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                                                                                                                 A-237-96

 

 

CORAM :LE JUGE HUGESSEN

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

Entre :

 

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                               requérante,

 

ET

 

                                       DONNA MAE HEAVYSIDE,

 

                                                                                                                    intimée.

 

 

 

 

 

             Audience tenue à Fredericton (N.-B.) le lundi 9 décembre 1996.

 

 

                      Jugement prononcé à l'audience le 9 décembre 1996.

 

 

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR PRONONCÉS PAR :                                  LE JUGE DÉCARY


 

 

 

 

 

                                                                                                                 A-237-96

 

 

CORAM :LE JUGE HUGESSEN

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

 

 

Entre :

 

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                               requérante,

 

ET

 

                                       DONNA MAE HEAVYSIDE,

 

                                                                                                                    intimée.

 

 

 

 

                            MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                            (Prononcés à l'audience à Fredericton (N.-B.)

                                            le lundi 9 décembre 1996)

 

 

 

 

LE JUGE DÉCARY

 

            La présente demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour de l'impôt a trait aux responsabilités fiscales respectives de deux conjoints en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la «Loi») lorsque l'un des conjoints est libéré après avoir fait faillite.

 

            Les faits ne sont pas contestés.  Le 6 juin 1989, l'époux de l'intimée a transféré 50 % de ses droits de propriété dans un bien à l'intimée qui, grâce à ce transfert, est devenue l'unique propriétaire de ce bien et en a tiré un avantage de 2 759,50 $.  À la date du transfert, l'époux était tenu de payer en vertu de la Loi, pour l'année d'imposition au cours de laquelle le bien a été cédé, ou pour toute année précédente, la somme de 26 783,02 $.

 

            Le 27 octobre 1993, l'époux a fait cession de ses biens et le 2 août 1994, il a obtenu sa libération.

 

            Par voie d'avis en date du 26 septembre 1994, le ministre du Revenu national (le «ministre») a établi une cotisation à l'égard de l'intimée, aux termes de l'article 160 de la Loi, au montant de 4 986,57 $, qui a par la suite été réduit à 2 759,50 $.

 

            L'intimée a contesté cette cotisation et la Cour de l'impôt a accueilli l'appel, essentiellement au motif que la responsabilité solidaire de l'intimée en tant que bénéficiaire du transfert n'existait que dans la mesure où son époux, l'auteur du transfert, demeurait tenu de payer l'impôt en question, que celui-ci, ayant été libéré, n'était plus tenu de payer cet impôt, et qu'il n'y avait donc plus de dette fiscale à l'égard de laquelle l'intimée pouvait être tenue responsable.

 

            Nous ne sommes pas d'accord avec la Cour de l'impôt.

 

            Les paragraphes 160(1) à (3) de la Loi étaient rédigés dans les termes suivants à l'époque pertinente, c'est-à-dire en 1989 :

 

  160. (1)  Where a person has [...] transferred property [...] to

 

(a) his spouse [...]

 

the following rules apply:

 

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor's tax under this Part for each taxation year [...] in respect of any [...] gain from the disposition of, the property so transferred [...] and

 

 

 

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

 

 

 

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

 

(ii) the aggregate of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

 

 

 

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

 

 

 

  (2) The Minister may at any time assess a transferee in respect of any amount payable by virtue of this section and the provisions of this Division are applicable mutatis mutandis in respect of an assessment made under this section as though it had been made under section 152.

 

 

  (3) Where a transferor and transferee have, by virtue of subsection (1), become jointly and severally liable in respect of part or all of a liability of the transferor under this Act, the following rules are applicable:

 

 

(a) a payment by the transferee on account of his liability shall to the extent thereof discharge the joint liability; but

 

(b) a payment by the transferor on account of his liability only discharges the transferee's liability to the extent that the payment operates to reduce the transferor's liability to an amount less than the amount in respect of which the transferee was, by subsection (1), made jointly and severally liable.

 

  160. (1) Lorsqu'une personne a, [...] transféré des biens [...]

 

a) à son conjoint [...]

