Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.) [2002] 2 C.F. 413
Date : 20011114
Dossier : A-457-00
Référence neutre : 2001 CAF 345
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
SHAHID HASAN KHAN
intimé
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 octobre 2001.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y SOUSCRIVENT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE MALONE
Date : 20011114
Dossier : A-457-00
Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001.
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
SHAHID HASAN KHAN
intimé
JUGEMENT
L'appel est accueilli, la décision du juge des requêtes est annulée et il est répondu ainsi aux questions certifiées :
Question 1 : Un demandeur de visa devrait-il avoir la possibilité non seulement de produire des preuves médicales nouvelles, mais également de réagir à la conclusion selon laquelle il imposera un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens?
Réponse : Oui.
Question 2 : Dans quelle mesure les éléments sur lesquels a été fondée la conclusion se rapportant au fardeau excessif doivent-ils être divulgués au demandeur?
Réponse : Si un demandeur de visa est informé du diagnostic médical, du pronostic médical et des services susceptibles d'être requis, et s'il apprend que, vu son état de santé, son admission imposerait un fardeau excessif pour les services médicaux ou sociaux, l'équité ne requiert pas en principe d'autres communications, du moins lorsqu'il n'est pas demandé de renseignements complémentaires.
« A.M. Linden »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20011114
Dossier : A-457-00
Référence neutre : 2001 CAF 345
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
appelant
et
SHAHID HASAN KHAN
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EVANS
A. INTRODUCTION
[1] Shahid Hasan Khan, un ressortissant du Pakistan résidant aux Émirats arabes unis, a demandé un visa à titre d'immigrant indépendant pour lui permettre, ainsi qu'à son épouse et à ses deux enfants, de devenir des résidents permanents du Canada. La demande a été refusée parce que l'un des enfants, Abdullah, a été jugé non admissible pour raisons médicales.
[2] Les médecins agréés des Services de santé de l'immigration sont arrivés à la conclusion qu'Abdullah ne souffrait que d'une forme relativement bénigne du syndrome de Down, mais qu'il aurait besoin d'une diversité de services sociaux et qu'il était non admissible selon le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, parce qu'il était susceptible d'imposer un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. En tant que parent accompagnant une personne à charge non admissible, M. Khan était lui-même non admissible en vertu du paragraphe 19(2) et sa demande de visa a donc été refusée.
[3] Le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision de l'agente des visas, au motif qu'elle avait été prise en violation du devoir d'équité. Plus précisément, le juge a estimé que M. Khan n'avait pas eu une occasion raisonnable de se faire entendre avant que l'agente des visas ne refuse de lui délivrer un visa, parce que la lettre l'informant que l'agente comptait refuser le visa ne l'invitait pas expressément à présenter des éléments nouveaux sur l'aspect du fardeau excessif, ni ne lui expliquait avec assez de détails en quoi cet aspect posait un problème.
[4] Le juge a certifié des questions portant sur l'équité procédurale du processus décisionnel et le ministre a fait appel.
B. LES FAITS
[5] Les médecins agréés ont fondé leur opinion sur quatre rapports qu'avait obtenus la famille Khan concernant Abdullah. Deux d'entre eux, qui avaient été obtenus lorsqu'il avait environ dix-huit mois, intéressent assez peu les points en litige dans le présent appel. Tous deux indiquaient qu'Abdullah souffrait du syndrome de Down; l'un mentionnait aussi qu'il avait eu le coeur malade, mais ce problème s'était résorbé de lui-même.
[6] Dans l'un des deux rapports intéressant le présent appel, le Dr Hamden, un psychologue, mentionnait qu'il avait établi le quotient intellectuel d'Abdullah dans les 70 et qu'il avait décelé chez lui un léger retard mental causé par le syndrome de Down, avec un potentiel d'apprentissage allant de modéré à bon. Selon lui, à l'âge adulte, Abdullah allait probablement être en mesure de gagner sa vie et de fonctionner adéquatement dans la plupart des circonstances de la vie requérant une autonomie.
