Date : 20030204
Dossier : A-668-01
Référence neutre : 2003 CAF 57
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
ENTRE :
ASTRAZENECA AB
appelante
(demanderesse)
et
NOVOPHARM LIMITED
et
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
intimés
(défendeurs)
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 janvier 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 février 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE STONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
Date : 20030204
Dossier : A-668-01
Référence neutre : 2003 CAF 57
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
ENTRE :
ASTRAZENECA AB
appelante
(demanderesse)
et
NOVOPHARM LIMITED
et
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
intimés
(défendeurs)
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGESTONE
[1] Il s'agit d'un appel d'une ordonnance du juge Kelen datée du 30 octobre 2001, rejetant l'appel interjeté par l'appelante à l'encontre d'une décision du registraire des marques de commerce datée du 9 mars 2000, refusant la demande d'enregistrement, présentée par l'appelante, du dessin d'un comprimé jaune comme marque de commerce en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).
[2] Au paragraphe 2 de la demande d'enregistrement de la marque de commerce de l'appelante, on trouve la description suivante de la marque en cause :
[traduction] La marque de commerce est présentée dans le dessin ci-joint et se compose de la couleur jaune appliquée sur l'ensemble de la surface visible du comprimé, comme l'indiquent aussi les spécimens joints à la demande. Le comprimé figurant dans le dessin en pointillé ne fait pas partie de la marque de commerce.
La demande déclare ensuite que la marque de commerce avait été [traduction] « employée au Canada en liaison avec les marchandises générales comprenant les marchandises suivantes :
/préparations pharmaceutiques, nommément la félodipine/
depuis mars 1994 au moins » .
[3] Le médicament de l'appelante, vendu sous la marque de commerce PLENDIL, contient une substance chimique active thérapeutiquement, la « félodipine » , que l'on ne peut obtenir que sur ordonnance, qui sert au traitement de l'hypertension et que les patients prennent normalement de façon chronique sous diverses formes posologiques, notamment les comprimés jaunes de 2,5 mg. Ces comprimés ne sont interchangeables avec aucun autre comprimé pharmaceutique antihypertenseur. L'appelante commercialise ses comprimés de « félodipine » auprès des pharmacies en boîtes contenant des plaquettes comportant des alvéoles dans lesquelles se trouvent les comprimés ronds jaunes de 2,5 mg. Un code « DIN » , « PLENDIL » , [traduction] « comprimés de félodipine à libération progressive » , « 2,5 mg » et « Astra » sont écrits sur chaque plaquette. Des indications sont gravées sur l'un des côtés du comprimé, dont le chiffre « 2,5 » . D'autres formes posologiques du même médicament sont vendues de la même façon par l'appelante, mais dans des couleurs autres que le jaune, soit en comprimés roses de 5 mg et en comprimés bruns de 10 mg. L'appelante remet aux pharmaciens un dépliant et une monographie sur le produit.
[4] Par une déclaration d'opposition produite selon le paragraphe 38(2) de la Loi le 6 février 1996, modifiée par la suite, l'intimée s'est opposée à l'enregistrement de la marque pour six motifs distincts. L'appelante a produit une contre-déclaration datée du 4 avril 1996. Le registraire des marques de commerce a considéré et rejeté chacun des motifs formulés dans la déclaration d'opposition dans sa décision du 9 mars 2000, sauf le sixième, fondé sur l'alinéa 38(2)d) de la Loi. Ce motif de la déclaration d'opposition est ainsi présenté :
[traduction] L'opposante fonde son opposition sur les motifs prévus à l'alinéa 38(2)d) : la marque de commerce n'est pas distinctive parce qu'elle ne distingue pas, et n'est pas adaptée à distinguer, les marchandises de la requérante de celles d'autres fabricants, notamment, des comprimés suivants :
Suit une énumération de 21 comprimés pharmaceutiques et du nom de leurs fabricants respectifs.
La procédure devant le registraire
[5] Les deux parties à la procédure d'opposition ont produit une preuve par affidavit devant le registraire avec des transcriptions des contre-interrogatoires sur ces affidavits.
