Canada c. Tsiaprailis (C.A.) [2003] 4 C.F. 112
Date : 20030317
Dossier : A-40-02
Ottawa (Ontario), le 17 mars 2003
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
VASILIKI TSIAPRAILIS
intimée
JUGEMENT
L'appel est accueilli, l'ordonnance de la Cour de l'impôt est annulée, et l'affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation d'une manière conforme aux présents motifs. Chacune des parties supportera ses propres dépens.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20030317
Dossier : A-40-02
Référence neutre : 2003 CAF 136
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE EVANS
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
VASILIKI TSIAPRAILIS
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 novembre 2002.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
Y A SOUSCRIT : LE JUGE STRAYER
MOTIFS DISSIDENTS : LE JUGE EVANS
Date : 20030317
Dossier : A-40-02
Référence neutre : 2003 CAF 136
CORAM : LE JUGE STRAYER
LE JUGE EVANS
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
VASILIKI TSIAPRAILIS
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PELLETIER
[1] Vasiliki Tsiaprailis s'est blessée dans un accident et elle est devenue admissible à des prestations d'invalidité au titre d'une police d'assurance invalidité offerte par son employeur. Après avoir versé des prestations d'invalidité pendant environ neuf ans, l'assureur a cessé les versements, affirmant que Mme Tsiaprailis n'était plus totalement invalide. Celle-ci a introduit une procédure, pour consentir finalement à un compromis selon la somme de 105 000 $. À sa surprise, le ministre du Revenu national a inclus l'intégralité de la somme dans son revenu de l'année au cours de laquelle elle lui a été versée. Elle a fait appel et, dans une décision publiée à 2002 D.T.C. 1563, le juge en chef adjoint Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, a estimé qu'aucune portion de la somme reçue ne devait être incluse dans le revenu. La Couronne fait maintenant appel de cette décision.
[2] L'affaire a été instruite d'après un exposé conjoint des faits, dont les parties pertinentes sont reproduites ci-après :
[Traduction]
2. À toutes les époques pertinentes, l'appelante travaillait pour Tamco Limited, une société privée de l'Ontario dont le principal établissement était situé à Windsor (Ontario). Elle y exerçait depuis le 15 février 1972 les fonctions d'opératrice d'équipement d'imprimerie.
3. Conformément à une convention collective conclue entre Tamco Limited et le Syndicat international des travailleurs unis de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole d'Amérique et sa section locale 195 (le Syndicat), l'appelante avait droit à des prestations d'invalidité de longue durée au titre de la police G12402 souscrite auprès de la Compagnie d'assurance-vie Dominion. La Compagnie d'assurance-vie Manufacturers (Manuvie) a pris ultérieurement à sa charge l'obligation de la Compagnie d'assurance-vie Dominion envers l'appelante.
5. Selon la police G12402, les prestations d'invalidité de longue durée représentent 66 2/3 % des gains mensuels, à concurrence de 1 100 $, moins les prestations du Régime de pensions du Canada. Les prestations d'invalidité de longue durée sont payables chaque mois, jusqu'au 65e anniversaire de l'employé ou jusqu'à ce qu'il cesse d'être totalement invalide.
6. Le 10 novembre 1984, l'appelante était impliquée dans un accident de voiture dans la ville de Windsor, à la suite duquel elle avait subi des lésions corporelles, y compris un préjudice psychologique associé aux lésions corporelles, au traitement suivi et à la convalescence. L'appelante fut atteinte d'une incapacité permanente par suite des lésions résultant de l'accident.
7. Du 11 mai 1985 au 10 mai 1993, l'appelante a reçu les prestations d'invalidité de longue durée, déduction faite des prestations reçues du Régime de pensions du Canada. En mai 1993, le droit de l'appelante à des prestations d'invalidité de longue durée était de 1 100 $ par mois, somme dont étaient déduites ses prestations du RPC de 353,25 $, et la somme totale payée par Manuvie était donc de 746,75 $ par mois.
8. Manuvie a mis fin aux prestations et en a informé l'appelante en juillet 1993.
9. Le 30 mars 1994, l'appelante engageait une action civile contre la Compagnie d'assurance-vie Manufacturers, en vue d'obtenir un jugement déclaratoire selon lequel elle avait droit au maintien de ses prestations d'invalidité de longue durée après le 10 mai 1993, conformément à la police collective G12402 conclue entre Tamco Limited et Manuvie. Une défense fut déposée par Manuvie.
...
11. En octobre 1996, l'appelante signait un compromis avec Manuvie et recevait, en application de ce compromis, une somme forfaitaire de 105 000 $ en remplacement du maintien des prestations. La somme de 105 000 $ que paierait Manuvie représentait essentiellement :
a) le droit de l'appelante aux prestations passées, plus les intérêts;
b) 75 % de la valeur actuelle du droit de l'appelante aux prestations futures selon la police;
c) 6 455 $ au titre des dépens, de la TPS et des débours.
12. Le 18 octobre 1996, l'appelante signait des instructions autorisant ses avocats à accepter la somme de 105 000 $. L'appelante a payé 18 068,97 $ en honoraires, plus les débours et la TPS.
