Date : 20011127
Dossier : A-282-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 27 NOVEMBRE 2001
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE ROTHSTEIN
MADAME LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
LA MUNICH, COMPAGNIE DE RÉASSURANCE
(SUCCURSALE CANADIENNE)
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
L'appel est rejeté avec dépens.
« A.M. Linden »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
Date : 20011127
Dossier : A-282-00
Référence neutre : 2001 CAF 365
CORAM : LE JUGE LINDEN
ENTRE :
LA MUNICH, COMPAGNIE DE RÉASSURANCE
(SUCCURSALE CANADIENNE)
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario) le 22 octobre 2001
Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 27 novembre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : MADAME LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN et
LE JUGE ROTHSTEIN
Date : 20011127
Dossier : A-282-00
Référence neutre : 2001 CAF 365
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE ROTHSTEIN
MADAME LE JUGE SHARLOW
ENTRE :
LA MUNICH, COMPAGNIE DE RÉASSURANCE
(SUCCURSALE CANADIENNE)
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] L'appelante est une société allemande qui, aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, ne réside pas au Canada. En tout temps pertinent, elle exploitait une entreprise d'assurance au Canada et ailleurs et était assujettie à l'impôt en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement au revenu provenant de son entreprise d'assurance canadienne. L'appelante était tenue de verser tous les mois des acomptes provisionnels au titre de sa responsabilité fiscale découlant de la partie I. Pour ses années d'imposition terminées le 31 décembre 1990, 1991, 1992 et 1993, l'appelante a versé des paiements d'impôt en trop afin d'éviter de payer des frais d'intérêt non déductibles.
[2] Pour chacune de ces années d'imposition, l'appelante devait produire une déclaration de revenus au plus tard le 30 juin de l'année suivante. Le montant de l'impôt payé en trop chaque année a été établi lorsque la déclaration de l'appelante relative à l'année en question a fait l'objet d'une cotisation. Conformément à l'article 164 de la Loi de l'impôt sur le revenu, des intérêts devaient être payés sur l'excédent d'impôt pour la période allant du 30 juin de l'année suivante jusqu'au remboursement de l'excédent en question. Le montant d'intérêt que l'appelante a touché s'est élevé à 95 000 $ pour l'année 1990, à 341 000 $ pour l'année 1991, à 216 000 $ pour l'année 1992 et à 784 000 $ pour l'année 1993, soit un total de 1 436 000 $.
[3] Sa Majesté a établi une cotisation à l'encontre de l'appelante au motif que les intérêts versés sur les paiements d'impôt en trop étaient imposables sous le régime de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Elle a invoqué deux arguments. Selon le premier, les intérêts n'étaient pas imposables sous le régime de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, parce qu'ils ne faisaient pas partie du revenu que l'appelante a tiré de l'exploitation de son entreprise d'assurance au Canada. Selon le second argument, les intérêts n'étaient pas imposables sous le régime de la partie XIII de la Loi, en raison de l'exception énoncée à la division 212(1)b)(ii)(C).
[4] Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les intérêts étaient imposables sous le régime de la partie I et a rejeté l'appel : La Munich, compagnie de réassurance c. Canada, [2000] 2 C.T.C. 2785, 2000 D.T.C. 2009, [2000] A.C.I. n ° 195 (C.C.I.). L'appelante interjette maintenant appel de cette décision. Elle admet que l'exception énoncée à la division 212(1)b)(ii)(C) ne s'appliquait pas, mais soutient que les intérêts étaient imposables en vertu de la partie XIII plutôt que de la partie I.
[5] L'appel a été entendu le même jour que celui de la décision que la C.C.I. a rendue dans Irving Oil Limited c. Canada, [2000] 3 C.T.C. 2823, 2000 D.T.C. 2164, [2000] A.C.I. n ° 349 (C.C.I.). Les appels portaient sur des questions similaires. Le jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Irving Oil (A-513-00) est publié en même temps que celui-ci.