[6] Le registraire a conclu d'après la preuve qu'à la date de l'opposition [traduction] « il existe au moins quelques autres comprimés jaunes utilisés pour le traitement de l'hypertension, disponibles sur le marché » et qu'au moins quelques-uns de ceux-ci étaient des « comprimés jaunes » . Le registraire n'a pas souscrit à la prétention de l'appelante que, pour décider la question du caractère distinctif de la marque, seuls les comprimés antihypertenseurs contenant l'ingrédient actif félodipine devaient être considérés. Il était d'avis que les comprimés fournis pour le traitement du même état pathologique devaient être considérés même s'ils ne contenaient pas cet ingrédient actif. Le registraire a conclu d'après la preuve que la marque de l'appelante ne distinguait pas, en fait, les marchandises de l'appelante de celles d'autres fabricants. Selon lui, le faible niveau des ventes de comprimés jaunes de 2,5 mg de l'appelante, joint au fait que l'appelante n'informait pas le public (médecins, pharmaciens et patients) du statut de marque de commerce de la couleur jaune des comprimés, était fatal. Ainsi qu'il l'a indiqué à la page 10 de ses motifs, [traduction] « Ordinairement, tout ce que l'on voit au moment de la vente, c'est une boîte portant la marque de commerce PLENDIL et la dénomination Astra. Les comprimés jaunes ne sont pas visibles et il n'y a pas de représentation du comprimé jaune sur la boîte. » Le registraire était également d'avis que les efforts allégués par l'appelante pour informer le public par le moyen de ses dépliants et monographies sur le produit n'atteignaient pas leur but. Il a conclu pour ces motifs que la marque de l'appelante n'était pas « distinctive » .
La procédure en Section de première instance
[7] Un appel de la décision du registraire a été interjeté à la Section de première instance en vertu de l'article 56 de la Loi. Dans cette procédure, l'appelante a produit une preuve additionnelle, sous la forme d'un affidavit d'Adam Pignataro, pharmacien de Toronto. De son côté, l'intimée a produit cinq affidavits additionnels. Les auteurs de tous les affidavits ont été contre-interrogés et les transcriptions font partie du dossier présenté à la Cour. Dans son ordonnance datée du 30 octobre 2001, le juge Kelen a rejeté l'appel avec dépens.
[8] Au départ, le juge Kelen s'est demandé quelle était la norme de contrôle appropriée pour la décision du registraire du 9 mars 2000 et a conclu, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour, que la norme appropriée était généralement celle de la « décision raisonnable simpliciter » , à moins que la preuve additionnelle produite sur l'appel devant la Section de première instance n'ait eu un effet sur la décision du registraire, auquel cas la norme serait l'exactitude : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2002] 3 C.F. 145 (C.A.). Voir aussi les décisions Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., [2000] 2 C.F. 553 (1re inst.); Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd.; Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2001), 15 C.P.R. (4th) 327 (C.A.F.). Le juge Kelen était d'avis, puisque la preuve additionnelle présentée devant lui n'aurait pas eu d'effet sur la décision du registraire concernant la question du caractère distinctif, que la norme applicable à la décision était celle du « caractère raisonnable simpliciter » . Il était également d'avis que, même si la norme de contrôle appropriée était « l'exactitude » , la preuve n'établissait pas que la couleur et la forme des comprimés de l'appelante étaient « distinctives » au sens défini à l'article 2 et employé à l'article 12 de la Loi, parce que, selon ses termes, « la couleur et la forme ne distinguent pas les comprimés d'autres comprimés ronds et jaunes » .
[9] Le juge Kelen a ensuite passé en revue la jurisprudence portant sur la question de savoir si l'apparence, couleur et forme, d'un comprimé pharmaceutique pouvait, à elle seule, établir le « caractère distinctif » . Il a conclu, au terme de cette revue, qu'un lourd fardeau incombait à l'appelante à cet égard et que l'appelante ne s'est pas acquittée de ce fardeau. Il était d'avis que « [l]e seul fait qu'Astra a utilisé cette couleur et cette forme en liaison avec ses comprimés de félodipine et que les pharmaciens reconnaissent la couleur et la forme des comprimés dans leur emballage n'est pas suffisant » . Il a également indiqué que la preuve n'est pas parvenue à établir « que la couleur et la forme ont été utilisées, dans le cas de la félodipine, au point que les pharmaciens associent la couleur et la forme à une seule source » . Enfin, le juge Kelen s'est inspiré des principes énoncés dans un arrêt anglais, Hoffman-Laroche and Company c. D.D.S.A. Pharmaceuticals Ltd., [1972] RPC 1 (C.A.), et a conclu au paragraphe 17 de ses motifs :
Je suis le raisonnement de la cour d'appel anglaise et conclus que l'apparence ordinaire des comprimés ronds et jaunes d'Astra n'est pas distinctive au point qu'on associe ces comprimés à un fabricant ou à une source commerciale, sauf pour l'emballage. Les pharmaciens vérifient d'abord et avant tout les indications sur l'emballage extérieur et sur la plaquette contenant les comprimés dans des alvéoles. C'est l'emballage qui rend le médicament distinctif, non la couleur et la forme. La décision du registraire est donc raisonnable.
