Date : 20011018
Référence neutre : 2001 CAF 305
ENTRE :
DAVID CHRISTOPHER DANSEREAU
demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 9 octobre 2001.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NOËL
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE MALONE
Date : 20011018
Référence neutre : 2001 CAF 305
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE NOËL
LE JUGE MALONE
ENTRE :
DAVID CHRISTOPHER DANSEREAU
demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue selon la procédure informelle dans lequel la Cour canadienne de l'impôt a rejeté en partie l'appel interjeté par David Christopher Dansereau (le demandeur) contre les nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la Loi), pour les années d'imposition 1994 et 1995.
[2] Les faits se résument de la façon suivante. Le demandeur est un enseignant. En 1991, il était propriétaire de divers immeubles à revenu financés par hypothèque. En raison de la récession dans le domaine immobilier en Ontario au début des années 1990, tous ces immeubles ont dû être vendus à l'exception d'un seul décrit comme étant l' « immeuble Scone Mill » .
[3] Certains de ces immeubles ont été vendus à un prix inférieur au solde du prêt hypothécaire, de sorte que les créanciers hypothécaires du demandeur ont exigé qu'il hypothèque de nouveau l'immeuble Scone Mill pour garantir le remboursement complet du solde dû à chacun d'eux. C'est la déductibilité des intérêts versés sur ces prêts hypothécaires qui est en cause en l'espèce.
[4] En refusant la déduction de ces frais, le ministre s'est appuyé sur le fait qu'ils ont été engagés relativement à des immeubles dont le demandeur a cessé d'être propriétaire en 1991. Aucune autre hypothèse ne semble avoir été faite.
[5] À l'appui de son appel devant la Cour de l'impôt, le demandeur, se fondant sur l'arrêt de la Cour suprême dans John M. Tennant c. La Reine [1996] 1 R.C.S 305, a prétendu que l'argent emprunté pouvait néanmoins être relié à une utilisation directe et admissible, savoir la préservation du seul immeuble à revenu qu'il lui restait. Subsidiairement, il a soutenu que les intérêts ont été versés dans le cours des activités d'une entreprise et étaient donc déductibles.
[6] Le juge de la Cour de l'impôt a tranché l'affaire comme suit :
Dans John M. Tennant v. Her Majesty the Queen, (C.S.C.) 96 D.T.C. 6121, le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour, cite les motifs du juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust, puis dit ce qui suit :
Par conséquent, pour déduire les intérêts versés, le contribuable doit établir un lien entre le bien dont l'utilisation actuelle est admissible, le produit de la disposition du bien dont l'utilisation initiale était admissible et l'argent qui a été emprunté pour acheter le bien dont l'utilisation initiale était admissible.
[...]
En d'autres termes, les principes dégagés dans l'arrêt Bronfman Trust indiquent implicitement que le droit de déduire l'intérêt n'est pas perdu du simple fait que le contribuable vend le bien produisant un revenu, pourvu que le contribuable réinvestisse dans un bien dont l'utilisation est admissible. Toutefois, la valeur des actions fluctue, compliquant la question de la déductibilité des intérêts. L'appelant a remplacé un bien dont l'utilisation est admissible par un autre, et les deux sont directement attribuables au même emprunt, puisque l'appelant a réinvesti tout le produit de la disposition.
L'appelant est dans une situation identique à celle que le juge Iacobucci a décrite dans la citation ci-dessus. En d'autres mots, lorsque les prêteurs ont exercé leur droit de vente, l'appelant a perdu le droit dont il jouissait initialement, c'est-à-dire celui de déduire les intérêts versés sur les prêts en question. L'appelant a fait valoir qu'il avait exploité une entreprise et mêlé le revenu et les dépenses de ses immeubles comme s'il s'agissait d'une seule entreprise. L'appelant n'a fourni aucun élément de preuve établissant que ses immeubles étaient administrés et exploités comme une seule entreprise plutôt que comme immeubles individuels dont il percevait les loyers. Selon les principes retenus par le juge Iacobucci, une dépense d'intérêt n'est déductible que si elle peut être reliée à un bien dont l'utilisation était admissible et, par conséquent, sur ce point, l'appel doit être rejeté.
[7] Le demandeur conteste cette décision pour deux motifs. Premièrement, il prétend que le juge de la Cour de l'impôt a mal interprété l'arrêt Tennant de la Cour suprême en concluant que les intérêts versés ne pouvaient pas être déduits parce que les immeubles dont il était propriétaire constituaient des sources individuelles de revenu de biens. Deuxièmement, il a soutenu que le juge de la Cour de l'impôt n'a tenu aucun compte de la preuve dont il était saisi quand il a conclu qu'on n'avait présenté aucun élément de preuve en vue d'établir que les immeubles étaient détenus dans le cours des activités d'une entreprise.
[8] Pour ce qui est du premier argument, il n'est pas contesté que durant les années d'imposition 1994 et 1995, la source de revenu du demandeur, s'il s'agissait d'un revenu de biens, se limitait à l'immeuble Scone Mill. Dans ce contexte, on ne peut pas dire que les intérêts versés sur un prêt garantissant le remboursement de créanciers hypothécaires à l'égard de biens qu'il détenait antérieurement visaient à tirer un revenu de la propriété restante.