Le régime général - Partie I et partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu
[6] Toute personne non résidente du Canada peut être assujettie à l'impôt en vertu de la partie XIII relativement à certains paiements qu'elle reçoit d'un résident du Canada, y compris des intérêts. Pour la présente affaire, la disposition pertinente de la partie XIII est l'alinéa 212(1)b), dont voici le libellé :
212. (1) Toute personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25_% sur toute somme qu'une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel_: [...] |
212. (1) Every non-resident person shall pay an income tax of 25% on every amount that a person resident in Canada pays or credits, or is deemed by Part I to pay or credit, to the non-resident person as, on account or in lieu of payment of, or in satisfaction of, [...] |
b) d'intérêts [...] |
(b) interest [...] |
[7] L'alinéa 214(13)c) permet l'adoption de règlements qui empêchent l'application de la partie XIII dans certaines circonstances. Voici le texte de cette disposition :
214. (13) Le gouverneur en conseil peut prendre des dispositions réglementaires d'ordre général ou particulier, pour l'application de la présente partie, précisant : [...] |
214. (13) The Governor in Council may make general or special regulations, for the purposes of this Part, prescribing [...] |
c) lorsqu'une personne non-résidente exploitait une entreprise au Canada, quelles sommes sont imposables en vertu de la présente partie ou quelle fraction de l'impôt prévu par la présente partie est payable par cette personne. |
(c) where a non-resident person carried on business in Canada, what amounts are taxable under this Part or what portion of the tax under this Part is payable by that person. |
[8] Une disposition de cette nature a été édictée à l'article 802 du Règlement de l'impôt sur le revenu. Cette disposition prévoit ce qui suit :
802. Aux fins de l'alinéa 214(13)c) de la Loi, les sommes imposables en vertu de la partie XIII de la Loi pour une année d'imposition pertinente d'un contribuable sont celles qui ont été versées ou créditées au contribuable pendant l'année d'imposition pertinente, autres que les sommes comprises, en vertu de la partie I de la Loi, dans le calcul du revenu du contribuable découlant d'une entreprise qu'il a exploitée au Canada. |
802. For the purposes of paragraph 214(13)(c) of the Act, the amounts taxable under Part XIII of the Act in a relevant taxation year of a taxpayer are amounts paid or credited to the taxpayer in the relevant taxation year other than amounts included pursuant to Part I of the Act in computing the taxpayer's income from a business carried on by it in Canada. |
[9] Un non-résident qui exploite une entreprise au Canada est assujetti à l'impôt sous le régime de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu en vertu du paragraphe 2(3), qui exige que soit établi le « revenu imposable gagné au Canada » conformément à la Section D, qui se trouve à la partie I. Pour le présent appel, il est nécessaire de citer une seule disposition de la partie D, soit le sous-alinéa 115(1)a)(ii), qui énonce que le revenu imposable d'un non-résident comprend le revenu de toute entreprise qu'il exploite au Canada. Par conséquent, tout montant inclus dans le revenu d'un non-résident qui provient d'une entreprise exploitée au Canada est imposé non pas sous le régime de la partie XIII, mais sous celui de la partie I. À l'inverse, l'intérêt de source canadienne que touche un non-résident et qui n'est pas imposé sous le régime de la partie I est imposable en vertu de la partie XIII (sauf en cas d'exemption).
[10] L'intérêt constitue un revenu, ce qui n'est pas contesté et ne peut l'être. Tout doute à ce sujet est éliminé dans le cas de la plupart des contribuables par l'alinéa 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. De plus, il est indéniable que l'intérêt sur un paiement d'impôt en trop constitue de l'intérêt : Terra Nova Properties Ltd. c. M.R.N., [1967] R.C.É. 46, [1967] C.T.C. 82, 67 D.T.C. 5064 (C. É.).
[11] Cependant, l'intérêt est-il considéré comme un revenu tiré d'un bien ou comme un revenu tiré de l'exploitation d'une entreprise? En fait, l'intérêt n'est pas nécessairement un revenu d'entreprise, mais il peut l'être dans certains cas. La question à trancher en l'espèce est de savoir si l'intérêt que l'appelante a reçu à l'égard de l'impôt qu'elle a payé en trop est un revenu tiré de l'entreprise d'assurance qu'elle exploitait au Canada. Dans la négative, l'appel doit être accueilli.