Les questions en litige
[10] L'appelante met en question le choix de la norme de contrôle par la Section de première instance. Elle soulève également cinq sous-questions à l'égard du caractère distinctif, à savoir que le juge Kelen aurait commis une erreur 1) en ne concluant pas que la marque possédait un caractère distinctif inhérent, 2) en considérant des marchandises autres que la félodipine pour apprécier le caractère distinctif de la marque, 3) en concluant effectivement que l'intimée ne s'était pas acquittée de son fardeau de présentation pour établir que les autres comprimés étaient suffisamment connus pour nier le caractère distinctif de la marque, 4) en aggravant incorrectement le fardeau incombant à l'appelante d'établir que la marque avait acquis une notoriété propre du fait qu'il lui a imposé un « lourd fardeau » , 5) en n'appréciant pas que les pharmaciens devaient s'appuyer sur la couleur et la forme des comprimés de l'appelante pour confirmer la marque et, donc, que l'usage et le caractère distinctif de la marque avaient été établis. Ces sous-questions se recoupent à un point tel qu'on peut sans inconvénient les considérer ensemble pour décider si la marque est « distinctive » .
Les dispositions législatives pertinentes
[11] Les dispositions pertinentes se trouvent aux articles 2, 12 et 38 de la Loi. L'article 2 de la Loi contient les définitions suivantes des termes « marque de commerce » et « distinctif » :
"marque de commerce" Selon le case : a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres; b) marque de certification; c) signe distinctif; d) marque de commerce projetée.
"distinctive" Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.
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"trade-mark" means (a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others, (b) a certification mark, (c) a distinguishing guise, or (d) a proposed trade-mark;
"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them; |
Les alinéas 12(1)a) et b) et le paragraphe 12(2) sont ainsi conçus :
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_: a) elle est constituée d'un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes; b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
(2) Une marque de commerce qui n'est pas enregistrable en raison de l'alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d'une demande d'enregistrement la concernant.
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12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not (a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years; (b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services inn association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;
(2) A trade-mark that is not registrable by reason of paragraph (1)(a) or (b) is registrable if it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration. |
L'alinéa 38(2)d) de la Loi est ainsi conçu :
(2) Cette opposition peut être fondée sur l'un des motifs suivants: ... d) la marque de commerce n'est pas distinctive. |
(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds: ... (d) that the trade-mark is not distinctive. |
ANALYSE
La norme de contrôle
[12] La question n'est pas de savoir si le juge Kelen a ignoré la jurisprudence récente de la Cour, citée ci-dessus, en vue du choix de la norme de contrôle appropriée, mais s'il l'a mal appliquée en concluant que la preuve additionnelle présentée par l'appelante en Section de première instance n'aurait pas eu d'effet sur la décision du registraire concernant la question du caractère distinctif. L'appelante plaide que certains éléments de la preuve additionnelle auraient eu un effet sur cette question et renvoie au témoignage contenu dans l'affidavit de M. Pignataro. Il semblerait, toutefois, qu'une bonne partie du témoignage contenu dans cet affidavit avait déjà été présentée au registraire, et que certains de ses éléments sont de la nature du ouï-dire provenant de « patients » et de « médecins » non identifiés, ce qui leur confère une valeur moindre que s'ils avaient été fondés sur des renseignements provenant de patients individuels ou de médecins individuels ainsi que sur la conviction du déposant à leur égard.
Le caractère distinctif
[13] Bien que la seconde question en litige se compose de plusieurs sous-questions, celles-ci se ramènent à une question unique, à savoir si des comprimés autres que les comprimés de 2,5 mg de l'appelante, commercialisés avec une apparence semblable à celle des comprimés de l'appelante à la date pertinente, empêchent l'enregistrement de la marque visée par la demande pour la raison que ces comprimés rendent la marque de l'appelante non distinctive.
