Date : 20030611
Dossier : A-47-02
Référence : 2003 CAF 236
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE NADON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
appelante
et
CHARLES JOHN GORDON BENOIT,
SOCIÉTÉ TRIBALE DE L'ATHABASCA,
CONSEIL RÉGIONAL DU PETIT LAC DES ESCLAVES
et CONSEIL TRIBAL KEE TAS KEE NOW
intimés
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA PROVINCE DE L'ALBERTA
en vertu de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale
Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 19, 20 et 21 novembre 2002
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 juin 2003
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE JUGE NADON
ONT SOUSCRIT À CES MOTIFS : LE JUGE STONE
LE JUGE EVANS
Date : 20030611
Dossier : A-47-02
Référence : 2003 CAF 236
CORAM : LE JUGE STONE
LE JUGE NADON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
appelante
et
CHARLES JOHN GORDON BENOIT,
SOCIÉTÉ TRIBALE DE L'ATHABASCA,
CONSEIL RÉGIONAL DU PETIT LAC DES ESCLAVES
et CONSEIL TRIBAL KEE TAS KEE NOW
intimés
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA PROVINCE DE L'ALBERTA
en vertu de l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale
MOTIFS DE JUGEMENT
LE JUGE NADON
[1] Le présent appel vise une décision de la Section de première instance, 2002 CFPI 243, datée du 7 mars 2002, qui porte que le Traité 8 (le Traité) conclu en 1899 entre la Couronne et les Cris et Déné (les signataires autochtones) comprend la promesse que les signataires autochtones ne seraient assujettis à aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit. Le jugement est rédigé comme suit :
Pour les motifs énoncés, je déclare que :
a) les demandeurs ont le droit de revendiquer les avantages prévus au Traité 8, y compris le droit issu de traités de ne pas se voir assujettir à aucune taxe, à quelque moment et pour quelque motif que ce soit;
b) ce droit issu de traités n'a pas été éteint avant le 17 avril 1982 et il est maintenant protégé de l'extinction par la Loi constitutionnelle de 1982, et le Canada est tenu de le maintenir et d'y faire droit;
c) le fait d'assujettir les demandeurs à toute taxe fédérale est une violation injustifiée du droit issu de traités.
Je déclare aussi que :
L'application des mesures fédérales de taxation aux autochtones bénéficiaires du Traité 8 est incompatible avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) et, par conséquent, elle est nulle et de nul effet dans la mesure même de cette incompatibilité.
[2] Le litige en appel porte sur le Traité 8, l'un des 11 traités conclus entre 1871 et 1923 entre la Couronne et divers peuples autochtones. Ces traités visaient à faciliter la colonisation de l'Ouest canadien. Le Traité, signé le 21 juin 1899 au Petit lac des Esclaves, ainsi que les adhésions subséquentes intervenues dans d'autres localités, prévoit la cession de vastes territoires dans ce qui consiste aujourd'hui l'Alberta, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest. En contrepartie de la cession des territoires, la Couronne fédérale a pris un certain nombre d'engagements envers les signataires autochtones, notamment de créer des réserves pour les bandes, de leur fournir des écoles, de leur verser des annuités, de leur fournir de l'équipement agricole et des munitions, et de leur porter secours en cas de famine ou d'épidémie de peste. De plus, la Couronne fédérale y garantit le droit des signataires autochtones de chasser, de piéger et de pêcher. Voici la disposition du Traité à ce sujet :
Et Sa Majesté la Reine CONVIENT PAR LES PRÉSENTES avec les dits sauvages qu'ils auront le droit de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse au fusil, de la chasse au piège et de la pêche dans l'étendue de pays cédée telle que ci-dessus décrite, subordonnées à tels règlements qui pourront être faits de temps à autre par le gouvernement du pays agissant au nom de Sa Majesté et sauf et excepté tels terrains qui de temps à autre pourront être requis ou pris pour des fins d'établissements, de mine, de commerce de bois, ou autres objets.
[3] Le Traité porte aussi que chaque autochtone peut choisir une terre individuelle de 160 acres plutôt que d'adhérer à une réserve :
Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s'oblige de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites; et pour les familles ou les sauvages particuliers qui préféreront vivre séparément des réserves des bandes, Sa Majesté s'engage de fournir une terre en particulier de 160 acres à chaque sauvage, la terre devant être cédée avec une restriction quant à l'inaliénation sans le consentement du Gouverneur général du Canada en conseil, le choix de ces réserves et terres en particulier devant se faire de la manière suivante, savoir: le Surintendant général des Affaires des Sauvages devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner ces réserves et terres après s'être consulté avec les sauvages intéressés quant à la localité que l'on pourra trouver convenable et disponible pour le choix.
[4] On ne trouve aucune mention dans le Traité d'une promesse d'exemption fiscale pour les signataires autochtones.
[5] Nonobstant le fait qu'on ne trouve rien dans le Traité au sujet d'un droit des signataires autochtones à une exemption fiscale, et malgré les conclusions du juge de première instance que les commissaires pour le Traité n'avaient pas l'intention de promettre une exemption fiscale et qu'une telle promesse n'a pas été faite, il a conclu que le Traité devait être interprété comme s'il contenait une telle promesse.
[6] C'est cette conclusion qui est portée en appel.
LES FAITS
[7] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits en première instance, que le juge de première instance reproduit au paragraphe 22 de ses motifs :
[22] [...]
En 1870, la Compagnie de la Baie d'Hudson a cédé ses droits sur le Nord-Ouest au Dominion du Canada. Par un décret daté du 27 juin 1898, le Conseil privé a nommé A.E. Forget (Forget), J.A.J. McKenna (McKenna) et une autre personne à déterminer, commissaires chargés de négocier avec les Indiens vivant au nord du territoire du Traité 6 afin d'éteindre leur titre sur les terres en cause (la région du Traité 8). Le 4 octobre 1898, un décret du Conseil privé portait que David Laird était nommé commissaire des Sauvages pour le Manitoba, le Kéwatin et les Territoires du Nord-Ouest.
Le 6 décembre 1898, le Conseil privé a donné son autorisation, par décret, à la présentation à la province de la Colombie-Britannique d'un avis d'intention de négocier un traité.
Le 3 février 1899, David Laird a fait circuler dans la région du Traité 8 une lettre transmise par les soins de la Police à cheval du Nord-Ouest et de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
Le 2 mars 1899, le Conseil privé a nommé, par décret, J.H. Ross troisième commissaire et il a aussi remplacé M. Forget par David Laird. Le C.P. 1703 porte la mention « modifié par CP 330 » .
Le 3 mai 1899, le Conseil privé a nommé, par décret, le père A. Lacombe pour accompagner les commissaires.
Le 6 mai 1899, le Conseil privé a approuvé, par décret, la tenue d'un examen des revendications des Métis et leur règlement en même temps qu'on procédait à la négociation d'un traité.
Le 12 mai 1899, le surintendant général des Affaires des Sauvages, Clifford Sifton, a écrit aux commissaires pour leur transmettre leur mandat ainsi que les instructions du gouvernement.
Le 29 mai 1899, la Commission a quitté Edmonton, prévoyant arriver au Petit lac des Esclaves au plus tard le 8 juin 1899. MM. Laird et McKenna, ainsi que leur groupe, se sont rendus à Athabasca Landing et ensuite au Petit lac des Esclaves. Par suite de conditions défavorables, ils ne sont arrivés qu'en fin de journée le 19 juin 1899. M. Ross et son groupe avaient procédé à se rendre au Petit lac des Esclaves en empruntant le sentier Assiniboine et ils sont arrivés vers le 5 juin 1899.
Le 20 juin 1899, les commissaires ont rencontré les Cris au Petit lac des Esclaves. Ce jour-là, les termes du Traité offerts par le gouvernement ont été exposés lors d'une réunion avec les Cris du Petit lac des Esclaves.
Le Traité 8 a été rédigé au Petit lac des Esclaves suite à une réunion avec les Cris, tenue le 20 juin 1899.
Le 21 juin 1899, les commissaires et les représentants des Cris du Petit lac des Esclaves et du territoire adjacent, dûment autorisés par leur peuple, ont procédé à la signature du Traité 8.
Les membres de la Commission se sont alors séparés afin de rattraper le retard dans l'arrivée au Petit lac des Esclaves de MM. Laird et McKenna.
M. Laird s'est rendu à Peace River Crossing et les Cris de Peace River Crossing et du territoire adjacent ont adhéré au Traité 8 par l'entremise de leurs représentants autorisés le 1er juillet 1899.
M. Laird s'est ensuite rendu à Vermilion et les Castors et Cris de Vermilion et du territoire adjacent ont adhéré au Traité 8 par l'entremise de leurs représentants autorisés le 8 juillet 1899.
M. Laird s'est ensuite rendu à Fond-du-Lac (sur le lac Athabasca) et les Chipewyans et les résidents de Fond-du-Lac et des territoires adjacents ont adhéré au Traité 8 par l'entremise de leurs représentants autorisés les 25 et 27 juillet 1899.
MM. Ross et McKenna ont procédé du Petit lac des Esclaves jusqu'à Dunvegan et les Castors et Dunvegan ont adhéré au Traité 8 par l'entremise de leurs représentants autorisés le 6 juillet 1899.
MM. Ross et McKenna se sont ensuite rendus à Little Red River Post, où ils sont arrivés le 10 juillet 1899.
M. Ross s'est rendu à Wapiscow (aussi connu sous le nom de Wabasca) et les Indiens de Wapiscow et des contrées environnantes ont adhéré au Traité 8 par l'entremise de leurs représentants autorisés le 14 août 1899.
Les commissaires pour le Traité, MM. Laird, Ross et McKenna, ont présenté un rapport daté du 22 septembre 1899 à l'honorable Clifford Sifton, surintendant général des Affaires des Sauvages.
Le Conseil privé a ratifié le Traité 8 le 20 février 1900.
Le 2 mars 1900, le Conseil privé a nommé J.A. Macrae, par décret, le chargeant de solliciter d'autres adhésions au Traité 8.
Par l'entremise de leurs représentants autorisés, les Castors de la rivière de la Paix et des contrées environnantes ont adhéré au Traité 8 le 30 mai 1900 à Fort St. John.
Par l'entremise de leurs représentants autorisés, les Cris de Sturgeon Lake et des contrées environnantes ont adhéré au Traité 8 le 8 juin 1900 au Petit lac des Esclaves.
Par l'entremise de leurs représentants autorisés, les Esclaves de Hay River et des contrés environnantes ont adhéré au Traité 8 le 23 juin 1900 à Vermilion.
Par l'entremise de leurs représentants autorisés, les Indiens vivant sur la rive sud du Grand lac des Esclaves, entre l'embouchure de Hay River et l'ancien Fort Reliance, près de l'embouchure de la rivière Lockhearts, ainsi que dans les contrées environnantes, ont adhéré au Traité 8 le 25 juillet 1900 à Fort Resolution.
Le commissaire Macrae a présenté son rapport, daté du 11 décembre 1900, à l'honorable surintendant général des Affaires des Sauvages.
Les adhésions au Traité 8 qui datent de 1900 ont été ratifiées le 3 janvier 1901. (pièce 2)
[je souligne]
[8] Le litige entre les parties trouve sa source dans le Rapport daté du 22 septembre 1899 (le Rapport des commissaires), présenté par les commissaires pour le Traité (MM. Laird, Ross et McKenna) à l'honorable Clifford Sifton, surintendant général des Affaires des Sauvages. Ce rapport est le seul document rédigé par des personnes ayant participé ou ayant été témoins au processus de conclusion du Traité qui mentionne la question de la taxation dans le contexte du Traité 8. Dans leur Rapport, les commissaires racontent et expliquent les négociations et discussions avec les signataires autochtones qui ont mené à la signature du Traité et aux adhésions qui ont suivi. Voici l'extrait pertinent du Rapport des commissaires, que le juge de première instance reproduit au paragraphe 23 de ses motifs :
[...]
Comme les discussions aux différents endroits étaient à peu près les mêmes, nous nous bornerons à les signaler d'une manière générale. Il y eu une absence remarquable de l'ancien style oratoire sauvage. Il n'y a eu de discours réguliers que chez les Cris des Bois, et encore furent-ils courts. Les sauvages Castors sont taciturnes. Les Chipewyans se confinent à poser des questions et à les discuter brièvement. Ils paraissent plus portés à contre-interroger qu'à faire des discours, et le chef au Fort Chipewyan a fait preuve d'une vive intelligence et de beaucoup de sens pratique en présentant les prétentions de sa bande. Ils voulaient tous des conditions aussi libérales, sinon plus libérales, que celles accordées aux sauvages des plaines. Quelques-uns espéraient que le gouvernement les nourriraient après la signature du traité, et tous ont demandé de l'aide dans les temps de détresse, et que le gouvernement se chargeât du soin des vieillards, des indigents qui ne peuvent plus faire la chasse au fusil et au piège, et se trouvent en conséquence souvent dans la détresse. Ils demandèrent qu'on leur fournît des médicaments. A Vermillon, Chipewyan et au Débarcadère de Smith, ils demandèrent avec instances les services d'un médecin. Ils exprimèrent partout la crainte que la signature du traité ne fut suivie d'une restriction des privilèges de chasse et de pêche, et plusieurs étaient convaincus que le traité conduisait à la taxation et au service militaire obligatoire. Ils paraissaient désirer obtenir les avantages de l'éducation pour leurs enfants, mais ils stipulèrent que dans les écoles on n'interviendrait pas dans leurs croyances religieuses.