[7] Quant à l'avenir plus immédiat d'Abdullah, le Dr Hamden affirmait qu'Abdullah aurait tout intérêt à entrer dans un établissement spécialisé d'enseignement professionnel et qu'il aurait besoin d'une orthophonie, mais qu'il ne nécessiterait pas de soins en établissement, ni d'une surveillance dépassant le niveau minimal. Le Dr Hamden avait aussi des commentaires très favorables sur le soutien qu'Abdullah recevait de ses parents, en concluant que cela devrait lui permettre de fonctionner au niveau le plus élevé de son « registre propre de développement intellectuel » .
[8] Dans l'autre rapport, un pédiatre faisait état du retard d'Abdullah dans l'apprentissage de la parole, mais il concluait ainsi :
[TRADUCTION] Abdullah est un garçon de deux ans et trois mois, atteint d'une forme non compliquée du syndrome de Down. Dans l'évaluation de son développement, il a obtenu d'excellents résultats, et je dirais qu'il est au-dessus de la moyenne par rapport à la plupart de mes patients atteints de ce syndrome.
[9] Finalement, je dois mentionner que le demandeur a par la suite obtenu un autre avis médical aux fins du présent litige. Cet avis appuyait résolument la position des parents de l'enfant et critiquait sévèrement les conclusions des médecins. Cependant, puisque l'agente des visas n'avait pas ce rapport devant elle lorsqu'elle a rendu sa décision, il est sans intérêt pour les points soulevés dans le présent appel.
[10] Cette affaire repose largement sur une lettre en date du 3 mai 1999 que l'agente des visas avait envoyée à M. Khan, aux soins de son avocat à Toronto. Il s'agissait de la lettre type envoyée dans les cas de non-admissibilité pour raisons médicales, une lettre généralement appelée « lettre de seconde chance » parce qu'elle donne aux demandeurs de visas la possibilité de présenter des éléments nouveaux à l'appui de leur demande et de répondre aux inquiétudes de l'agent des visas avant qu'il ne rende une décision finale sur la demande de visa.
[11] Le formulaire d'avis médical est un autre document important. Il avait été préparé pour l'agente des visas s'occupant de la demande des Khan par les médecins des Services de santé de l'immigration. Le formulaire résumait les évaluations médicales et psychologiques d'Abdullah présentées par M. Khan. Il n'a pas été montré aux Khan, bien que son contenu fût plus ou moins reproduit dans la lettre de seconde chance. L'avocat de M. Khan a engagé une controverse sur la pertinence des deux documents : le sommaire des rapports du psychologue et du pédiatre contenu dans le formulaire d'avis médical, et le sommaire, figurant dans la lettre de seconde chance, des renseignements contenus dans le formulaire d'avis médical.
[12] Sous la rubrique « Retard du développement » , le formulaire d'avis médical mentionne ce qui suit :
[TRADUCTION] Ce garçon de trois ans a montré un retard surtout dans l'acquisition du langage et il a déjà eu un défaut septal ventriculaire qui s'est corrigé spontanément. Des études psychométriques ont été présentées par un psychologue agréé (études menées en janvier 1999), qui indiquent un pronostic favorable laissant espérer une scolarité normale et une vie productive. Cependant, il a indiqué que l'enfant aurait « modérément » besoin de services spéciaux d'enseignement, d'une surveillance « minimale » , d'une réadaptation par le travail et surtout d'un traitement orthophonique. Les nécessités d'une éducation spéciale, de services d'orthophonie, d'un développement des aptitudes à la vie en société et d'une structure prolongée de soutien imposeront probablement un fardeau excessif aux services sociaux canadiens.
Ce document résumait aussi le diagnostic médical et le pronostic médical, ainsi que le niveau des services dont Abdullah allait probablement avoir besoin, avec des chiffres et des lettres correspondant au diagramme « Profil médical - Résumé de l'évaluation » contenu dans le Guide des médecins agréés.