[14] On a dit justement : [traduction] « L'essence d'une marque de commerce protégeable et ... le fondement du droit des marques de commerce, est depuis toujours le caractère distinctif. "Le caractère distinctif consiste en l'attribut d'une marque de commerce qui rend les marchandises sur lesquelles elle est apposée distinctes de celles d'autres producteurs de telles marchandises". » H.G. Fox, Canadian Law of Trade Mark, 3e éd. (Toronto: Carswell, 1972), à la page 25. Voir également la décision Western Clock Company c. Oris Watch Company, Ltd., [1931] R.C. de l'É. 64, juge Audette à la page 67 et l'arrêt United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.), à la page 548.
[15] La nécessité qu'une marque soit « distinctive » est une caractéristique importante du droit canadien des marques de commerce depuis de nombreuses années et semble avoir été empruntée à la législation du Royaume-Uni. La législation canadienne a été refondue en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.C. 1953, ch. 49 à la suite du dépôt auprès du Secrétaire d'État du Rapport de la Commission de révision de la Loi sur les marques de commerce, daté du 20 juin 1953, commission présidée par Harold G. Fox, c.r. Ce rapport est reproduit dans H.G. Fox, Canadian Law of Trade Marks, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1956), aux pages 1142 et suivantes. Il recommandait un certain nombre de modifications de la législation canadienne, notamment une refonte des définitions des termes « marque de commerce » et « distinctive » .
[16] La définition de « distinctive » qui figure maintenant à l'article 2 de la Loi remonte directement au rapport du professeur Fox. Selon cette définition, une marque est « distinctive » si elle « distingue véritablement » les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires ou si elle « est adaptée à les distinguer ainsi » . Une marque distingue véritablement en acquérant le caractère distinctif par l'emploi, ce qui lui confère un caractère distinctif en fait. Une marque qui est « adaptée à les distinguer ainsi » est une marque qui ne dépend pas de l'emploi pour son caractère distinctif, parce qu'elle possède un caractère distinctif inhérent. Un marque se composant d'un mot forgé ou inventé entre dans cette catégorie : Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 115; The Molson Companies Limited c. Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limitée, [1982] 1 C.F. 175 (1re inst.), aux pages 278 et 279.
[17] La fonction d'une marque de commerce revêt une importance particulière pour l'appréciation de son caractère distinctif. Il faut prendre note des enseignements de la jurisprudence sur ce point. Ainsi, dans la décision Standard Coil, précitée, à la page 117, le juge Cattanach a indiqué :
La fonction d'une marque de commerce a été précisée dans de nombreux arrêts comme étant de [TRADUCTION] « donner à l'acheteur ou l'acheteur éventuel une indication sur la fabrication ou la qualité des marchandises, lui faire connaître visuellement la provenance commerciale des marchandises ou les intermédiaires par lesquels elles sont passées pour arriver sur le marché » . (Voir l'exposé du juge Bowen, L.J., dans l'arrêt Powell's Trade Mark, (1894) 11 R.P.C. 195, à la page 200).
Dans le même sens, le juge Gwynne déclarait dans l'arrêt Partlo v. Todd (1888-90)17 R.C.S. 196, à la p. 212, [TRADUCTION] « Le droit que détient un fabricant sur sa marque de commerce est le droit exclusif de l'employer dans le but d'indiquer où et par qui ou à quelle usine l'article auquel elle est associée a été fabriqué » .
Une marque de commerce a pour objet d'identifier les marchandises d'un commerçant et si une marque de commerce remplit ce rôle, je crois alors qu'il importe peu que le même article ne soit pas mis sur le marché par d'autres commerçants. Si la marque identifie les marchandises d'un commerçant elle les distinguera automatiquement de celles des autres commerçants qui ne se sont pas encore lancés sur le marché mais qui le feront plus tard.
[18] La marque en litige consiste en l'apparence des comprimés, une combinaison de couleur et de forme. C'est cette combinaison qu'il faut considérer. On n'a pas considéré la couleur seule comme possédant un caractère distinctif inhérent : voir l'arrêt Wal-Mart Stores Inc. c. Samara Brothers Inc., 54 USPQ2d 1065 (2000) (U.S. Sup. Ct.), à la page 1068, où il a été précisé également que [traduction] « la couleur ne pouvait être protégée comme marque de commerce à moins qu'on ne démontre la notoriété propre » . C'était le cas d'une capsule soluble contenant un médicament sous forme de granulé, la capsule étant la moitié d'une couleur et l'autre moitié transparente, et le granulé étant d'une couleur parmi deux ou plusieurs, dans l'arrêt Smith, Kline and French Laboratories c. Stirling-Winthrop Group Ltd., [1976] R.P.C. 511 (H.L.), affaire jugée, il est vrai, selon une définition du terme « distinctive » revêtant une formulation différente dans la législation du Royaume-Uni.