Nous leur fîmes comprendre que le gouvernement ne pouvait entreprendre de faire vivre les sauvages dans l'oisiveté, qu'ils auraient après le traité les mêmes moyens qu'auparavant de gagner leur vie, et qu'on espérait que les sauvages s'en serviraient. Nous leur dîmes que le gouvernement était toujours prêt à accorder des secours dans les cas d'indigence réelle, et que dans les saisons de détresse ils recevraient, même sans aucune stipulation spéciale dans le traité, l'aide qu'on donne ordinairement pour empêcher la famine parmi les sauvages dans n'importe quelle partie du Canada; et nous déclarâmes que l'attention du gouvernement serait attirée sur le besoin de prendre quelque disposition spéciale pour aider les vieillards et les indigents qui sont incapables de travailler et qui comptent sur la charité pour vivre. Nous fîmes la promesse que des médicaments seraient déposés chez des personnes choisis par le gouvernement à différents endroits, et qu'ils seraient distribués gratuitement aux sauvages qui pourraient en avoir besoin. Nous expliquâmes qu'il serait pratiquement impossible pour le gouvernement de fournir des soins de médecins réguliers aux sauvages si dispersés sur une si vaste étendue de territoire. Nous leur assurâmes, cependant, que le gouvernement serait toujours prêt à saisir toute occasion de fournir des soins de médecins, juste comme il stipulait que le médecin attaché à la Commission soignerait gratuitement tous les sauvages qui auraient besoin de ses services, lorsqu'il passerait à travers le pays.
Notre principale difficulté à surmonter était la crainte qu'on restreindrait leurs privilèges de chasse et de pêche. La disposition du traité en vertu de laquelle des munitions et de la ficelle devaient être fournies contribua beaucoup à appaiser [sic] les craintes des sauvages, car ils admirent qu'il ne serait pas raisonnable de leur fournir des moyens de chasser et de pêcher si l'on devrait faire une loi qui restreindrait tellement la chasse et la pêche qu'il serait presque impossible de gagner sa vie en s'y livrant. Mais en sus de cette disposition nous avons dû leur affirmer solennellement qu'on ne ferait sur la chasse et la pêche que des lois qui seraient dans l'intérêt des sauvages et qu'on trouverait nécessaire pour protéger le poisson et les animaux à fourrure, et qu'ils seraient aussi libres de chasser et de pêcher après le traité qu'ils le seraient s'ils n'avaient jamais fait de traité.
Nous les assurâmes que le traité ne mènerait à aucune intervention forcée dans leur manière de vivre, qu'il n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes, et qu'ils n'avaient pas à craindre le service militaire obligatoire. Nous leur montrâmes que, soit que le traité fut fait ou non, ils étaient soumis à la loi, obligés de lui obéir, et passibles de châtiments pour toute infraction de la loi. Nous leur fîmes remarquer que la loi était faite pour la protection de tout le monde, et que tous les habitants du pays doivent la respecter, sans distinction de couleur ou d'origine; et que, exigeant d'eux de vivre en paix avec les blancs qui venaient dans le pays, et de ne les molester ni dans leur personne, ni dans leurs biens, elle exigeait de leur part d'agir à l'égard des blancs, comme ces derniers sont obligés de le faire à l'égard des sauvages.
Quant à l'éducation, on assura aux sauvages qu'il n'y avait aucune nécessité de faire aucune stipulation spéciale, parce qu'il était de la politique du gouvernement de pourvoir dans toutes les parties du pays, autant que les circonstances le permettent, à l'éducation des enfants sauvages, et que la loi, qui est aussi forte qu'un traité, pourvoyait à la non-intervention dans la religion des sauvages, dans les écoles maintenues ou aidées par le gouvernement.
[c'est le juge de première instance qui souligne]
[9] Il est clair au vu de la preuve, et le juge de première instance a conclu en ce sens, que les commissaires pour le Traité avaient l'intention d'agir dans le cadre de leur mandat, ainsi qu'à l'intérieur des paramètres de la législation et des politiques existantes. Ils n'avaient pas l'intention de créer en vertu du Traité 8 des droits qui auraient été contraires à la loi, à leurs instructions ou aux dispositions qui se trouvent dans les autres traités numérotés, où il n'est nullement question d'une exemption fiscale. Comme le fait remarquer le juge de première instance aux paragraphes 75 et 141 de ses motifs, le surintendant général des Affaires des Sauvages avait donné instruction aux commissaires de ne pas dépasser les modalités des traités antérieurs.
[10] Les intimés soutiennent que, parmi les engagements pris par la Couronne fédérale à leur égard, on trouve la promesse qu'ils ne seront assujettis à aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit[i]. Ils appuient cette affirmation sur la partie du Rapport des commissaires qui est soulignée. Le point de vue des appelants et des intervenants[ii] est simplement que les commissaires n'ont jamais fait une telle promesse aux signataires autochtones et que, par conséquent, on ne peut lui donner le statut d'une modalité du Traité. Ils soutiennent aussi que de toute façon les signataires autochtones n'ont jamais compris qu'on leur aurait fait une promesse en matière de taxes. Ils demandent donc le rejet de l'action des intimés.
LE JUGEMENT DU JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE
[11] En arrivant à sa conclusion que le Traité comprenait une promesse d'exemption fiscale pour les signataires autochtones, le juge de première instance est arrivé à un certain nombre de conclusions que je vais maintenant exposer. Premièrement, il a conclu que les termes qui portent sur la taxation utilisés par les commissaires dans leur Rapport, qu'il a décrits comme étant une promesse en matière de taxes, constituent une promesse du Traité et donc une modalité du Traité, quel que soit leur sens.
[12] Deuxièmement, après un examen des avis juridiques et d'expert, qu'il n'a pas trouvé concluants, le juge de première instance a conclu que les parties n'avaient pas démontré quel était le sens de la promesse faite en matière de taxes et donc que rien dans la preuve n'indiquait une compréhension ou une intention communes entre les parties au Traité.
[13] Pour arriver à cette conclusion, le juge de première instance a conclu que les commissaires n'étaient pas autorisés à outrepasser le cadre établi par les traités numérotés antérieurs, où l'on ne trouve pas de promesse en matière de taxes. Il a aussi conclu que les commissaires n'avaient pas dit aux signataires autochtones qu'ils ne paieraient jamais de taxes s'ils signaient le Traité. Il fait les déclarations suivantes, aux paragraphes 181 et 273 de ses motifs :
[181] Comme j'en discuterai plus longuement ci-après, j'accepte l'avis du Dr Irwin voulant que les commissaires n'auraient pas dit aux autochtones qu'ils ne paieraient jamais de taxes et j'arrive à la conclusion de fait qu'il n'y a pas eu d'intention commune au sujet de la promesse d'exemption fiscale. En fait, la preuve du Dr Irwin vient appuyer la conclusion qu'il existait un malentendu fondamental entre les commissaires et les autochtones.
[...]
[273] Le Canada et l'Alberta soutiennent qu'il n'y a pas de preuve suffisante pour démontrer, au vu de la prépondérance des probabilités, que les commissaires auraient fait une promesse d'exemption fiscale. Me fondant sur la preuve que les commissaires n'avaient pas l'intention de faire une telle promesse au vu des termes qu'ils ont utilisés, j'ai conclu qu'en fait, une telle promesse n'avait pas été faite. [...]
[je souligne]
[14] Troisièmement, le juge de première instance a conclu que même si les commissaires n'avaient pas l'intention de faire une promesse d'exemption fiscale et qu'une telle promesse n'avait pas été faite, les signataires autochtones ont compris que les termes utilisés par les commissaires constituaient une promesse d'exemption fiscale s'ils adhéraient au Traité. Le juge de première instance déclare ceci, au paragraphe 319 de ses motifs :
[319] Je conclus que, quelle qu'ait été la signification que les commissaires donnaient à la promesse qu'ils ont faite en matière de taxes, qui n'a pas été démontrée, elle est différente de ce que les autochtones ont compris et qu'au vu de la prépondérance des probabilités, les Cris et les Déné croyaient que les commissaires leur avaient fait la promesse d'une exemption fiscale.
[15] Quatrièmement, se fondant sur le principe de l'honneur de la Couronne, le juge de première instance a conclu que la Couronne fédérale devait assumer la responsabilité du malentendu. Le juge de première instance exprime sa conclusion comme suit, aux paragraphes 333 et 334 :
[333] Au vu de la preuve, il est clair qu'il y a une rupture non intentionnelle de la relation de fiduciaire entre le Canada et les autochtones du Traité 8. Par conséquent, les deux parties ont intérêt à s'assurer que cette relation spéciale est rétablie. Je conclus que la responsabilité d'atteindre ce résultat incombe au Canada. Les demandeurs ne peuvent faire rien de plus pour prouver que leur revendication est justifiée, comme ils l'ont fait.
[334] Selon moi, au vu droit et de ses propres intérêts, ainsi que ce ceux des autochtones du Traité 8, le Canada doit reconnaître et respecter la promesse en matière de taxes telle qu'elle a été comprise par les autochtones en 1899. En conséquence, je conclus, comme le revendiquent les demandeurs, que la modalité du Traité à l'existence de laquelle j'ai conclu doit être interprétée de façon à ce que les autochtones bénéficiant du Traité 8 ne soient assujettis à aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit.
[16] Finalement, le juge de première instance a examiné les questions de savoir si le droit issu de traités accordant une exemption fiscale aux signataires autochtones du Traité avait été éteint avant 1982 et si la législation fédérale en matière d'impôt sur le revenu constituait une violation justifiée de ce droit. Il a répondu « non » aux deux questions.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[17] Le présent appel soulève les questions suivantes :
i) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant qu'on pouvait déduire l'existence d'une modalité du Traité en se fondant sur un malentendu unilatéral;
ii) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant à l'existence d'un droit issu de traités à une exemption fiscale, alors qu'il n'existait aucune intention commune de créer un tel droit;
iii) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que les signataires autochtones avaient mal compris les déclarations des commissaires pour le Traité;
iv) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que le droit issu de traités à une exemption fiscale n'était pas éteint; et
v) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que la législation fédérale en matière d'impôt sur le revenu ne constituait pas une violation justifiée du droit issu de traités.
ANALYSE
[18] Mon analyse ne portera que sur la troisième question, car elle suffit selon moi à trancher l'appel. Les appelants soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les signataires autochtones avaient mal compris les déclarations des commissaires. Plus particulièrement, ils soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de toute la preuve démontrant le contraire de sa conclusion, qui veut que la preuve historique orale permet de dire que les signataires autochtones ont compris que la Couronne fédérale leur promettait une exemption fiscale dans le Traité. Ils déclarent aussi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en arrivant à cette conclusion uniquement sur la base des témoignages de trois témoins, savoir Joseph Willier, Céleste Randhile et François Paulette, ainsi que sur la transcription de l'une des deux entrevues de Jean-Marie Mustus, réalisée dans le cadre du projet TARR[iii]. Les appelants soutiennent que le juge de première instance aurait dû n'accorder aucun poids à la preuve orale des intimés.
[19] Dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, le juge en chef Lamer a insisté sur le fait que la Cour suprême hésitait à intervenir dans les conclusions de fait du juge de première instance. Il a toutefois déclaré clairement que si le juge avait commis une « une erreur manifeste et dominante » , une cour d'appel pouvait substituer ses propres conclusions de fait. C'est à ce sujet que le juge en chef renvoie, au paragraphe 78 de ses motifs, à l'arrêt de la Cour suprême Stein c. Le navire « Kathy K » , [1976] 2 R.C.S. 802, où le juge Ritchie déclare ceci à la page 808 :
On ne doit pas considérer que ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu'elles ne doivent pas être modifiées à moins qu'il ne soit établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d'appel ait l'obligation de réexaminer la preuve afin de s'assurer qu'aucune erreur de ce genre n'a été commise, j'estime qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès.
[20] Au paragraphe 80 de ses motifs dans l'arrêt Delgamuukw, précité, le juge en chef Lamer a ajouté qu'une cour d'appel peut modifier une conclusion de fait tirée en première instance « dans le cas où les premiers juges se sont mépris sur une preuve importante ou l'ont méconnue » . Des commentaires semblables ont été énoncés par le juge La Forest dans l'arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, à la p. 281, lorsqu'il déclare que : « [u]ne cour d'appel peut modifier les conclusions de fait du juge de première instance lorsque certains éléments de preuve pertinents n'ont pas été pris en considération » . Plus récemment, la Cour suprême, dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, a examiné de façon fort détaillée le rôle des cours d'appel dans l'examen des conclusions factuelles et des inférences factuelles des juges de première instance. Les juges Iacobucci et Major, s'exprimant au nom de la majorité, énoncent le principe directeur de la façon suivante, au paragraphe 1 de leurs motifs, :
1. Il va sans dire qu'une cour d'appel ne devrait modifier les conclusions d'un juge de première instance qu'en cas d'erreur manifeste et dominante. On reformule parfois cette proposition en disant qu'une cour d'appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas oùil existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision.
[21] Après avoir déclaré que la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte, la majorité s'appuie sur l'arrêt Stein c. Le navire « Kathy K » , précité, pour réaffirmer le principe que les conclusions de fait ne peuvent être infirmées que si la cour chargée du contrôle est convaincue que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante » . S'agissant des inférences factuelles, la majorité s'est dit d'avis qu'en l'absence d'une erreur manifeste et dominante dans les conclusions factuelles qui les étayent, une cour d'appel ne pouvait intervenir que si le processus menant à l'inférence factuelle était lui-même manifestement erroné. La majorité explique son raisonnement de la façon suivante, aux paragraphes 22 et 23 :
22. [...] Bien que nous partagions l'opinion selon laquelle il est loisible à une cour d'appel de conclure qu'une inférence de fait tirée par le juge de première instance est manifestement erronée, nous tenons toutefois à faire la mise en garde suivante : lorsque des éléments de preuve étayent cette inférence, il sera difficile à la Cour d'appel de conclure à l'existence d'une erreur manifeste et dominante. Comme nous l'avons dit précédemment, les tribunaux de première instance sont dans une position avantageuse pour apprécier et soupeser de vastes quantités d'éléments de preuve. Pour tirer une inférence factuelle, le juge de première instance doit passer les faits pertinents au crible, en apprécier la valeur probante et tirer une conclusion factuelle. En conséquence, lorsque cette conclusion est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance.
