Date : 20031114
Dossier : A-702-02
Référence : 2003 CAF 429
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
ENTRE :
PATRICK AYOTTE
Appelant
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Intimé
Audience tenue à Montréal (Québec), le 22 octobre 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
Date : 20031114
Dossier : A-702-02
Référence : 2003 CAF 429
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
ENTRE :
PATRICK AYOTTE
Appelant
et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Le juge des requêtes s'est-il mépris lorsqu'il a conclu que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, à la page 748 ne s'appliquent pas dans le contexte d'un tribunal disciplinaire? Dans l'affirmative, une telle erreur justifie-t-elle, en l'espèce, l'annulation de la condamnation et l'ordonnance d'une nouvelle audition?
[2] Quoique d'autres critiques aient été faites par l'appelant à l'égard du jugement rendu, je les considérerai dans le contexte plus large des deux questions ci-auparavant énoncées.
Les faits et la procédure
[3] Au moment où il fut sommé, le 7 septembre 2001, par un agent des services correctionnels (agent), de fournir un échantillon d'urine pour fin d'analyse, l'appelant purgeait une peine d'emprisonnement à l'établissement de détention Drummond. Pour faciliter la remise de l'échantillon, l'appelant s'est vu remettre un verre d'eau qu'il a ingurgitée. La quantité d'eau remise est toutefois contestée et a fait l'objet de témoignages contradictoires de la part de l'appelant et de l'agent. La preuve révèle également une divergence d'opinions entre ces deux témoins quant à la façon dont l'appelant était vêtu lors de la demande d'échantillon. Ce dernier a soumis que ce fait, jugé non pertinent par le tribunal disciplinaire, était au contraire très pertinent puisque relié à la question de crédibilité de l'agent et qu'il pouvait soulever un doute quant à la quantité d'eau effectivement remise par l'agent à cette occasion.
[4] L'appelant n'a pas fourni l'échantillon demandé dans le délai imparti de deux heures. Il a été alors accusé en vertu de l'alinéa 40l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (Loi), lequel se lit :
40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui :
[...]l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55; |
40. An inmate commits a disciplinary offence who
[...](l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;
|
[5] À son procès disciplinaire, l'appelant fut appelé à témoigner. Il affirma qu'il voulait bien fournir l'échantillon, mais qu'il en fut incapable après plusieurs essais. L'agent a confirmé que l'appelant avait essayé, mais que ce dernier n'avait pu que fournir très peu d'urine dans une bouteille. Il semble que ce soit le cas avant que l'eau ne lui soit donnée.
[6] Au terme d'une décision courte, laconique et empreinte d'ambiguïté, le président du tribunal disciplinaire trouve l'appelant coupable de l'infraction reprochée. Il le condamne à 25 $ d'amende, à 10 jours de détention non suspendue, ainsi qu'à la perte de privilèges. De là la demande de contrôle judiciaire de cette décision faite devant la Cour fédérale. Le 25 novembre 2002, la demande est rejetée avec dépens. Je retiens, à toutes fins pratiques pour les fins de cet appel, deux motifs à l'appui du jugement contesté du juge des requêtes : l'appelant n'a pas été cru par le président du tribunal disciplinaire et ce dernier n'avait pas à appliquer les principes dégagés par la jurisprudence concernant l'évaluation de témoignages contradictoires. Ceci m'amène aux questions soulevées par le présent appel et à l'analyse de la décision du juge des requêtes. Mais auparavant, il n'est peut-être pas inutile de s'arrêter au contexte dans lequel l'infraction reprochée est survenue et de rappeler certains des principes applicables aux poursuites disciplinaires en milieu carcéral.
Certains principes applicables aux poursuites disciplinaires en milieu carcéral
[7] L'infraction reprochée à l'appelant fut commise en milieu pénitentiaire où le maintien de l'ordre et de la discipline ainsi que d'un système rapide et efficace de répression des infractions sont nécessaires à la réalisation des objectifs du système correctionnel. Dans Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.F.), à la page 681, le juge MacGuigan décrivait en termes colorés cette nécessité :
Les pénitenciers ne sont pas des endroits agréables réservés aux personnes aimables. Au contraire, ce sont des lieux d'incarcération où l'on met à l'écart des hommes et des femmes purgeant des peines de plus de deux ans et qui, pour la plupart, sont des criminels endurcis ayant un comportement asocial. Heureusement, le système carcéral aspire toujours à réformer. Cependant, l'ambiance qui y règne rappelle tristement l'état primitif de la nature telle que l'imaginait Hobbes avant l'avènement du Leviathan, où l'être humain menait une vie solitaire, pauvre, malsaine, abrutissante et courte. Dans un tel climat de haine et de discorde, la plus petite étincelle peut mettre le feu aux poudres. Le bon ordre y est encore plus nécessaire et plus fragile que dans des contextes militaires et policiers et son rétablissement, lorsqu'il a été troublé, devient une question d'extrême urgence.
