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Date : 20040423

Dossier : A-2-03

Référence : 2004 CAF 158

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                              PETRO-CANADA

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                      Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 février 2004.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 avril 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20040423

Dossier : A-2-03

Référence : 2004 CAF 158

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                              PETRO-CANADA

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW


[1]                En 1992, Petro-Canada réclamait une déduction de 46 751 752 $, somme payée par deux corporations d'exploration en commun pour certaines données sismiques, à laquelle elles avaient « renoncé » en faveur de Petro-Canada, conformément au paragraphe 66(10.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (selon le texte de cette disposition avant son abrogation en 1997). Le ministre a ramené la déduction à 8 884 497 $, somme qui d'après lui représentait la juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur achat. Petro-Canada a fait appel, sans succès, à la Cour canadienne de l'impôt : Petro-Canada c. Canada, [2003] 2 C.T.C. 2087, 2003 D.T.C. 94 (C.C.I.). Petro-Canada interjette maintenant appel à la Cour d'appel fédérale.

Les faits

[2]                Les données sismiques sont un relevé géophysique des résultats d'explosions contrôlées provoquées sur le sol ou dans le sous-sol. Elles peuvent servir à faciliter la recherche de gisements de pétrole et de gaz naturel. Un ensemble de données sismiques est appelé une « ligne » , parce que les explosions qui produisent les données sont placées le long d'une ligne sur le sol. Une ligne de données sismiques se mesure en milles ou en kilomètres.

[3]                On peut obtenir des données sismiques en entreprenant un programme d'exploration sismique, processus appelé « tir de ligne sismique » , ou on peut les acheter à la personne qui a tiré la ligne sismique, ou bien à une tierce partie. Dans la terminologie de l'industrie, l' « achat » de données sismiques est en réalité l'achat d'un ou de plusieurs documents, films, bandes magnétiques ou autres supports d'information renfermant des données sismiques, dans des circonstances qui donnent à l'acheteur le droit illimité de faire un usage exclusif des données. On peut aussi « acheter » des données sismiques en payant une copie de l'information, dans une forme ou une autre, copie à laquelle s'ajoute un droit restreint d'utiliser l'information. Cette dernière opération est aussi appelée parfois une licence.


[4]                Ceux qui s'adonnent à l'exploration de gisements de pétrole ou de gaz naturel peuvent accumuler d'imposantes bibliothèques de données sismiques après avoir durant de nombreuses années tiré des lignes sismiques et acheté des données sismiques. La valeur de données sismiques peut décliner quelque peu avec le temps. Cependant, les anciennes données sismiques conservent en général une certaine valeur, en particulier à cause des avancées de la science géophysique et des techniques d'interprétation des données sismiques. De plus, certaines régions ont été explorées dans le passé sur le plan sismique, mais ne peuvent être explorées davantage de cette manière pour cause d'aménagements urbains ou industriels.

[5]                Les achats de données sismiques peuvent être facilités par des courtiers. Les courtiers connaissent bien ou sont à même de bien connaître les données sismiques accumulées par les sociétés d'exploration. Ils peuvent aussi constituer pour eux-mêmes d'imposantes bibliothèques de données sismiques.

[6]                En général, les frais engagés par une société d'exploration pour tirer des lignes sismiques ou acheter des données sismiques pour ses propres activités d'exploration relèvent de l'alinéa a) de la définition de « frais d'exploration au Canada » , au paragraphe 66.1(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu, disposition ainsi rédigée :

« frais d'exploration au Canada » Relativement à un contribuable, les dépenses suivantes, engagées après le 6 mai 1974 :

"Canadian exploration expense" of a taxpayer means any expense incurred after May 6, 1974 that is

a) une dépense, y compris une dépense à des fins géologiques, géophysiques ou géochimiques, engagée par le contribuable [...] en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel [...] au Canada [...].

(a) any expense including a geological, geophysical or geochemical expense incurred by the taxpayer [...] for the purpose of determining the existence, location, extent or quality of an accumulation of petroleum or natural gas [...] in Canada [...].


[7]                L'avantage d'avoir un coût classé parmi les frais d'exploration au Canada est que ce coût s'ajoute à une réserve de frais (les « frais cumulatifs d'exploration au Canada » ), dont une partie ou la totalité peut être déduite immédiatement ou au cours d'années futures. Dans certains cas, l'avantage de la déduction peut être transféré à d'autres. Jusqu'en 1997, une société qui répondait à la définition de « corporation d'exploration en commun » , dans la Loi de l'impôt sur le revenu, pouvait transférer à un actionnaire, au moyen d'un choix spécial appelé « renonciation » , ses frais d'exploration en commun.

[8]                L'expression « société d'exploration en commun » est définie ainsi au paragraphe 66(15) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

« société d'exploration en commun » Société exploitant une entreprise principale et qui n'a eu, à aucun moment depuis sa constitution, plus de 10 actionnaires, à l'exclusion d'un particulier détenant une action à la seule fin d'acquérir la qualité d'administrateur.

"joint exploration corporation" means a principal-business corporation that has not at any time since its incorporation had more than 10 shareholders, not including any individual holding a share for the sole purpose of qualifying as a director.

[9]                L'expression « société exploitant une entreprise principale » est également définie au paragraphe 66(15) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les parties applicables de cette définition sont ainsi formulées :

« société exploitant une entreprise principale » Société dont l'entreprise principale consiste en l'une ou plusieurs des activités suivantes :

"principal-business corporation" means a corporation the principal business of which is any of, or a combination of,

a) la production, le raffinage ou la commercialisation du pétrole, de ses dérivés ou du gaz naturel;

(a) the production, refining or marketing of petroleum, petroleum products or natural gas,

a.1) la recherche du pétrole ou du gaz naturel par exploration ou forage [...].

(a.1) exploring or drilling for petroleum or natural gas [...].


[10]            Le présent appel concerne des renonciations consenties à Petro-Canada par deux sociétés d'exploration en commun, Phillips P.C. Resources Ltd. (la « SEC Phillips » ) et Peace Eagle Resources Ltd. (la « SEC CanEagle » ). Petro-Canada et Phillips Petroleum Canada Ltd. (Phillips) étaient les deux seuls actionnaires de la SEC Phillips. Petro-Canada et CanEagle Resources Corporation (CanEagle) étaient les deux seuls actionnaires de la SEC CanEagle. Petro-Canada, Phillips et CanEagle s'adonnent toutes à des activités d'exploration, de développement et de production de pétrole et de gaz naturel.