Article 138 de la Loi de l'impôt sur le revenu - Imposition des compagnies d'assurance
[12] Étant donné que l'appelante est un assureur, il convient d'examiner l'article 138, qui se trouve également à la partie I. L'article 138 de la Loi de l'impôt sur le revenu porte explicitement sur les compagnies d'assurance. L'alinéa 138(1)d) concerne le calcul du revenu d'une compagnie d'assurance :
138.(1) Toute société, qu'il s'agisse ou non d'une mutuelle, qui, au cours d'une année d'imposition, a été partie à des contrats d'assurance ... est ... reputée... avoir exploité une entreprise d'assurance ... et, en pareil cas, pour le calcul du revenu de la société, les règles suivantes s'appliquent_: |
138.(1) It is hereby declared that a corporation, whether or not it is a mutual corporation, that has, in a taxation year, been a party to insurance contracts ... shall ... be deemed ... to have been carrying on an insurance business ... and in any such case, for the purpose of computing the income of the corporation, the following rules apply: |
[...] |
[...] |
d ) sauf disposition contraire du présent article, le revenu doit être calculé conformément aux règles applicables au calcul du revenu dans le cadre de la présente partie; |
(d) the income shall, except as otherwise provided in this section, be computed in accordance with the rules applicable in computing income for the purposes of this Part, |
[13] Selon la façon dont j'interprète l'alinéa 138(1)d), le calcul du revenu d'un assureur en vertu de la partie I est régi par les dispositions générales de cette même partie, sauf dans la mesure où elles sont remplacées par l'article 138. Ainsi, dans le cas d'un montant qui serait inclus dans le revenu en vertu d'une disposition générale de la partie I, si ce même montant est exclu du revenu, de façon expresse ou tacite, par l'article 138, il serait exclu du revenu de l'assureur calculé selon la partie I.
Paragraphe 138(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu - Revenu d'un assureur non résident qui exploite une entreprise d'assurance au Canada et à l'étranger
[14] Dans la présente affaire, la disposition clé de l'article 138 est le paragraphe 138(9), dont le texte est le suivant :
138. (9) L'assureur (sauf une personne résidant au Canada et qui n'exploite pas d'entreprise d'assurance-vie) qui, au cours d'une année d'imposition, exploite une entreprise d'assurance au Canada et à l'étranger doit inclure le total des montants suivants dans le calcul de son revenu pour l'année tiré de l'exploitation de ses entreprises d'assurance au Canada : |
138. (9) Where in a taxation year an insurer (other than a resident of Canada that does not carry on a life insurance business) carried on an insurance business in Canada and in a country other than Canada, there shall be included in computing its income for the year from carrying on its insurance businesses in Canada the total of |
a ) la partie de ses revenus bruts de placements pour l'année tirés de biens utilisés ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation de ces entreprises d'assurance au Canada; |
(a) that part of its gross investment revenue for the year that is gross investment revenue from property used by it in the year in, or held by it in the year in the course of, carrying on those insurance businesses in Canada, and |
b ) le montant supplémentaire prescrit et applicable à l'assureur pour l'année. |
(b) such additional amount as is prescribed in respect of the insurer for the year by regulation. |
[15] Au paragraphe 138(12), l'expression « revenus bruts de placements » est définie de façon à comprendre différents types de revenus de placements, dont les intérêts.
[16] Dans le cas d'un assureur non résident, les mots « biens utilisés ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de » l'exploitation de ces entreprises d'assurance au Canada sont définis au paragraphe 138(12) comme des « biens déterminés conformément aux règles établies par règlement » . Les règles établies se trouvent à l'article 2400 du Règlement de l'impôt sur le revenu, dont le paragraphe (1) prévoit que les « biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada » s'entendent des « biens d'un assureur qu'il désigne ou qu'il doit désigner pour une année d'imposition » .