Seul un tribunal bien mal renseigné pourrait ignorer que les autorités des pénitenciers doivent réagir sur-le-champ aux troubles de l'ordre dans la prison et seul un tribunal irréfléchi leur refuserait les moyens de réagir efficacement.
[8] Ceci dit, il est maintenant acquis, et le juge MacGuigan lui-même le reconnaissait dans un arrêt subséquent, Re MacDonald et al. c. Kindler (1987), 41 D.L.R. (4e éd.) 78 (C.A.F.), que le président d'un tribunal disciplinaire est soumis à l'obligation d'agir équitablement dans la conduite des procédures. Plus précisément, comme l'indiquait le juge Dickson dans l'affaire Martineau c. Comité de discipline de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 631, « la simple question à laquelle il faut répondre est celle-ci : compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? » .
[9] Dans l'affaire Hendrickson c. Kent Institution Disciplinary Court (Independent Chairperson) (1990), 32 F.T.R. 296 (C.F. 1ère inst.), le juge Denault dégageait, en particulier à partir de l'arrêt Martineau, précité, les six principes suivants applicables à la poursuite d'infractions disciplinaires en milieu carcéral :
1. A hearing conducted by an independent chairperson of the disciplinary court of an institution is an administrative proceeding and is neither judicial nor quasi-judicial in character.
2. Except to the extent there are statutory provisions or regulations having the force of law to the contrary, there is no requirement to conform to any particular procedure or to abide by the rules of evidence generally applicable to judicial or quasi-judicial tribunals or adversary proceedings.
3. There is an overall duty to act fairly by ensuring that the inquiry is carried out in a fair manner and with due regard to natural justice. The duty to act fairly in a disciplinary court hearing requires that the person be aware of what the allegations are, the evidence and the nature of the evidence against him and be afforded a reasonable opportunity to respond to the evidence and to give his version of the matter.
4. The hearing is not to be conducted as an adversary proceeding but as an inquisitorial one and there is no duty on the person responsible for conducting the hearing to explore every conceivable defence, although there is a duty to conduct a full and fair inquiry or, in other words, examine both sides of the question.
5. It is not up to this Court to review the evidence as a court might do in a case of a judicial tribunal or a review of a decision of a quasi-judicial tribunal, but merely to consider whether there has in fact been a breach of the general duty to act fairly.
6. The judicial discretion in relation with disciplinary matters must be exercised sparingly and a remedy ought to be granted "only in cases of serious injustice" (Martineau No 2, p. 360).
(Je souligne)
[10] La nature inquisitoire du processus disciplinaire en milieu carcéral peut entraîner pour le président du tribunal, qui est obligé de tenir une audition complète et impartiale, l'obligation d'interroger les témoins, incluant le prisonnier à qui l'infraction est reprochée : Re Blanchard and Disciplinary Board of Millhaven Institution and Hardtman, [1983] 1 C.F. 309 (C.F. 1ère inst.).
[11] En somme, le processus disciplinaire en milieu carcéral requiert souplesse et efficacité, mais une souplesse et une efficacité qui doivent être poursuivies et atteintes dans le respect de l'équité procédurale et des dispositions impératives de la loi. Voyons maintenant ce qu'il en fut dans le cas du présent appel.
Analyse de la décision du juge des requêtes
[12] La question de la crédibilité de l'appelant qui est un des deux motifs de rejet invoqués par le juge des requêtes est étroitement liée à celle des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W.(D.), précité. Aussi, commencerai-je par cette dernière qui, comme on le verra, contient les éléments de la problématique ainsi que ceux de la solution au litige.
[13] Le plus simple pour fin d'analyse consiste à reproduire le paragraphe 10 de la décision du juge des requêtes auquel l'appelant s'en prend :
Le demandeur soumet en outre que le président n'a pas respecté les règles de droit concernant l'évaluation de la crédibilité, en présence de versions contradictoires relativement à la quantité d'eau et à l'habillement du demandeur. À cet égard, ce dernier invoque les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W.(D), [1991] 1 R.C.S. 742, à la page 748. Or, ces principes ne représentent qu'un modèle de directives que le juge, dans une affaire criminelle, pourrait donner au jury au sujet de la crédibilité et de la culpabilité de l'accusé, et ne s'applique donc pas dans le contexte d'un tribunal disciplinaire.
[14] Avec respect, les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. W.(D), précité, sont beaucoup plus qu'un simple modèle de directives au jury dans une affaire criminelle. Il s'agit en fait d'une règle de droit applicable à tous les juges et à tous les tribunaux appelés à évaluer et à apprécier la preuve lorsque la loi exige que ceux-ci soient convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé. C'est le cas en l'espèce.
[15] En effet, l'article 43(3) de la Loi stipule que la personne chargée de l'audition d'une plainte disciplinaire en milieu carcéral « ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée » :
43. (3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présente, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée. |
43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.
|
[16] Cette obligation pour le décideur d'être convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé ainsi que la charge imposée au dénonciateur ou au poursuivant de fournir une telle preuve sont inextricablement liées à la présomption d'innocence : R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, au paragraphe 13. « Il s'agit de l'une des principales mesures de protection visant à éviter qu'un innocent soit déclaré coupable » : ibidem. Le défaut de comprendre et de bien appliquer cette norme de preuve porte une atteinte irréparable à l'équité du procès ou de l'audition : ibidem.