13. Le 18 octobre 1996, une décharge totale et définitive était signée par l'appelante.
14. Une ordonnance a été rendue par la Cour de l'Ontario (Division générale), qui rejetait l'action, sans dépens.
[3] Le point à décider ici concerne l'imposition des sommes reçues de Manuvie par Mme Tsiaprailis. Le ministre a établi la cotisation de Mme Tsiaprailis en considérant que les sommes en question devaient être incluses dans son revenu en application de l'alinéa 6(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu ou, subsidiairement, en application de l'alinéa 6(1)a) :
6. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables : |
|
6. (1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable: |
a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi |
|
(a) the value of board, lodging and other benefits of any kind whatever received or enjoyed by the taxpayer in the year in respect of, in the course of, or by virtue of an office or employment ... ... |
f) le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué : ... |
|
(f) the total of all amounts received by the taxpayer in the year that were payable to the taxpayer on a periodic basis in respect of the loss of all or any part of the taxpayer's income from an office or employment, pursuant to
... |
(ii) un régime d'assurance invalidité,
|
|
(ii) a disability insurance plan, or
|
[4] Mme Tsiaprailis affirme que ces sommes ne doivent pas être incluses dans son revenu car elles n'étaient pas payables périodiquement, un élément essentiel de l'alinéa 6(1)f). Le juge en chef adjoint Bowman s'est rangé à son argument, estimant que la somme n'était pas imposable parce qu'elle n'était pas payable périodiquement :
Que la Couronne invoque ou non l'alinéa 6(1)f), celui-ci ne s'applique pas. Le paiement forfaitaire déterminé après une action en justice ayant fait l'objet d'un règlement amiable ne peut selon les principes d'interprétation législative être assimilé à des « sommes qu'il a reçues [...] à titre d'indemnité payable périodiquement » .
[5] Puis le juge a estimé que la Couronne ne pouvait s'en remettre à l'alinéa 6(1)a) si ses arguments se rapportant à l'alinéa 6(1)f) n'étaient pas acceptés. Il a adopté le raisonnement exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, 83 D.T.D. 5409. Dans cette affaire, le contribuable avait gagné un prix de 300 $ dans l'exercice de ses fonctions professionnelles. L'alinéa 56(1)n) de la Loi de l'impôt sur le revenu, telle qu'il existait à l'époque, prévoyait que les prix d'excellence d'une valeur supérieure à 500 $ devaient être inclus dans le revenu. Le ministre avait fait valoir que les prix inférieurs à 500 $ pouvaient être inclus dans le revenu selon l'alinéa 6(1)a) même s'ils n'entraient pas dans l'alinéa 56(1)n). La Cour suprême a rejeté cet argument au motif qu'il revenait à ignorer l'exonération prévue par l'alinéa 56(1)n). Le juge en chef adjoint Bowman a estimé qu'une disposition d'application générale telle que l'alinéa 6(1)a) ne pouvait servir à faire entrer dans le revenu d'un contribuable une somme qui ne cadrait pas avec une disposition destinée aux sommes de ce genre, par exemple l'alinéa 6(1)f). Je partage ici les vues du juge du procès.
[6] Les juges de la Cour de l'impôt sont généralement constants dans la manière dont ils traitent les sommes reçues à la suite de compromis portant sur des réclamations d'assurance invalidité. Dans nombre de ces cas, la question de l'inclusion dans le revenu au titre de l'alinéa 6(1)a) s'est également posée, mais, aux fins de l'examen qui suit, je limiterai mes observations à leur manière de considérer l'alinéa 6(1)f). Dans l'affaire Peel c. M.R.N., 87 D.T.C. 268 (C.C.I.), la Cour de l'impôt avait jugé qu'un paiement de 90 000 $ en règlement d'une action engagée contre un assureur invalidité ne devait pas être inclus dans le revenu selon l'alinéa 6(1)f) parce qu'il ne s'agissait pas d'un paiement périodique.
[7] Dans l'affaire Landry c. La Reine 98 D.T.C. 1416 (C.C.I.), le juge en chef adjoint Bowman avait estimé qu'un paiement forfaitaire de 30 000 $, qui avait été accepté en règlement d'une réclamation à l'encontre d'un assureur invalidité, ne devait pas figurer dans le revenu de la contribuable parce qu'il n'était pas payable périodiquement et par conséquent n'entrait pas dans l'alinéa 6(1)f). Il s'est exprimé ainsi sur la nature du compromis :
Le paiement forfaitaire reçu par Mme Landry n'était pas une somme payable périodiquement, et il n'est pas allégué ou présumé que les 25 000 $ représentaient simplement le total de paiements périodiques que Mme Landry aurait pu recevoir au cours de sa vie (voir Marchand c. M.R.N., 87 D.T.C. 630 (C.C.I.)).
[8] Dans l'affaire Whitehouse c. La Reine, 2000 D.T.C. 1616 (C.C.I.), le juge Lamarre avait estimé qu'une somme reçue en règlement d'une réclamation d'assurance invalidité n'était pas payable périodiquement et par conséquent ne devait pas être incluse dans le revenu du contribuable selon les termes de l'alinéa 6(1)f). La nature du paiement proprement dit n'a pas été débattue. La Cour de l'impôt est arrivée à la même conclusion dans l'affaire Fry c. La Reine 2001 D.T.C. 846.
