Date : 20010913
Dossiers : A-715-98
A-716-98
Référence neutre : 2001 CAF 263
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
- et -
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 12 septembre 2001
Jugement rendu à l'audience tenue à Toronto (Ontario),
le mercredi 12 septembre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE EVANS
Date : 20010913
Dossiers : A-715-98
A-716-98
Référence neutre : 2001 CAF 263
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
- et -
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience tenue à Toronto (Ontario),
le mercredi 12 septembre 2001)
[1] Il s'agit d'appels interjetés par Apotex Inc. (Apotex) à l'égard d'une décision du juge Gibson, maintenant publiée à (1998), 156 F.T.R. 303, par laquelle ce dernier a prononcé une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à Apotex un avis de conformité en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) relativement au médicament appelé chlorhydrate de ciprofloxacine, un agent antibactérien et antimicrobien, avant l'expiration des brevets canadiens nos 1218067 (brevet 067) et 1322334 (brevet 334) dont Bayer AG et Bayer Inc. sont titulaires.
[2] Le juge a rejeté l'allégation d'Apotex voulant que les brevets canadiens de Bayer concernant la ciprofloxacine soient invalides suivant le paragraphe 28(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1970), ch. P-4. Cette disposition prévoit que, sous réserve de certaines exceptions, un inventeur ne peut obtenir un brevet au Canada lorsqu'il a déjà présenté dans un autre pays une demande de brevet pour l'invention. L'avocat d'Apotex soulève deux questions de fond touchant l'interprétation du paragraphe 28(2) : le moment où un brevet étranger est « délivré » et la date à laquelle la demande de brevet est faite au Canada lorsqu'un brevet étranger a déjà été délivré.
[3] Toutefois, l' « empêchement lié à l'existence d'un brevet étranger » s'applique uniquement à l'égard de la même invention. Or, l'avocat n'a pas réussi à convaincre la Cour que le juge Gibson a commis une erreur lorsqu'il a conclu que les brevets canadiens ne portaient pas sur la même invention que celle visée par certains brevets étrangers dont Bayer est titulaire ou qui font l'objet d'une demande de brevet de sa part. Par conséquent, l'appel d'Apotex doit être rejeté. Même si les autres points relatifs à l'interprétation de la Loi sur les brevets, à l'égard desquels le juge Gibson a rendu une décision défavorable à Apotex, ont été débattus de manière approfondie par l'avocat, notre conclusion quant à la question préliminaire leur enlève tout intérêt pratique. En outre, comme il s'agit de points relativement nouveaux et complexes, ils pourront être résolus à une date ultérieure.
[4] Les présents motifs portent sur la décision des deux appels, à savoir les dossiers A-715-98 et A-716-98, lesquels découlent d'avis d'allégations distincts donnés par Apotex afin de contester la validité des brevets canadiens de Bayer. Le juge Gibson a rejeté l'instance faisant l'objet du dossier A-716-98 parce qu'il y avait abus de procédure. Cependant, compte tenu du fondement de notre décision, il n'est pas nécessaire de trancher cette question ni de distinguer les appels. Un exemplaire des motifs sera versé dans chacun des dossiers.
[5] Bayer a fait une demande de brevets à l'égard d'un groupe de composés, dont la ciprofloxacine, des procédés employés pour fabriquer ces composés et de l'utilisation de ceux-ci dans des composés ayant des propriétés antibactériennes et antimicrobiennes. Cette demande a été présentée dans un certain nombre de pays outre le Canada, y compris l'Allemagne, l'Espagne et le Chili.
[6] Pour les besoins de la présente affaire, il est convenu que les inventions visées par les brevets étrangers sont en substance identiques; le brevet chilien a servi de point de référence étranger au cours du débat. Toutefois, la question en litige consiste à déterminer si l'invention faisant l'objet du brevet canadien 067 est identique à celle visée par le brevet chilien. Comme Apotex a fait une allégation différente contre le brevet 334 et que cette allégation a été confirmée dans une autre instance, il est inutile en l'espèce d'examiner ce brevet plus avant.