[17] Dans la présente affaire, tel que déjà mentionné, l'appelant a plaidé devant le tribunal disciplinaire son incapacité, malgré des efforts raisonnables, de fournir l'échantillon d'urine demandé. Transposée en des termes juridiques, ce que l'appelant n'a pas vraiment fait dans la présentation de ses arguments même s'il était représenté par avocate, cette défense consistait à dire que les éléments de l'actus reus de l'infraction qu'on lui reprochait, soit l'omission ou l'acte de refus, étaient manquants.
[18] En effet, l'omission ou l'acte reprochés à l'appelant, pour être une omission ou un acte coupables, doivent être volontaires : voir R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 57, aux pages 74-75; R. c. Théroux, [1993] 2 R.C.S. 5, à la page 17; Rabey c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 513 aux pages 522-23. L'appelant a, en fait, soutenu devant le tribunal disciplinaire que son refus ou son omission étaient involontaires. Le président du tribunal ne s'est aucunement prononcé sur ce moyen de défense de l'appelant. Il s'est plutôt attardé aux témoignages contradictoires de l'agent et de l'appelant quant à la quantité d'eau ingurgitée pour conclure qu'il ne croyait pas l'appelant et qu'en conséquence il le trouvait coupable.
[19] Le président du tribunal ne pouvait, sans compromettre l'équité procédurale et manquer à son obligation de tenir une audition complète, ignorer le seul véritable moyen de défense soulevé par l'appelant. Pour reprendre les propos du juge Denault dans Hendrickson, précité, ou du juge Addy dans Blanchard, précité, il devait examiner « both sides of the question » . Il pouvait rejeter le moyen de défense avancé par l'appelant, mais il ne pouvait l'ignorer compte tenu de la preuve soumise.
[20] De même, il pouvait soupeser et apprécier la preuve fournie par l'appelant au soutien de sa défense, mais il ne pouvait pas l'ignorer : Canada (Procureure générale) c. Primard, [2003] A.C.F. no. 1400; Maki c. La Commission de l'assurance-emploi du Canada et al., [1998] A.C.F. no. 1129; Boucher c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no. 1378; Lépine c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1990] A.C.F. no. 131; Rancourt c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1996] A.C.F. no. 1429.
[21] Le juge des requêtes aurait dû sanctionner ces deux omissions par le tribunal de considérer des éléments importants et pertinents des procédures, lesquelles ont eu pour effet de priver l'appelant d'une audition complète et juste et ainsi de résulter en une « injustice sérieuse » au sens de l'arrêt Martineau, précité, donnant ouverture au redressement demandé.
[22] En outre, le président du tribunal disciplinaire s'est mal instruit en droit dans cette affaire où la crédibilité était importante puisque toute la preuve reposait sur deux témoignages contradictoires. Même s'il ne croyait pas le témoignage de l'appelant, il devait l'acquitter s'il subsistait un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Même s'il ne croyait pas la déposition de l'appelant, il devait l'examiner dans le contexte de l'ensemble de la preuve et des inférences raisonnables qu'il pouvait tirer de tous et de chacun des éléments de preuve. Mais, au terme de cet examen, il devait l'acquitter s'il n'était pas convaincu hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité. La lecture de la transcription des débats indique clairement que le président du tribunal disciplinaire n'a pas fait cet exercise. Il s'est contenté de faire une équation inappropriée entre culpabilité et absence de crédibilité de l'appelant, altérant ainsi la norme de preuve prévue par la Loi pour fonder un verdict de culpabilité.
[23] Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens et j'annulerais l'ordonnance du juge des requêtes. Procédant à rendre la décision qu'il aurait dû rendre, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire de l'appelant avec dépens, j'annulerais la décision du tribunal disciplinaire rendue contre l'appelant le 27 septembre 2001 et je retournerais l'affaire au tribunal disciplinaire pour une nouvelle audition.
« Gilles Létourneau »
j.c.a.
« Je suis d'accord.
M. Nadon j.c.a. »
« Je suis d'accord.
J.D.Denis Pelletier j.c.a. »
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-702-02
INTITULÉ : PATRICK AYOTTE c. PGC
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 22 octobre 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : le 14 novembre 2003
COMPARUTIONS :
Me Daniel Royer POUR L'APPELANT
Me Éric Lafrenière POUR L'INTIMÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
LABELLE, BOUDRAULT, COTÉ ET ASSOCIÉS POUR L'APPELANT
434, rue Sainte-Hélène,
Montréal (Québec)
H2Y 2K7
MINISTÈRE DE LA JUSTICE POUR L'INTIMÉ
Complexe Guy-Favreau
200 boul. René-Lévesque Ouest
Tour Est, 5e étage
Montréal (Québec)
H2Z 1X4