23. Nous rappelons qu'il n'appartient pas aux cours d'appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. Si aucune erreur manifeste et dominante n'est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l'inférence du juge de première instance, ce n'est que lorsque le processus inférentiel lui-même est manifestement erroné que la cour d'appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d'appel n'est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n'est pas d'accord, lorsque ce désaccord résulte d'une divergence d'opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion. Comme nous le verrons plus loin, nous estimons en toute déférence que constitue un exemple de ce genre d'intervention inadmissible à l'égard d'une inférence de fait la conclusion de notre collègue selon laquelle la juge de première instance a commis une erreur en prêtant à la municipalité la connaissance du danger dans la présente affaire.
[22] S'agissant de l'erreur manifeste, la majorité dans l'arrêt Housen, précité, la définit comme une chose évidente, que l'on ne peut contester. Selon moi, ce critère est satisfait en l'espèce pour les motifs qui suivent.
[23] Je suis arrivé à la conclusion que le point de vue des appelants est fondé du fait que la preuve présentée en l'espèce ne peut raisonnablement appuyer la conclusion à laquelle le juge de première instance est arrivé. Selon moi, en cherchant à se montrer réceptif à l'histoire orale présentée par les intimés, le juge de première instance a franchi la limite décrite par le juge en chef McLachlin dans l'arrêt Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, lorsqu'elle déclare ceci, au paragraphe 39 :
39. Il y a une limite à ne pas franchir entre l'application éclairé e des règles de preuve et l'abandon complet de ces règles. Comme le note le juge Binnie dans le contexte des droits issus de traités, « [i]l ne faut pas confondre les règles "géné reuses" d'interpré tation avec un vague sentiment de largesse a posteriori » (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, par. 14). En particulier, la démarche de l'arrêt Van der Peet n'a pas pour effet d'augmenter la force probante de la preuve soumise à l'appui d'une revendication autochtone. La preuve à l'appui des revendications autochtones, comme la preuve produite dans n'importe quelle affaire, peut couvrir toute la gamme des forces probantes, de la preuve hautement convaincante à la preuve hautement contestable. Il faut encore établir le bien-fondédes revendications sur la base d'une preuve convaincante qui démontre leur validitéselon la prépondé rance des probabilités. Dire qu'il faut accorder « le poids qui convient » au point de vue autochtone ou s'assurer que la preuve à l'appui de ce point de vue est placée sur un « pied d'égalité » avec les types de preuve plus familiers, c'est précisément dire ce que cela veut dire : un traitement égal et approprié. Si la preuve des demandeurs autochtones ne devrait pas être sous-estimée « simplement parce [qu'elle] ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple » (Van der Peet,précité, par. 68), on ne devrait pas non plus la faire ployer artificiellement sous plus de poids que ce qu'elle peut raisonnablement étayer. Si cette proposition est évidente, il faut néanmoins l'énoncer [je souligne]
[24] Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge en chef McLachlin conclut, au paragraphe 51 de ses motifs, que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les Mohawks canadiens d'Akwesasne avaient le droit ancestral de rapporter au Canada des marchandises des États-Unis à des fins d'usage communautaire et de commerce avec d'autres premières nations sans payer de droits de douane, droit ancestral qui prenait le pas sur la législation canadienne sur les douanes. En arrivant à cette conclusion, le juge en chef McLachlin a déclaré que le juge de première instance était arrivé à sa conclusion en se fondant sur des preuves « éparses, incertaines et équivoques » :
51. Comme le mentionne la section précédente, le bien-fondé d'une revendication doit être établi sur la base de preuves convaincantes selon la prépondérance des probabilités. Des preuves éparses, incertaines et équivoques ne peuvent établir le bien-fondéd' une revendication. Avec égards, c'est exactement ce qui s'est passé en l'espèce. La contradiction entre la déclaration du juge McKeown selon laquelle il n'y a guère de preuves directes de l'existence d'un droit de commercer à travers le fleuve et sa conclusion selon laquelle ce droit existe, semble indiquer une norme de preuve très souple (ou peut-être, plus exactement, une appréciation déraisonnablement libérale d'une preuve ténue). La démarche de l'arrêt Van der Peet exige un traitement égal et approprié des preuves étayant des revendications autochtones, mais ne permet pas pour autant de renforcer ou de rehausser la valeur probante de ces preuves. La preuve pertinente en l'espèce -- un seul couteau, des traités qui ne font pas mention d'un commerce antérieur et le simple fait de la participation des Mohawks au commerce de fourrure -- ne peut étayer la conclusion du juge de première instance que si on lui donne plus de poids que ce qu'elle peut raisonnablement soutenir. Ni Van der Peet ni le par. 35(1) n'envisagent un tel résultat. Si les cours d'appel doivent s'en remettre largement aux conclusions de fait des juges de première instance, je suis convaincue que ces conclusions en l'espèce constituent une « erreur manifeste et dominante » justifiant de leur substituer d'autres conclusions (Delgamuukw, précité, par. 78-80). Je conclus que le demandeur n'a pas établi l'existence d'une pratique ancestrale de traverser le Saint-Laurent avec des marchandises à des fins commerciales. [je souligne]
[25] Le fardeau de prouver que les signataires autochtones ont mal compris les déclarations des commissaires incombe aux intimés. Dans l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la p. 1112, la Cour suprême a fait clairement ressortir que dans les affaires portant sur les droits ancestraux et les droits issus de traités, le fardeau de prouver leur existence selon une norme civile incombe à ceux qui les invoquent. Quant au degré de probabilité exigé pour satisfaire au fardeau de la preuve dans une affaire civile, j'adopte les remarques suivantes du juge Cartwright dans l'arrêt Smith c. Smith, [1952] 2 R.C.S. 312, où il présente la proposition suivante aux p. 331 et 332 :
[traduction]
On dit généralement qu'en matière civile, la preuve peut être faite selon la prépondérance des probabilités ou que le tribunal peut tirer ses conclusions en fonction de la prépondérance des probabilités. Je n'ai pas l'intention d'essayer d'exprimer ce principe d'une façon plus précise. Je tiens toutefois à souligner que, dans toute action civile, pour pouvoir conclure sans risque à l'exactitude d'une question de fait qui doit être établie, le tribunal doit être convaincu d'une manière raisonnable qui dépendra de l'ensemble des circonstances à partir desquelles il formera son jugement, y compris la gravitédes conséquences.
Je veux faire mienne cette déclaration du juge Dixon, dans Briginshaw v. Briginshaw [(1938) 60 C.L.R. 336] :
La réalité est que lorsque le droit exige qu'on établisse un fait donné, le tribunal doit être réellement persuadé qu'il s'est produit ou qu'il existe avant de conclure en conséquence. Une telle conclusion ne peut résulter d'une simple comparaison mécanique des probabilités en l'absence de cette conviction. Il va sans dire qu'on peut croire à l'existence d'un fait à partir de variables infinies de certitude, ce qui a suscité des tentatives de définir exactement le degré de certitude nécessaire en droit à diverses fins. Heureusement, toutefois, on n'est pas arrivé en common law à élaborer une troisième norme de conviction. Sauf lorsque la poursuite doit établir l'existence de faits criminels, il suffit qu'une allégation soit démontrée à la satisfaction raisonnable du tribunal. Mais la satisfaction raisonnable n'est pas un état d'esprit auquel on peut arriver indépendamment de la nature et des conséquences des faits qu'il faut établir. La question de savoir si une situation est établie à la satisfaction raisonnable du tribunal doit tenir compte du sérieux de l'allégation, de la possibilité inhérente qu'une situation donnée soit improbable, ou de la gravité des conséquences. Dans un tel contexte, on ne peut arriver à une « satisfaction raisonnable » sur la base de preuves inexactes, de témoignages imprécis ou d'inférences indirectes. Tous les intéressés doivent pouvoir sentir, par exemple, que s'il s'agit de déterminer à laquelle de deux dates un événement s'est produit, on peut y arriver de façon satisfaisante à partir d'éléments que ne pourrait accepter un esprit sérieux et prudent si la question consistait à établir la commission d'un acte pervers contraire à la morale.
Ainsi que cette déclaration tirée des motifs du juge Roach, J.C.A., dans George v. George and Logie [ [1951] 1 D.L.R. 278]:
L'allégation d'adultère doit être établie à la « satisfaction » du juge, mais il n'est pas nécessaire qu'il possède la certitude morale requise en matière criminelle. Bien sûr, la preuve qui n'est fondée que sur des doutes, suppositions et conjectures ne peut suffire. Il est nécessaire que la preuve soit, par son importance et sa valeur, de nature telle que le tribunal - juge ou jury - puisse, en agissant avec prudence et équité, arriver à la conclusion raisonnable que l'acte en cause a bien été commis.
[je souligne]
[26] Les intimés soutiennent qu'ils ne doivent être assujettis à aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit. L'aspect très sérieux de cette allégation et les conséquences graves découlant d'une conclusion la confirmant sont d'une nature telle que le juge de première instance devait évaluer avec soin toute la preuve produite avant d'arriver à sa conclusion. Comme il ne l'a pas fait, il a commis une erreur grave qui justifie l'intervention de notre Cour. Les preuves sur lesquelles le juge de première instance s'est appuyé sont, pour reprendre les termes du juge en chef McLachlin dans l'arrêt Mitchell, précité, « éparses, incertaines et équivoques » .
[27] Je vais maintenant examiner la preuve que les appelants disent avoir été ignorée par le juge de première instance. Ils déclarent que si le juge de première instance avait considéré de façon appropriée toute la preuve pertinente qui lui était présentée, il n'aurait pu arriver à la conclusion que les signataires autochtones avaient compris qu'on leur faisait une promesse d'exemption fiscale. Plus particulièrement, ils déclarent qu'on n'a pas tenu compte des éléments de preuve suivants, qui n'ont par conséquent reçu aucun poids : a) les entrevues du projet TARR; b) les entrevues réalisées en 1991 et en 1999 pour consigner l'histoire orale; c) les affidavits Breynat qui datent des années 1930; d) la recherche Fumoleau qui date du début des années 1970; et e) les délibérations du Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes créé en 1946 pour examiner la Loi des Indiens. Je vais commencer avec cette partie de la preuve, qu'on peut définir comme la preuve historique, parce que selon moi la fiabilité et l'exactitude des témoignages sur lesquels le juge de première instance s'est appuyé pour arriver à sa conclusion doivent être examinées au vu de la preuve historique.
Les entrevues du projet TARR :
[28] En première instance, les parties ont voulu présenter en preuve les transcriptions d'entrevues avec les anciens conduites au cours des années 1970 dans le cadre du projet TARR, dont l'objectif était de documenter la compréhension des Indiens au sujet des traités en Alberta. À peu près 200 entrevues ont été réalisées au sujet du Traité 8. Les demandeurs ont alors cherché à faire admettre la transcription de 14 entrevues, l'intervenant (Alberta) cherchant à faire admettre 103 transcriptions d'entrevues qui, à son point de vue, venaient appuyer les dires des appelants.
[29] Aux paragraphes 253 à 267 de ses motifs, le juge de première instance traite de la recevabilité des transcriptions du projet TARR. Bien que reconnaissant que ces transcriptions sont du ouï-dire, il les a tout de même considérées recevables en preuve à titre d'exception à la règle du ouï-dire, car selon lui elles constituent un hybride des méthodes autochtones et anglo-canadiennes d'enregistrement de l'histoire. Au vu des objections des appelants quant à la fiabilité des transcriptions, le juge de première instance a exclu toutes les transcriptions, sauf celle d'une des entrevues de Jean-Marie Mustus[iv], un ancien Cri, qu'il considérait être la seule pertinente. Le juge de première instance répond aux objections de la façon suivante, aux paragraphes 267 et 272 de ses motifs :
[267] On peut répondre aux objections soulevées par le Canada et l'Alberta par une conclusion quant à la pertinence. Je conclus que la seule transcription du projet TARR qui est pertinente dans le cadre de la revendication de demandeurs qui porte sur la promesse d'exemption fiscale est celle de M. Jean Marie Mustus.
[...]
[272] Toutefois, je répondrai à la préoccupation du Canada en ne retenant que la traduction de Mme L'Hirondelle à titre de preuve recevable et fiable de l'histoire orale transmise par M. Mustus.
[30] Je partage l'avis des appelants que la conclusion du juge de première instance à ce sujet est incorrecte. Comme le soutient l'avocat de l'intervenant (Saskatchewan), toutes les transcriptions étaient recevables, ou bien aucune ne l'était. Le juge semble être arrivé à la conclusion que la transcription Mustus était la seule pertinente, du fait que la taxation n'avait pas été mentionnée ou discutée dans les autres transcriptions. Avec déférence, ceci ne peut être juste. Le fait que les autres transcriptions ne disent rien au sujet de la taxation ne leur enlève pas toute pertinence. Au contraire, le fait que plus de 100 anciens n'ont absolument pas mentionné la taxation indique clairement, selon moi, que les personnes qui ont accordé des entrevues peuvent ne pas avoir cru à l'existence d'une promesse en matière de taxes. Étant donné que l'objectif explicite des entrevues du projet TARR était de consigner la compréhension qu'avaient les autochtones des promesses des traités, les entrevues où il n'est pas question de taxation ne peuvent être rejetées pour manque de pertinence et, en conséquence, le juge de première instance aurait dû en tenir compte.