[13] La lettre de seconde chance reproduisait fidèlement la partie narrative du formulaire d'avis médical cité plus haut, y compris la dernière phrase, mais elle omettait le profil médical. Puis la lettre mentionnait qu'un visa pouvait être refusé parce que l'état de santé d'Abdullah allait probablement imposer un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens, mais que, avant que l'agente des visas ne rende sa décision, M. Khan pouvait, dans un délai de soixante jours après la date de la lettre, [TRADUCTION] « réagir à la description de l'état de santé de votre personne à charge, en présentant de nouveaux éléments » .
[14] L'avocat de M. Khan a réagi dans une lettre envoyée bien avant la date limite indiquée. Il disait à l'agente des visas qu'il n'avait pas de nouvelles informations médicales, mais il présentait des arguments portant sur la question du fardeau excessif. L'agente des visas envoya une copie de cette lettre aux médecins agréés, mais la lettre ne les fit pas changer d'opinion. Par conséquent, confirmant la décision qu'elle envisageait de rendre, l'agente des visas a refusé de délivrer des visas aux Khan parce qu'Abdullah n'était pas admissible pour des raisons médicales.
C. LE JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
[15] Le juge des requêtes a estimé que l'affaire dont elle était saisie avait de nombreux points communs avec l'affaire Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62, à tel point qu'elle reproduisit abondamment les motifs de ce précédent, sans faire elle-même une analyse approfondie. Elle a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé le refus de l'agente des visas, « compte tenu de l'affaire Wong précitée, et de la preuve dont je dispose » .
[16] Le juge des requêtes a certifié deux questions.
Question 1 : Un demandeur de visa devrait-il avoir la possibilité non seulement de produire des preuves médicales nouvelles, mais également de réagir à la conclusion selon laquelle il imposera un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens?
Question 2 : Dans quelle mesure les éléments sur lesquels a été fondée la conclusion se rapportant au fardeau excessif doivent-ils être divulgués au demandeur?
C. QUESTIONS ET ANALYSE
[17] Comme les questions certifiées par le juge des requêtes sont exprimées en termes plutôt généraux, je les reformulerai, aux fins de l'analyse, d'une manière qui reflète plus exactement les aspects du problème à mesure qu'ils sont apparus durant les arguments.
Question 1 : Les termes de la lettre de seconde chance refusaient-ils à M. Khan une possibilité raisonnable de produire des éléments concernant la conclusion selon laquelle, si Abdullah était admis, son état de santé allait probablement imposer un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens?
[18] Les parties ont reconnu que le devoir d'équité exige qu'un demandeur de visa ait une possibilité raisonnable de réagir aux préoccupations de l'agent des visas avant que sa demande ne soit rejetée. Elles divergeaient cependant sur la question de savoir si ce devoir avait été accompli dans le cas présent. L'avocate du ministre a prétendu qu'il l'avait été, alors que l'avocat de M. Khan affirmait le contraire.
[19] S'autorisant des motifs de l'arrêt Wong, précité, l'avocat de l'intimé a avancé que le droit de M. Khan à l'équité procédurale avait été nié parce qu'il n'avait pas eu une possibilité suffisante de répondre aux préoccupations de l'agente des visas concernant la question du fardeau excessif. Selon l'avocat de l'intimé, il était raisonnable pour quiconque lisait la lettre de seconde chance, qui invitait le destinataire à produire de nouvelles informations concernant le diagnostic médical et le pronostic médical, d'en déduire que de nouvelles informations concernant la question du fardeau excessif ne seraient pas recevables.
[20] À mon avis, cet argument est insoutenable, pour deux raisons. D'abord, dans sa réponse à la lettre de seconde chance, l'avocat de M. Khan, un avocat d'expérience dans le domaine de l'immigration, a en fait réagi à l'énoncé de la lettre de seconde chance selon lequel un visa pouvait être refusé parce que l'admission d'Abdullah au Canada allait probablement imposer un fardeau excessif aux services sociaux. L'avocat a ainsi relevé la bénignité de la forme du syndrome de Down dont était atteint Abdullah, le pronostic favorable du médecin et du psychologue qui l'avaient examiné et les services spécialisés restreints qui, selon eux, allaient probablement être nécessaires, enfin le soutien et la stimulation très bénéfiques que la famille avait été en mesure d'apporter. Il joignait également une décision de la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, décision qui, indiquait-il, était analogue à la présente affaire et était favorable à son client.