[7] La principale différence invoquée par Bayer à l'appui de sa thèse selon laquelle l'invention visée par son brevet chilien n'est pas la même que celle du brevet canadien 067 tient au fait que ce dernier divulgue, et revendique, un procédé - le procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique - permettant de fabriquer le dernier intermédiaire à partir duquel on produira finalement la ciprofloxacine. Le brevet 067 vise les produits, notamment la ciprofloxacine, obtenus à l'aide de ce procédé particulier. Le procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique n'est pas divulgué ni revendiqué dans le brevet chilien.
[8] L'avocat d'Apotex soutient que le juge Gibson, lorsqu'il a conclu que ces différences rendaient les inventions différentes, a commis une erreur parce qu'il a en grande partie fondé ses conclusions sur une comparaison des revendications des brevets sans accorder une attention suffisante à leurs divulgations respectives. L'avocat signale que les mémoires descriptifs des brevets chilien et canadien, examinés dans leur ensemble, s'avèrent très semblables.
[9] En particulier, ils visent tous deux le même composé - la ciprofloxacine -, la même étape finale lors du procédé de fabrication de ce composé et les mêmes utilisations de celui-ci. Par conséquent, dans la mesure où les brevets chilien et canadien concernent le même produit, la même étape finale lors du procédé de fabrication et les mêmes utilisations, il s'agit de la même invention. Selon lui, Bayer est tout au plus autorisée à obtenir un brevet au Canada à l'égard du procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique, procédé qui permet de fabriquer le composé intermédiaire final à partir duquel on produira la ciprofloxacine.
[10] Malgré les arguments approfondis de l'avocat, il nous est impossible de trouver une erreur dans la façon dont le juge Gibson a traité la question de savoir si les brevets canadien et chilien visaient la même invention. Il a examiné et comparé les revendications de chaque brevet ainsi que les mémoires descriptifs, soit la partie descriptive de la demande de brevet, qu'il a utilisés pour clarifier les revendications sans pour autant modifier leur portée lorsque celle-ci était précise et sans équivoque.
[11] Cette approche n'est pas incompatible avec l' « analyse fondée sur l'objet visé » qui s'applique en matière d'interprétation de brevet et qui a été confirmée par la jurisprudence. Par exemple, lors du plus récent examen de ce point effectué par la Cour suprême du Canada, à l'occasion de l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, le juge Binnie a mentionné au paragraphe 49 que, même s'il faut donner au brevet une interprétation qui « soit compatible avec la réalisation de son objet » , l'analyse fondée sur l'objet visé n'oblige pas les tribunaux judiciaires à « exc[éder] les limites du mémoire descriptif » et elle « limit[e] à bon droit [les tribunaux] au libellé des revendications interprété dans le contexte de l'ensemble du mémoire descriptif » .
[12] L'avocat d'Apotex a répondu en affirmant que la Cour, lorsqu'elle examine un brevet, doit se poser la question suivante : « Quelle est l'invention? » . Il fait valoir que l'approche en matière d'interprétation des brevets confirmée dans l'arrêt Whirlpool, précité, tient plutôt à la question suivante, qui est sensiblement différente : « Quelle est la portée du monopole revendiqué par le brevet? » .
[13] Que ce dernier argument de l'avocat soit bien fondé ou pas, la Cour estime qu'il est difficile d'éviter de conclure que l'invention revendiquée dans le brevet 067 vise un groupe de composés, comprenant la ciprofloxacine, fabriqués à l'aide du procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique, tandis que l'invention visée par le brevet chilien concerne un groupe sensiblement plus important de composés, dont la ciprofloxacine, fabriqués à l'aide de procédés autres que le procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique.
[14] Aucun des éléments de preuve dont nous sommes saisis n'établit si le procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique comporte des avantages techniques ou commerciaux appréciables en regard des procédés revendiqués et divulgués dans le brevet chilien. De plus, en l'absence d'une allégation de l'avocat d'Apotex selon laquelle le procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique est « évident » , il n'existe aucune analogie entre la présente affaire et ce que le juge Binnie, dans l'arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 67, renvoyant à l'arrêt Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengelleschaft Vormals Meister Luvius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, appelle le deuxième volet de l'interdiction prohibant le double brevet.