[31] Au paragraphe 260 de ses motifs, le juge de première instance souligne le fait que les entrevues du projet TARR et, par conséquent « [l]es transcriptions ont été recueillies dans le but précis d'enregistrer les souvenirs des anciens au sujet des négociations du Traité » [je souligne]. Au vu de cette déclaration, il est difficile de comprendre comment le juge de première instance pouvait ignorer le fait qu'aucun des anciens qui avaient accordé des entrevues n'a parlé d'une promesse en matière de taxes datant de la conclusion du Traité en 1899, à la seule exception de M. Mustus.
[32] Je suis donc d'avis que le juge de première instance a commis une erreur de droit en excluant toutes les transcriptions du projet TARR, à l'exception de la transcription d'une des deux entrevues de M. Mustus. Les entrevues que le juge de première instance n'a pas admises étaient sans aucun doute pertinentes et il ne pouvait les exclure à moins d'avoir des motifs sérieux pour ce faire. Aux paragraphes 299 et 300 de ses motifs, le juge de première instance semble avoir pris conscience du fait que M. Mustus était la seule personne ayant accordé une entrevue qui a mentionné quoi que ce soit au sujet de la taxation :
[299] Quant à la transcription de M. Mustus, on peut avancer plusieurs conjectures, dont les suivantes : aucune question n'a été posée aux anciens au sujet des taxes, puisque les entrevues étaient conduites dans le but de recueillir de l'information au sujet des ressources; les anciens qui ont participé aux entrevues ne considéraient pas que la promesse au sujet des taxes était digne de mention, même s'ils en connaissaient l'existence; les anciens qui ont participé aux entrevues n'étaient pas au courant de la promesse en matière de taxes, bien qu'elle ait existé; et, en fait, il n'y aurait aucune tradition orale au sujet d'une promesse d'exemption fiscale, mais certains anciens en seraient venus à croire qu'il y en avait une.
[300] Je crois qu'il est sans intérêt de se pencher sur les conjectures et théories au sujet de la quantité de preuve sur la tradition orale qui se trouve dans le dossier du procès. Cette preuve existe et il faut en évaluer l'exactitude. Si je conclus qu'elle est exacte, elle vient prouver la croyance en cause.
[33] Les paragraphes 299 et 300 des motifs du juge de première instance font ressortir le fait qu'il ne voulait pas traiter de la question soulevée ici par les appelants, savoir que l'absence dans la plupart des transcriptions du projet TARR de toute mention d'une exemption fiscale nous amène inévitablement à déduire que cette promesse n'a pas eu lieu et aussi que les signataires autochtones n'ont pas cru à son existence. En invoquant les conjectures, le juge de première instance a refusé tout examen des implications de l'aspect unique de l'entrevue de M. Mustus.
Les entrevues portant sur l'histoire orale réalisées en 1991 et en 1999 :
[34] À l'appui de sa conclusion que les signataires autochtones du Traité avaient compris qu'on leur faisait une promesse en matière de taxes, le juge de première instance s'est notamment fondé sur un affidavit non assermenté de M. Joe Willier, un ancien Cri, affidavit préparé par Delia Opekokew, une avocate de la Saskatchewan à qui le Grand conseil du Traité 8 avait demandé de réaliser des entrevues avec les anciens autochtones au sujet de ce qu'ils savaient des modalités et conditions du Traité 8, particulièrement quant à la renonciation au titre de propriété des terres et quant aux droits de chasse, de pêche et de trappe.
[35] Comme le juge de première instance l'indique au paragraphe 224 de ses motifs, Mme Opekokew a réalisé 30 entrevues avec des anciens désignés par les chefs du Grand conseil du Traité 8. Un des anciens désignés était M. Joe Willier, qui a accordé une entrevue en cri à Mme Opekokew, le 13 août 1991, à son domicile de Sucker Creek. Je traiterai plus longuement de la preuve de M. Willier plus loin dans ces motifs. Toutefois, aux fins de la discussion en cours il importe de noter que les 29 autres anciens qui ont accordé une entrevue à Mme Opekokew n'ont aucunement mentionné qu'il y aurait eu parmi les promesses du Traité 8 une promesse en matière de taxes non respectée, fait dont le juge de première instance n'a tenu aucun compte.
[36] Un autre groupe d'anciens a fait l'objet d'entrevues en février 1999, dans le cadre de la préparation des intimés en vue du procès. L'avocate des intimés et Mme Wendy Aasen, une anthropologue citée comme témoin expert par les intimés, se sont rendues à Sucker Creek (Petit lac des Esclaves) et à Fort Chipewyan. Mme Aasen a réalisé des entrevues avec 10 anciens, y compris M. Willier. À l'exception de M. Willier, aucun des anciens n'a soulevé la question de la taxation. Cet aspect important semble avoir été mis de côté par le juge de première instance.
[37] Je partage entièrement l'avis des appelants que le juge de première instance, en déterminant la question de savoir si les signataires autochtones avaient cru à l'existence d'une promesse en matière de taxes, aurait dû tenir compte du fait que la plupart des anciens qui ont accordé des entrevues en 1991 et en 1999, à l'exception de Joe Willier, n'ont aucunement mentionné une promesse en matière de taxes qui n'aurait pas été respectée. Selon moi, le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve.
Les affidavits Breynat :
[38] Au cours des années 1930, l'évêque Gabriel Breynat, vicaire apostolique du MacKenzie et résident de Fort Smith, qui était présent lors de l'adhésion au Traité à Fort Chipewyan et à Fond-du-Lac, a lancé un mouvement de protestation visant le non-respect par le gouvernement du Canada des promesses faites aux signataires autochtones.
[39] Lors de cette campagne, l'évêque Breynat a obtenu la signature de 49 affidavits, y compris le sien propre et celui de James Kennedy Cornwall, un résident d'Edmonton qui était présent lors de l'adhésion au Traité au Petit lac des Esclaves et à Peace River Crossing. L'évêque Breynat et M. Cornwall déclarent tous deux dans leurs affidavits (paragraphe 6 de l'affidavit de l'évêque Breynat et paragraphe 5 de celui de M. Cornwall) qu'on a fait les promesses suivantes aux signataires autochtones :
1. On leur a promis qu'il n'y aurait aucune intervention dans leur manière de vivre.
2. Les vieillards et les indigents auraient toujours des soins; leur existence future ferait l'objet d'une étude sérieuse et on s'occuperait d'eux, tous les efforts étant consentis pour améliorer leurs conditions d'existence.
3. On leur garantissait que leur manière de vivre en tant que chasseurs et trappeurs serait protégée de la concurrence des blancs, et qu'on ne les empêcherait pas de chasser et de pêcher comme ils avaient toujours fait afin qu'ils puissent gagner leur vie et assurer leur subsistance.
Ces deux affidavits ne contiennent aucune mention d'une promesse en matière de taxes.
[40] Les appelants soutiennent, avec raison selon moi, que le juge de première instance aurait dû tenir compte de ces affidavits et notamment qu'il aurait dû tenir compte du fait qu'on n'y mentionne aucunement qu'une promesse en matière de taxes aurait été accordée aux signataires autochtones. Il est clair que le juge de première instance n'a pas tenu compte des affidavits de l'évêque Breynat et de James Cornwall. Tout comme les entrevues du projet TARR, ces affidavits, ou plutôt le fait qu'on n'y trouve rien au sujet d'une promesse en matière de taxes, viennent appuyer le point de vue voulant que les signataires autochtones n'ont pas compris qu'on leur avait fait une promesse en matière de taxes.
[41] Les intimés soutiennent que la taxation avait peu d'importance pour les signataires autochtones dans les années 1930 et donc que le fait que l'existence d'une promesse en matière de taxes ne soit pas mentionnée dans les affidavits Breynat ou dans d'autres documents de cette époque est sans signification. Je ne peux souscrire à ce point de vue étant donné que, comme je vais bientôt le démontrer, les signataires autochtones qui ont présenté des mémoires détaillés au Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes en 1946 avaient beaucoup de choses à dire au sujet de la taxation.
La recherche Fumoleau du début des années 1970 :
[42] Dans le cadre de la présentation de leur preuve, certains experts ont fait état d'un ouvrage écrit par René Fumoleau, O.M.I., intitulé As Long as this Land Shall Last: A History of Treaty 8 and Treaty 11, 1870-1939 (Toronto; McLellan & Stewart, 1973). Cet ouvrage contient une recherche détaillée portant sur la compréhension qu'avaient les Indiens des promesses faites aux peuples autochtones dans le cadre des Traités 8 et 11. Dans l'arrêt R. c. Badger [1996], 1 R.C.S. 771, à la p. 801 (paragraphe 55), la Cour suprême du Canada fait état de l'ouvrage du père Fumoleau dans le cadre de questions soulevées en vertu du Traité 8.
[43] Lors de son témoignage, le Dr Robert Irwin, un historien cité par les intimés en qualité d'expert, a déclaré qu'il n'était pas question d'une promesse en matière de taxes dans l'ouvrage du père Fumoleau, non plus que dans aucune des sources de recherches exhaustives qu'il avait consultées en préparant son témoignage d'expert. Lors de son contre-interrogatoire par l'avocat de l'Alberta, le Dr Irwin a confirmé le fait que le Rapport des commissaires est le seul document qui parle de la taxation dans le cadre du Traité 8 et que son dépôt à Ottawa n'avait pas suscité de controverse ou soulevé d'objections. Aux pages 803 et 804 de la transcription (Transcription de l'audience, vol. 3, témoignage du Dr Robert Irwin, 14 mai 2001), le Dr Irwin donne les réponses suivantes :
[traduction]
Q. Malgré tous les efforts que vous avez consentis, qui portent sur près de trois quarts de siècle, vous n'avez trouvé aucune référence à une promesse en matière de taxes, à l'exception du Rapport des commissaires, une promesse d'exemption fiscale qui aurait été faite par les commissaires.
R. À ma connaissance, le Rapport des commissaires est la seule source portant sur cette promesse; c'est juste.
Q. En fait, les commissaires eux-mêmes n'ont jamais réitéré la déclaration du Rapport qui porte sur les taxes?
R. C'est juste.
Q. Pas un seul des trois?
R. C'est juste.
Q. De plus, je constate que d'après ce que vous comprenez aucun des récipiendaires du Rapport au niveau supérieur de la bureaucratie du gouvernement du Canada n'a critiqué M. Laird et ses collègues pour avoir outrepassé leurs instructions?
R. Non. Ils n'ont pas été critiqués à ce sujet; c'est juste.
Q. Il n'y a donc pas eu de controverse au sujet du Rapport?
R. Il n'y a pas eu de controverse; c'est juste.
[44] Le Dr Irwin a témoigné qu'il s'attendait à trouver quelques preuves dans les documents qui auraient appuyé le point de vue voulant que les signataires autochtones avaient compris qu'on leur avait fait une promesse en matière de taxes. Bien que sa recherche ait porté sur trois quarts de siècle (de 1870 à 1945), sa seule source pouvant fonder la proposition qu'une promesse du Traité avait été faite se trouve dans le Rapport des commissaires.
[45] La preuve du Dr Patricia McCormack, une anthropologue citée par les intimés pour apporter sa preuve, vient aussi appuyer la position des appelants. Sa thèse de doctorat (1984) sur le développement économique à Fort Chipewyan entre 1870 et 1970 ne parle pas d'une promesse d'exemption fiscale, bien qu'elle ait pu réaliser des entrevues avec plusieurs des anciens de la communauté de Fort Chipewyan. Il est aussi intéressant de noter que dans sa thèse, le Dr McCormack renvoie à un travail semblable au sien réalisé par l'anthropologue David R. Smith à Fort Resolution, dans les Territoires du Nord-Ouest, où l'on ne trouve rien non plus au sujet de l'existence d'une promesse en matière de taxes qui aurait été faite aux signataires autochtones.
[46] Les appelants soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette preuve pertinente par rapport à la compréhension que les intimés ont du Traité et, en particulier, lorsqu'il s'agit de savoir s'ils avaient cru à l'existence d'une promesse leur accordant une exemption fiscale. Je ne peux que me ranger à leur point de vue.
Les audiences du Comité mixte spécial, 1946-1948 :
[47] En 1946, on a mis sur pied un Comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes pour examiner la Loi des Indiens. Au cours de ses travaux, le Comité mixte a reçu et examiné les mémoires des autochtones traitant de plusieurs questions, dont celle de la taxation.
[48] Selon moi, il est significatif de constater qu'aucune des présentations faites au Comité par les autochtones du Traité 8, y compris les présentations écrites et orales de l'Indian Association of Alberta, ne font état d'une promesse d'exemption fiscale qui n'aurait pas été respectée. Bien que plusieurs des présentations abordent la question de la taxation, elles ne la placent pas dans le contexte d'une promesse du Traité qui n'aurait pas été respectée. Dans son témoignage au nom de l'Indian Association of Alberta, John Callihoo, un Cri qui présidait cette association, déclare ce qui suit au sujet de la question de la taxation (voir le Dossier d'appel, vol. 20, onglet 97, p. 7170) :
Les Indiens soumis au traité devraient continuer à être exemptés des taxes directes ou indirectes tant qu'ils travaillent dans leur réserve. Il ne peut et ne doit y avoir de taxe foncière dans la réserve. Il ne doit y avoir aucune forme d'impôt sur le revenu, non plus que de taxe sur les produits, ni de taxe de vente imposée sur les produits ou les salaires à l'intérieur de la réserve. Les Indiens soumis au traité acquittent régulièrement maintenant les taxes d'accise et de vente, comme celles sur le tabac et les allumettes. Nous croyons que les recettes ainsi obtenues sont très importantes. En retour de celles-ci tous les Indiens soumis au traité devraient pouvoir profiter des avantages sociaux comme les pensions de vieillesse, les allocations aux mères et aux veuves, l'aide aux aveugles. [...] [je souligne]
[49] La déclaration précitée a été faite au nom des bandes du Petit lac des Esclaves, dont Joe Willier et Jean-Marie Mustus sont membres. Leur preuve, qui a été accepté par le juge de première instance, est essentielle à sa conclusion voulant que les signataires autochtones ont compris qu'on leur avait fait une promesse d'exemption fiscale. Je vais bientôt aborder cette preuve.