[11]            En 1991, Phillips détenait une vaste bibliothèque de données sismiques et aussi une imposante réserve de frais non déduits d'exploration au Canada pour lesquels elle n'avait aucun usage immédiat. Un plan fut conçu en vue de financer des travaux d'exploration pour l'avantage à la fois de Petro-Canada et de Phillips, avec transfert simultané effectif, de Phillips à Petro-Canada, de frais d'exploration au Canada.

[12]            La première étape du plan était la mise en place de la SEC Phillips. Les actions de la SEC Phillips étaient détenues à 57 p. 100 par Phillips et à 43 p. 100 par Petro-Canada. Une convention unanime des actionnaires prévoyait que la SEC Phillips aurait quatre administrateurs, deux nommés par chacun des actionnaires. Les résolutions des administrateurs exigeaient l'approbation des quatre administrateurs, et il n'existait aucune disposition permettant de rompre une impasse. L'effet de cette structure organisationnelle était que la SEC Phillips n'était pas contrôlée par Petro-Canada ni par Phillips. Elle était contrôlée par l'une et l'autre conjointement.


[13]            La SEC Phillips a acheté des données sismiques à Phillips et a entrepris un programme d'exploration sous la direction commune de Petro-Canada et de Phillips. En 1991, la SEC Phillips achetait environ 16 227 kilomètres de données sismiques à Phillips et à deux de ses sociétés apparentées, pour un prix d'achat total de 26 500 832 $. En 1992, la SEC Phillips achetait encore 16 152 kilomètres de données sismiques aux sociétés Phillips pour la somme de 13 251 370 $.

[14]            Les fonds requis par la SEC Phillips pour acheter les données sismiques, ainsi que les fonds requis pour les activités d'exploration entreprises par la SEC Phillips durant la période pertinente, étaient fournis par Petro-Canada et Phillips à la faveur de souscriptions d'actions. La SEC Phillips a utilisé le produit des souscriptions pour consentir des prêts aux actionnaires au prorata de leurs participations. Ces prêts étaient remboursés à mesure que la SEC Phillips avait besoin d'argent. Les remboursements du prêt consenti à l'actionnaire Phillips étaient à peu près égaux au coût des données sismiques achetées aux sociétés Phillips. Les remboursements du prêt consenti à l'actionnaire Petro-Canada étaient approximativement égaux au coût des travaux d'exploration entrepris par la SEC Phillips (environ 20 000 000 $ en 1991 et environ 30 000 000 $ en 1992).


[15]            La SEC Phillips était tenue contractuellement de renoncer en faveur de Petro-Canada aux premiers 46 500 000 $ de frais d'exploration au Canada qu'elle avait engagés en 1991, et aux premiers 69 750 000 $ de frais d'exploration au Canada qu'elle avait engagés en 1992. Selon la Loi de l'impôt sur le revenu telle qu'elle existait alors, le résultat d'une renonciation valide était que l'actionnaire était fondé à réclamer des déductions d'impôt sur le revenu pour les frais d'exploration au Canada engagés par la société d'exploration en commun, comme si les frais avaient été engagés par l'actionnaire.

[16]            La création de la SEC CanEagle était le résultat d'arrangements de même nature conclus en 1992 par Petro-Canada et CanEagle. Les actions de la SEC CanEagle étaient détenues à 51 p. 100 par CanEagle et à 49 p. 100 par Petro-Canada. Une convention unanime d'actionnaires prévoyait qu'il y aurait quatre administrateurs, deux nommés par chacun des actionnaires. Toutes les résolutions des administrateurs devaient être prises à l'unanimité, et il n'existait aucune disposition permettant de rompre une impasse. La SEC CanEagle a reçu 7 millions de dollars de chacun de ses deux actionnaires, sous la forme de souscriptions d'actions, sommes qu'elle a ensuite prêtées aux actionnaires. Sur les remboursements effectués par les actionnaires, une somme de 7 millions de dollars a servi à acheter à CanEagle un tiers indivis d'un intérêt sur 23 748 kilomètres de données sismiques. L'autre somme de 7 millions de dollars fut affectée à des activités d'exploration. La SEC CanEagle était tenue contractuellement de renoncer en faveur de Petro-Canada aux premiers 14 millions de dollars de frais d'exploration au Canada.

[17]            Pour chaque achat de données sismiques fait par la SEC Phillips ou par la SEC CanEagle, il y avait l'opinion concomitante d'un expert indépendant selon laquelle le prix d'achat convenu était la juste valeur marchande des données sismiques.


[18]            La SEC Phillips et la SEC CanEagle ont renoncé en faveur de Petro-Canada à leurs frais d'exploration au Canada, comme elles étaient tenues de le faire. Les renonciations comprenaient le coût des données sismiques achetées à Phillips en 1991 et 1992, et le coût des données sismiques achetées à CanEagle en 1992.

[19]            Après vérification, le ministre a conclu que la juste valeur marchande des données sismiques était inférieure aux prix d'achat, ainsi que le montre le tableau suivant :

Achat de données sismiques

Prix d'achat

           Juste valeur marchande

              établie par le ministre

SEC Phillips (1991)

            26 500 382 $

                           4 938 127 $

SEC Phillips (1992)

            13 251 370 $

                           1 496 370 $

SEC CanEagle (1992)

           7 000 000 $

                          2 450 000 $

            46 751 752 $

                           8 884 497 $

[20]            Le ministre a délivré une nouvelle cotisation à Petro-Canada en tenant pour acquis que la déduction réclamée à l'égard du coût des données sismiques ne pouvait pas dépasser la juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur acquisition. La nouvelle cotisation a eu pour résultat de ramener de 46 751 752 $ à 8 884 497 $ la déduction réclamée par Petro-Canada.


[21]            Petro-Canada en a appelé à la Cour canadienne de l'impôt. Le point principal soulevé par Petro-Canada se rapportait à sa déduction pour les frais visés par les renonciations.

[22]            L'appel contestait aussi le refus du ministre d'admettre certains frais de recherche scientifique et de développement expérimental totalisant environ 700 000 $. La Couronne reconnaît que Petro-Canada aurait dû être autorisée à déduire ces frais de recherche scientifique et de développement expérimental. Les parties ont signé sur ce point un jugement convenu (ou consentement à jugement), qui a été présenté au juge au début du procès.