[17] Sa Majesté soutient que le droit de l'appelante à un remboursement des paiements d'impôt en trop est visé par l'alinéa 2400(1)e) du Règlement. L'appelante n'est pas d'accord. L'alinéa 2400(1)e) du Règlement est ainsi libellé :
2400. (1) Pour l'application de l'alinéa 138(12)l) de la Loi, l'expression « biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de » l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (appelée « entreprise donnée » à la présente partie) s'entend des biens d'un assureur (appelés « biens d'assurance » à la présente partie) qu'il désigne ou qu'il doit désigner pour une année d'imposition; à cette fin, les règles suivantes s'appliquent: [...] |
2400. (1) For the purposes of paragraph138(12)(l) of the Act, "property used by it in the year in, or held by it in the year in the course of" carrying on an insurance business in Canada (in this Part referred to as the "particular insurance business") means the property (in this Part referred to as "insurance property") of an insurer that is designated or required to be designated by the insurer in respect of a taxation year, and for that purpose the following rules apply: [...] |
e) l'assureur est réputé désigner pour l'année les biens ou parties de bien non réservés (sauf les biens de placement) dont il est propriétaire à un moment de l'année et qui sont des biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada (déterminés sans tenir compte du présent paragraphe); |
(e) such non-segregated property or portion thereof (other than investment property) owned by the insurer at any time in the year and used by it in the year in, or held by it in the year in the course of (determined without reference to this subsection), carrying on an insurance business in Canada shall be deemed to have been designated by the insurer for the year; |
[18] Le sort du différend concernant l'application de cette disposition dépend des réponses aux deux questions suivantes :
a) Le droit de l'appelante à un remboursement des paiements d'impôt en trop était-il un « bien de placement » ?
b) Dans la négative, le droit de l'appelante à un remboursement des paiements d'impôt en trop était-il un bien utilisé par elle pendant l'année ou détenu par elle pendant l'année dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance au Canada?
[19] La réponse à la première question est non. L'expression « bien de placement » est définie au paragraphe 2405(3) du Règlement. La définition est longue; cependant, il suffit en l'espèce de préciser que le droit de l'appelante à un remboursement constituera un « bien de placement » si l'appelante a majoré ses acomptes provisionnels dans le but de gagner des intérêts. D'après les actes de procédure et le dossier, aucune des parties n'a soutenu que l'appelante avait versé des paiements d'impôt en trop pour gagner des intérêts. Sa Majesté allègue et le juge de la C.C.I. a admis que l'appelante avait payé de l'impôt en trop afin de s'acquitter de son obligation en matière d'acomptes provisionnels et d'éviter les conséquences négatives découlant d'une dette fiscale. La véracité de cette conclusion ne saurait être mise en doute et l'appelante ne la contredit pas. Il est possible qu'un contribuable verse des paiements d'impôt en trop tant pour gagner des intérêts que pour éviter les conséquences négatives découlant du manque à gagner au plan des acomptes provisionnels. Cependant, aucune des deux parties n'allègue que tel est le cas en l'espèce et je ne vois aucune raison de tirer à ce sujet une conclusion qui irait à l'encontre de la position des deux parties.
[20] Le juge de la C.C.I. a répondu à la seconde question par la négative, mais il a néanmoins rendu une décision défavorable à l'appelante. Voici les motifs qu'il a invoqués à cette fin (paragraphe 48) :
[par. 48] Mis à part l'alinéa 12(1)c) et le paragraphe 138(9), j'estime que le revenu d'intérêt gagné sur les paiements d'impôt en trop au gouvernement du Canada est un revenu tiré d'une entreprise exploitée au Canada. Sa source est le revenu gagnépar l'entreprise de l'appelante au Canada à l'égard duquel l'appelante a une obligation de payer de l'impôt et de verser des acomptes provisionnels. Il n'est pas tiré de placements occasionnels effectués indépendamment de son entreprise. L'appelante verse des acomptes provisionnels parce qu'elle exploite une entreprise au Canada, ce qui l'oblige à faire de tels paiements bien que, pour des motifs commerciaux, elle ait décidéde verser des acomptes provisionnels supérieurs au montant exigible.
[21] Les deux parties font valoir que le juge de la C.C.I. n'aurait pas dû examiner de dispositions autres que le paragraphe 138(9) pour décider si les intérêts en question devaient être inclus dans le revenu de l'appelante calculé selon la partie I. Elles invoquent la règle d'interprétation législative qui exige l'application d'une disposition précise de préférence à une disposition plus générale qui est incompatible avec elle (R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994)). Le juge de la C.C.I. n'a pas retenu cet argument, parce qu'il ne voyait aucune contradiction. En toute déférence, je ne puis souscrire à son avis sur ce point, pour les raisons qui suivent.