[15] L'avocat s'appuie sur l'arrêt F. Hoffmann-La Roche & Co. Ltd. v. Commissioner of Patents, [1955] S.C.R. 414, pour affirmer que les différences entre les procédés de fabrication de la ciprofloxacine revendiqués dans les deux brevets ne sont pas pertinentes sur le plan juridique. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsque le demandeur d'un brevet a inventé un nouveau procédé pour fabriquer un produit chimique inventé antérieurement, il peut uniquement obtenir un brevet relatif au procédé et non au produit fabriqué à l'aide de ce dernier.
[16] Nous estimons toutefois que cet arrêt se distingue d'emblée de la présente affaire. Plus particulièrement, la question en litige dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, précité, consistait à déterminer si la demande de brevet satisfaisait à l'exigence prévue à l'alinéa 28(1)b) de la Loi sur les brevets. Selon cette disposition, on peut obtenir un brevet à l'égard d'une invention uniquement dans la mesure où elle comporte un élément de nouveauté. Or, nous ne sommes pas saisis de cette question en l'espèce. Nous devons plutôt décider si les inventions faisant l'objet des brevets chilien et canadien sont les mêmes. En outre, comme le fait remarquer l'avocat de Bayer dans son mémoire, Apotex n'affirme dans aucun de ses avis d'allégations que le brevet visant un produit dérivé d'un procédé obtenu au Canada pour la ciprofloxacine est invalide parce que celle-ci a déjà été inventée, ni que l'utilisation du procédé de synthèse faisant intervenir un acide de l'ester malonique afin de produire un intermédiaire ne pourrait avoir pour effet de rendre cette invention nouvelle.
[17] Pour ces motifs, nous concluons qu'il n'existe aucune raison nous justifiant d'infirmer les conclusions du juge Gibson voulant que, si on examine l'ensemble du mémoire descriptif, l'invention revendiquée dans le brevet canadien 067 ne soit pas identique à celle visée par le brevet chilien.
[18] Comme elle n'a pas réussi à convaincre la Cour sur ce point, Apotex ne peut obtenir gain de cause dans le présent appel. Par conséquent, sans analyser les autres arguments invoqués par Apotex, nous rejetterions l'appel avec un seul ensemble de dépens.
« John M. Evans »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Nos DU GREFFE : A-715-98
A-716-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
c.
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 12 SEPTEMBRE 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : LE JEUDI 13 SEPTEMBRE 2001
MOTIFS PRONONCÉS À L'AUDIENCE TENUE À TORONTO (ONTARIO), LE MERCREDI 12 SEPTEMBRE 2001.
ONT COMPARU:
H.B. Radomski Pour l'appelante
A. Brodkin
R.S. Jolliffe Pour les intimées,
N.R. Belmore Bayer AG et Bayer Inc.
J. Buchan
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Goodman Phillips & Vineberg Pour l'appelante
Avocats
Bureau 2400, C.P. 24
250, rue Yonge
Toronto (Ontario)
M5B 2M6
Gowling, Strathy & Henderson Pour les intimées,
Avocats Bayer AG et Bayer Inc.
Bureau 4900, Commerce Court West
Toronto (Ontario)
M5J 1J3
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
Date : 20010913
Dossiers : A-715-98
A-716-98
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
- et -
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
MOTIFS DU JUGEMENT
DE LA COUR
Date : 20010913
Dossier : A-715-98
Toronto (Ontario), le jeudi 13 septembre 2001
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
- et -
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec un seul ensemble de dépens en faveur des intimées, Bayer AG et Bayer Inc., applicable au présent dossier de même qu'au dossier A-716-98.
« Marshall Rothstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
Date : 20010913
Dossier : A-716-98
Toronto (Ontario), le jeudi 13 septembre 2001
CORAM : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
- et -
BAYER AG ET BAYER INC.
intimées
(demanderesses)
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimé
(défendeur)
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec un seul ensemble de dépens en faveur des intimées, Bayer AG et Bayer Inc., applicable au présent dossier de même qu'au dossier A-715-98.
« Marshall Rothstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.