[50] Comme je viens de l'indiquer, aucune des présentations au Comité conjoint ne suggère que les commissaires auraient promis une exemption fiscale générale au cours des négociations du Traité en 1899. Il suffit de citer quelques exemples pour démontrer cette assertion. Le premier se trouve dans la présentation écrite du 21 avril 1947 de l'Indian Association of Alberta, qui traite de la taxation de la façon suivante, à la page 70, sous le titre « Assujettissement à l'impôt » (voir le Dossier d'appel, vol. 20, onglet 97, p. 7225) :
Bien que les Indiens du Canada ne veulent nullement se soustraire à leurs obligations de citoyens, l'Association est d'avis qu'avant que la population indienne obtienne l'égalité réelle quant à la situation et au statut économique, elle ne devrait pas être assujettie à quelque forme d'impôt que ce soit, directs ou indirects, L'association se rend compte des difficultés inhérentes à l'exemption des impôts directs pour les Indiens, mais elle recommande que le Gouvernement du Canada fasse tous les efforts raisonnables en vue de libérer les Indiens de l'assujettissement au paiement d'impôts de quelque nature que ce soit. [je souligne]
[51] On trouve un autre exemple dans la présentation de la bande de Fort Vermilion, datée du 8 novembre 1946 (voir le Dossier d'appel, vol. 2, onglet 32, p. 460), qui porte que les Indiens soumis au Traité qui possèdent des terres à l'extérieur des réserves ne devaient pas être soumis à l'impôt : « nos réserves sont trop petites » . Comme on le voit clairement à la lecture des présentations, cette question n'a pas été soulevée dans le contexte de droits issus de traités qui n'auraient pas été respectés, mais plutôt comme une question à discuter. Les paragraphes 1 et 3 de cette présentation sont rédigés comme suit :
(1) Droits découlant des traités :
Nous demandons que les droits garantis par le traité intervenu entre le Gouvernement du Canada et les Indiens, soit intégralement respecté en tout temps.
[...]
(3) Assujettissement des Indiens au régime fiscal
Les Indiens soumis au traité, possédant des terres à l'extérieur des réserves ne devraient pas être assujettis à l'impôt : nos réserves sont trop petites.
[52] On trouve un troisième exemple dans la présentation de la bande des Castors de la rivière Boyer, datée du 18 novembre 1946 (voir le Dossier d'appel, vol. 2, onglet 32, p. 461). Le paragraphe 3 de cette présentation est rédigé comme suit :
3 - Nous sommes d'avis que les Indiens ne devraient pas être assujettis à l'impôt à l'égard des biens qu'ils possèdent dans les limites de la réserve ou de leur zone de piégeage, et que l'impôt ne devrait frapper que leurs biens situés en dehors de la réserve. [je souligne]
[53] Un dernier exemple. Dans leur présentation datée du 2 avril 1947, les Indiens de Fort Smith, aux paragraphes 1 et 3 (voir le Dossier d'appel, vol. 2, onglet 32, p. 495), traitent de la façon suivante de leurs droits résultant des traités et de leur assujettissement aux taxes :
1. Droits et obligations résultant des traités
Nous désirons que nos droits, tels que reconnus par le Traité, soient maintenus dans leur intégrité, et que les engagements pris par le Gouvernement à l'endroit de Indiens soient observés et réalisés.
Nous voulons jouir de la pleine liberté de chasse et de pêche garantie par le Traité. Si, pour des raisons sérieuses, le Gouvernement juge nécessaire d'apporter des modifications restreignant nos droits, nous voulons être tenus au courant d'un tel changement avant la publication de l'ordonnance, afin de pouvoir nous prononcer pour ou contre. Nous rendant compte de la nécessité d'apporter, de temps à autre, une restriction sur le nombre d'animaux à fourrure et du gibier qui peuvent être capturés, nous demandons en retour que le Gouvernement nous vienne en aide pendant ces périodes et qu'il s'occupe de ceux d'entre nous qui sont vraiment dans le besoin.
[...]
3. Les Indiens et les taxes
Nous nous opposons catégoriquement à payer toute taxe qui pourrait être imposée sur notre propriété ou sur tout terrain réservé pour les écoles, dans nos réserves ou à l'extérieur.
[54] Dans les présentations exhaustives faites au Comité conjoint par les autochtones du Traité 8, on ne trouve nulle part mention du fait que le gouvernement n'avait pas respecté sa promesse d'exempter les signataires autochtones de toute taxe. En arrivant à la conclusion que les signataires autochtones ont compris qu'ils auraient droit à une exemption fiscale, le juge de première instance n'a pas tenu compte, selon moi, d'une preuve qu'il y a lieu de qualifier comme hautement pertinente. À mon avis, ce défaut de tenir compte de la preuve en cause constitue une erreur.
[55] Je vais maintenant traiter des arguments des appelants au sujet de la preuve à laquelle ils soutiennent qu'on n'aurait dû accorder aucun poids. Ces allégations portent plus particulièrement sur le témoignage de Jean-Marie Mustus, Joe Willier, François Paulette et Céleste Randhile. Je vais commencer par traiter de la preuve de M. Mustus.
Les entrevues Mustus :
[56] Le juge de première instance a admis en preuve la transcription d'une entrevue du projet TARR, réalisée avec Jean-Marie Mustus, un ancien Cri. Ce dernier avait participé à deux entrevues, une le 19 novembre 1972 et l'autre le 26 mars 1975. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, le juge de première instance a décidé, au paragraphe 272 de ses motifs, de n'admettre que la traduction que Mme L'Hirondelle a faite de l'entrevue du 26 mars 1975. Le témoignage de M. Mustus sur lequel le juge de première instance s'appuie pour arriver à sa conclusion se trouve au paragraphe 251 de ses motifs :
[251] Au cours du procès, l'avocat des demandeurs a déposé des copies électroniques des entrevues sous forme de bandes et de disques compacts, qui contiennent les 13 entrevues déposées comme pièce 34. L'avocate du Canada a fait retraduire la deuxième entrevue par Mme L'Hirondelle, ce qui donne une interprétation un peu plus complète :
Richard Lightning : Vous a-t-il jamais parlé de promesses au sujet de l'éducation, des médicaments, ou de quelque chose comme ça?
M. Mustus : Les médicaments-c'est-à-dire les médicaments que l'on reçoit à l'hôpital, nous ne les payons pas, je n'ai jamais payé pour ça. Je n'ai moi-même rien payé de tel.
Richard Lightning : Mais votre grand-père, vous a-t-il jamais parlé de ces choses?
M. Mustus : Oui, il m'en a parlé. Il y a deux autres choses à ce sujet. Et les terres - les terres. Une personne n'avait jamais rien à payer pour l'hôpital. « Et ce que l'on doit payer, disait-il, ne devrait pas être payé » . C'est la taxe. « Vous ne devriez pas non plus payer de taxes foncières » . Ils ne paient toujours rien à ce titre pour les terres. L'hôpital et l'école, ils ne doivent rien payer pour nos enfants lorsqu'ils y sont. Ils ne paient toujours pas pour ça, là où ils vont à l'école. Rien n'est dit à ce sujet, lorsqu'ils vont à l'école. Quant à la nourriture, et pour tout ce qu'on achète, lorsqu'il y a des frais additionnels - ou des taxes, que vous payez, c'est la même chose pour un Indien. Ils n'ont pas pensé à cela puisqu'ils sont Indiens, comme on leur donne. C'est-à-dire, leurs femmes reçoivent les allocations familiales. Ils reçoivent ces chèques souvent. « Quant aux Indiens qui ont besoin qu'on les aide » , a-t-il dit, « lorsqu'ils sont vieux ils reçoivent plus d'argent. Ceci est pris en compte » (pièce 98).
[c'est le juge de première instance qui souligne]
[57] Au paragraphe 250 de ses motifs, le juge de première instance reproduit la traduction originale des questions et réponses pertinentes de l'entrevue de M. Mustus réalisée le 26 mars 1975. La réponse qu'a donnée M. Mustus au sujet de la taxation n'est pas identique à celle que le juge de première instance a acceptée et qu'il a reproduite au paragraphe 251 de ses motifs. Le paragraphe 250 est rédigé comme suit :
[250] Lors de la deuxième entrevue, en date du 26 mars 1975, les questions de l'interviewer, M. Lightning, et les réponses de M. Mustus ont été les suivantes :
Richard Lightning :
Avez-vous entendu ce qui avait été promis en matière d'éducation et de soins médicaux pour les Indiens?
Jean Marie Mustus :
Nous ne payons pas pour les médicaments à l'hôpital. Je ne paie rien.
Richard Lightning :
Votre grand-père a-t-il jamais parlé de cette chose?
Jean Marie Mustus :
Il m'a dit que les frais d'hôpitaux n'avaient pas à être payés par les Indiens et aussi les taxes, y compris les taxes foncières. Ils ne les paient toujours pas, les enfants ne paient toujours pas pour leurs études et leurs soins hospitaliers. Les seules taxes que nous payons sont sur la nourriture, mais les Indiens ne devraient pas s'en faire à ce sujet puisque leurs femmes reçoivent des allocations familiales et les personnes âgées reçoivent leur pension (pièce 34, onglet 9a).
[58] Il existe une autre traduction de l'entrevue du 26 mars 1975 de M. Mustus (Dossier d'appel, vol. 15, p. 5082 à 5097). Dans cette traduction, la question et la réponse pertinentes (p. 5095) sont reproduites comme suit :
[traduction]
Richard Lightning : Avez-vous entendu ce qui avait été promis en matière d'éducation et de soins médicaux pour les Indiens?
Jean-Marie Mustus : Nous ne payons pas pour les médicaments à l'hôpital. Il m'a dit que les frais d'hôpitaux n'avaient pas à être payés par les Indiens et aussi les taxes, y compris les taxes foncières. Ils ne les paient toujours pas, les enfants ne paient toujours pas pour leurs études et leurs soins hospitaliers. Les seules taxes que nous payons sont sur la nourriture, mais les Indiens ne devraient pas s'en faire à ce sujet puisque leurs femmes reçoivent des allocations familiales et les personnes âgées reçoivent leur pension.
[59] Il est remarquable de constater que le juge de première instance ne fait aucune tentative pour déterminer la signification de ce que M. Mustus a déclaré au cours de cette entrevue. Comme il était d'avis que cette preuve était utile et fiable, il lui a accordé du poids et conclu qu'elle corroborait la preuve de M. Willier, qui est aussi un ancien Cri. Se fondant sur la preuve de Mustus et de Willier, le juge de première instance a conclu que les Cris croyaient qu'ils avaient reçu une promesse d'exemption fiscale.
[60] Les appelants soutiennent que le témoignage de M. Mustus est [traduction] « décousu, répétitif et fort loin d'être concluant » . Après un examen sérieux de la transcription de l'entrevue Mustus, je ne peux que me ranger à leur point de vue. M. Mustus a raconté beaucoup de choses au sujet des taxes, mais, avec déférence, il n'a pas déclaré que les signataires autochtones avaient reçu une exemption fiscale absolue et il n'est pas possible d'interpréter ce qu'il a déclaré de façon à arriver à cette conclusion. Une telle interprétation exigerait qu'on franchisse la limite que mentionne le juge en chef McLachlin dans l'arrêt Mitchell, précité.
[61] En fait, M. Mustus a clairement déclaré que les Indiens ne devaient pas payer de taxes foncières, ce qui est cohérent avec les dispositions de la Loi des Indiens en 1899, comme aujourd'hui, au sujet des terres situées dans la réserve. Il a aussi déclaré que les Indiens ne devaient pas payer pour l'hôpital et l'école et, de ce fait, pour les avantages reçus dans le Traité. Il a ensuite déclaré que « [q]uant à la nourriture, et pour tout ce qu'on achète, lorsqu'il y a des frais additionnels - ou des taxes - que vous payez, c'est la même chose pour un Indien » . Je partage le point de vue des appelants qui veut que la preuve de M. Mustus est cohérente avec l'existence d'une exemption fiscale sur les avantages prévus dans le Traité, y compris les terres de la réserve ou les terres individuelles.
[62] Nonobstant le fait que l'entrevue avec M. Mustus est la seule au cours de laquelle la question de la taxation a été soulevée et le fait que sa déclaration est au mieux ambiguë, au paragraphe 318 de ses motifs le juge de première instance a conclu qu'elle était utile et fiable et qu'elle corroborait la preuve de M. Willier et prouvait que les Cris croyaient avoir reçu une exemption fiscale. En toute déférence, je suis d'avis que cette conclusion n'est pas raisonnable.
La preuve de Mme Céleste Randhile :
[63] Je vais maintenant examiner la preuve de Céleste Randhile, une ancienne Déné de Fond-du-Lac (Saskatchewan), où il y a eu une adhésion au Traité. À l'époque de son témoignage, Mme Randhile avait 73 ans et elle a déclaré qu'elle connaissait le Traité par l'entremise de son père, qui lui-même avait été renseigné à ce sujet par son propre père, Laurent Dzieddin, un des sous-chefs qui ont signé le Traité à Fond-du-Lac. Au paragraphe 232 de ses motifs, le juge de première instance reproduit la preuve de Mme Randhile sur laquelle s'appuient les intimés et qu'il a acceptée comme preuve du fait que « les Déné croyaient que les commissaires leur avaient fait une promesse d'exemption fiscale » (paragraphe 316 de ses motifs) :
Et ce que je vois -- pas l'autre côté, le côté du gouvernement a fondamentalement renié ses promesses et essayé de changer beaucoup de promesses, mais les renseignements que je partage avec vous, ainsi que ceux que nous partageons entre nous, ce sont les mêmes renseignements que nos grands-parents ont partagés avec nous au sujet du Traité.