[22] Le paragraphe 138(9) et les dispositions connexes du Règlement constituent un régime complexe et détaillé concernant une petite catégorie de contribuables, soit les assureurs qui ne résident pas au Canada, mais qui exploitent une entreprise d'assurance au Canada ainsi qu'à l'étranger, et visant à assurer la répartition raisonnable de certains revenus de placement entre une entreprise d'assurance canadienne et les autres (F. Borgman, Canadian Insurance Taxation (Markham, Ont. : Butterworths, 1998), et R.C. Knechtel, « Taxation of the Life Insurance Industry : The 1978 Tax Reform » , Revue fiscale canadienne, vol. 28, n ° 1, à la page 17).
[23] Un assureur non résident qui est assujetti au paragraphe 138(9) doit, en vertu de cette disposition, déterminer la partie de ses revenus de placements tirés « de biens utilisés ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de l'exploitation » de ces entreprises d'assurance au Canada. Exiger d'un assureur non résident qu'il examine d'autres dispositions que le
paragraphe 138(9) pour déterminer le caractère fiscal de son revenu de placement rendrait cette disposition assez redondante relativement au problème qu'elle vise à solutionner ou rendrait le revenu de placement imputé aux entreprises canadiennes inférieur ou supérieur à celui qui est calculé selon ce même paragraphe. Il n'y a aucune raison de penser que le Parlement souhaitait cette redondance ou cette incompatibilité.
[24] Je conviens donc avec les deux parties que les intérêts reçus à l'égard des paiements d'impôt versés en trop par l'appelante doivent être exclus du revenu calculé selon la partie I, à moins qu'ils ne soient visés par le paragraphe 138(9). Il s'ensuit que le présent appel doit être accueilli, si le droit de l'appelante à un remboursement de ses paiements en trop d'impôt n'a pas été utilisé ou détenu par l'appelante pendant l'année dans le cadre de l'exploitation de ses entreprises d'assurance au Canada. Je reviens maintenant à cette question clé.
[25] L'expression « biens utilisés par lui pendant l'année ou détenus par lui pendant l'année dans le cadre de » l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada, qui se trouve à l'alinéa 2400(1)e) du Règlement, est utilisée selon son sens ordinaire. L'appelante fait valoir que le droit à un remboursement de paiements d'impôt en trop ne peut en aucun cas être un bien utilisé pendant l'année ou détenu pendant l'année dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise, parce qu'il ne découle pas de l'exploitation d'une entreprise, mais d'une mesure visant à assurer le respect des règles relatives à l'impôt sur le revenu.
[26] Au soutien de cette proposition, l'appelante cite le principe bien établi selon lequel le paiement d'impôt sur le revenu n'est pas une dépense faite dans le but de gagner un revenu, parce qu'il s'agit d'une dépense faite à l'aide d'un revenu déjà gagné : Roenisch c. M.N.R., [1931] R.C.É. 1, [1931] 2 D.L.R. 90, 1 D.T.C. 199, First Pioneer Petroleums Ltd. c. M.R.N., [1974] C.T.C. 108, 74 D.T.C. 6109, 43 D.L.R. (3d) 722 (C.F. 1re inst.). Ce principe ne saurait être contesté, mais il ne s'applique pas selon moi en l'espèce. Dans l'affaire Roenisch, la question à trancher était de savoir si une dépense au titre d'une dette fiscale est une dépense faite dans le but de gagner un revenu. Dans le présent appel, il s'agit plutôt de savoir si l'intérêt reçu en raison du paiement en trop d'une dette fiscale liée à une entreprise donnée est un montant reçu dans le cadre de l'exploitation de cette entreprise.