[21] La lettre envoyée au nom de M. Khan abordait par conséquent la question du fardeau excessif. On ne saurait donc dire que, parce que la lettre de seconde chance invitait expressément le destinataire à ne présenter que des informations médicales nouvelles, M. Khan s'est vu de ce fait privé de l'occasion de s'exprimer sur la question du fardeau excessif.
[22] Deuxièmement, le devoir d'équité ne requiert pas que le demandeur de visa soit expressément invité à produire de nouveaux éléments tant sur les conclusions médicales que sur la question du fardeau excessif. C'est au demandeur qu'il appartient d'établir son admissibilité à un visa. Dans ce contexte, le fait qu'il ne soit pas expressément invité à s'exprimer sur une question n'équivaut pas à une interdiction pour lui de s'exprimer. Après tout, la lettre mentionne clairement que l'agente des visas n'a pas encore pris de décision sur la non-admissibilité pour raisons médicales. Il serait certes prudent pour le ministre de modifier le modèle de la lettre de seconde chance afin que les demandeurs de visas sachent parfaitement qu'ils peuvent produire des éléments nouveaux portant sur les deux questions, mais la loi n'astreint pas le ministre à une norme de perfection dans les formalités.
[23] Nombreux sont les précédents qui permettent d'affirmer que, si la lettre de seconde chance ne renferme pas une invitation explicite à produire des éléments nouveaux sur la question du fardeau excessif, cela ne signifie pas pour autant que le demandeur de visa se voit refuser le droit à une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations en la matière, quand bien même la lettre l'invite-t-elle expressément à produire des éléments nouveaux sur les conclusions médicales : Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 865, au paragraphe 21 (C.F. 1re inst.); Yogswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 129 F.T.R. 151, aux paragraphes 4-6; Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 311, aux paragraphes 15-17; Koudriachov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 138, au paragraphe 34.
[24] L'affaire Wong, précitée, n'appelle pas non plus nécessairement un résultat contraire sur ce point. Il est vrai que le juge Reed y mentionne (précité, au paragraphe 25) que la lettre de seconde chance, qui était essentiellement la même que celle envoyée dans le cas qui nous occupe, « aurait dû préciser qu'on pouvait fournir des renseignements permettant de répondre à la partie de l'avis portant sur le fardeau excessif » . Cependant, elle ne voulait pas dire par là que l'omission constituait un manquement au devoir d'équité. Ce n'est certainement pas cela qu'elle dit.
[25] En revanche, le juge Reed débute le paragraphe suivant (le paragraphe 26) par les mots « Mais ce qui est encore plus important » et elle le termine en disant qu'il y a eu manquement au devoir d'équité lorsque les fonctionnaires n'ont pas répondu à la demande de l'avocat désireux d'obtenir des détails sur le fondement de la conclusion selon laquelle, en raison de l'état de santé de l'enfant en question, son admission allait probablement imposer un fardeau excessif pour les services sociaux. On peut déduire de cela que, dans le paragraphe antérieur, le juge Reed voulait seulement dire que, pour des raisons de bonne administration, les termes de la lettre auraient dû inviter le destinataire à s'exprimer sur la question du fardeau excessif, et non que les termes en question constituaient un manquement au devoir légal d'équité.
Question 2: Eu égard aux circonstances de la présente affaire, le droit de l'intimé à l'équité procédurale a-t-il été nié parce que la lettre de seconde chance ne révélait pas le fondement de l'opinion des médecins à propos des services sociaux dont Abdullah aurait probablement besoin s'il était admis au Canada, et le fondement de leur conclusion selon laquelle il imposerait par là un fardeau excessif pour les services sociaux?