[23]            Devant la Cour de l'impôt, la Couronne a fait valoir que le coût des données sismiques achetées par les sociétés d'exploration en commun ne répondait pas à la définition de l'expression « frais d'exploration au Canada » . Si cet argument est juste, le coût des données sismiques pour les sociétés d'exploration en commun ne se qualifiait pas pour une renonciation en faveur de Petro-Canada, et Petro-Canada n'aurait même pas dû se voir accorder la déduction de 8 884 497 $ qui était l'objet de son appel.


[24]            Cependant, la Couronne ne pouvait pas soutenir, et n'a pas soutenu, devant la Cour de l'impôt, que Petro-Canada devrait être l'objet d'une nouvelle cotisation lui refusant la déduction de 8 884 497 $, et cela parce que la Couronne n'est pas autorisée à faire appel d'une cotisation : Harris c. Ministre du Revenu national, [1965] 2 R.C.É. 653, [1964] C.T.C. 562, 64 D.T.C. 5332 (C. Éch.), jugement confirmé sur d'autres moyens, [1966] R.C.S. 489, [1966] C.T.C. 226, 66 D.T.C. 5189 (C.S.C.). (Le dossier ne donne pas la date de l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation prévue par le paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu.)

[25]            La Couronne a aussi avancé deux autres arguments à l'appui de sa position selon laquelle Petro-Canada ne pouvait pas déduire plus que la juste valeur marchande des données sismiques (fondement d'après lequel le ministre avait en fait établi la nouvelle cotisation de Petro-Canada). Un argument reposait sur l'alinéa 69(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui s'appliquerait si, comme le présumait le ministre, les fournisseurs des données sismiques avaient un lien de dépendance avec les sociétés d'exploration en commun. L'autre argument était fondé sur l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit que, dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'une dépense sauf dans la mesure où cette dépense est raisonnable. Ces dispositions sont discutées plus en détail plus loin dans les présents motifs.

[26]            Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'appel de Petro-Canada. Il a estimé que seule une petite portion des données sismiques avait été acquise aux fins précisées dans la définition de « frais d'exploration au Canada » , que la SEC Phillips et la SEC CanEagle avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques et que la juste valeur marchande de toutes les données sismiques était de 4 759 464 $, beaucoup moins que l'évaluation faite par le ministre au moment de la nouvelle cotisation. Le juge a aussi refusé de donner effet au jugement convenu se rapportant aux frais de recherche scientifique et de développement expérimental. Petro-Canada a fait appel à la Cour d'appel fédérale.


Points soulevés dans l'appel

[27]            Petro-Canada fait valoir que le juge a commis une erreur lorsqu'il a interprété la définition de « frais d'exploration au Canada » , lorsqu'il a dit que les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques, lorsqu'il a déterminé la juste valeur marchande des données sismiques et lorsqu'il a refusé de donner effet au jugement convenu. J'examinerai ces points sous les rubriques suivantes :

A. Interprétation du critère de l'objet de la loi

(1) Contexte

(2) Objet prédominant

(3) Motivation fiscale

(4) Critère d'utilisation

(5) Interprétation des précédents Gulf Canada et Global Communications

(6) Conclusion sur le critère de l'objet

B. Évaluation

C. Présence ou absence d'un lien de dépendance

D. Article 67

E. Jugement convenu

F. Conclusion

A. Interprétation du critère de l'objet de la loi

(1) Contexte


[28]            Dans l'arrêt Global Communications Ltd. c. Canada, [1999] 3 C.T.C. 537, 99 D.T.C. 5377 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a jugé que le coût de données sismiques ne répond pas à la définition de « frais d'exploration au Canada » si les données sismiques sont achetées pour être vendues à autrui ou être cédées à autrui par licence. Le raisonnement à l'origine de cette conclusion est exposé par le juge Robertson, qui a rédigé l'arrêt de la Cour, au paragraphe 19 :

[19] À mon avis, une lecture attentive de l'alinéa 66.1(6)a) montre que les dépenses visées sont celles que le contribuable engage relativement au terrain lui-même. [...] L'objectif visiblement poursuivi au moyen de la déduction des frais d'exploration au Canada est d'encourager l'exploration réelle dans une industrie soumise à d'importants risques financiers dans le cadre de la recherche de gisements de pétrole et de gaz. En théorie, si ce n'était de l'incitatif fiscal, ce type d'exploration pourrait ne pas être entreprise. Il est cependant tout aussi évident que l'objet de la loi n'est pas d'encourager l'accumulation de larges inventaires de données sismiques qui peuvent être ou ne pas être de quelque valeur pour ceux qui oeuvrent vraiment dans le domaine de l'exploration pétrolière et gazière. Les courtiers de données sismiques ne sont pas exposés aux types de risques financiers auxquels font face ceux qui font de l'exploration pétrolière et gazière. Le seul risque avec lequel ces entrepreneurs doivent composer est le risque que les revenus liés à l'octroi de permis ou à la revente ne couvrent pas les coûts d'achat. [non souligné dans l'original]

[29]            Il s'agit là du prolongement, par analogie, d'un autre arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale, Gulf Canada Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1992] 1 C.T.C. 183, 92 D.T.C. 6123 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée, [1992] C.S.C.R. n ° 102 (QL). Cette décision de principe autorise l'affirmation selon laquelle les loyers d'un bien-fonds ne répondent pas à la définition de « frais d'exploration au Canada » , sauf dans la mesure où ils permettent l'accès au bien-fonds dans une année d'imposition au cours de laquelle des activités d'exploration sont effectivement engagées. Les loyers en cause avaient été payés pour environ quatre millions d'acres de terre, dont seule une portion modeste et indéterminée fut effectivement utilisée pour l'exploration au cours d'une année quelconque. Le juge Hugessen, s'exprimant pour la Cour, a donné l'explication suivante :