[9] Dans l'affaire Johnson c. La Reine, [2002] A.C.I. n ° 156, le juge Rip a estimé qu'une somme forfaitaire versée au titre d'une police d'assurance invalidité en règlement d'arriérés accumulés devait être incluse dans le revenu du contribuable au titre de l'alinéa 6(1)f). Il s'est exprimé ainsi sur la nature du compromis négocié entre l'assuré et l'assureur :
[Traduction]Le paiement effectué en mai 1995 par Mutual Life a mis fin au litige initial. Cependant, le paiement ne constituait pas l'obligation finale ou intégrale de l'assureur selon la police, comme dans le jugement Peel c. M.R.N., [87 DTC 268 (C.C.I.)] ou dans le jugement Tsiaprailis c. La Reine [[2001] A.C.I. n ° 856 (Q.L.) le juge en chef adjoint Bowman] par exemple. Le paiement représentait simplement le total d'arriérés de sommes qui étaient payables périodiquement selon la police, plus les intérêts et les dépens. L'assureur a payé ce qu'il aurait dû payer au titre de la police s'il avait accepté la demande de Mme Johnson en mars 1995, ou plus tôt, et si Mme Johnson avait reçu les arriérés auxquels elle avait droit selon la police. Avant le compromis, les avocats de Mme Johnson et de Mutual Life effectuaient des calculs pour s'assurer que la somme forfaitaire regroupait les sommes qu'elle aurait dû recevoir si Mutual Life avait accepté dès l'origine sa demande, plus les intérêts et les dépens de 1 500 $. Par ailleurs, la police subsistait et Mme Johnson allait continuer de recevoir des prestations mensuelles. L'assureur a honoré la police et payé ce qu'il aurait dû payer périodiquement. Mme Johnson n'a pas renoncé au droit de réclamer des prestations futures selon la police. Ainsi, en des circonstances ordinaires, les sommes reçues au titre du compromis de mai devraient être incluses dans le revenu de Mme Johnson pour l'année 1995.
[10] Dans l'affaire Dumas c. La Reine, 2000 D.T.C. 2603 (C.C.I.), le juge Mogan avait estimé qu'une somme de 105 000 $ payée en règlement d'une réclamation d'assurance invalidité devait être incluse dans le revenu du contribuable. Le juge a exposé le problème, tel qu'il le voyait, au paragraphe 25 de ses motifs :
Si ces prestations d'invalidité (arriéré et montant payable à l'avenir) avaient été versées périodiquement, elles auraient été incluses dans le revenu de l'appelante pour chacune des années en cause aux termes de l'alinéa 6(1)f) de la Loi. Ces prestations n'ont pas été versées périodiquement ni n'ont jamais été versées. L'appelante a intenté une poursuite contre LGW et a recouvré un montant de 105 000 $. Le fardeau qui incombe à l'appelante en l'espèce est de prouver que le montant de la transaction ne peut être qualifié de la même manière que le montant des paiements périodiques (c.-à-d. un revenu) qu'elle aurait par ailleurs reçus.
Plus loin dans ses motifs, le juge Mogan a décidé que la totalité ou une partie d'une somme reçue en règlement d'une réclamation pouvait être qualifiée de revenu :
[25] ... Les arrêts Manley et Mohawk Oil de la Cour d'appel fédérale font la preuve que la totalité ou une partie du montant reçu à titre de dommages-intérêts (comme dans l'arrêt Manley) ou à titre de règlement (comme dans l'arrêt Mohawk Oil) peut être qualifiée de revenu aux fins de l'impôt. La désignation d'un montant reçu à titre de dommages-intérêts ou dans le but de régler une demande sera fonction, dans une certaine mesure du moins, de la nature de la demande présentée par la personne qui reçoit le montant.
[11] Finalement, le juge Mogan a conclu que l'intégralité de la somme négociée était un revenu entre les mains de Mme Dumas. Cependant, il a estimé que, puisque cette somme n'était pas payable périodiquement, elle n'entrait pas dans l'alinéa 6(1)f). Mais, selon lui, la somme devait être incluse dans le revenu de la contribuable en vertu de l'alinéa 6(1)a).
[12] Avant d'analyser les conséquences fiscales du compromis, il convient d'examiner la nature des droits qu'avait Mme Tsiaprailis en vertu de la police d'assurance invalidité. Les conditions de la police qui intéressent le présent appel sont reproduites ci-dessous :
[Traduction]
Invalidité totale
par suite d'une maladie ou d'une blessure, incapacité complète d'effectuer les tâches quotidiennes normales décrites ci-dessous :
Pour un employé, les tâches normales sont réputées être celles de sa propre occupation durant la période minimum d'affiliation [182 jours] et les 24 mois suivants. Après cela, les tâches normales sont réputées être celles de toute occupation à laquelle l'employé(e) est ou peut devenir apte en raison de son niveau d'instruction, de sa formation ou de son expérience.
Prestations d'invalidité de longue durée
Si une personne devient totalement invalide pendant qu'elle est assurée pour cette prestation et si elle demeure totalement invalide plus longtemps que la période minimum d'affiliation, [l'assureur] commencera le paiement d'une prestation mensuelle.
Cette prestation mensuelle se poursuivra au plus tard jusqu'à l'expiration de la période maximale de prestations [jusqu'au 65e anniversaire] tant que l'assuré demeure en vie et totalement invalide.
[13] L'effet de ces dispositions est qu'une personne a le droit de recevoir des prestations d'invalidité tant qu'elle est en vie, totalement invalide et âgée de moins de 65 ans. Si elle cesse d'être invalide, son droit à des prestations prend fin lui aussi. Le réclamant peut cesser d'être invalide de plusieurs façons, l'une d'elles, et non la moindre, étant la modification des « tâches quotidiennes normales » qui se produit 24 mois après l'expiration de la période minimum d'affiliation. Le critère n'est plus la capacité d'effectuer les tâches de sa propre occupation, mais plutôt la capacité de faire les tâches de toute occupation à laquelle on est apte en raison de son niveau d'instruction, de sa formation et de son expérience. Ce point n'intéresse pas la présente réclamation, mais il sert simplement à montrer que l'invalidité totale n'est pas une condition statique. Outre un changement de l'état physique du réclamant, le réclamant peut également cesser d'être invalide grâce à d'autres traitements ou à une formation complémentaire. Le texte de la police précise que l'assureur est tenu de payer des prestations uniquement « tant que l'assuré demeure en vie et totalement invalide » . Lorsqu'un assureur met en doute l'invalidité de l'assuré, c'est à l'assuré qu'il incombe de prouver son invalidité. Andersen c. The Great-West Life Assurance Company, [1988] I.L.R. 1-2317 (H.C.J. Ont.)