[26] L'avocat du ministre a fait valoir que, en règle générale, lorsqu'un demandeur de visa est informé du diagnostic médical et du pronostic médical, ainsi que des services qui risquent par conséquent d'être nécessaires, le devoir d'équité ne signifie pas que l'agent des visas doit donner des détails complémentaires sur les raisons pour lesquelles l'intéressé aura besoin de ces services, ou indiquer le fondement de la conclusion selon laquelle le fardeau qui en résultera serait excessif.
[27] Au soutien de cette proposition, l'avocat du ministre s'est fondé sur l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 312, où le juge Malone a estimé (au paragraphe 15) que le devoir d'équité avait été rempli, parce que le demandeur avait reçu le formulaire d'avis médical, lequel indiquait [TRADUCTION] « les coûts médicaux futurs, le diagnostic, le pronostic, les services sanitaires et sociaux requis par l'état de son épouse, enfin l'évaluation défavorable, tout cela accompagné d'une invitation à répondre » . L'équité n'obligeait pas l'agent des visas à aller plus loin que cela, ni [TRADUCTION] « à divulguer les détails complets de la méthode d'évaluation des médecins agréés » : Jang, au paragraphe 14.
[28] L'avocat du ministre a admis que, dans les cas exceptionnels, l'équité peut requérir la communication de détails supplémentaires, par exemple lorsque des renseignements additionnels sont expressément demandés (par exemple dans l'affaire Wong, précitée), lorsque le demandeur n'est pas clairement informé à la fois du diagnostic et du pronostic concernant l'état de santé, ou lorsque de nouveaux renseignements ou des politiques internes n'apparaissent pas dans la lettre de seconde chance (voir par exemple l'affaire Maschio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 138 F.T.R. 210).
[29] J'admets que, lorsqu'un demandeur est clairement informé du diagnostic médical et du pronostic médical, ainsi que des services susceptibles d'être requis, il a nécessairement connaissance des motifs de l'éventuel refus et il a la connaissance requise pour mener l'affaire plus loin. Dans ces conditions, le ministre n'est pas tenu en principe de divulguer dans la lettre de seconde chance les détails au soutien de la conclusion selon laquelle un visa pourrait être refusé parce que l'admission de l'intéressé est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services médicaux ou sociaux.
[30] Encore une fois, il importe de se rappeler que le devoir d'équité établit des normes minimales de conformité des procédures et que le contenu du devoir varie en fonction du contexte : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21-28. Plusieurs facteurs tendent à réduire le contenu du devoir d'équité envers les demandeurs de visas, et certains ont été examinés dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, aux paragraphes 35-36 (C.A.), une affaire dans laquelle un visa avait été refusé pour un motif très différent, à savoir l'appartenance vraisemblable du demandeur de visa à une organisation criminelle.
[31] Les facteurs qui tendent à limiter le contenu du devoir d'équité en l'espèce sont les suivants : l'absence d'un droit reconnu par la loi d'obtenir un visa; l'obligation pour le demandeur de visa d'établir son admissibilité à un visa; les conséquences moins graves en général du refus d'un visa pour l'intéressé, contrairement à la suppression d'un avantage, par exemple la suppression du droit de résider au Canada, et le fait que la question en litige dans cette affaire (à savoir la nature des services dont Abdullah aura probablement besoin au Canada, et la question de savoir si tels services constitueraient un fardeau excessif) n'en est pas une à laquelle le demandeur est particulièrement à même de répondre.
[32] Finalement, lorsqu'elle fixe le contenu du devoir d'équité qui s'impose pour le traitement des demandes de visas, la Cour doit se garder d'imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter. La nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être mise en parallèle avec les avantages d'une participation de l'intéressé au processus.
[33] Sur la question de la divulgation, l'argument principal avancé par l'avocat de M. Khan était que la présente affaire a un caractère exceptionnel. Il a fait valoir que la lettre de seconde chance ne renfermait pas un sommaire suffisamment exact ou complet des rapports médicaux, ni même du formulaire d'avis médical, pour permettre à M. Khan de comprendre pourquoi les agents étaient arrivés à la conclusion que l'état d'Abdullah allait probablement nécessiter des services sociaux qui entraîneraient un fardeau excessif. Selon lui, sans une information suffisante, M. Khan n'était pas en mesure de réagir valablement aux préoccupations des médecins agréés.