Pour ce qui est du droit, il faudrait que les loyers en question soient une « ... dépense... faite... aux fins de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel » au sens de la définition contenue au sous-alinéa 66.1(6)a)(i) pour être admissibles en tant que frais d'exploration au Canada. Nous partageons l'opinion, manifestement acceptée par le juge de première instance, selon laquelle les paiements destinés au maintien de stocks de terres sur lesquelles des travaux d'exploration, d'aménagement et de production peuvent ou non être exécutés à une date ultérieure indéterminée ne sont pas visés par cette définition. Nous sommes également d'accord avec le juge Mahoney, alors juge de première instance, qui a dit, dans l'arrêt New Continental Oil Co. c. La Reine, 76 D.T.C. 6038, à la page 6043, qu'il y a une distinction entre des « paiements en vue de l'obtention du droit de forer et d'explorer » et des « frais assumés dans le cadre de travaux de forage et d'exploration » . D'autre part, nous nous attendrions normalement à ce qu'il y ait tout au moins un lien entre une dépense dont on dit qu'elle a été engagée aux fins de déterminer l'existence, etc. de pétrole ou de gaz naturel sur un bien et les travaux véritablement faits au sol. Par conséquent, et quoique les loyers versés à l'égard de ces portions des stocks de terres sur lesquelles des activités d'exploration ont véritablement eu lieu au cours d'une année d'imposition puissent être admissibles en tant que frais d'exploration au Canada, nous ne jugeons pas nécessaire de nous prononcer sur ce point étant donné que la contribuable n'a pas tenté de chiffrer ces frais, dont le montant serait de toute façon fort peu élevé. Nous sommes tout à fait convaincus que la raison d'être du traitement dont bénéficiaient les frais d'exploration aux termes de la loi était d'encourager l'exploration véritable et non de financer à partir des fonds publics l'accumulation d'énormes stocks inactifs de droits d'exploitation souterraine. Ce point de vue est par ailleurs confirmé par le fait que les coûts rattachés à ces droits sont, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, inclus dans les frais d'aménagement, où ils sont assujettis à un traitement fiscal différent et moins favorable [non souligné dans l'original]

[30]            En l'espèce, la manière dont le juge de la Cour de l'impôt a interprété l'expression « frais d'exploration au Canada » s'appuie sur les arrêts Global Communications et Gulf Canada. Il explique ainsi son raisonnement, au paragraphe 30 :

[traduction]

[30] L'intimée ne donne pas à entendre ici que les SEC ont acheté les données sismiques en vue de les revendre. Aucune preuve en ce sens n'a d'ailleurs été produite. Elle dit plutôt que le motif véritable de l'achat était de convertir d'importants frais d'exploration au Canada entre les mains de Phillips et de CanEagle, en frais de même nature entre les mains des SEC, pour qu'il y soit ensuite renoncé en faveur de l'appelante, qui était en position d'utiliser les déductions fiscales, obtenant par le fait même les fonds requis pour financer les programmes de forage des SEC, sans frais après impôt. Si cela est établi par la preuve, alors, d'après les précédents constitués par les arrêts Gulf Canada et Global Communications, les sommes dépensées par les SEC n'étaient pas des frais d'exploration au Canada, et il ne pouvait être renoncé à ces frais en faveur de l'appelante. Le point à décider est celui de savoir si, et dans l'affirmative dans quelle mesure, il existait un lien entre les données sismiques achetées et les travaux effectivement faits, ou à faire, sur le terrain. [non souligné dans l'original]


[31]            La question de l'utilisation effective des données sismiques achetées par la SEC Phillips et la SEC CanEagle a été débattue durant plusieurs jours de témoignages. Le juge est arrivé à la conclusion de fait que la SEC Phillips avait utilisé, dans ses programmes d'exploration, environ 6,5 p. 100 des données sismiques achetées aux sociétés Phillips, et que la SEC CanEagle avait effectivement utilisé environ 4 p. 100 des données sismiques achetées à CanEagle.

[32]            Cependant, le juge a aussi reconnu que la preuve de l'utilisation effective était imprécise. C'est pourquoi, pour tenir compte du doute, il a autorisé une marge trois fois plus élevée. La somme à laquelle les sociétés d'exploration en commun auraient donc pu renoncer en faveur de Petro-Canada (avant de prendre en compte la question de la juste valeur marchande) serait donc déterminée ainsi :

         Coût approximatif

     Utilisation (%) x 3

SEC Phillips

   39 750 000 $

            6,5 % x 3

             7 751 250 $

SEC CanEagle

    7 000 000 $

            4 % x 3

              840 000 $

             8 591 250 $

Ce calcul montre que la déduction autorisée pour le coût des données sismiques aurait dû être 8 591 250 $ plutôt que les 8 884 497 $ autorisés par le ministre. (Rappelons cependant qu'il n'est pas loisible à la Couronne à ce stade de demander que la déduction soit réduite, parce que la Couronne ne peut faire appel d'une cotisation : voir l'arrêt Harris, susmentionné.)


(2) Objet prédominant

[33]            Petro-Canada fait valoir que le juge a interprété le critère de l'objet, qui apparaît dans la définition de « frais d'exploration au Canada » comme s'il fallait que l'exploration soit la fin « première » ou « dominante » . Selon Petro-Canada, c'était là de la part du juge une erreur de droit parce qu'une approche semblable concernant l'interprétation du critère de la fin recherchée en ce qui a trait aux déductions d'intérêts a été rejetée dans l'arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082. Ce point est expliqué au paragraphe 50 des motifs du juge Iacobucci, qui rédigeait l'avis des juges majoritaires :

[50] En ce qui concerne le sens ordinaire du sous-alinéa 20(1)c)(i), la seule condition explicite liée à la notion de « fin » est que l'argent emprunté ait été « utilisé en vue de tirer un revenu » . Outre l'emploi de l'article défini « the » avant le mot « purpose » dans la version anglaise, fait qui, si on y regarde de près, est loin d'être suffisant pour trancher la question dont la Cour est saisie, rien dans le texte de la disposition n'indique que la fin requise doit être la fin exclusive, première ou dominante ou que, en présence de fins multiples, celles-ci doivent d'une certaine manière être classées par ordre d'importance pour déterminer quelle est la fin « réelle » poursuivie par le contribuable. Par conséquent, il est parfaitement compatible avec le texte du sous-alinéa 20(1)c)(i) de permettre à un contribuable qui utilise de l'argent emprunté afin d'effectuer un investissement visant plus d'une fin de déduire ses frais d'intérêt lorsque l'une de ces fins est de tirer un revenu. [non souligné dans l'original]

[34]            Je reconnais avec Petro-Canada que le critère de la fin ou de l'objet, dans la définition de « frais d'exploration au Canada » , peut être rempli même si la dépense est faite à plus d'une fin. Cependant, l'une des fins de la dépense doit être de déterminer l'existence, l'endroit, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz naturel.