[14] Lorsque l'assureur a cessé de verser des prestations à Mme Tsiaprailis, celle-ci avait deux genres de réclamations contre l'assureur. La première se rapportait aux sommes non payées qui étaient devenues exigibles durant la période séparant le refus de l'assureur de payer et la date du compromis. La deuxième concernait son droit de recevoir des prestations dans l'avenir. Lorsque Mme Tsiaprailis a introduit son action, ces deux genres de réclamations donnaient lieu à des recours différents.
[15] Si la Cour jugeait que Mme Tsiaprailis était totalement invalide, alors Mme Tsiaprailis aurait droit à un jugement pour toutes les sommes qui sont devenues payables entre la date de la rupture du contrat par l'assureur et la date du jugement. Une telle décision établirait que, aux dates pertinentes, Mme Tsiaprailis remplissait toutes les conditions de la police et par conséquent avait établi son droit d'exiger paiement de l'assureur.
[16] Cependant, pour autant que soient concernés les paiements futurs, Mme Tsiaprailis n'aurait pas droit à un jugement pour les sommes qui pourraient dans l'avenir devenir payables selon la police parce que, comme on l'a dit plus haut, la question de l'admissibilité de l'assuré se pose chaque fois qu'un paiement devient exigible. Le seul recours auquel peut prétendre un réclamant est un jugement déclaratoire affirmant que, à la date du jugement, la police est valide et en vigueur et que l'assuré est totalement invalide au sens de la police. Mais un tel jugement déclaratoire ne contraint pas l'assureur à faire le paiement suivant qui devient exigible si, par exemple, par suite du changement prévu dans la définition de « invalidité totale » , l'assuré n'est plus totalement invalide. Le jugement déclaratoire établit simplement que l'assuré a le droit de recevoir des prestations et que l'assureur demeure tenu de payer, dans la mesure où l'état d'invalidité persiste (et où les autres conditions de la police sont remplies). Voir l'affaire Andersen, précitée, et l'affaire Mercuri c. Imperial Life Assurance Company of Canada, (1990), 107 N.B.R. (2d) 320.
[17] Ce droit de recevoir des prestations d'invalidité tant que persiste l'état d'invalidité totale est un droit précieux, tout comme l'obligation d'effectuer les paiements tant que l'assuré demeure admissible à les recevoir constitue un engagement d'importance. Le droit et l'obligation correspondante ont une valeur monétaire. Un assuré peut décider d'abandonner son droit ou ses droits, éteignant par là-même l'engagement de l'assureur, en échange d'un paiement. Le fait que les parties décident de négocier la valeur de ce droit ou de cette obligation en se référant aux sommes qui pourraient devenir payables au titre de la police si l'assuré demeurait totalement invalide et restait en vie jusqu'à l'âge de 65 ans ne signifie pas que le compromis revient pour l'assureur à s'acquitter par anticipation de ses obligations selon la police. Il ne nous est pas demandé dans le présent appel de préciser la nature de ce droit, mais, en d'autres circonstances, il a été jugé que l'aliénation du droit de recevoir des sommes futures constitue une opération en capital. Voir l'affaire Short c. La Reine, 99 D.T.C. 1146 (C.C.I.).
[18] En l'espèce, Mme Tsiaprailis a introduit une action pour faire valoir ses droits selon la police d'assurance invalidité. Elle avait deux genres de droits. Elle a reçu une somme unique en règlement des deux genres de droits. La jurisprudence de la Cour de l'impôt donne à penser que la somme intégrale est imposable comme revenu entre ses mains ou qu'elle ne l'est pas du tout. Mais comme l'a fait observer le juge Mogan dans l'affaire Dumas, la totalité ou une partie d'un paiement peut être considérée comme revenu entre les mains d'un contribuable. Je ne vois pas pourquoi les deux types de droits que Mme Tsiaprailis a fait valoir dans sa réclamation ne pourraient être traités d'une manière distincte sur le plan fiscal. D'ailleurs, si l'on se réfère au paragraphe 11 de l'exposé conjoint des faits, on peut voir comment les parties ont réparti la somme négociée entre les arriérés et les droits futurs de Mme Tsiaprailis. L'intérêt que présente la répartition est la reconnaissance, par les parties au compromis, que la somme négociée comporte des éléments passés et des éléments futurs.
[19] Le sens de l'expression « payable périodiquement » a été examiné dans l'affaire La Reine c. Sills, [1985] 2 C.F. 200 (C.A.). Il s'agissait de savoir si des sommes versées en règlement d'arriérés de pension alimentaire devaient être incluses dans le revenu de la contribuable. Le payeur était tenu par ordonnance judiciaire de verser à Mme Sills une pension alimentaire mensuelle pour elle-même et ses enfants à charge. Les arriérés se sont accumulés en raison de l'omission de plusieurs paiements. À certains moments, le payeur versait une somme forfaitaire au titre des arriérés, mais il n'éliminait jamais les arriérés. Mme Sills avait fait valoir que ces sommes forfaitaires payées en règlement des arriérés n'étaient pas imposables entre ses mains parce que l'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoyait l'inclusion dans le revenu que « d'une pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage » . Mme Sills avait fait valoir que, puisque les sommes forfaitaires n'étaient pas payables périodiquement, elles n'entraient pas dans l'alinéa 56(1)b) et ne devaient pas être incluses dans son revenu. Le juge Heald n'a eu aucune difficulté à disposer de cet argument, à la page 205.