[27] L'appelante invoque également des jugements plus récents où il a été décidé qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, un avantage découlant exclusivement des dispositions de la loi fiscale n'est pas un bénéfice et qu'une entreprise ne peut se composer d'une transaction dont le seul but est de réduire l'impôt qui serait par ailleurs exigible : Moloney c. Canada, [1992] A.C.F. n ° 95, [1992] 2 C.T.C. 227, 92 D.T.C. 6570 (C.A.F.); Loewen c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 75, 94 D.T.C. 6265 (C.A.F.). Je ne puis faire la moindre analogie entre ces décisions et la présente affaire. Les mesures que l'appelante a prises n'étaient pas des transactions d'évitement fiscal ni des mesures visant à tirer un bénéfice de déductions d'impôt ou de crédits d'impôt prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante a simplement décidé de majorer ses acomptes provisionnels afin de respecter ses obligations fiscales au plus bas coût possible.
[28] Les décisions que l'appelante a citées ne permettent pas de dire que le droit à un remboursement ne peut en aucun cas être un bien utilisé ou détenu dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise. La question est de savoir si, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le droit de l'appelante au remboursement était un bien que l'appelante a utilisé ou détenu dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance. Je conviens avec le juge de la Cour canadienne de l'impôt que, dans les circonstances, l'analyse devrait porter principalement sur la « détention » du bien.
[29] Pour trancher cette question, le juge de la C.C.I. a cité l'arrêt Ensite Limited c. R., [1986] 2 R.C.S. 509, [1986] A.C.S. n ° 62, [1986] 2 C.T.C. 459, 86 D.T.C. 6521. Ensite était un fabricant de véhicules automobiles. La question à trancher dans cette affaire était de savoir si certains dividendes qu'Ensite avait touchés constituaient un « revenu de placements à l'étranger » au sens du paragraphe 129(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La réponse à cette question aurait été affirmative si les actions qui constituaient la source des dividendes n'avaient pas été « utilisées ou détenues par la société pendant l'année dans le cadre de l'exploitation de son entreprise » . Le juge Wilson, qui s'exprimait au nom de la Cour, a adopté le critère suivant du jugement qu'a rendu le juge Le Dain dans La Reine c. Marsh & McLennan, Ltd., [1984] 1 C.F. 609, [1983] C.T.C. 231, 83 D.T.C. 5180 (C.A.F.) (à la page 517) :
Le fonds a-t-il été employé comme capital de risque dans l'entreprise? Selon moi, il l'a été puisqu'un montant égal à ce fonds spéculatif a été engagédans l'exploitation de l'entreprise afin de remplir les obligations de la compagnie face aux assureurs.
Le juge Wilson fournit des explications plus détaillées à ce sujet aux pages 520 et 521 :
[...] Mais le terme « risqué » signifie plus qu'un risque éloigné. Il ne suffit pas que le bien soit utilisé à des fins commerciales. On satisfait aux exigences minimales du critère dès lors que le retrait du bien aurait « un effet nettement négatif sur les opérations de la compagnie » [...] Cela créerait une distinction entre le placement de bénéfices provenant d'activités commerciales afin d'atteindre quelque but accessoire comme le remplacement à long terme d'un bien immobilisé [...] et un placement effectuépour satisfaire àune condition qui doit obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités commerciales [...]. C'est dans ce dernier cas seulement que si on n'affectait plus ce bien de cet usage, l'exploitation de l'entreprise en souffrirait notablement. Il en va de même d'une condition qui n'est pas obligatoire, mais qui est néanmoins intimement liée aux activités commerciales en question, telle que la nécessité de régler certaines réclamations périodiques résultant de ces activités [...].
[...] Le critère applicable consiste non pas à déterminer si le contribuable s'est vu dans l'obligation d'employer un bien déterminé pour exploiter son entreprise, mais plutôt à se demander si ce bien a été utilisépour satisfaire àune exigence qui devait être remplie pour qu'il puisse exploiter son entreprise. Dans cette dernière hypothèse, il s'agirait véritablement d'un bien employé et risqué dans l'entreprise. En l'espèce, le bien en cause a été employépour satisfaire àune condition qui devait obligatoirement être remplie avant d'entreprendre des activités commerciales; loin de revêtir un caractère accessoire, ce bien est employé et risqué au sens le plus strict dans l'entreprise du contribuable. Il s'agit d'un bien dont la société a eu l'usage ou la possession aux fins de son entreprise.