[35]            Une société comme Petro-Canada, la SEC Phillips ou la SEC CanEagle, dont les activités consistent entre autres à faire l'exploration de pétrole et de gaz naturel, pourrait acheter un important bloc de données sismiques simplement parce que certaines ou la totalité des données sismiques pourraient un jour être nécessaires ou utiles pour un futur programme d'exploration. Petro-Canada fait valoir que l'on devrait présumer dans de tels cas que le coût des données sismiques remplit les conditions de frais d'exploration au Canada. Je ne partage pas cet avis. D'après moi, une telle présomption ne serait pas compatible avec le raisonnement suivi dans les arrêts Global Communications ou Gulf Canada. J'ai lu ces précédents, et il m'apparaît que le critère de la fin ou de l'objet, dans la définition de « frais d'exploration au Canada » , requiert à tout le moins un lien entre les données sismiques achetées et les travaux effectifs d'exploration. Ce lien pourrait être attesté par la preuve de l'utilisation effective des données sismiques pour des travaux d'exploration. Cependant, en l'absence d'une telle preuve, il doit exister au moins un plan crédible visant l'utilisation des données sismiques dans un programme d'exploration, à l'intérieur d'un délai raisonnable après qu'elles ont été acquises. Un lien hypothétique avec des travaux d'exploration qui pourraient être faits dans l'avenir ne peut suffire.


[36]            Ici, l'emploi effectif d'une petite portion des données sismiques pour des travaux d'exploration a été prouvé (emploi que le juge a fixé à 6,5 p. 100 dans le cas de la SEC Phillips et à 4 p. 100 dans le cas de la SEC CanEagle), mais l'emploi du reste des données sismiques n'a pas été établi, ni même l'existence d'un plan d'utilisation du reste des données sismiques. La plupart des données sismiques devaient semble-t-il être conservées indéfiniment, pour possible référence future. L'achat de données sismiques en vue simplement d'établir une bibliothèque de références sismiques ne saurait remplir le critère de la fin ou de l'objet.

(3) Motivation fiscale

[37]            Petro-Canada fait valoir que, en appliquant la définition prévue par la loi, le juge n'aurait pas dû tenir compte de la motivation fiscale qui avait incité Petro-Canada à conclure les arrangements se rapportant aux sociétés d'exploration en commun, parce que la motivation fiscale est hors de propos. Je reconnais que la motivation fiscale de Petro-Canada ne peut être prise en compte lorsqu'il s'agit de savoir si les sociétés d'exploration en commun avaient acquis les données sismiques dans un but d'exploration. Il ne s'ensuit pas cependant que, du seul fait que le juge a pris en compte la motivation fiscale de Petro-Canada, il a tiré une conclusion inexacte sur la question de savoir si le critère de l'objet dont parle la loi était rempli. Même si le juge n'avait rien dit de la motivation fiscale, il n'aurait pu raisonnablement arriver à la conclusion que toutes les données sismiques avaient été acquises dans le dessein prévu par la loi.

(4) Critère d'utilisation


[38]            Se référant à la conclusion du juge selon laquelle seulement 6,5 p. 100 des données sismiques de la SEC Phillips et seulement 4 p. 100 des données sismiques de la SEC CanEagle ont été effectivement utilisées pour l'exploration, Petro-Canada fait valoir que le juge a appliqué un critère d' « utilisation » plutôt que le critère de l' « objet » , prévu dans la loi. Selon Petro-Canada, l'approche adoptée par le juge obligeait Petro-Canada à prouver l'utilisation effective de chaque kilomètre de chacune des lignes de données sismiques achetées. L'effet de l'approche adoptée par le juge s'en trouve considérablement exagéré.

[39]            J'ai déjà dit que je reconnais avec Petro-Canada qu'une acquisition de données sismiques peut répondre au critère de l'objet, même sans la preuve d'une utilisation effective des données sismiques à des fins d'exploration. Cependant, j'ai lu les motifs du juge, et il me semble qu'il n'a pas interprété le critère de l'objet comme un critère exigeant nécessairement une telle preuve. Il a plutôt déterminé l'objet de l'acquisition des données sismiques en suivant les indications du juge Iacobucci, qui s'était exprimé pour la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Symes c. La Reine, [1993] 4 R.C.S. 695, au paragraphe 68 :

[68] Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.


[40]            Le juge a déterminé l'objet de l'acquisition des données sismiques en considérant tous les éléments de preuve qui avaient été produits concernant la nature des activités de Petro-Canada et des sociétés d'exploration en commun, la manière dont les activités d'exploration étaient menées, les circonstances dans lesquelles les données sismiques avaient été achetées, et leur utilisation effective. Il a remarqué entre autres choses l'absence d'une preuve documentaire de travaux effectués par des géophysiciens recrutés par les sociétés d'exploration en commun, et le fait que les sociétés d'exploration en commun ne comptaient dans leur personnel aucun géophysicien chargé d'examiner et d'interpréter les données sismiques, ainsi que le prévoyaient les conventions unanimes des actionnaires. Il a relevé que les administrateurs des sociétés d'exploration en commun n'avaient pas examiné quelles données seraient incluses dans les acquisitions. Il a relevé que l'engagement de Petro-Canada de financer l'exploration n'était qu'un engagement d'une durée de trois ans se terminant en 1995, et il a jugé que les sommes dépensées pour les données sismiques n'étaient pas raisonnables au regard des programmes d'exploration qu'envisageaient les sociétés d'exploration en commun.

[41]            Le juge a aussi relevé que, dans le cas des données sismiques acquises par la SEC Phillips, le choix avait été fait de manière aléatoire par un employé de Phillips, qu'aucun examen général des données sismiques n'avait été fait et qu'environ 40 p. 100 des données sismiques ne pouvaient être utilisées dans un avenir prévisible parce qu'elles ne se rapportaient pas à des biens-fonds dont était propriétaire Petro-Canada ou Phillips.

[42]            S'agissant des données sismiques acquises par la SEC CanEagle, le juge a relevé qu'elles concernaient une vaste région de l'ouest de l'Alberta et de l'est de la Colombie-Britannique, mais la SEC CanEagle ne songeait à des activités d'exploration que dans une région relativement modeste appelée Evi.

[43]            Un examen des motifs du juge ne révèle aucune erreur dans la manière dont il a traité la preuve de l'utilisation des données sismiques pour faire la lumière sur l'objet de leur acquisition.