À mon avis, l'erreur du juge de première instance consiste à n'avoir pas accordé toute l'importance qui se devait à l'emploi du mot « payable » dans l'alinéa en question. Pourvu que l'accord prévoie que les montants d'argent sont payables périodiquement, l'exigence contenue à l'alinéa est respectée. Les paiements ne changent pas de nature pour la seule raison qu'ils ne sont pas effectués à temps. Le membre de la Commission de révision de l'impôt a, selon moi, commis la même erreur lorsqu'il a dit que les sommes devant être incluses dans le revenu « doivent avoir été reçues exactement conformément aux dispositions de ... l'accord » .
[20] À mon avis, ce raisonnement est irréfutable. L'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi que l'alinéa 6(1)f) dont il est question ici, parlent de sommes qui sont « payables » périodiquement, et non pas « payées » périodiquement. Le fait qu'un paiement ne soit pas effectué lorsqu'il est exigible ne change pas le caractère périodique de l'obligation de payer. Lorsqu'une personne a le droit de recevoir un paiement, le fait que des mesures de recouvrement doivent être appliquées pour forcer le paiement ne change pas la nature de ce paiement entre les mains du bénéficiaire. Voir l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124 (C.A. d'Angleterre), appliqué dans l'arrêt La Reine c. Manley, [1985] 2 C.F. 208 (C.A.).
[21] Gardant cela à l'esprit, je reviens à la jurisprudence de la Cour de l'impôt sur cet aspect. Il me semble que l'on peut résumer ainsi la position adoptée par la majorité des juges de la Cour de l'impôt : un compromis portant sur l'ensemble des réclamations qui découlent d'une police d'assurance invalidité, en échange du paiement d'une somme globale, n'entraîne pas un assujettissement à l'impôt selon les termes de l'alinéa 6(1)f) de la Loi, pour les raisons suivantes :
a) la somme elle-même n'est pas payable périodiquement; et
b) puisqu'il s'agit d'un compromis global, il ne peut être question d'une obligation d'effectuer des paiements périodiques.
[22] Le premier point est réglé par l'arrêt Sills, précité, où la Cour fédérale a jugé que, quand bien même seraient-elles regroupées et payées tardivement, les sommes n'en restent pas moins « payables périodiquement » . La réponse au deuxième point se trouve dans un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Mohawk Oil c. Canada, [1992] 2 C.F. 485. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale avait rejeté un appel formé contre une nouvelle cotisation par laquelle le ministre avait réparti un compromis global entre compte de revenu et compte de capital. À mon avis, cela montre qu'il n'est pas interdit de séparer les éléments d'un compromis si cette manière de faire est autorisée par la preuve. La même question s'est posée dans l'arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254. Dans cette affaire, la Cour suprême avait rejeté la manière dont la Cour fédérale avait qualifié les éléments d'un compromis global, et cela parce que la preuve n'autorisait pas sa conclusion. Ce que cela signifie, c'est que la répartition des éléments d'un compromis dépend de la preuve et non d'un principe juridique. En l'espèce, la preuve ne peut être mise en doute puisque la ventilation du compromis apparaît dans l'exposé conjoint des faits.
[23] Est-ce encore vrai si l'obligation de payer est contestée? On peut répondre à cette question de deux manières. La première est que l'obligation n'est contestée que par l'assureur et que ce n'est pas la responsabilité fiscale de l'assureur qui est en cause. À mon avis, Mme Tsiaprailis ne peut dans son action affirmer l'obligation de l'assureur aux termes de la police, recouvrer dans cette action une somme de l'assureur, puis soutenir que la somme ainsi payée ne résulte pas des obligations de l'assureur aux termes de la police.
[24] La deuxième manière de voir la question de l'obligation contestée et l'effet du compromis consiste à se reporter aux affaires où la Cour a examiné la nature d'un paiement reçu à titre de dommages-intérêts afin de voir si les conditions de la quittance libératoire signée par les parties devaient dicter la conclusion à tirer. Dans l'arrêt Schwartz, précité, le compromis auquel étaient arrivés le contribuable et son futur employeur comprenait une quittance libératoire qui qualifiait de dommages-intérêts la majeure partie de la somme payée au contribuable. Les conditions de la quittance ne sont pas indiquées, mais, puisque, si un aspect avait dépendu d'elles, il en aurait été fait état, on peut dès lors présumer que la quittance renfermait les conditions d'usage portant sur le déni de responsabilité et sur la décharge complète de toute obligation. Examinant la nature du paiement reçu par Schwartz, la Cour suprême s'est référée aux lettres qui avaient été échangées entre les parties durant les négociations, ainsi qu'au témoignage de M. Schwartz sur la manière dont il voyait ce paiement. Le point à retenir, c'est que la Cour ne s'est pas considérée liée par les documents de décharge de responsabilité, selon lesquels le paiement représentait des dommages-intérêts. Dans l'arrêt Mohawk Oil, précité, les parties avaient signé une décharge dont les conditions ne sont pas rapportées dans le texte de l'arrêt, mais, là encore, l'examen qu'a fait la Cour de la nature des paiements reçus ne s'appuyait pas sur les conditions de la décharge, mais plutôt sur la nature de l'opération. À mon avis, les conditions d'une décharge signée par les parties à un différend n'ont jamais constitué une limite lorsqu'est examinée la nature des paiements effectués.