[34] Je ne puis accepter cet argument. D'abord, un avocat spécialiste des dossiers d'immigration, et aussi expérimenté que celui de M. Khan, aurait certainement su qu'il lui était possible de s'informer davantage au sujet du fondement sur lequel les médecins avaient déterminé les soins que nécessiterait probablement Abdullah et avaient conclu que les besoins d'Abdullah constitueraient un fardeau excessif. Il n'en va pas différemment de la plainte de l'avocat de M. Khan lorsqu'il affirme que son client n'a pas obtenu le profil médical alphabétique et numérique contenu dans le formulaire d'avis médical. Cette manière de résumer une évaluation aurait dû être très familière à l'avocat de M. Khan, et il s'en serait tout probablement informé s'il avait jugé que cela était utile.
[35] Deuxièmement, je ne crois pas que l'information donnée à M. Khan ait été inexacte ou incomplète au point de faire reposer sur l'agente des visas l'obligation de fournir, sans qu'on le lui demande, les détails à l'origine des conclusions. Le sommaire non narratif contenu dans le formulaire d'avis médical n'apparaissait pas dans la lettre de seconde chance, mais cette absence n'était pas fatale car ce sommaire n'ajoutait guère de substance à la partie narrative. Au demeurant, la lettre de seconde chance reproduisait fidèlement la section narrative du formulaire d'avis médical, lequel à son tour résumait très bien les évaluations médicales et psychologiques d'Abdullah. Finalement, la lacune possible qui sépare les rapports et la conclusion trouvée à la fois dans le formulaire d'avis médical et dans la lettre de seconde chance, conclusion selon laquelle Abdullah aurait besoin d' « une structure de soutien à long terme » , ne suffit pas à forcer la communication de renseignements additionnels pour satisfaire au devoir d'équité.
[36] En bref, l'absence de détails complémentaires dans la lettre de seconde chance n'a pas empêché M. Khan de comprendre la raison du rejet de sa demande de visa, ni de s'enquérir davantage. Par conséquent, on ne saurait dire qu'il a été privé d'une occasion raisonnable de réagir aux préoccupations de l'agente des visas à propos de l'admissibilité d'Abdullah, occasion raisonnable qui lui était dévolue par l'effet du devoir d'équité.
[37] Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, annulerais la décision du juge des requêtes cassant le refus de l'agente des visas de délivrer un visa à l'intimé et répondrais ainsi aux questions certifiées :
Question 1 : Un demandeur de visa devrait-il avoir la possibilité non seulement de produire des preuves médicales nouvelles, mais également de réagir à la conclusion selon laquelle il imposera un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens?
Réponse : Oui.
Question 2 : Dans quelle mesure les éléments sur lesquels a été fondée la conclusion se rapportant au fardeau excessif doivent-ils être divulgués au requérant?
Réponse : Si un demandeur de visa est informé du diagnostic médical, du pronostic médical et des services susceptibles d'être requis, et s'il apprend que, vu son état de santé, son admission imposerait un fardeau excessif pour les services médicaux ou sociaux, l'équité ne requiert pas en principe d'autres communications, du moins lorsqu'il n'est pas demandé de renseignements complémentaires.
« John M. Evans »
Juge
« J'y souscris
A.M. Linden »
« J'y souscris
B. Malone »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-457-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
et
SHAHID HASAN KHAN
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 30 OCTOBRE 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LINDEN
LE JUGE MALONE
DATE DU JUGEMENT : LE 14 NOVEMBRE 2001
ONT COMPARU
Marie-Louise Wcislo POUR L'APPELANT
Ira Nishisato POUR L'INTIMÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Morris Rosenberg POUR L'APPELANT
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Borden Ladner Gervais LLP POUR L'INTIMÉ
Toronto (Ontario)