[30] Après avoir cité cet extrait, le juge de la C.C.I. a statué que le droit de l'appelante à un remboursement des paiements d'impôt en trop n'était pas un bien que l'appelante a employé ou risqué dans son entreprise d'assurance au Canada au sens où l'entendait le juge Wilson. C'est la raison pour laquelle il a conclu que le droit au remboursement n'était pas un bien que l'appelante a utilisé ou détenu dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance au Canada.
[31] En toute déférence, je ne puis être d'accord avec l'application que fait le juge de la C.C.I. de l'arrêt Ensite en l'espèce. Dans ce dernier jugement, le contribuable était un fabricant et tentait de prouver que ses activités de placement ne faisaient pas partie de son entreprise de fabrication, tandis que Sa Majesté tentait de lier les deux secteurs d'activité ensemble. Dans la présente affaire, l'appelante est un assureur. Elle ne soutient pas que la majoration de ses acomptes provisionnels au titre de l'impôt constitue une activité de placement ou une activité commerciale séparée de son entreprise d'assurance. Elle allègue plutôt que cette pratique n'est en aucun cas une activité commerciale. D'après les faits mis en preuve, c'est le seul argument qu'elle pouvait invoquer.
[32] Sa Majesté fait valoir que, dans la présente affaire, le paiement d'impôt en trop était une activité commerciale, parce que le droit à un remboursement du paiement était un bien productif de revenu et qu'un bien productif de revenu d'un assureur est dans tous les cas un bien utilisé ou détenu par celui-ci dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance. Au soutien de cette proposition, Sa Majesté cite les arrêts The Liverpool and London and Globe Insurance Co. c. Bennett (Surveyor of Taxes), [1913] A.C. 610 (C.L.), et Marsh & McLennan Ltd.. À mon avis, ces arrêts n'établissent pas un principe aussi catégorique. Dans l'arrêt Marsh & McLennan Ltd., le juge suppléant Clement statue que la décision dépend des faits de l'affaire et c'est également le raisonnement qui a été suivi dans l'arrêt Liverpool. Même si je reconnais qu'un assureur doit nécessairement poursuivre des activités de placement dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance, il peut néanmoins avoir des placements qui ne font pas partie de son entreprise d'assurance.
[33] Toutefois, dans la présente affaire, aucun fait ne permet de conclure que le droit de l'appelante aux remboursements d'impôt n'est pas né dans le cadre de l'exploitation de son entreprise d'assurance. L'obligation de l'appelante de payer ses impôts calculés selon la partie I s'explique par le fait qu'elle a tiré un bénéfice de l'exploitation d'une entreprise d'assurance au Canada. Les décisions de nature gestionnelle que l'appelante a prises pour se conformer à ses obligations fiscales de la façon la plus avantageuse possible étaient des décisions concernant la façon d'utiliser l'actif de son entreprise d'assurance et, en ce sens, ces décisions ont été prises dans le cadre de l'exploitation de son entreprise. Il s'ensuit que le droit de l'appelante d'obtenir le remboursement de ses paiements en trop d'impôt était un droit acquis dans le cadre de l'exploitation de son entreprise. Par conséquent, ce droit était un bien détenu dans le cadre de l'exploitation de cette entreprise et un bien visé par le paragraphe 138(9).
[34] L'appel devrait être rejeté avec dépens.
« K. Sharlow »
Juge
« Je souscris à ces motifs.
A.M. Linden »
« Je souscris à ces motifs.
Marshall Rothstein »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : A-282-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : La Munich, compagnie de réassurance
(succursale canadienne)
c.
Sa Majesté La Reine
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 22 octobre 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : le juge Sharlow
Y ONT SOUSCRIT : le juge Linden et
le juge Rothstein
DATE DES MOTIFS : le 27 novembre 2001
COMPARUTIONS :
Michael E. Barrack
Gabrielle M.R. Richards POUR L'APPELANTE
Livia Singer POUR L'INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McCarthy Tétrault
Toronto (Ontario) POUR L'APPELANTE
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario) POUR L'INTIMÉE