[25] Conséquemment, je suis d'avis que le paiement reçu par Mme Tsiaprailis englobait une somme représentant les arriérés accumulés. J'arrive à la conclusion que cette somme est imposable entre les mains de Mme Tsiaprailis conformément à l'alinéa 6(1)f), parce que, même si elle a été payée comme somme forfaitaire sous la contrainte du litige engagé, elle se rapportait à des sommes « payables périodiquement » .
[26] Vu la question posée dans l'appel dont nous sommes saisis, il n'est pas nécessaire de statuer sur le traitement fiscal des sommes payées à l'égard des droits futurs, puisque la cotisation est fondée sur l'inclusion dans le revenu de la contribuable en application des alinéas 6(1)a) et 6(1)f). J'accueillerais donc l'appel et renverrais l'affaire au ministre pour nouvelle cotisation conforme aux présents motifs. Eu égard aux circonstances, je crois qu'il est juste que chaque partie supporte ses propres dépens.
« J.D. Denis Pelletier »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
B.L. Strayer, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
LE JUGE EVANS (motifs dissidents)
[27] J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue, le juge Pelletier. Je pense moi aussi que l'argument de la Couronne fondé sur l'alinéa 6(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), (5e suppl.), ch. 1, n'est pas recevable. La présente affaire ne peut être distinguée de l'arrêt Schwartz c. La Reine, [1996] 1 R.C.S. 254. Cependant, contrairement à mon collègue, je suis d'avis qu'aucune portion de la somme forfaitaire de 105 000 $ payée à Mme Tsiaprailis par Manuvie en 1996 n'est imposable selon l'alinéa 6(1)f). Par conséquent, je rejetterais l'appel.
[28] Le juge Pelletier est d'avis que la portion de cette somme qui est attribuable à des paiements futurs de l'assureur échappe à l'alinéa 6)(1)f). Selon lui, puisque les paiements effectués en vertu de la police n'étaient pas exigibles lorsque le paiement a été effectué, et puisque tout aussi bien ils auraient pu ne jamais le devenir, on ne saurait dire que la portion de la somme forfaitaire attribuable aux paiements futurs a été payée conformément au contrat d'assurance. En revanche, dans la mesure où la somme forfaitaire représente des paiements déjà exigibles, le paiement a été effectué pour remplacer des sommes payables périodiquement conformément à la police. Le juge Pelletier arrive donc à la conclusion que le ministre a eu raison de traiter la somme forfaitaire comme revenu selon l'alinéa 6(1)f). C'est avec cette conclusion que malheureusement je suis en désaccord.
[29] La question essentielle est de savoir si la somme forfaitaire de 105 000 $, moins 18 069 $ pour frais de justice, est validement qualifiée de « indemnité payable périodiquement... en vertu d'un régime d'assurance invalidité » , comme le prévoit l'alinéa 6(1)f). La conclusion du juge en chef adjoint Bowman selon laquelle la somme forfaitaire échappait à l'alinéa 6(1)f) est parfaitement en accord avec le texte on ne peut plus évident de l'alinéa. Un paiement unique effectué en vertu d'un compromis par lequel les parties s'entendent pour dire que l'assureur n'admet pas sa responsabilité et que la somme convenue sera versée comme somme forfaitaire n'est guère compatible avec les mots « payable périodiquement en vertu d'un régime d'assurance invalidité » . Conséquemment, le juge en chef adjoint Bowman a conclu (au paragraphe 25) que, dans un tel cas, il faudrait que la Cour de l'impôt imagine « des façons d'imposer des personnes invalides » pour pouvoir statuer en faveur de la Couronne, un exercice qu'il a refusé d'entreprendre.
[30] Comme le reconnaît le juge Pelletier, la Cour de l'impôt adopte généralement, mais pas systématiquement, la position selon laquelle les sommes forfaitaires payées à la suite de compromis portant sur des réclamations contestées d'assurance invalidité ne satisfont pas aux conditions d'imposabilité prévues par l'alinéa 6(1)f). Cependant, mon collègue s'appuie sur deux précédents pour affirmer que la portion du compromis représentant la valeur des prestations restées impayées est imposable en vertu de l'alinéa.
[31] D'abord, il s'appuie sur l'arrêt La Reine c. Sills, [1985] 2 C.F. 200 (C.A.), qui selon lui permet d'affirmer que, pour pouvoir dire si une somme est « payable périodiquement » , il faut s'en remettre aux modalités de l'instrument juridique contenant l'obligation de payer, et non à la manière dont la somme due est effectivement payée. Certes, c'est bien là le ratio de l'arrêt Sills. Cependant, à mon humble avis, l'arrêt Sills ne vient pas ici en aide à la Couronne.
[32] Dans l'arrêt Sills, des sommes forfaitaires avaient été payées au titre des arriérés des paiements que le contribuable était tenu d'acquitter périodiquement en vertu d'une ordonnance judiciaire. Plus précisément, les sommes avaient été payées en exécution d'une obligation de faire des paiements périodiques. En l'espèce cependant, la somme a été payée à Mme Tsiaprailis à la suite du compromis devant mettre fin à un procès, et non en raison du contrat initial d'assurance invalidité. Le contrat d'assurance prévoyait que les prestations d'invalidité étaient payables périodiquement, mais le compromis ne renfermait aucune disposition semblable. L'arrêt Sills ne nous permet pas de dire si la somme forfaitaire a été payée « en vertu » du contrat d'assurance invalidité ou en vertu du contrat qui mettait fin à la contestation.
