Date : 20010507
Dossier : A-388-00
Référence neutre : 2001 CAF 150
CORAM : LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE ISAAC
LE JUGE MALONE
ENTRE :
DOROTHY A. HUYCK,
ROBERT B. LYMAN et MARGARET M. LYMAN
(au nom de plusieurs résidents des parcs Musqueam et Salish,
énumérés aux annexes « A » et « B » )
appelants
et
LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM
et L'ÉVALUATEUR DE LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM
intimés
(Prononcés à l'audience le 7 mai 2001)
[1] Le présent appel porte sur une décision de la Section de première instance (Huyck c. La Bande indienne de Musqueam, [2000] J.C.F. 582 (1re inst.) (QL), le juge Nadon), qui rejetait la demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 6 juillet 1998 par un tribunal du Conseil d'examen de la Bande indienne de Musqueam (le Conseil), relativement aux évaluations des taxes foncières pour l'année 1997.
[2] La demande s'appuyait sur les motifs suivants : une crainte raisonnable de partialité quant à l'indépendance du Conseil; une crainte raisonnable de partialité quant à l'indépendance de la formation qui a entendu les appels des demandeurs à l'encontre des évaluations de taxes foncières; le défaut de compétence du Conseil; et des manquements, de la part du Conseil, aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale.
[3] Le juge des requêtes a conclu que la non-divulgation par la Bande de la lettre de leur avocat datée du 19 février 1998, ainsi que des motifs de la démission en masse de la première formation, entraînait une crainte raisonnable de partialité. Il a toutefois conclu que les appelants avaient renoncé à leur droit de s'appuyer sur cette constatation, puisqu'ils n'avaient pas formulé leur allégation de crainte raisonnable de partialité à la première occasion où il était pratique de le faire.
[4] Les appelants ne contestent que la partie des conclusions du juge des requêtes qui porte sur la renonciation. Ils soutiennent qu'il ne peut y avoir de renonciation sans une pleine connaissance des faits donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité, et qu'ils n'avaient pas l'obligation d'aller à la pêche en posant des questions pour obtenir une preuve menant à une disqualification alors qu'ils avaient des soupçons, mais aucun renseignement précis. Ils déclarent qu'ils ne connaissaient pas les motifs de la démission de la formation initiale au moment de l'audition devant la nouvelle formation le 11 mai 1998, non plus que le fait que M. Brothers et Mme Roberts avaient été membres du Conseil avant le 7 avril 1998. Ils déclarent que s'ils avaient eu ces renseignements au moment de l'audition, ils auraient demandé la démission de la formation qui a entendu leur cas. Ils soutiennent aussi qu'ils n'avaient pas l'obligation de s'enquérir auprès des membres de la formation initiale, notamment de son ancien président, M. Cavazzi, quant aux circonstances entourant leur démission.
[5] Nous arrivons à la conclusion que le juge des requêtes pouvait s'appuyer sur la preuve pour conclure que les appelants soupçonnaient que quelque chose n'allait pas depuis le tout début, plus précisément dès le 19 février 1998, et qu'ils n'ont pas réagi à la première occasion où il était pratique de le faire.
[6] Voici ce que déclare le juge des requêtes au paragraphe 78 de ses motifs :
...les demandeurs soupçonnaient que quelque chose n'allait pas depuis le tout début. La correspondance en témoigne, plus précisément la lettre adressée par Me Mickelson à Me Fast le 19 février, dans laquelle il lui demandait [Traduction] « qui est responsable d'organiser l'audition de l'affaire - vous-même ou M. Cavazzi » ; la lettre adressée par Me Funt à Me Savage le 27 février, dans laquelle il demandait [Traduction] « une explication complète et honnête. Autrement, il faudra conclure que le processus d'audition comporte un vice fondamental » ; la lettre adressée par Me Funt à Me Fast le 12 mars, dans laquelle il demandait une explication du rôle de la Bande et affirmait que [Traduction] « le défaut de fournir une explication [...] ne servira qu'à exacerber les craintes de beaucoup de nos clients » ; la lettre adressée par Me Mickelson à la Bande le 13 mars (à l'attention de Me Fast) pour demander des renseignements concernant les démissions; enfin, la lettre adressée par Me Mickelson à Me Harvey le 16 avril, dans laquelle il demandait une rencontre entre les demandeurs et la Bande pour qu'ils puissent discuter des démissions, des nouvelles nominations et du nouveau tribunal.