[19] Le sixième motif d'opposition, à savoir que « la marque de commerce n'est pas distinctive » , concerne l'ensemble de la notion de « distinctive » , au sens défini à l'article 2 de la Loi. Les parties s'accordent à dire que, pour que la marque soit « distinctive » au sens défini par la Loi, il faut que le requérant satisfasse au critère à trois volets énoncé par le juge Rouleau dans la décision Phillip Morris c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), à la page 270. En s'opposant pour ce motif, l'intimée a assumé le fardeau d'établir par la preuve que les comprimés invoqués par elle étaient devenus suffisamment connus pour nier le caractère distinctif de la marque de l'appelante : Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. et al., [1982] 1 C.F. 638 (1re inst.), à la page 653. Il semble que l'intimée s'est acquittée de ce fardeau de présentation par le moyen de sa preuve par affidavit, comprenant les affidavits de Roger Daher et Luigi Longo, indiquant au paragraphe 7 : [traduction] « Il y a de nombreux comprimés jaunes qui sont vendus au Canada et employés dans le traitement de l'hypertension » , dont certains étaient ronds et biconvexes.
[20] La question demeure de savoir si la marque était distinctive à la date de l'opposition, ce qu'il incombe à l'appelante de démontrer : E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (C.A.); Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.). La preuve que la marque distingue véritablement n'est pas un fardeau aisé, car elle suppose qu'on démontre que la marque, par l'emploi sur une période de temps, est devenue identifiée par le public à une source unique, à savoir les comprimés de 2,5 mg de l'appelante. Pour satisfaire à la définition donnée à l'article 2, l'appelante devait soit établir que la marque « distingue véritablement » ses marchandises de celles d'autres fabricants, soit qu'elle « est adaptée à les distinguer ainsi » .
[21] Il semblerait que la preuve n'arrive pas à établir que la marque « est adaptée à les distinguer ainsi » dans le sens où, comme un mot inventé ou forgé, la marque posséderait un caractère distinctif inhérent et, de ce fait, par sa nature même, constitue un objet approprié d'enregistrement, abstraction faite de l'emploi. L'appelante a présenté au registraire une preuve que l'apparence du comprimé est « arbitraire » , c'est-à-dire ne dépend pas de l'ingrédient actif, et qu'elle a été choisie « pour des raisons de marketing et pour qu'elle soit distinctive » . Toutefois, on ne démontre pas que l'arbitraire de la couleur et de la forme avait l'effet de distinguer les marchandises de l'appelante de celles d'autres fabricants. Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, la couleur à elle seule ne possède normalement pas cette propriété. Et il ne semble pas non plus qu'en l'espèce la combinaison de couleur et de forme avait cet effet sur le marché des produits pharmaceutiques au Canada.
[22] La preuve ne semble pas non plus établir que la combinaison de couleur et de forme des comprimés de l'appelante avait l'effet de « distinguer véritablement » les marchandises de l'appelante de celles d'autres fabricants. L'avocat signale que, comme les comprimés de l'appelante constituaient le seul médicament antihypertenseur délivré sur ordonnance sur le marché canadien qui contenait de la « félodipine » comme ingrédient actif, cela distingue aisément ce médicament des autres médicaments délivrés sur ordonnance puisqu'aucun des autres médicaments invoqués ne contenait cet ingrédient actif. Il n'y avait donc pas de possibilité qu'un autre médicament soit substitué au comprimé de 2,5 mg de PLENDIL. La « félodipine » est même identifiée dans la demande d'enregistrement comme les « marchandises » en liaison avec lesquelles la marque de commerce a été employée au Canada depuis 1994. L'appelante soutient, sur ce fondement, que le registraire et le juge Kelen ont tous deux commis une erreur à cet égard en étendant le marché pertinent à tous les comprimés ronds et jaunes servant au traitement de l'hypertension au lieu de le restreindre aux marchandises indiquées, soit la « félodipine » . En fait, l'intimée a présenté certains éléments de preuve au sujet d'autres comprimés antihypertenseurs jaunes et ronds sur le marché pharmaceutique canadien et fait valoir que le marché de comparaison pertinent est celui de toutes les pilules pharmaceutiques, qui comprend notamment d'autres comprimés antihypertenseurs jaunes et ronds. Cependant, il faut relever que l'ingrédient actif en tant que tel n'est pas demandé par l'appelante comme marque de commerce. La marque de commerce dont l'enregistrement est demandé se compose de la couleur et de la forme, ou de l'apparence, des comprimés de 2,5 mg qui se trouvent à contenir l'ingrédient actif. Pour que la marque dont l'enregistrement est demandé satisfasse à ce volet de la définition du terme « distinctive » à l'article 2, l'appelante devait donc démontrer que, par suite de l'emploi sur une période de temps, la couleur et la forme distinguent véritablement ses comprimés de ceux d'autres fabricants.