[33] Deuxièmement, le juge Pelletier s'appuie sur l'arrêt La Reine c. Manley, [1985] 2 C.F. 208 (C.A.), pour régler ce dernier point. Ce précédent permettrait selon lui d'affirmer que le versement de la somme par suite d'un compromis ne change en rien la nature essentielle du paiement effectué. L'argument est que, puisque la somme forfaitaire a été payée à Mme Tsiaprailis en vertu d'une entente mettant fin à une contestation selon laquelle l'assureur avait négligé d'effectuer les paiements périodiques prévus par le contrat d'assurance invalidité, la portion « arriérés » de la somme devrait être considérée de la même manière qu'elle l'aurait été si l'assureur avait payé les prestations mensuellement en conformité avec le contrat d'assurance.
[34] À mon avis cependant, les précédents dans lesquels cette manière de voir a été adoptée ne nous mènent pas aussi loin que le voudrait ici la Couronne. À ce jour, les tribunaux n'ont qualifié la nature de la somme reçue en se référant à sa source fondamentale que pour déterminer sa nature générale.
[35] Ainsi, dans l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124, la Cour d'appel d'Angleterre avait jugé que la source fondamentale de l'octroi de dommages-intérêts était un facteur à considérer pour savoir si la somme ainsi accordée devrait être traitée comme un bénéfice sur le plan fiscal. La Cour avait estimé que la somme incluse dans les dommages-intérêts pour manque à gagner parce que le défendeur avait par négligence endommagé l'embarcadère du demandeur était imposable comme revenu tiré d'une activité commerciale. La Cour fédérale a elle aussi fait abstraction des octrois de dommages-intérêts ou des compromis pour savoir s'il convenait de qualifier un paiement de gain en capital ou de revenu d'entreprise : voir par exemple l'arrêt Manley c. La Reine; l'arrêt Mohawk Oil Co. c. Canada, [1992] 2 C.F. 485 (C.A.); et l'arrêt T. Eaton Co. c. Canada, [1999] 3 C.F. 123 (C.A.).
[36] Dans l'alinéa 6(1)f) cependant, le législateur a précisément défini les circonstances dans lesquelles une somme est imposable : elle est imposable lorsqu'elle est « payable périodiquement en vertu d'un régime d'assurance invalidité » . À mon avis, il n'est pas loisible à la Cour de dire qu'une somme forfaitaire payée en règlement d'une contestation entre dans cette description simplement parce que la réclamation que les parties ont réglée comportait une affirmation de l'assuré selon laquelle l'assureur avait manqué à son obligation, selon la police, de faire des paiements périodiques.
[37] Le détail et la complexité de ce qui fait, selon le paragraphe 6(1), un revenu tiré d'une charge ou d'un emploi constituent un avertissement aux tribunaux pour qu'ils s'abstiennent d' « imaginer des moyens » de faire relever du champ de ce paragraphe des paiements qui manifestement échappent au texte de l'alinéa 6(1)f). Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Entreprises Ludco ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1028, au paragraphe 53, 2001 C.S.C. 62, « notre Cour a à maintes reprises affirmé que, dans les affaires de droit fiscal, les tribunaux doivent toujours hésiter à innover et à établir des règles » .
[38] Qui plus est, de récents arrêts de la Cour suprême du Canada semblent généralement favoriser, en matière de fiscalité, une démarche qui donne effet à la nature juridique des opérations conclues par le contribuable, pour autant qu'il ne s'agisse pas de fausses apparences, plutôt qu'une démarche qui met l'accent sur les réalités économiques ou commerciales fondamentales et qui ignore les formes juridiques employées par le contribuable : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298; Shell Canada ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622.
[39] Dans le présent appel, le compromis mentionne expressément que les parties s'entendent pour dire que l'assureur n'admet pas sa responsabilité envers Mme Tsiaprailis au titre du contrat d'assurance. Il est donc difficile de conclure que, sur le plan juridique, le paiement a été effectué conformément au contrat d'assurance. Par ailleurs, puisque le compromis prévoyait une somme forfaitaire, la somme reçue en vertu du compromis n'était pas « payable périodiquement » .
[40] Le compromis remplace les droits que les parties avaient de par le contrat d'assurance. Ainsi, par exemple, l'assureur n'aurait pu, en prétendant que Mme Tsiaprailis n'était plus invalide, s'opposer à une demande de Mme Tsiaprailis exigeant que la somme promise dans le compromis soit effectivement payée. Partant, puisque la somme forfaitaire reçue par Mme Tsiaprailis a été payée en exécution de l'obligation de l'assureur aux termes du compromis, elle a sûrement été payée en vertu du compromis, et non en vertu de la police d'assurance invalidité. L'assureur eût-il été tenu de payer en vertu de la police, il a cessé de l'être à la suite du compromis.
[41] À mon avis, ce serait aller à contre-courant de la jurisprudence de la Cour suprême que d'imposer une responsabilité fiscale en faisant abstraction de l'arrangement juridique au titre duquel a été payée la somme mettant fin au litige initial. On ne pourra jamais résoudre une fois pour toutes le conflit entre la forme et le fond, mais il me semble que, d'après la Cour suprême, rares seront les cas où les tribunaux devront aller au-delà des arrangements juridiques pris par le contribuable, pour autant qu'il ne s'agisse pas de fausses apparences, ce que nul n'a insinué ici.
