUR L'APPELANTE
M. Richard Chiasson POUR SON PROPRE COMPTE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
M. Richard Chiasson POUR SON PROPRE COMPTE
M. Morris Rosenberg
Ministère de la Justice
Ottawa (Ontario) POUR L'APPELANTE