Q De quels changements voulez-vous parler Mme Randhile, que le gouvernement aurait apportés au Traité?
R C'est surtout quant aux promesses qui nous ont été faites. Beaucoup de choses ont déjà changé et -- c'est comme si nous vivions dans deux mondes, le monde du sud en même temps que nous vivons dans le nord. L'information partagée avec les gouvernements du sud est différente de ce qu'on nous avait dit. Parmi les choses que j'ai vu changer, notre peuple doit maintenant payer quelque chose en plus de ce que nous avons déjà acheté, des taxes, ce genre de choses. Nous avons maintenant commencé -- nous devons maintenant payer plus pour les choses parce qu'on prélève des taxes sur différentes choses, ce sont là des changements que je vois -- que j'ai vus au cours de ma vie qui sont des promesses non respectées (Transcription, 22 mai 2001, p. 1514-1515).
...
Dans notre langue, la langue déné, nous n'avons pas de mots pour la taxation qui donneraient ce que cela veut dire et ainsi de suite. C'est fondamentalement une interprétation d'une déclaration qui voudrait dire que le gouvernement prend pour lui-même une partie de l'argent que nous devons payer et donc que nous payons un peu plus. C'est ce que je conçois être la taxation (Transcription, 22 mai 2001, p. 1526).
...
Mme BUSS : J'allais poser la question, qu'a-t-on dit à Mme Randhile au sujet du paiement d'argent au gouvernement de la façon dont elle a décrit la taxation.
LE TÉMOIN : Ce qu'on m'a dit à ce sujet c'est que -- c'est que nous n'aurions rien à payer pour quoi que ce soit, et que le gouvernement assurerait aux Déné un meilleur mode de vie que celui qu'ils avaient avant le Traité, et que la promesse contenue dans le Traité était fondamentalement d'assurer qu'ils continueraient à vivre de la façon ancestrale, tout en étant plus confortables, et qu'ils n'auraient rien à payer pour quoi que ce soit. C'est la promesse que -- que tout cela serait donné aux Déné sans qu'ils aient à payer en plus (Transcription, 22 mai 2001, p. 1528-1529). [c'est le juge de première instance qui souligne]
[64] Avant la déclaration précitée, Mme Randhile avait témoigné deux fois qu'elle ne se souvenait pas de discussions qui auraient porté sur le versement de sommes d'argent ou le paiement de taxes au gouvernement par les Déné :
[traduction]
Q. Savez-vous si lors du premier traité il y a eu des discussions portant sur les sommes que les Déné devraient payer au gouvernement?
R. Je ne me souviens de rien de tel. Tout ce que je sais, c'est que le gouvernement est supposé nous aider.
(Transcription de l'audience, vol. 4, p. 1524)
__________
Q. Mlle BUSS : Mme Randhile, que comprenez-vous quant à savoir si à l'occasion du premier traité on a discuté s'il fallait payer des sommes au gouvernement de la façon dont vous décrivez la taxe?
R. Je ne me souviens pas que qui que ce soit ait jamais mentionné ceci en de tels termes - dans ce contexte, et c'est comme je vous ai dit, au fond je veux partager avec vous mon information à ce sujet. Si ces choses nous avaient été dites au sujet de la taxation et ainsi de suite, ce serait écrit quelque part. (Transcription de l'audience, vol. 4, p. 1528)
[je souligne]
[65] Ce n'est qu'en réponse à une troisième question, qui est carrément suggestive, que Mme Randhile a déclaré qu'on avait dit à son peuple qu'il n'aurait « rien à payer pour quoi que ce soit » .
Mme BUSS : J'allais poser la question, qu'a-t-on dit à Mme Randhile au sujet du paiement d'argent au gouvernement de la façon dont elle a décrit la taxation?
LE TÉMOIN : Ce qu'on m'a dit à ce sujet c'est que -- c'est que nous n'aurions rien à payer pour quoi que ce soit, ...
(Transcription de l'audience, vol. 4, p 1528-1529)
[66] Il est évident que le juge de première instance n'a pas tenu compte des deux réponses de Mme Randhile portant qu'elle ne se souvenait pas d'avoir entendu parler du versement de sommes d'argent ou du paiement de taxes par son peuple au gouvernement. S'il avait tenu compte de ces réponses, il n'aurait pu qu'arriver à la conclusion que la preuve de Mme Randhile n'était pas fiable. Je veux aussi faire remarquer qu'en donnant sa deuxième réponse où elle déclare ne pas se souvenir de discussions au sujet de la taxation, Mme Randhile a déclaré qu'elle se serait attendue à ce qu'on trouve un écrit à ce sujet si une telle promesse avait été faite.
[67] Au cours de son témoignage, Mme Randhile a identifié sur une photographie qu'on lui a montrée son grand-père, Laurent Dzieddin, ainsi que Germain Datsan, deux des personnes qui avaient négocié le Traité au nom de son peuple. Mme Randhile a aussi identifié Pierre Laban, qu'elle a décrit comme [traduction] « une des personnes qui - mon père était le chef et Pierre était à ses côtés » (Transcription de l'audience, vol. 4, p. 1532). Tant Germain Datsan que Pierre Laban ont signé, avec leur chef, Joseph Dzieddin, la présentation écrite de la bande Maurice, de Fond-du-Lac (Saskatchewan), au Comité mixte, datée du 22 janvier 1947. Dans cette présentation, la bande Maurice n'a ni soutenu ni déclaré que le gouvernement aurait enfreint sa promesse de les exempter de la taxation (Dossier d'appel, vol. 2, p. 496-497). Je suis convaincu que le juge de première instance n'a pas tenu compte de cette preuve en arrivant à ses conclusions.
[68] Selon moi, le juge de première instance aurait dû tenir compte des deux réponses négatives de Mme Randhile lorsqu'il a décidé si la réponse sur laquelle il s'est appuyé en définitive était fiable. Il aurait dû aussi tenir compte du fait que la présentation écrite de 1947 de la bande Maurice ne parlait aucunement d'une promesse en matière de taxes. De plus, le juge de première instance n'a fait aucune tentative pour évaluer le sens de la preuve de Mme Randhile. Il a tout simplement accepté, au paragraphe 316 de ses motifs, que cette preuve démontre que les Déné croyaient en erreur qu'on leur avait fait une promesse d'exemption fiscale.
[69] Bien qu'il y a une certaine preuve portant qu'en langue déné le même mot peut avoir été utilisé pour rendre la notion de « taxe » et celle de « payer » , je partage l'avis des appelants que l'interprétation la plus raisonnable de la preuve de Mme Randhile est que son peuple n'aurait rien à payer pour obtenir les avantages prévus au Traité. Je ne vois pas comment on peut tirer autre chose de son témoignage et je suis pleinement convaincu qu'il ne peut appuyer la conclusion du juge de première instance. Finalement, au vu de la nature contradictoire des déclarations de Mme Randhile, qui sont « éparses, incertaines et équivoques » , son témoignage n'aurait dû recevoir aucun poids.
La preuve de M. François Paulette :
[70] Le témoin suivant dont la preuve a été utilisée par le juge de première instance pour arriver à sa conclusion quant à l'existence d'un malentendu de la part des autochtones est François Paulette, un ancien chef de la Première nation de Smith Landing (anciennement la bande de Fort Fitzgerald/ Fort Smith). M. Paulette a déclaré témoigner quant à la compréhension des Déné. Au moment de son témoignage, M. Paulette était au début de la cinquantaine, mais il n'était pas un ancien et il n'avait pas de mandat des membres de sa communauté pour témoigner en leur nom.
[71] Avant de traiter des objections des appelants à la preuve de M. Paulette, je vais reproduire la partie de sa preuve sur laquelle le juge de première instance s'est appuyé pour arriver à sa conclusion. Cette preuve est reproduite au paragraphe 233 des motifs en première instance :
[233] Dans leur argumentaire (annexe D, p. 40-43), les demandeurs tirent ceci du dossier du procès au sujet de la preuve de la tradition orale présentée par M. Paulette :
M. Paulette est un membre de la Première nation de Smith's Landing. Il a servi comme chef en 1970. Il a aussi été chef adjoint de la nation déné. Les membres de sa bande vivent surtout à Fort Smith. Les Affaires indiennes les ont déplacés vers ce lieu dans les années 1950 et 1960. Leurs conditions de vie étaient mauvaises. Le niveau de scolarité était bas - se situant probablement entre la 4e et la 6e année dans les années 1970.
Il n'y a que deux réserves dans les Territoires du Nord-Ouest; M. Paulette a indiqué que le gouvernement fédéral avait pour politique de ne pas créer de réserves au nord du 60e parallèle. Par conséquent, la majorité des Indiens du Traité 8 qui se trouvent dans ce qu'on appelle maintenant les Territoires du Nord-Ouest, et avec qui les commissaires ont traité, ne se sont pas vu octroyer de réserves.
Le grand-père de M. Paulette, Johnny Paulette, était présent à la signature du Traité à Fort Smith en 1899, bien qu'il n'y ait pas adhéré à ce moment-là. M. Paulette a été renseigné au sujet du Traité par son père.
Au sujet de la taxation, il cite ce que son père lui en a dit :
Et alors il y avait -- parce que nous trappions dans le parc national Wood Buffalo, le parc avait une politique, je ne sais pas si c'était une politique écrite, mais il avait une politique voulant que lorsque les Indiens cueillaient des fourrures sur leurs lignes de piégeage dans le parc national Wood Buffalo, ils devaient payer une redevance, 5 p. 100 de -- ils prenaient -- si votre fourrure valait 100 $, alors ils prenaient 5 $ sur cette somme. Je me souviens que mon père, je crois que c'est pour ça qu'il était en colère parce qu'il n'était pas d'accord.
Il a dit (en déné)
Q Vous devrez traduire ceci en anglais.
R Il voulait dire que quand nous avons adhéré au Traité, il a dit que l'on ne reprendrait pas notre argent. Ils ne reprendraient pas notre argent.
L'expression qu'il a utilisée consistait à décrire cette redevance, et c'est cette expression que nous utilisons aujourd'hui pour les taxes. Par conséquent, « beke nani » -- (phonétique) -- ils reprendront l'argent. Alors, il était très en colère à ce sujet (Transcription, 17 mai 2001, p. 1388-1389).
Francois Paulette a témoigné au sujet du sens donné au mot taxes en déné. Il a dit ceci :
Q Vous avez mentionné que le concept de taxes est véhiculé dans la langue chipewyan par une traduction littérale de « reprendre l'argent » . Y a-t-il une autre façon par laquelle on peut communiquer ce concept dans la langue chipewyan?
R La façon dont ce concept est décrit dans notre langue -- (en déné) -- lorsque vous reprenez quelque chose. Et quand vous prenez quelque chose, en l'instance samba -- (en déné) (phonétique) -- ceci veut dire de l'argent. Mais dans la forme traditionnelle -- (en déné) -- quand vous reprenez quelque chose, ceci n'est pas convenable, on ne reprend pas quelque chose. Quand on donne quelque chose, on ne le reprend pas. Alors, lorsque nous disons -- (en déné) -- lorsque que vous reprenez l'argent, et ils disent qu'on le donne à « Tsekuitakoldher » , ce qui veut dire la Reine. Nous allons donner l'argent à la Reine. Et mon père, ainsi que les autres personnes décrivant ceci, c'est comme si, pourquoi la Reine nous a-t-elle donné l'argent pour le reprendre maintenant? (Transcription, 17 mai 2001, p. 1398-1399).
M. Paulette tenait aussi ces renseignements au sujet du Traité de Suzie King, petite-fille de la famille King dont les membres ont servi d'interprètes à Fort Resolution en 1900, ainsi que de Joe Charlo - un descendant de Suzie Drygeese qui était aussi présente à l'adhésion de 1900.
[c'est le juge de première instance qui souligne]
[72] Les appelants soutiennent que le témoignage de M. Paulette était vague et équivoque et qu'il ne permettait pas de conclure à l'existence de la prétendue promesse en matière de taxes. Après un examen sérieux de la preuve de M. Paulette, je ne peux que me ranger à cet avis. Le juge de première instance semble ne pas avoir essayé du tout de déterminer le sens des propos du témoin. Le juge de première instance déclare, au paragraphe 317 de ses motifs :
[317] Je n'ai aucune raison de ne pas accepter la preuve de M. Paulette telle que présentée et, par conséquent, je conclus qu'elle corrobore celle de Mme Randhile et qu'elle est une preuve additionnelle que les Déné croyaient que les commissaires leur avaient fait une promesse d'exemption fiscale. [je souligne]
[73] Je dois avouer que j'éprouve une certaine difficulté face à la déclaration du juge de première instance voulant qu'il accepte la preuve de M. Paulette telle que présentée, puisque ce dernier n'a pas témoigné que son peuple avait compris qu'en adhérant au Traité il obtiendrait une exemption fiscale. Au mieux, son témoignage est équivoque et non concluant.
[74] J'ai déjà indiqué que la preuve de Mme Randhile ne peut venir appuyer la conclusion du juge de première instance et j'exprime le même avis au sujet de la preuve de M. Paulette. Il est difficile de comprendre comment le juge de première instance peut affirmer que la preuve de M. Paulette corrobore celle de Mme Randhile. Se fondant sur le fait que M. Paulette avait parlé de taxation, le juge semble avoir tenu pour acquis qu'il témoignait que son peuple avait compris qu'il serait exempté du paiement de taxes, à tout moment et pour quelque motif que ce soit.
[75] La seule conclusion qu'on peut tirer du témoignage de M. Paulette est qu'il s'inquiétait de l'imposition de redevances sur les fourrures, ainsi que de la prise de mesures de récupération des avantages concédés dans le Traité. Le témoignage de M. Paulette n'appuie pas le point de vue voulant que son peuple croyait avoir obtenu la promesse d'une exemption fiscale absolue. Selon moi, une telle conclusion est manifestement erronée.