(5) Interprétation des arrêts Gulf Canada et Global Communications

[44]            L'argument final de Petro-Canada en ce qui a trait au critère de l'objet est que le juge aurait eu tort de s'en remettre aux arrêts Gulf Canada et Global Communications. Il est vrai que les circonstances de la présente affaire ne sont pas les mêmes que celles des espèces Gulf Canada et Global Communications. Cependant, le juge a conclu que ces précédents établissent les principes qui doivent guider toute interprétation du critère de l'objet, dans la définition de l'expression « frais d'exploration au Canada » . Je partage son avis sur ce point.

(6) Conclusion sur le critère de l'objet

[45]            J'arrive à la conclusion que le juge n'a commis aucune erreur lorsqu'il a interprété ou appliqué le critère de l'objet, dans la définition de l'expression « frais d'exploration au Canada » , ou lorsqu'il a dit que seule une modeste part des données sismiques acquises répondait au critère de l'objet. Par conséquent, le ministre ne peut être contraint d'établir une nouvelle cotisation qui augmenterait la déduction de 1992 de Petro-Canada au titre du coût des données sismiques.

B. Évaluation


[46]            Je passe maintenant à l'argument subsidiaire de la Couronne selon lequel, en tout état de cause, la déduction de Petro-Canada ne devrait pas être supérieure à la juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur acquisition, valeur que le juge a établi à 4 759 464 $. Si la Couronne dit vrai, alors, même si le critère de l'objet avait été rempli, Petro-Canada s'est quand même vu accorder une déduction (8 884 497 $) qui est supérieure à ce à quoi elle a droit. J'examinerai d'abord la question de savoir quelle était la juste valeur marchande des données sismiques au moment de l'acquisition, puis les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, selon la Couronne, ont pour effet de limiter la déduction de Petro-Canada à cette juste valeur marchande.

[47]            Les deux parties avaient présenté à la Cour de l'impôt l'opinion d'un expert sur la juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur acquisition. Le juge n'a pas accepté l'opinion de l'expert de Petro-Canada, parce que sa méthode n'était pas valide. Il n'a pas accepté l'opinion de l'expert de la Couronne parce qu'il s'en était remis à des consultants qui ne pouvaient pas être contre-interrogés. Le juge a fait sa propre analyse de la preuve et a conclu que la juste valeur marchande des données sismiques était au total de 4 759 464 $.


[48]            On fait valoir pour Petro-Canada que le juge a commis une erreur en faisant sa propre évaluation des données sismiques. Je ne puis accepter cet argument. La juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur acquisition est un point de fait. Le juge était libre d'accepter ou de rejeter, en totalité ou en partie, les opinions offertes à propos de leur évaluation, et il était libre d'en estimer lui-même la valeur, compte tenu de ce qui restait de la preuve acceptable : Connor c. Canada, [1979] C.T.C. 365, 79 D.T.C. 5256 (C.A.F.). Sa conclusion concernant la valeur des données sismiques doit subsister, en l'absence d'une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. Le dossier ne révèle aucune erreur du genre. Par conséquent, le reste des présents motifs doit reposer sur la conclusion selon laquelle la juste valeur marchande des données sismiques au moment de leur acquisition était de 4 759 464 $.

[49]            La position de la Couronne est que, parce que le prix d'achat des données sismiques (46 751 752 $) dépassait leur juste valeur marchande (4 759 464 $), le coût des données sismiques pour les sociétés d'exploration en commun, coût déterminé aux fins de l'impôt sur le revenu, est limité à cette juste valeur marchande, et le droit de Petro-Canada à une déduction est lui aussi limité. La Couronne invoque l'alinéa 69(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et subsidiairement l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, au soutien de cet argument. Ces dispositions sont examinées ci-après.

C. Présence ou absence d'un lien de dépendance

[50]            L'alinéa 69(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est applicable si, ainsi que l'a présumé le ministre et ainsi que l'a conclu le juge, les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques (les fournisseurs étant, dans le cas de la SEC Phillips, Phillips ou ses sociétés liées et, dans le cas de la SEC CanEagle, CanEagle). L'alinéa 69(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu est ainsi formulé :

69. (1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi :

69. (1) Except as expressly otherwise provided in this Act,

a) le contribuable qui a acquis un bien auprès d'une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance pour une somme supérieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de son acquisition est réputé l'avoir acquis pour une somme égale à cette juste valeur marchande [...].

(a) where a taxpayer has acquired anything from a person with whom the taxpayer was not dealing at arm's length at an amount in excess of the fair market value thereof at the time the taxpayer so acquired it, the taxpayer shall be deemed to have acquired it at that fair market value [...].


[51]            Petro-Canada fait valoir que le juge a mal interprété l'expression « lien de dépendance » ou a mal appliqué les principes pertinents.

[52]            Pour savoir si, aux fins de l'impôt sur le revenu, des parties sont réputées ne pas avoir un lien de dépendance, il est nécessaire d'examiner d'abord le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont les parties applicables étaient ainsi formulées à l'époque pertinente :

251. (1) Pour l'application de la présente loi :

251. (1) For the purposes of this Act,

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

(a) related persons shall be deemed not to deal with each other at arm's length;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

(b) it is a question of fact whether persons not related to each other are at a particular time dealing with each other at arm's length.

[53]            Il est admis que, aux fins de l'impôt sur le revenu, les sociétés d'exploration en commun n'étaient pas « liées » aux fournisseurs des données sismiques. Par conséquent, la disposition applicable est l'alinéa 251(1)b).


[54]            Une foule de précédents ont porté sur la question de savoir si une opération a lieu entre deux parties sans lien de dépendance. En règle générale, les tribunaux ont défini trois questions qui peuvent servir de cadre à l'analyse; voir par exemple l'arrêt Peter Cundill & Associates Ltd c. Ministre du Revenu national, [1991] 2 C.T.C. 221, 91 D.T.C. 5543 (C.A.F.). D'abord, le même état d'esprit oriente-t-il la négociation pour les deux parties à l'opération? Deuxièmement, les parties à l'opération ont-elles agi de concert sans intérêts distincts? Troisièmement, l'une des parties à l'opération a-t-elle exercé un contrôle de fait sur l'autre?