[9] L'arrêt Tennant n'est d'aucune utilité pour le demandeur parce que celui-ci n'a acquis aucun bien de remplacement au moyen des prêts garantis par l'immeuble Scone Mill. Il a plutôt utilisé l'argent en question pour rembourser le solde des prêts garantis par hypothèque sur des immeubles dont il n'était plus propriétaire. Il s'agit de l'utilisation directe de l'argent emprunté, mais cette utilisation n'est pas admissible.
[10] Cela étant dit, l'utilisation de l'argent emprunté prend un tout autre caractère si le demandeur détenait ses immeubles à usage locatif dans le cours des activités d'une entreprise. Si tel est le cas, il y a eu en 1991 un refinancement de ces immeubles en vue de permettre au demandeur de garder l'un d'eux et de rester en affaires malgré le ralentissement économique.
[11] Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté cet argument au motif que le demandeur n'avait pas présenté d'éléments de preuve établissant que ses immeubles étaient administrés et exploités comme une entreprise. À mon humble avis, en arrivant à cette conclusion, le juge de la Cour de l'impôt a omis de donner effet au sens du mot « entreprise » contenu dans la Loi ou n'a tenu aucun compte des éléments de preuve dont il était saisi.
[12] Dans la Loi, il faut établir une distinction entre un simple investissement dans un bien et une activité ou des activités qui constituent une entreprise. La définition générale du terme « entreprise » figurant à l'article 248 n'est pas exhaustive. Il s'agit de toute activité en vue de tirer un profit, qui nécessite du temps, du travail et de l'attention. Dans la mesure où le revenu est tiré d'une activité humaine plutôt que de la propriété passive d'un bien, on peut à bon droit affirmer qu'il s'agit d'un revenu d'entreprise. La distinction doit être établie à la lumière des faits et des circonstances de chaque cas particulier (comparer avec La Reine c. Rockmore Investments Ltd., 76 D.T.C. 6156, le juge en chef Jackett, à la page 6157).
[13] Vu les faits et les circonstances qui peuvent être tirés de la preuve, le demandeur avait en 1991 un droit sur huit immeubles, qui étaient loués à de multiples locataires. Certaines personnes louaient pour cinq mois, deux mois, la période de Noël ou la fin de semaine (dossier de demande de la défenderesse, aux pages 35 et 36).
[14] Le demandeur trouvait ses locataires en publiant des annonces dans les journaux (dossier de demande de la défenderesse, à la page 35). Les états du revenu de location pour les années 1990 et 1991 détaillaient les frais de réparation et d'entretien relativement aux huit immeubles, y compris le nettoyage des calorifères, la peinture, le nettoyage, la vidange de la fosse septique, etc. (dossier de demande de la défenderesse, aux pages 27, 31, 33, 35 et 37). En outre, ces états du revenu révèlent qu'entre 1988 et 1991, il y a eu des rajouts immobiliers, dans certains cas importants, à six des huit immeubles (dossier de demande de la défenderesse, aux pages 51 à 57).
[15] Ces immeubles étaient tous lourdement hypothéqués et jusqu'à quatre hypothèques souscrites auprès de créanciers différents grevaient certains d'entre eux (dossier d'appel de la défenderesse, aux pages 59 à 67). Toutes ces hypothèques devaient être négociées et renouvelées au fil du temps.
[16] Rien ne prouve que des frais d'administration, de quelque type que ce soit, ont été payés, de sorte qu'on peut uniquement conclure que le demandeur s'est occupé du financement, de la location, de l'entretien et de l'amélioration de ces immeubles au fil des ans. Le dossier indique également que le demandeur a mis en commun les revenus tirés de ces activités conformément à son point de vue selon lequel il exploitait une entreprise (dossier de demande de la défenderesse, à la page 58).
[17] Cette preuve mène inévitablement à la conclusion que, plutôt que de simplement percevoir les loyers, le demandeur se livrait à des opérations d'administration et d'exploitation de ses immeubles. Comme le demandeur s'est servi de l'argent emprunté pour tirer un revenu de cette entreprise durant les deux années d'imposition en cause, les intérêts versés sur l'argent emprunté sont déductibles conformément au sous-alinéa 20(1)c)(i).
[18] J'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision de la Cour de l'impôt et je renverrais l'affaire à la Cour de l'impôt afin qu'elle fasse droit à l'appel en entier et qu'elle ordonne au ministre du Revenu d'annuler les nouvelles cotisations établies à l'égard du demandeur pour les années d'imposition 1994 et 1995.
« Marc NOËL »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
A.M. Linden »
« Je souscris aux présents motifs
B. Malone »
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
Date : 20011018
Dossier : A-654-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 18 OCTOBRE 2001
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE NOËL
LE JUGE MALONE
ENTRE :
DAVID CHRISTOPHER DANSEREAU
demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Cour canadienne de l'impôt est annulée et l'affaire est renvoyée à la Cour canadienne de l'impôt afin qu'elle fasse droit à l'appel en entier et qu'elle ordonne au ministre du Revenu d'annuler les nouvelles cotisations établies à l'égard du demandeur pour les années d'imposition 1994 et 1995.
« A.M. LINDEN »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-654-00
INTITULÉ : David Christopher Dansereau c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 9 octobre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : le juge Noël
Y ONT SOUSCRIT : le juge Linden
le juge Malone
DATE DES MOTIFS : le 18 octobre 2001
COMPARUTIONS:
David Christopher Dansereau POUR SON PROPRE COMPTE
Roger Leclaire POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
David Christopher Dansereau POUR SON PROPRE COMPTE
Chelsey (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)