 

les règles suivantes s'appliquent:

 

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente Partie pour chaque année d'imposition [...] à l'égard de [...] tout gain tiré de la disposition de tels biens, et

 

 

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des deux montants suivants:

 

(i) la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années,

 

 

mais aucune disposition du présent paragraphe n'est réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

 

 

  (2) Le Ministre peut, à une date quelconque, cotiser un bénéficiaire du transfert à l'égard de toute somme payable en vertu du présent article et les dispositions de la présente section s'appliquent mutatis mutandis à une cotisation faite en vertu du présent article comme si elle avait été faite en vertu de l'article 152.

 

 

  (3) Lorsqu'un auteur et un bénéficiaire du transfert sont devenus, en vertu du paragraphe (1), solidairement responsables de tout ou partie d'une obligation de l'auteur du transfert en vertu de la présente loi, les règles suivantes s'appliquent:

 

a) tout paiement fait par le bénéficiaire du transfert au titre de son obligation éteint d'autant l'obligation solidaire;  mais

 

b) tout paiement fait par l'auteur du transfert au titre de son obligation n'éteint l'obligation du bénéficiaire du transfert que dans la mesure où le paiement sert à réduire l'obligation de l'auteur du transfert à une somme inférieure à celle dont le paragraphe (1) a rendu le bénéficiaire du transfert solidairement responsable.

 

 

            L'objet de l'article 160 est d'empêcher un contribuable de se soustraire à son obligation fiscale simplement en transférant son actif à son conjoint ou à toute autre personne visée dans cet article[1].  En rendant le bénéficiaire du transfert personnellement responsable de l'impôt auquel est tenu l'auteur du transfert, l'article 160 autorise le ministre à recouvrer l'impôt dû auprès d'un contribuable qui n'est pas le contribuable original.

 

            Une fois que les conditions du paragraphe 160(1) sont respectées, comme c'est le cas en l'espèce, le bénéficiaire du transfert devient personnellement responsable de l'impôt payable en vertu de ce paragraphe (en l'espèce 2 759,50 $).  Cette responsabilité prend naissance au moment du transfert (en l'espèce le 6 juin 1989) et elle est solidaire avec celle de l'auteur du transfert.  Le ministre peut donc établir «à une date quelconque» une cotisation à l'égard du bénéficiaire du transfert (selon le paragraphe 160(2)) et la responsabilité solidaire du bénéficiaire du transfert ne s'éteint que par le paiement que l'auteur du transfert ou lui-même effectue conformément au paragraphe 160(3)).

 

            La date choisie par le ministre pour établir la cotisation d'impôt à l'égard de la bénéficiaire du transfert n'entraîne aucune conséquence.  Il est bien établi que la responsabilité fiscale découle de la Loi et non pas de la cotisation[2] et qu'en l'espèce c'est le transfert qui a donné naissance à la responsabilité[3].  Par conséquent, l'intimée était personnellement responsable, pour son année d'imposition 1989, de l'impôt sur le revenu à l'égard des gains tirés de la disposition du bien qui lui a été transféré et comme sa responsabilité est solidaire avec celle de son conjoint, cette responsabilité est indépendante de celle de son conjoint et elle ne s'est pas éteinte en même temps que la propre obligation fiscale de son conjoint quand celui-ci a fait faillite en 1994.  Le fait que la cotisation à son égard n'ait été établie qu'en 1994 et uniquement après la libération de son conjoint n'a aucun effet sur sa propre obligation fiscale.

 

            Il semble y avoir eu une certaine confusion dans la jurisprudence, comme en fait foi la décision contestée, concernant les répercussions des dispositions de la Loi sur la faillite (tel était son titre en 1989) sur l'application de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu[4].

 

            Il ne fait aucun doute que la libération du conjoint consécutive à sa faillite le soustrait à son obligation de payer au ministre la somme qu'il devait aux termes de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu; c'est ce qui ressort clairement du paragraphe 178(2) de la Loi sur la faillite.  Mais l'ordonnance de libération n'éteint pas la dette; cette dette est une responsabilité personnelle du conjoint et elle ne porte aucunement atteinte à la responsabilité de l'intimée qui est conjointement liée.  Comme le soulignait le juge Sarchuk, de la C.C.I., dans la décision Garland[5], au sujet de l'article 179 de la Loi sur la faillite[6], il est clair que l'intention de cet article n'est pas de libérer une personne qui était «conjointement liée» au failli au moment de la libération de ce dernier.  À moins qu'un paiement ne soit fait aux termes du paragraphe 160(3) de la Loi, la responsabilité du bénéficiaire du transfert demeure en vigueur, et la libération obtenue aux termes de la Loi sur la faillite n'est tout simplement pas un paiement aux termes du paragraphe 160(3).