[23] L'appelante invoque ici la preuve qu'elle a produite devant la Section de première instance, en insistant particulièrement sur le témoignage, dans l'affidavit Pignataro, selon lequel l'existence d'autres comprimés jaunes au Canada contenant d'autres ingrédients n'a pas d'importance parce [traduction] qu' « un pharmacien ne prendrait en considération aucun de ces comprimés jaunes puisqu'aucun d'entre eux ne pourrait être délivré selon une ordonnance prescrivant la "félodipine" » . Ce témoignage est affaibli par le fait que, plus loin dans le même affidavit, M. Pignataro a concédé : « Évidemment, le pharmacien ne se fiera pas seulement à la couleur et à la forme, mais veillera aussi à ce que d'autres indications de la marque (comme les renseignements donnés sur l'emballage aide-mémoire PLENDIL) correspondent à la marque PLENDIL » . La portée de cette concession est apparente dans le contre-interrogatoire du témoin sur ce point (transcription, 21 juillet 2000, à la page 28) :
[traduction]
Q. Je suppose que, par rapport à la bonne pratique pharmaceutique, vous n'identifieriez jamais les comprimés de 2,5 mg de PLENDIL sur la base de la couleur et de la forme seulement, n'est-ce pas?
R. Je tiendrais compte d'autres facteurs.
Q. Bien, et ces autres facteurs comprendraient les indications apposées, exact?
R. Les indications apposées, la boîte.
Q. Le DIN?
R. Le DIN, assurément.
« DIN » est un acronyme de « drogue : identification numérique » , ce numéro étant attribué par le directeur en vertu des paragraphes C.01.014.(1) et C.01.005.(1) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, pour qu'il soit employé en association avec les médicaments vendus sous forme posologique. De plus, le témoin de l'intimée, Roger Daher, a déclaré au paragraphe 12 de son affidavit du 30 octobre 1996 : [traduction] « Des caractéristiques comme la forme et les autres indications comme les mots et les chiffres sont des parties intégrantes de l'identification et il ne peut y avoir d'identification sans référence à celles-ci » , déclaration qui n'a pas été mise en cause dans le contre-interrogatoire.
[24] Une question identique à celle qui se pose dans le présent appel a été examinée par la Section de première instance dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, à l'égard de l'ingrédient actif « nifédipine » utilisé pour le traitement de l'hypertension et de l'angine et commercialisé sous la marque nominative ADALAT. Le médicament était vendu au Canada en comprimés à libération progressive sous diverses formes posologiques, les comprimés étant de couleur vieux rose et de forme ronde avec des côtés biconvexes. Comme en l'espèce, le médicament n'était délivré au Canada que sur ordonnance et n'était pas interchangeable avec des médicaments d'un autre fabricant servant au traitement du même état pathologique. Le registraire a décidé que cette couleur et cette forme rendaient la marque distinctive. Le juge Evans n'a pas été de cet avis. L'essentiel du raisonnement du juge Evans sur ce point se trouve aux paragraphes 78 et 79 :
En l'espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s'acquitter d'un lourd fardeau pour établir, selon la probabilité la plus forte, qu'en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés à une seule source: voir la décision Standard Coil, précitée, à la page 123. Le fait qu'à l'époque du dépôt de l'opposition de Novopharm, « Adalat » était le seul comprimé de nifédipine à libération progressive sur le marché n'est pas suffisant en soi pour établir une notoriété propre: voir les arrêts Cellular Clothing Company v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326 (H.L.), à la page 346; Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329.