[7] Voici comment les événements se sont déroulés :
.
[8] Les lettres datées des 19 et 27 février 1998 énonçaient les préoccupations des appelants au sujet du rôle contradictoire de la Bande, qui avait nommé M. Gordon au Conseil au début janvier nonobstant l'apparence d'un conflit et qui ensuite s'était objectée au fait qu'il siège comme membre de la formation. La lettre datée du 12 mars 1998 soulevait même la possibilité d'un recours à la Cour fédérale à défaut de réponses adéquates aux questions posées. Le 13 mars 1998, l'avocat des appelants a envoyé une lettre soulevant la question des démissions en masse de la formation initiale et indiquant qu'aucun avis n'avait été donné au sujet de ces démissions ou des dates auxquelles elles avaient été déposées.
[9] Le 7 avril 1998, M. Brothers a écrit aux avocats des appelants au nom du Conseil, pour les informer que le Conseil s'était réuni le 2 avril 1998 et avait choisi une deuxième formation chargée d'entendre l'affaire, suite aux démissions des membres de la formation initiale. Il a déclaré que cette nouvelle formation serait présidée par lui-même, et aurait comme autres membres Mme Roberts, coprésidente, et soit M. Fraser ou M. Rivard, selon leur disponibilité. M. Brothers a donné aux parties la possibilité de soulever toutes les questions qui les préoccupaient. Voici comment il s'est exprimé :
[Traduction] Le Conseil ne veut pas être harcelé par des requêtes touchant la procédure au début des audiences. Si certaines questions préoccupent les parties, elles doivent les porter à notre attention le plus tôt possible, de sorte que je puisse obtenir l'opinion du tribunal chargé d'entendre la cause type.
Vous m'obligeriez en communiquant avec moi le plus tôt possible relativement à l'objet de la présente lettre.
[10] Malgré cette invitation de M. Brothers, les appelants n'ont jamais répondu à sa lettre et ils n'ont jamais soulevé la question d'une crainte raisonnable de partialité. C'est ce qui a amené le juge des requêtes à faire remarquer, au paragraphe 78 de ses motifs, que les appelants n'avaient pas présenté leur objection à la première occasion où il était pratique de le faire.
[11] Le 16 avril 1998, l'avocat des appelants a écrit à l'avocat de la Bande pour indiquer clairement les préoccupations des appelants au sujet de la démission en masse des membres de la formation initiale et pour suggérer la tenue d'une réunion afin d'obtenir des renseignements et des clarifications au sujet de la démission des membres de la formation initiale et de la nomination des nouveaux membres du Conseil. La lettre présentait aussi une préoccupation quant à la perception relative au processus lui-même, afin qu'on ne puisse contester l'intégrité de la nouvelle formation qui devait entendre l'affaire. M. Mickelson écrivait ceci :
[traduction]
La lettre de M. Brothers en date du 7 avril 1998 constitue la première nouvelle que les membres du Conseil avaient été nommés et qu'une formation était constituée. Bien que je ne mets pas en doute le fait que les membres actuels du Conseil se déchargeront de leurs responsabilités d'une manière indépendante et objective, il est important que justice puisse être rendue de façon que, peu importe la décision rendue par le Conseil, elle soit valable quant au fond et ne puisse être perçue comme étant entachée d'un conflit ou de partialité.
[12] Dans une autre lettre datée du 28 avril 1998, qui n'est pas mentionnée par le juge des requêtes, M. Mickelson écrit ceci à M. Harvey (dossier d'appel, volume 2, page 196) :
[traduction]
Il est impératif que cette réunion ait lieu avant l'audition. Il reste peu de temps et j'aimerais que nous convenions d'une date.
Prière de me contacter plus tard aujourd'hui, ou demain.
[je souligne]
Malgré toutes ces demandes de renseignements, lorsque l'audition a eu lieu le 11 mai 1998, devant une formation présidée par M. Brothers et composée de deux autres membres, Mme Roberts et M. Rivard, les propos suivants ont été tenus dans un échange entre M. Mickelson et le président (dossier d'appel, volume 2, pages 118 et 119) :
[Traduction]
LE PRÉSIDENT BROTHERS : [....]Voyez-vous une objection à ce que nous siégions comme tribunal?