[42] Le texte de l'alinéa 6(1)f), le principe selon lequel l'assujettissement à l'impôt prend généralement naissance en fonction des opérations des parties, et l'absence de précédents forçant une conclusion différente ici, voilà qui, à mon avis, suffit à disposer du présent appel. Cependant, je ferais aussi observer que les répercussions de l'avis de mon collègue selon lequel l'alinéa 6(1)f) s'applique à la portion « arriérés » de la somme reçue par Mme Tsiaprailis nous empêchent d'imaginer que le législateur ait pu vouloir la fiscaliser.
[43] D'abord, la conséquence probable de l'inclusion d'une somme forfaitaire dans le revenu de Mme Tsiaprailis pour l'année 1996 est qu'elle paiera l'impôt sur le revenu selon un taux marginal plus élevé que si elle avait reçu la même somme à la faveur de prestations d'assurance invalidité versées chaque mois au cours des trois dernières années. Son avocat résume brièvement la chose : le ministre affirme que la somme de 105 000 $ était payable périodiquement, mais il se propose de l'imposer comme somme forfaitaire. Cependant, les dispositions rétroactives d'étalement du revenu contenues dans les articles 110.2 et 120.31 de la Loi de l'impôt sur le revenu pourraient apporter un soulagement : voir cependant, l'affaire Milliken c. Canada, 2002 D.T.C. 1510 (C.C.I.), qui expose la complexité et l'utilité restreinte de telles dispositions.
[44] Un cas où une analyse « de fond » entraîne l'imposition plus élevée de personnes aux moyens limités qui ont été, et qui sont peut-être encore, incapables de travailler en raison d'une invalidité ne saurait, à mon humble avis, justifier une entorse à ce qui est aujourd'hui l'approche dominante pour ce qui est de déterminer l'assujettissement à l'impôt.
[45] Deuxièmement, fiscaliser une portion quelconque du compromis en application de l'alinéa 6(1)f) risque d'affaiblir les encouragements à transiger et de rendre encore plus difficile qu'il ne l'est déjà le règlement des réclamations d'assurance invalidité. Les tribunaux devraient s'abstenir d'interpréter les lois d'une manière propre à dissuader les plaideurs de transiger.
[46] Troisièmement, faire relever de l'alinéa 6(1)f) les sommes forfaitaires résultant d'un compromis ou d'une transaction risque d'introduire un niveau peu souhaitable d'arbitraire dans les questions fiscales. Les compromis sont généralement négociés sur la base d'un chiffre total et, eu égard à la jurisprudence actuelle, les parties ne songeront pas à l'importance de préciser la portion de cette somme qui est attribuable aux « arriérés » et la portion qui est attribuable aux paiements futurs.
[47] De plus, contrairement au compromis dont il est question ici, les compromis souvent ne précisent même pas comment la somme forfaitaire est répartie entre paiements passés et paiements futurs. Le juge Pelletier dit que le contribuable doit établir le quantum de son revenu et, si le ministre n'est pas persuadé que la répartition entre « arriérés » et paiements futurs est juste, il peut procéder à une répartition raisonnable et, en appel, le contribuable peut tenter de réfuter l'hypothèse énoncée par le ministre. Cependant, ce procédé laisse un pouvoir considérable au ministre et ajoute aux incertitudes entourant l'administration des lois fiscales.
[48] Finalement, cependant, je dois reconnaître que des considérations d'équité fiscale horizontale semblent militer en faveur d'une imposition de la somme forfaitaire entre les mains de Mme Tsiaprailis, puisque ceux à qui sont versées périodiquement des prestations d'assurance invalidité sont taxés sur lesdites prestations. Cependant, il n'est pas toujours facile de dire si des contribuables se trouvent dans la même situation.
[49] Par exemple, même après le compromis, Mme Tsiaprailis n'était pas nécessairement dans la même situation qu'une personne qui avait reçu des paiements mensuels en vertu d'une police d'assurance invalidité. Le refus d'un assureur de verser des prestations peut causer une grande anxiété chez l'assuré ou le contraindre à s'endetter, surtout évidemment si ses moyens financiers sont restreints. Les intérêts payés sur les « arriérés » ne compenseront pas nécessairement les préjudices de ce genre, encore qu'ils puissent être implicitement pris en compte dans le chiffre du compromis final.
[50] À mon avis, il vaut mieux laisser au législateur la tâche de résoudre l'injustice apparente sur laquelle s'appuie la Couronne au soutien de l'idée selon laquelle l'alinéa 6(1)f) s'applique aux sommes forfaitaires payées en vertu de compromis terminant des contestations au titre de contrats d'assurance invalidité. Dans un régime aussi complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu, l'équité est une notion sans doute trop insaisissable, sans compter qu'elle présente des facettes multiples, pour qu'un tribunal puisse interpréter ou appliquer telle ou telle disposition de la Loi d'une manière qui ne cadre pas totalement avec le texte choisi par le législateur pour communiquer le message de la Loi, et qui ignore les véritables dispositions juridiques prises par les parties.
[51] Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec dépens.
« John M. Evans »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-40-02
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE
- et -
VASILIKI TSIAPRAILIS
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 28 NOVEMBRE 2002
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
Y A SOUSCRIT : LE JUGE STRAYER
MOTIFS DISSIDENTS : LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : LE 17 MARS 2003
COMPARUTIONS :
M. Daniel Bourgeois POUR L'APPELANTE
M. James Cooke POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ministère de la Justice POUR L'APPELANTE
Section du contentieux fiscal
Ottawa (Ontario)
WilsonWalker LLP POUR L'INTIMÉE
Windsor (Ontario)