[76] De plus, comme je l'ai déjà indiqué, M. Paulette fait partie de la bande connue anciennement sous le nom de bande Fort Fitzgerald/Fort Smith, qui s'appelle maintenant la Première nation de Smith's Landing. Bien que cette bande n'était pas présente à la signature du Traité le 21 juin 1899 au Petit lac des Esclaves, elle a adhéré au Traité dans les mois qui ont suivi. La Première nation de M. Paulette, comme plusieurs autres, a fait une présentation écrite au Comité mixte en 1946. Cette présentation, que j'ai reproduite en partie au paragraphe 53 de mes motifs, ne dit rien au sujet d'une promesse d'exempter les signataires autochtones de la taxation. Selon moi, le juge de première instance aurait dû tenir compte de cette preuve en évaluant la fiabilité de la preuve de M. Paulette.
[77] Une dernière remarque au sujet de la preuve de M. Paulette. Au paragraphe 238 de ses motifs, le juge de première instance énonce la « norme de [la] communauté » , qui serait le critère juridique de l'admissibilité de la preuve de l'histoire orale qui lui a été présentée. Au paragraphe suivant, il déclare de façon claire que M. Paulette ne rencontre pas cette norme. Les paragraphes 238 et 239 sont rédigés comme suit :
[238] L'utilité et la fiabilité sont des conclusions de fait qui doivent être tirées de la preuve présentée. Comme je viens de le rappeler, certaines personnes sont reconnues par les communautés autochtones comme rencontrant essentiellement cette norme. En l'absence de preuve contraire, je crois qu'il est raisonnable de conclure que si les autochtones considèrent qu'une certaine personne rencontre la norme de leur communauté, le critère juridique pour l'admissibilité de la preuve de la tradition orale présentée par cette personne est aussi satisfait.
[239] Lorsque qu'il s'agit de M. Paulette et de sa capacité à présenter la preuve de la tradition orale, la preuve présentée est qu'il ne rencontre pas la norme de sa propre communauté puisqu'il n'est pas assez âgé pour être considéré comme un ancien. Néanmoins, selon moi la preuve de la tradition orale présentée par M. Paulette pourrait quand même être admissible si le critère juridique est satisfait au vu d'une autre preuve présentée au procès. En l'instance, c'est M. Paulette lui-même qui présente la preuve à l'appui de l'admissibilité de son témoignage.
[78] Nonobstant le fait que M. Paulette ne rencontrait pas la norme de la communauté, le juge de première instance a retenu son témoignage parce qu'il « satisfait au critère d'une source raisonnable pour la tradition orale déné » . Il est arrivé à cette conclusion au vu de la manière crédible dont M. Paulette s'est comporté à l'audience, ainsi que du riche contenu de son témoignage. De plus, le juge de première instance était saisi d'une preuve portant que des anciens de la communauté de M. Paulette étaient disponibles pour témoigner au sujet du Traité 8. En supposant que le critère de la « norme de [la] communauté » soit approprié, ce sont ces anciens qui auraient dû être cités à témoigner et non M. Paulette.
[79] En évaluant la preuve de M. Paulette, le juge de première instance aurait dû tenir compte de la présentation de la première nation de M. Paulette faite en 1946. Il aurait aussi dû tenir compte du fait que M. Paulette n'était pas un ancien et qu'il n'avait de mandat des membres de sa communauté, ainsi que du fait que la preuve de M. Paulette n'était pas très claire sur la question de savoir si son peuple avait reçu une promesse d'exemption fiscale. Si le juge avait fait un examen approprié de cette preuve, et s'il avait appliqué sa propre norme à la preuve de M. Paulette, il n'aurait pu l'accepter telle que présentée.
[80] Par conséquent, je suis d'avis que la preuve de M. Paulette, prise comme telle ou conjointement avec celle de Mme Randhile, ne peut raisonnablement appuyer la conclusion du juge de première instance que les Déné avaient compris qu'ils auraient droit à une exemption fiscale.
La preuve de M. Joe Willier :
[81] Le dernier témoin dont la preuve a été considérée par le juge de première instance comme appuyant sa conclusion que les signataires autochtones avaient compris qu'on leur avait fait une promesse en matière de taxes est Joe Willier, un ancien Cri qui avait 92 ans au moment de l'audience. Je vais maintenant examiner la preuve de M. Willier.
[82] La preuve acceptée par le juge de première instance comprend non seulement le témoignage de M. Willier à l'audience, mais des déclarations qu'il a faites en 1991 et en 1999. Le juge de première instance était d'avis que ces déclarations, prises conjointement avec son témoignage à l'audience, « fournissent une relation riche et détaillée de ce que certains autochtones auraient compris à l'époque où l'on a négocié le Traité » (paragraphe 313 de ses motifs).
[83] Les appelants critiquent la conclusion du juge de première instance et soutiennent que la preuve de M. Willier ne démontre pas que les Cris avaient compris qu'on leur avait fait une promesse en matière de taxes. De plus, les appelants déclarent que la preuve de M. Willier n'est pas fiable et qu'on ne devait lui accorder aucun poids. J'ai déjà traité brièvement du contexte dans lequel M. Willier a fait ses déclarations de 1991 et de 1999, aux paragraphes 34 à 37 de mes motifs. Je vais maintenant traiter spécifiquement de la preuve de M. Willier et des critiques présentées à ce sujet par les appelants.
[84] La déclaration de 1991 de M. Willier se présente sous la forme d'un affidavit non assermenté. Comme je l'ai déjà indiqué, l'entrevue à l'origine de cette déclaration a été réalisée par Delia Opekokew. La déclaration de M. Willier a été enregistrée sur bande vidéo et, de plus, Mme Opekokew l'a dactylographiée en anglais. Par la suite, la déclaration a été préparée sous forme d'un affidavit et envoyée, avec la bande vidéo, à son client, le Grand conseil du Traité 8. L'affidavit déposé n'a jamais été assermenté. Il a été reproduit par le juge de première instance, au paragraphe 227 de ses motifs.
[85] Selon moi, il est clair que la déclaration de 1991 de M. Willier ne peut avoir aucun poids. Premièrement, l'affidavit n'a jamais été assermenté par M. Willier et il n'a pas été mentionné lors de son témoignage. Compte tenu du fait que M. Willier a témoigné à l'audience sur les mêmes questions que celles qui se trouvent dans son affidavit non assermenté, je ne comprends pas sur quel fondement juridique ce document a été jugé admissible. Je constate aux motifs du juge de première instance que ce dernier était d'avis que la déclaration était admissible parce qu'elle était attestée par le témoignage de Mme Opekokew. Je ne peux comprendre le raisonnement du juge de première instance, étant donné que M. Willier était un des témoins à l'audience. Comme ce dernier pouvait témoigner, il n'était pas nécessaire de déposer en preuve sa déclaration de 1991. Deuxièmement, l'affidavit a été préparé à partir de notes prises par Mme Opekokew au cours de l'entrevue avec M. Willier. On voit tout de suite que l'affidavit non assermenté et les termes qui y sont utilisés sont de la facture de Mme Opekokew et non de celle de M. Willier.
[86] Comme je l'ai déjà indiqué au paragraphe 36 de mes motifs, la déclaration de 1999 de M. Willier est le résultat d'une entrevue réalisée en février 1999 par l'avocate des intimés et par Wendy Aasen, un témoin expert cité par les intimés. L'entrevue a été conduite en anglais par Mme Aasen et filmée en vidéo par l'avocate. À l'audience, la bande vidéo a été projetée et la transcription de l'entrevue a été déposée en preuve. Au paragraphe 228 de ses motifs, le juge de première instance cite les parties de cette déclaration sur lesquelles les intimés se fondent et qu'il a considéré venir appuyer sa conclusion. Encore une fois, comme M. Willier était disponible à l'audience, je ne peux comprendre ni la nécessité ni l'admissibilité de sa déclaration de 1999. Bien qu'il a dû reconnaître que le témoignage de M. Willier à l'audience n'est pas aussi développé que ce que l'on trouve dans ses déclarations de 1991 et 1999, le juge de première instance était néanmoins d'avis que sa preuve est « cohérente » . Il déclare ceci, aux paragraphes 312 et 313 :
[312] Bien que le témoignage de M. Willier au procès ne soit pas aussi complet ou aussi bien énoncé que ses déclarations de 1991, ou même de 1999, je conclus que sa preuve est cohérente. Dans ses trois déclarations, on trouve constamment en filigrane le fait que, selon la compréhension que les Cris donnent au mot « taxes » , ils n'auraient plus jamais rien à payer après la signature du Traité et la cession des terres par les autochtones pour obtenir la paix et l'amitié offerte dans le Traité.
[313] Prises comme un tout, les trois déclarations de M. Willier nous fournissent une relation riche et détaillée de ce que certains autochtones auraient compris à l'époque où l'on a négocié le Traité. Je n'ai aucune raison de ne pas accepter ces déclarations telles que présentées. Je suis convaincu que la preuve de M. Willier démontre que les Cris croyaient que les commissaires leur avaient fait une promesse d'exemption fiscale.
[87] Avec déférence, il se peut que la preuve de M. Willier puisse être qualifiée de cohérente parce qu'il a parlé de la taxation dans ses deux déclarations et lors de son témoignage, mais cette cohérence ne change rien à la substance de son témoignage. M. Willier a témoigné en cri à l'audience et l'interprétation en anglais a été fournie par Mme Hazel Dion Decorby. Toutefois, comme la qualité de cette interprétation a été mise en cause, le témoignage de M. Willier, enregistré lors de l'audience, a été retraduit par Mme Pauline L'Hirondelle et c'est ce texte qui a été déposé en preuve. Au paragraphe 230 de ses motifs, le juge de première instance reprend la partie du témoignage de M. Willier à l'audience sur laquelle les intimés s'appuient (voir la Transcription de l'audience, Dossier d'appel, vol. 4, témoignage de Joe Willier, 22 mai 2001 - p. 1573 à 1593) :
[230] Dans leur argumentaire (annexe D, p. 29-32), les demandeurs s'appuient de façon générale sur les passages suivants de la nouvelle traduction, aux p. 1598-1603 :
Mme BUSS : M. Willier, vous a-t-on parlé des taxes.
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Vous a-t-on jamais dit que vous devriez payer quelque chose.
LE TÉMOIN : (en cri) Jamais. Rien.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Non, rien, jamais.
LE TÉMOIN : (en cri) Je veux parler de cette question.
HAZEL DION DECORBY: (en anglais) C'est de cela que je voudrais parler tout à l'heure.
LE TÉMOIN : (en cri) Jamais un Indien ne paiera pour quelque chose qui comporte des taxes.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Un Indien ne devrait jamais rien payer en argent.
LE TÉMOIN : (en cri) Les terres - toutes les terres à l'extérieur de la communauté - où un Indien est propriétaire d'une terre pour laquelle il faut payer (en anglais) des taxes foncières, (en cri) l'Indien ne paiera pas.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Les terres que les Indiens possèdent hors de la réserve. Ils ne devraient jamais avoir à payer des taxes sur ces terres.
LE TÉMOIN : (en cri) Et cette terre sur laquelle il (l'Indien) réside, cette terre devrait être désignée terre indienne.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Et la - la terre qu'il possède devrait être une terre de la Couronne.
LE TÉMOIN : (en anglais) La terre, un terrain.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Un terrain.
LE TÉMOIN : (en cri) Ceci devrait être considéré comme une terre indienne, par conséquent il (l'Indien) ne devrait rien avoir à payer à ce sujet.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Ce terrain, on ne devrait jamais avoir à payer des taxes à son sujet.
LE TÉMOIN : (en cri) Plusieurs personnes ont payé beaucoup d'argent pour vivre sur des terres en dehors de la réserve. Non seulement (en anglais) ma famille. (en cri) Ils doivent rester ici.
(FIN DE LA BANDE)
LA COUR : (inaudible) l'endroit additionnel ici.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) N'importe quel endroit dedans - ou. Maintenant c'est un (inaudible). D'accord. Les terres que les Indiens possèdent en dehors de la réserve, ils ne devraient pas avoir à payer des taxes sur ces terres. Même pas ma famille. Les gens qui ont dépensé beaucoup d'argent pour - pour des terres en dehors de la réserve.
LE TÉMOIN : (en cri) Ces terres, plus que tout autre chose, devraient être considérées comme des terres indiennes.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Ce devrait être des terres de la Couronne, ce terrain.
LE TÉMOIN : (en anglais) Réserve, réserve. Il faudrait une sorte de réserve (en cri) il faudrait le considérer comme tel.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) On devrait, peut-être qu'on devrait considérer que c'est une petite réserve.
LE TÉMOIN : (en cri) Afin que l'Indien n'ait pas à payer (en anglais) de taxes.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Afin qu'il n'ait pas à payer de taxes.
LE TÉMOIN : (en anglais) Des taxes foncières.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Des taxes foncières pour cela.
LE TÉMOIN : (en cri) Il y a des gens aujourd'hui au (en anglais) au tribunal (en cri) qui paient aussi (en anglais) des taxes.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Et il y a d'autres Indiens ici présents dans la salle d'audience qui paient des taxes.
...
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Y a-t-il autre chose que vous voudriez dire au sujet des (en anglais) taxes. Sur cette question (en cri) comme ces (en anglais) taxes (en cri) dont nous discutons maintenant?
LE TÉMOIN : (en cri) Oui, j'ai déjà dit tout au sujet (en anglais) au sujet des taxes qu'une personne ne devrait jamais avoir à payer.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Ceci, ce dont je veux parler ce sont des taxes et du fait que les Indiens ne devraient jamais avoir à payer des taxes sur quoi que ce soit.