Me MICKELSON : M. le président, je n'ai expressément aucune objection et je n'ai aucune inquiétude quant à l'exercice par le Conseil de ses fonctions de façon indépendante et impartiale. Il y a une question que je voulais soulever, et il me semble opportun de le faire maintenant, et je le ferai beaucoup plus brièvement, compte tenu de vos remarques, mais je croyais qu'il pourrait être utile de relater brièvement, très brièvement, ce qui s'est passé depuis - Je n'ai donc pas à le faire, mais je suppose que la seule chose qui est gênante, pas pour moi en qualité d'avocat, mais pour mes clients et c'est réellement une question de processus et une des choses qui préoccupaient mes clients était, premièrement, le délai écoulé avant la reprise de l'audition et il n'a jamais été expliqué. Je ne demande pas au tribunal de l'expliquer -
LE PRÉSIDENT : Nous avons agi à la vitesse de l'éclair.
ME MICKELSON : Oui, je veux seulement - jusqu'au mois d'avril - je n'ai pas de critique -
LE PRÉSIDENT : Je préfère ne pas parler du passé. Je vous parle du présent et de l'avenir.
ME MICKELSON : C'est bien.
LE PRÉSIDENT : Ce qui est passé est passé.
ME MICKELSON : C'est bien, M. le président, j'accepte cela. Je veux seulement, je crois, exprimer au nom de mes clients qu'il est à espérer pour ce qui est du passé que nous pouvons passer à l'avenir aujourd'hui, qu'il y aura des - pas de la part du tribunal, mais des explications qui viendront -
LE PRÉSIDENT : Je vais laisser les parties régler ça.
ME MICKELSON : Merci.
[13] Rien ne vient expliquer l'omission par les appelants de donner suite à leur demande d'une explication de la démission en masse, ainsi que du retard à faire les nominations, nonobstant le fait qu'ils avaient déjà fait état de leurs préoccupations quant à la perception du processus liées à l'intégrité de la nouvelle formation qui devait entendre l'affaire. S'ils avaient soulevé leurs préoccupations devant la nouvelle formation, ils auraient peut-être reçu des explications qui pouvaient les guider dans leur démarche. Le juge des requêtes pouvait tout à fait raisonnablement conclure que les appelants avaient renoncé à leur intention de poursuivre cette question et en déduire qu'ils avaient renoncé à leur droit de soulever la question de la crainte raisonnable de partialité de la part de la formation qui a entendu leur affaire ainsi que de son indépendance, en se fondant sur la démission de la formation initiale comme preuve de cette partialité (Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. à la page 896; Tribunal des droits de la personne c. Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103, à la page 110 (C.A.F.); Abdabrithah c. M.E.I. (1991), 40 F.T.R. 306, aux pages 308 et 309 (le juge Denault)).
[14] Nous concluons que l'affaire en l'instance peut être distinguée de par ses faits des affaires citées par les appelants. (Szilard c. Szast [1955] R.C.S. 3; McGuire v. Royal College of Dental Surgeons (1991), 44 QAC 11 (Div. Ct); NAPE v. Newfoundland (Treasury Board) (1991), 47 Admin. L.R. 149 (C.S. T.-N.); Bailey v. Registered Nurses Assoc. Saskatchewan, [1998] 10 W.W.R. 536 (B.R. Sask.).
[15] Les appelants ne nous ont pas convaincus que le juge des requêtes a commis une erreur en arrivant à sa conclusion. Nous concluons donc qu'il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir en l'instance. Pour ce motif, l'appel est rejeté avec dépens à la Bande intimée seulement. L'évaluateur de l'intimée n'a pas droit aux dépens.
« Alice Desjardins »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : A-388-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Dorothy A. Huyck et autres
c.
La Bande indienne de Musqueam et autre
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.- B.)
DATE DE L'AUDIENCE : le 7 mai 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE DESJARDINS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE ISAAC et LE JUGE MALONE
DATE DES MOTIFS : le 7 mai 2001
ONT COMPARU
Richard R. Sugden, c.r. POUR LES APPELANTS
Craig P. Dennis
Darrell W. Roberts, c.r. POUR L'INTIMÉE
Wendy A. Baker la Bande indienne de Musqueam
John E.D. Savage POUR L'INTIMÉ
l'évaluateur de la Bande indienne de Musqueam
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sugden, McFee & Ross POUR LES APPELANTS
Roberts & Baker POUR L'INTIMÉE
la Bande indienne de Musqueam
Crease Harman & Company POUR L'INTIMÉ
l'évaluateur de la Bande indienne de Musqueam