 

            Comme la responsabilité du bénéficiaire du transfert remonte au 6 juin 1989, et que la libération subséquente du failli, qui était l'auteur du transfert, n'y porte pas atteinte, le débat devant la Cour de l'impôt quant à l'importance du remplacement des mots «était responsable» dans l'ancienne loi par les mots «est responsable» dans la loi actuelle n'a plus d'importance.  La date à laquelle l'obligation fiscale a pris naissance étant celle du transfert et non pas celle de l'établissement de la cotisation, il importe peu que le verbe utilisé ait été à l'imparfait ou au présent étant donné qu'à la date pertinente, c'est-à-dire le 6 juin 1989, la responsabilité de l'auteur du transfert n'était pas contestée.

 

            Si la Cour permettait à l'intimée de se soustraire à son obligation fiscale à cause de la libération de son conjoint suite à sa faillite, elle entérinerait ce que le législateur a précisément cherché à interdire en adoptant l'article 160.

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, le jugement de la Cour de l'impôt est annulé et la question lui est renvoyée pour nouvelle décision au motif que la cotisation du ministre, réduite par consentement à 2 759,50 $, devrait être confirmée.  Aux termes de l'article 18.25 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, l'intimée sera remboursée de ses dépens raisonnables et pertinents.

 

 

            «Robert Décary»         

                                                                                                                         Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                         

 

François Blais, LL.L.


 

 

                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

                                                                                                                 A-237-96

 

 

Entre :

 

                                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                               requérante,

 

ET

 

                                       DONNA MAE HEAVYSIDE,

 

                                                                                                                    intimée.

 

 

 

                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 


                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              DIVISION D'APPEL

 

             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

N° DU GREFFE :A-237-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SA MAJESTÉ LA REINE

 

- et -

 

DONNA MAE HEAVYSIDE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Fredericton (N.-B.)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :9 décembre 1996

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :  le juge Décary

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Valerie A. MillerPOUR LA REQUÉRANTE

 

 

 

Stephen DoucetPOUR L'INTIMÉE

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

George ThomsonPOUR LA REQUÉRANTE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

 

Jones, Beardsworth & MacLeanPOUR L'INTIMÉE

63, rue Church

C.P. 608

Moncton (N.-B.)



[1]Voir : D'Argys c. Ministre du Revenu national, 92 D.T.C. 1710, à la page 1712, le juge Tremblay, CCI

[2]Voir : La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] C.F. 396, à la page 403 (C.F. 1re inst.), le juge en chef associé Noël; La Reine c. Westbrook Management Ltd. (5 novembre 1996), A-790-95 (C.A.F.) [décision non publiée].

[3]Voir : Ingrao c. Ministre du Revenu national, 89 D.T.C. 42, à la page 44, le juge Bonner, CCI

[4]Comparer les décisions Caplan c. La Reine, 95 D.T.C. 709 (C.C.I.) et Gamache c. La Reine, 96 D.T.C. 1436 (C.C.I.) avec la décision Garland c. M.N.R., 88 D.T.C. 1271.

[5]Précitée, note 4, à la page 1275

[6]L'article 179 de la Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, est formulé dans les termes suivants :

179.  An order of discharge does not release a person who at the date of the bankruptcy was a partner or co-trustee with the bankrupt or was jointly bound or had made a joint contract with him, or a person who was surety or in the nature of a surety for him.

179.  Une ordonnance de libération ne libère pas une personne qui, au moment de la faillite, était un associé du failli ou coadministrateur avec le failli, ou était conjointement liée ou avait passé un contrat en commun avec lui, ou une personne qui était caution ou semblait être une caution pour lui.

 

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