[55]            Le juge a examiné ces questions implicitement plutôt qu'expressément et il a conclu que les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance lorsqu'elles avaient conclu l'accord visant l'achat et la vente de données sismiques. À mon avis, la preuve justifie cette conclusion. Les termes des opérations ne traduisaient pas des relations commerciales ordinaires entre fournisseurs et acheteurs agissant dans leurs propres intérêts. Les sociétés d'exploration en commun, par exemple, n'ont pas tenté de négocier une ristourne, comme cela eût été normal, selon la preuve, pour des acquisitions aussi volumineuses de données sismiques. Aucune des deux sociétés d'exploration en commun n'agissait indépendamment et dans son propre intérêt lorsqu'elle a conclu les opérations. Les modalités de l'opération étaient en fait dictées conjointement par Petro-Canada et par Phillips (dans le cas de la SEC Phillips) et conjointement par Petro-Canada et par CanEagle (dans le cas de la SEC CanEagle). Les sociétés d'exploration en commun, à toutes fins utiles, étaient indifférentes au prix d'achat des données sismiques parce que, quel qu'il fût, les actionnaires veilleraient à ce que ce prix d'achat soit financé. Tout allégement fiscal se rapportant au coût des données sismiques serait transféré à Petro-Canada au moyen d'une renonciation.


[56]            À mon avis, la présente affaire ne peut être distinguée de l'arrêt Société de banque suisse c. Ministre du Revenu national, [1974] R.C.S. 1144, [1972] C.T.C. 614, 72 D.T.C. 6470. Dans l'arrêt S.B.S., il s'agissait de savoir si les intérêts payés par une société canadienne sur des prêts consentis par des investisseurs en Suisse avaient ou non été payés sans lien de dépendance. Les investisseurs n'étaient pas liés les uns aux autres. Ils étaient intervenus dans l'opération en conséquence des activités promotionnelles de la Société de banque suisse et du Crédit suisse. Les deux banques suisses détenaient chacune 40 p. 100 des actions d'une autre société suisse, appelée S.I.P., qui agissait comme fiduciaire ou mandataire des investisseurs. S.I.P. était l'unique actionnaire de la société canadienne à laquelle étaient prêtés les fonds des investisseurs. L'emprunteur canadien était donc complètement prisonnier des intérêts communs des prêteurs, qui agissaient effectivement de concert (par l'entremise de la S.I.P) en dictant les conditions des prêts. De même, dans la présente affaire, les sociétés d'exploration en commun étaient prisonnières des intérêts communs de leurs actionnaires respectifs, qui agissaient ensemble pour dicter les conditions auxquelles les données sismiques seraient achetées. À mon avis, le juge a eu raison de conclure que les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques.

[57]            Petro-Canada fait aussi valoir que le juge a commis trois erreurs spécifiques dans son analyse de la question du lien de dépendance. La première présumée erreur est que le juge a accordé trop d'attention à la motivation fiscale de Petro-Canada. L'opération était sans aucun doute motivée par des considérations fiscales, un fait qui ne pouvait manifestement échapper à l'attention du juge. Cependant, je ne crois pas qu'il a accordé à ce fait un poids significatif lorsqu'il est arrivé à la conclusion selon laquelle les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques. Cet argument est dépourvu de bien-fondé.


[58]            La deuxième présumée erreur est que le juge s'est focalisé sur la mauvaise date. Petro-Canada dit que les modalités essentielles de l'achat avaient été négociées sans lien de dépendance entre Petro-Canada et Phillips, ou entre Petro-Canada et CanEagle, avant que ne fussent même constituées leurs sociétés respectives d'exploration en commun. Selon cet argument, le fait que les sociétés d'exploration en commun n'ont pas participé aux négociations du prix ou n'ont pas cherché à obtenir une ristourne est hors de propos. Je n'accepte pas cet argument. La question posée par l'alinéa 69(1)a) est celle de savoir si les données sismiques ont été achetées par une partie n'ayant pas de lien de dépendance avec le fournisseur. Nécessairement, la relation entre le fournisseur et l'acheteur doit être examinée à la date de l'achat, non à la date de négociation des modalités de l'achat.


[59]            La troisième prétendue erreur est le fait que le juge n'a pas tenu compte de ce que Petro-Canada appelle des « voies hiérarchiques divergentes » pour ce qui est de savoir à quel moment l'on peut dire que des parties agissent de concert, sans intérêts distincts. Cet argument repose sur l'analyse de la question du lien de dépendance, dans la décision Drouin c. Canada, 2001 D.T.C. 72, [2001] 2 C.T.C. 2315 (C.C.I.), et en particulier sur l'observation qu'on peut lire dans cette décision, et selon laquelle le point essentiel à considérer pour savoir si des parties ont ou n'ont pas entre elles un lien de dépendance consiste à se demander si l'une contrôle l'autre. À mon avis, cet argument repose sur un mauvais postulat. Petro-Canada présume que nous avons affaire ici simplement à un cas où les actions d'une société sont détenues à 50 p. 100 par chacune de deux parties qui ne sont pas liées l'une à l'autre. Si effectivement c'était là toute l'histoire, il n'y aurait aucune raison de conclure que la société a un lien de dépendance avec l'un ou l'autre des deux actionnaires. C'est parce que, dans une opération commerciale normale conclue entre la société et l'un des actionnaires, l'autre actionnaire veillerait à ce que la société soit en mesure de faire valoir son propre intérêt et le fasse valoir effectivement. Pour paraphraser l'arrêt Société de banque suisse, il y aurait quelque assurance garantissant que les conditions d'une telle opération rendent compte d'une relation commerciale ordinaire entre parties agissant chacune au mieux de leurs propres intérêts. En l'espèce, cependant, l'effet combiné de la structure des entreprises, des conventions unanimes des actionnaires, des dispositions de financement et des obligations de renonciation était qu'il n'existait aucune sauvegarde commerciale du genre.

[60]            Pour ces motifs, je suis d'avis que le juge n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a conclu que les sociétés d'exploration en commun avaient un lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques.

D. Article 67

[61]            La Couronne fait valoir que, même si les sociétés d'exploration en commun n'avaient pas de lien de dépendance avec les fournisseurs des données sismiques, le fait que le prix d'achat des données sismiques dépassait leur juste valeur marchande suffit à limiter la déduction à cette juste valeur marchande. Le fondement de cet argument est l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu, ainsi formulé :


67. Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

67. In computing income, no deduction shall be made in respect of an outlay or expense in respect of which any amount is otherwise deductible under this Act, except to the extent that the outlay or expense was reasonable in the circumstances.

Cet argument n'a pas été abordé par le juge, ni par l'avocat de Petro-Canada dans ses conclusions écrites ou ses plaidoiries.