Quatrièmement, il n'est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d'autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d'autres indices d'identification apparaissant sur les bouteilles et l'emballage contenant le produit, ou à l'inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s'il ressort, selon certains éléments de preuve, qu'ils reconnaissent aussi, d'une manière significative, le produit par son apparence (à l'exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu'elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.
Le jugement a été confirmé en appel dans l'arrêt Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.); dans cet arrêt, le juge Strayer a indiqué qu' « [é]tant donné que le caractère distinctif représente essentiellement une question de fait » , le juge Evans « pouvait en arriver à sa propre conclusion sur la question de savoir si cette couleur vieux rose appliquée sur un comprimé avait acquis un caractère distinctif » . Cette position est en accord avec celle qui a été exprimée par le juge Cattanach dans la décision Standard Coil, précitée, à la page 115 : « savoir si la marque de commerce distingue véritablement les marchandises devient alors une question de fait » . Cette conclusion peut se comparer avec la position, en droit des brevets, que la « contrefaçon » au sens défini dans la législation, « est essentiellement une question de fait » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 514.
[25] Bien que la définition de « distinctive » donnée à l'article 2, contrairement au paragraphe 12(2) de la Loi, ne dise pas « devenue distinctive » (notoriété propre), les mots « distingue véritablement » traduisent la même notion générale, c'est-à-dire celle du caractère distinctif acquis par l'emploi de la marque sur une certaine période de temps, question qui dépend largement de conclusions de fait. Les conclusions de cette nature ne doivent pas être modifiées à moins qu'elles ne soient fondées sur une erreur manifeste et déterminante qui ait faussé l'appréciation des faits par le juge Kelen : Stein c. Le navire « Kathy K » , [1976] 2 R.C.S. 802, à la page 808; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247, juge Le Dain, aux pages 1249 et 1250; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 10. On ne trouve dans le dossier aucune indication que le juge Kelen ait commis une erreur de ce type en arrivant à ses conclusions de fait et, en particulier, en constatant que la marque n'était pas distinctive.
[26] Il semblerait qu'en l'espèce également, la tentative de l'appelante pour établir l'apparence de ses comprimés comme marque de commerce a échoué en raison de l'insuffisance de la preuve que le public, notamment les pharmaciens, identifiait cette apparence avec les comprimés de l'appelante et d'aucun autre fabricant. Ainsi qu'il a été déjà indiqué, il n'est pas facile de démontrer que l'apparence est devenue distinctive. En l'espèce, comme nous avons vu, la preuve n'a convaincu ni le registraire ni le juge Kelen que l'apparence seule avait acquis un caractère distinctif en identifiant avec l'appelante les comprimés de 2,5 mg sans l'assistance des renseignements trouvés sur la boîte d'emballage, du nom « PLENDIL » et des indications sur les comprimés eux-mêmes. Certes, la couleur jaune des comprimés de 2,5 mg les distinguait des comprimés roses de 5 mg et des comprimés bruns de 10 mg de l'appelante, contenant le même ingrédient actif, mais il a été jugé que la preuve n'avait pas établi qu'elle était devenue distinctive des comprimés de 2,5 mg sur le marché pharmaceutique canadien. Il n'y a pas de fondement juridique justifiant de modifier cette conclusion.
[27] Pour les motifs qui précèdent, l'appel devrait être rejeté avec dépens.
« A.J. STONE »
Juge
« Je souscris à ces motifs.
Marshall Rothstein, juge »
« Je souscris à ces motifs.
B. Malone, juge »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-668-01
INTITULÉ : ASTRAZENECA AB c. NOVOPHARM LIMITED ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto
DATE DE L'AUDIENCE : 13 janvier 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE STONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
DATE DES MOTIFS : 4 février 2003
COMPARUTIONS :
Gunars A. Gaikis
Nancy Pei POUR L'APPELANTE
Carol Hitchman
Paula Bremner POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gunars A. Gaikis
SMART & BIGGAR
438 University Avenue, Suite 1500
Toronto (Ontario)
M5G 2K8 POUR L'APPELANTE
Page : 2
Carol Hitchman
HITCHMAN & SPRIGINGS
80 Richmond Street West
Toronto (Ontario)
M5H 1T1
POUR L'INTIMÉE
Date : 20030204
Dossier : A-668-01
OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 4 FÉVRIER 2003
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
ENTRE :
ASTRAZENECA AB
appelante
(demanderesse)
et
NOVOPHARM LIMITED
et
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
intimés
(défendeurs)
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec dépens.
« A.J. STONE »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.