[62]            La décision de principe sur le prédécesseur de l'article 67 est l'arrêt Gabco Limited c. Ministre du Revenu national, [1968] 2 R.C.É. 511, [1968] C.T.C. 313, 68 D.T.C. 5210 (C. Éch.). Dans cette affaire, le juge Cattanach avait exposé le critère suivant pour l'application de cette disposition :

[traduction] Il ne s'agit pas pour le ministre ou pour la Cour de substituer son jugement à ce qui constitue une somme raisonnable à payer, mais il s'agit plutôt pour le ministre ou la Cour d'arriver à la conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé à payer une telle somme en n'ayant à l'esprit que les considérations commerciales de l'appelante.

[63]            L'article 67 a été étudié par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mohammad c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 165, [1997] 3 C.T.C. 321, 97 D.T.C. 5503. Il s'agissait de la déductibilité d'intérêts payés par une personne sur un emprunt qui avait servi à financer la totalité du prix d'achat d'un bien locatif. S'exprimant pour la Cour, le juge Robertson avait écrit, au paragraphe 28 :


[28] Quand on évalue le caractère raisonnable d'une dépense, on mesure ce caractère raisonnable en termes de grandeur ou de quantum. Bien qu'une telle décision puisse faire intervenir un élément d'appréciation subjective de la part du juge des faits, il faut toujours rechercher un élément objectif. Quand on traite des dépenses d'intérêt, la tâche peut être objectivée assez facilement. Par exemple, le ministre aurait pu contester le montant des intérêts payés sur le prêt de 25 000 $, si le contribuable avait accepté de payer des intérêts excédant les taux du marché. Le caractère raisonnable des frais d'intérêt peut donc être mesuré objectivement, c'est-à-dire par rapport aux taux du marché. [...]

[64]            Comme la valeur, le caractère raisonnable est une question de fait. En l'espèce, c'est un fait sur lequel le juge n'a tiré aucune conclusion. Sans doute est-il vrai, comme on l'a vu dans l'affaire Mohammad, que le fait de payer la juste valeur marchande de quelque chose est à première vue raisonnable, mais il m'est impossible de me ranger à l'avis de la Couronne pour qui il en découle que le fait de payer davantage que la juste valeur marchande est nécessairement déraisonnable. Il peut y avoir des cas où la décision de payer quelque chose davantage que sa juste valeur marchande est une décision raisonnable. Compte tenu du critère exposé dans l'arrêt Gabco, je ne suis pas persuadé que la présente affaire se prête à l'application de l'article 67.

E. Jugement convenu


[65]            Le juge a refusé de donner effet au jugement convenu, lequel aurait accru d'environ 700 000 $ les déductions de Petro-Canada au titre des frais de recherche scientifique et de développement expérimental. Il a expliqué que, comme Petro-Canada avait obtenu, pour des frais d'exploration au Canada qui avaient été l'objet d'une renonciation, une déduction qui dépassait de bien plus de 700 000 $ le droit de Petro-Canada à une déduction, et puisque la question ultime qui lui était posée concernait la justesse de la cotisation visée par l'appel, il ne pouvait faire rien de plus que rejeter l'appel. Il ne pouvait ordonner au ministre d'établir une nouvelle cotisation en accord avec ses motifs, parce que cela aurait augmenté l'impôt payable, ce qui n'est pas un résultat admissible dans un appel en matière d'impôt sur le revenu (voir l'arrêt Harris, susmentionné).

[66]            Un jugement convenu qui concerne un point soulevé dans un appel en matière d'impôt sur le revenu ne lie pas la Cour de l'impôt, ni la Cour d'appel fédérale. Cependant, il convient de lui donner effet à moins qu'il n'y ait des raisons de conclure qu'il est contraire à la Loi de l'impôt sur le revenu. (L'un des objets de l'article 170 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt est d'offrir la possibilité d'envisager cette solution.)

[67]            Il n'est pas établi que le jugement convenu ou jugement par consentement dans la présente affaire aurait contrevenu de quelque façon à la Loi de l'impôt sur le revenu. La situation était exactement comme si le juge avait statué en faveur de Petro-Canada sur les points de droit et les points de fait implicites dans le jugement par consentement (c'est-à-dire les points se rapportant à la déduction des frais de recherche scientifique et de développement expérimental).

[68]            Le juge a eu raison de conclure que Petro-Canada avait obtenu une déduction qui dépassait son droit à déduction. L'unique conséquence de cette conclusion était que le juge ne pouvait accorder à Petro-Canada le redressement qu'elle demandait, un redressement qui était une déduction accrue représentant le coût des données sismiques. Le juge était empêché par l'arrêt Harris d'obliger le ministre à réduire la déduction parce que cela aurait eu pour effet d'autoriser la Couronne à faire appel de la cotisation.


[69]            Cependant, le juge a refusé d'obliger le ministre à donner effet au jugement convenu. Refuser les justes prétentions de Petro-Canada à la déduction au titre des frais de recherche scientifique et de développement expérimental avait le même effet qu'une ordonnance faisant droit à telles prétentions mais réduisant de la même somme la déduction de Petro-Canada pour frais de données sismiques. C'est comme si le juge avait fait droit en partie à l'appel de la Couronne contre la déduction pour frais de données sismiques. Le juge faisait indirectement ce qu'il n'aurait pu faire directement. À mon avis, il a commis une erreur en refusant de donner effet au jugement convenu.

F. Conclusion


[70]            Je ferais droit en partie au présent appel, j'annulerais le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et je le remplacerais par un jugement faisant droit en partie à l'appel et renvoyant la nouvelle cotisation au ministre, pour nouvelle cotisation, étant entendu que (1) la déduction au titre du coût des données sismiques est de 8 884 497 $, et (2) effet doit être donné au jugement convenu déposé à la Cour canadienne de l'impôt et concernant les frais de recherche scientifique et de développement expérimental. Puisque l'appelante Petro-Canada n'a obtenu ici gain de cause que sur un point relativement mineur, elle devrait supporter les dépens du présent appel.

                                                                                                                                     _ K. Sharlow _               

                                                                                                                                                     Juge                       

« Je souscris aux présents motifs

     Gilles Létourneau, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     M. Nadon, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-2-03

INTITULÉ :                                           PETRO-CANADA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 9 FÉVRIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                             LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                          LE 23 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Al Meghji

Mahmud Jamal

D'Arcy Schieman

    POUR L'APPELANTE

Wendy Burnham

Deborah Horowitz

    POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

    POUR L'APPELANTE

Morris Rosenberg

    POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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