LE TÉMOIN : (en cri) Je voudrais ajouter quelque chose à ce sujet.
(en anglais) en plus....
Mme BUSS : M. Willier, les anciens vous ont-ils déjà parlé des taxes?
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Les anciens, vos parents, vous ont-ils jamais dit que vous deviez payer quelque chose comme des (en anglais) taxes?
LE TÉMOIN : (en cri) Jamais. Ils n'ont jamais mentionné la chose et j'ai déjà dit que ma mère n'en avait jamais parlé non plus.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Personne n'a jamais parlé de cela et ma mère n'en a jamais parlé. Mentionné ce sujet.
Mme BUSS : Je ne sais pas si je devrais poser une question de suivi. Vous a-t-on jamais parlé de payer quelque chose au gouvernement? (inaudible) le mot.
LA COUR : C'est la question que vous proposez. (inaudible)
(inaudible)
LA COUR : D'accord, allez-y.
Mme BUSS : M. Willier, vous a-t-on jamais parlé de payer quelque chose au gouvernement?
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Vous a-t-on jamais dit - à tous - si vous auriez à payer quelque chose au chef à ce moment-là?
LA COUR : Par les anciens? Est-ce ce que vous voulez dire? Mme Buss.
Mme BUSS : Oui, je vous prie de m'excuser. Est-ce qu'on vous a dit quelque chose au sujet des anciens, au sujet de payer quelque chose au...
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Vous a-t-on jamais...
Mme BUSS: Au gouvernement.
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Les anciens vous ont-ils dit qu'ils (les anciens) devaient payer ces...?
LE TÉMOIN : (en cri) Je ne crois pas. Je ne crois pas. Je n'ai jamais entendu un ancien dire, chaque fois où j'ai discuté avec l'un d'eux, qu'un Indien devait payer pour quoi que ce soit.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Non. Il n'a jamais entendu quoi que ce soit - une déclaration qu'ils devaient payer de l'argent pour cela ou - pour payer de l'argent.
LE TÉMOIN : (en cri) Voici les mots du (en anglais) ministre : c'est ce qu'il (le ministre) a dit aux chefs qu'ils n'auraient jamais à payer quoi que ce soit jusqu'à la fin des temps.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Selon les mots du ministre, il a dit qu'il n'y aurait jamais aucune somme que les Indiens devraient payer. [c'est le juge de première instance qui souligne]
[88] Le juge a accepté telles que présentées les déclarations de 1991 et de 1999 de M. Willier, ainsi que son témoignage à l'audience. S'agissant de son témoignage à l'audience, le juge était d'avis qu'il « y avait lieu d'accommoder » en évaluant le témoignage de M. Willier. Il explique aux paragraphes 309 et 310 de ses motifs ce qu'il entend en parlant « d'accommoder » :
[309] Je conclus qu'afin d'évaluer la déclaration de M. Willier au procès, il y a lieu d'accommoder sa façon de s'exprimer, notamment lorsqu'il s'agit du passage clé suivant :
Mme BUSS : M. Willier, les anciens vous ont-ils déjà parlé des taxes?
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Les anciens, vos parents, vous ont-ils jamais dit que vous deviez payer quelque chose comme des (en anglais) taxes?
LE TÉMOIN : (en cri) Jamais. Ils n'ont jamais mentionné la chose et j'ai déjà dit que ma mère n'en avait jamais parlé non plus.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Personne n'a jamais parlé de cela et ma mère n'en a jamais parlé. Mentionné ce sujet.
Mme BUSS : Je ne sais pas si je devrais poser une question de suivi. Vous a-t-on jamais parlé de payer quelque chose au gouvernement? (inaudible) le mot.
LA COUR : C'est la question que vous proposez. (inaudible)
(inaudible)
LA COUR : D'accord, allez-y.
Mme BUSS : M. Willier, vous a-t-on jamais parlé de payer quelque chose au gouvernement?
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Vous a-t-on jamais dit - à tous - si vous auriez à payer quelque chose au chef à ce moment-là?
LA COUR : Par les anciens? Est-ce ce que vous voulez dire? Mme Buss.
Mme BUSS : Oui, je vous prie de m'excuser. Est-ce qu'on vous a dit quelque chose au sujet des anciens, au sujet de payer quelque chose au...
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Vous a-t-on jamais...
Mme BUSS: Au gouvernement.
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Les anciens vous ont-ils dit qu'ils (les anciens) devaient payer ces...?
LE TÉMOIN : (en cri) Je ne crois pas. Je ne crois pas. Je n'ai jamais entendu un ancien dire, chaque fois où j'ai discuté avec l'un d'eux, qu'un Indien devait payer pour quoi que ce soit.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Non. Il n'a jamais entendu quoi que ce soit - une déclaration qu'ils devaient payer de l'argent pour cela ou - pour payer de l'argent.
LE TÉMOIN : (en cri) Voici les mots du (en anglais) ministre : c'est ce qu'il (le ministre) a dit aux chefs qu'ils n'auraient jamais à payer quoi que ce soit jusqu'à la fin des temps.
HAZEL DION DECORBY : (en anglais) Selon les mots du ministre, il a dit qu'il n'y aurait jamais aucune somme que les Indiens devraient payer. (pièce 63, p. 1602-1603).
[310] Selon l'Alberta, le premier passage que j'ai souligné démontrerait que les anciens n'ont jamais rien dit à M. Willier au sujet des taxes. Selon moi, une interprétation équilibrée de cette déclaration dans son contexte ne cadre pas avec ce point de vue. La question posée sollicitait une réponse quant à savoir si on ne lui avait jamais dit qu'il devait payer des taxes. Je conclus que sa réponse peut raisonnablement être interprétée comme voulant dire qu'on ne lui avait jamais dit qu'il devait payer des taxes, savoir que la promesse du Traité faisait qu'il n'avait pas à payer des taxes.
[c'est le juge de première instance qui souligne]
[89] Au paragraphe 310 de ses motifs, le juge de première instance traite d'un argument présenté par l'Alberta au sujet de la première réponse donnée par M. Willier, que le juge de première instance a reproduite au paragraphe 309 de ses motifs :
Mme BUSS : M. Willier, les anciens vous ont-ils déjà parlé des taxes?
HAZEL DION DECORBY : (en cri) Les anciens, vos parents, vous ont-ils jamais dit que vous deviez payer quelque chose comme des (en anglais) taxes?
LE TÉMOIN : (en cri) Jamais. Ils n'ont jamais mentionné la chose et j'ai déjà dit que ma mère n'en avait jamais parlé non plus.
[90] M. Willier a répondu qu'on ne lui a jamais dit qu'il aurait à payer des taxes. L'Alberta a soutenu que cette réponse ne constitue pas une preuve que les membres du groupe de M. Willier avaient compris qu'ils jouissaient d'une exemption fiscale. Au paragraphe 310 de ses motifs, le juge de première instance rejette l'argument de l'Alberta en déclarant qu'une interprétation équilibrée de la déclaration ne cadre pas avec le point de vue de l'Alberta. Le juge déclare ensuite que « sa réponse peut raisonnablement être interprétée comme voulant dire qu'on ne lui avait jamais dit qu'il devait payer des taxes, savoir que la promesse du traité faisait qu'il n'avait pas à payer des taxes » .
[91] Avec déférence, je n'arrive pas à voir comment on peut transformer la réponse de M. Willier, savoir qu'on ne lui a jamais dit qu'il aurait à payer des taxes, en une réponse voulant que son groupe avait reçu une promesse issue de traités qui leur conférait une exemption fiscale. Selon moi, c'est justement une telle situation que visait le juge en chef McLachlin lorsqu'elle a déclaré dans l'arrêt Mitchell, précité, qu'on ne devrait pas faire ployer la preuve de la tradition orale sous plus de poids que ce qu'elle peut raisonnablement soutenir. Quoique M. Willier ait eu à l'esprit lorsqu'il a donné sa réponse, il n'a certainement pas dit, et on ne peut certainement pas lui faire dire, qu'on lui avait dit que son groupe avait compris qu'on leur avait accordé une exemption fiscale.
[92] Une interprétation équilibrée du témoignage de M. Willier à l'audience ne peut, en toute déférence, mener à la conclusion à laquelle le juge de première instance est arrivé. Selon moi, voici ce qui ressort de la preuve de M. Willier :
1. Il croyait que son groupe n'aurait pas à payer de taxes parce qu'on ne lui avait jamais rien dit à ce sujet et parce que les anciens n'avaient jamais mentionné cette question.
2. Il associait l'idée de taxes avec les terres détenues par les Indiens à l'extérieur des réserves.
3. Il croyait que son groupe avait reçu la promesse qu'ils n'auraient jamais rien à payer, promesse qui peut n'avoir aucun lien avec les taxes.
Le juge de première instance semble s'être arrêté uniquement au premier thème, ce qui l'a mené à conclure que le témoignage de M. Willier appuyait le point de vue voulant que les signataires autochtones avaient reçu une promesse d'exemption fiscale.
[93] De plus, M. Willier a fait un certain nombre de déclarations au cours de son témoignage liant les taxes aux terres détenues par les Indiens, notamment : a) les Indiens ne devraient pas payer de taxes sur toutes les terres à l'extérieur de la communauté; b) « cette terre sur laquelle il (l'Indien) réside, cette terre devrait être désignée terre indienne » ; c) les terres à l'extérieur de la réserve devraient être considérées terres indiennes; et d) de telles terres devraient être considérées terres indiennes ou une sorte de réserve, afin que les Indiens n'aient pas à payer les taxes foncières.
[94] Il n'y a aucun doute que la terre était un thème central de la preuve de M. Willier. Par conséquent, le lien qu'il fait entre les taxes et la terre peut tout à fait être concilié avec le Traité, qui accordait aux Indiens le choix entre la constitution de réserves ou l'octroi de terres individuelles, en prévoyant qu'ils seraient exemptés de taxation dans les deux cas. Toutefois, selon moi, sa preuve ne peut appuyer la conclusion d'une portée aussi considérable du juge de première instance.
[95] S'agissant des déclarations de M. Willier de 1991 et 1999, ainsi que de son témoignage à l'audience, le juge de première instance était d'avis qu'il fallait en faire une lecture croisée. Bien que les appelants aient soutenu qu'il y avait des différences entre les deux déclarations de M. Willier et son témoignage à l'audience au sujet des sources de ses connaissances, le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait pas de divergence. Au paragraphe 85 de son mémoire, l'Alberta énumère les diverses sources de M. Willier, à partir de son affidavit de 1991 jusqu'à son témoignage du 22 mai 2001 devant le juge de première instance. Je reproduis ici une partie de ce paragraphe :
[traduction]
L'affidavit non Transcription de l'entrevue Témoignage de J. Willier
assermenté de de 1999 de J. Willier, au procès Benoit,
J. Willlier, pièce 34 pièce 53 22 mai 2001
Père, mère, oncles Gouthier, quelques Gladue Johnny Goah, Joe Guadula,
et autres anciens et quelques Bottle Chiki Gladue, Sam Ekaduro
Gasmer Cardinal, Alex Gothier, et Bottle et Sa mère et George Okemow,
Moostoos Chalifoux, et Gladue Joe Bottle, Simon Cattlehook et
son frère Scotty Willier
George Okemow, Son frère Scottie Willier,
William Okemow Frank Cardinal et Isadore
et Cheeki et George Okeymah et
Alex Mustus
[96] Bien que les sources de M. Willier diffèrent dans sa déclaration de 1991, la déclaration de 1999 et son témoignage à l'audience, George Okeymow est cité comme source les trois fois et son frère, Scotty Willier, est cité comme source deux fois. En tant qu'anciens, George Okeymow et Scotty Willier ont participé à des entrevues au cours des années 1970 dans le cadre du projet TARR. Toutefois, aucun des deux n'a mentionné une promesse en matière de taxes au cours de leurs entrevues. Selon moi, il s'agit d'un fait essentiel puisque George Okeymow et Scotty Willier sont tous deux cités comme ayant donné l'information à Joe Willier au sujet de la promesse en matière de taxes qu'on attribue aux commissaires. Une autre des sources d'information de Joe Willier est William Okeymow (dans la déclaration de 1991). Lors de son entrevue dans le cadre du projet TARR, William Okeymow, tout comme George Okeymow et Scotty Willier, n'a pas parlé de taxation. Le juge de première instance aurait dû tenir compte du fait que les sources de M. Willier n'avaient pas soulevé la question d'une promesse non respectée en matière de taxes lorsqu'ils en ont eu l'occasion. Il a tout simplement accepté toutes les déclarations de M. Willier telles que présentées. Ce faisant, il a commis une erreur.
[97] Je dois aussi mentionner une autre préoccupation au sujet de la preuve de M. Willier, que le juge de première instance aurait dû prendre en compte lorsqu'il a évalué la fiabilité de cette preuve. Au cours de l'entrevue de 1999, M. Willier a déposé une déclaration, écrite à la main par son fils, où l'on trouve une liste de 19 promesses du Traité, aucune ne portant sur la question de la taxation (Dossier d'appel, vol. XVIII, p. 6151 et 6152). Toutefois, plus tard lors de la même entrevue, il a déposé une autre liste, cette fois dactylographiée par son petit-fils, où l'on trouve une promesse additionnelle, savoir celle de l'exemption fiscale.
[98] Par conséquent, je conclus que les déclarations de M. Willier en preuve sont « éparses, incertaines et équivoques » et qu'elles auraient donc dû être abordées par le juge de première instance avec une grande prudence. Avec déférence, je suis d'avis que si le juge de première instance avait procédé de cette façon il aurait dû arriver à la conclusion que la preuve de M. Willier ne pouvait étayer la conclusion qu'il a tirée en définitive.
[99] Je vais faire un dernier commentaire au sujet des témoignages de MM. Paulette et Willier, et de Mme Randhile, ainsi que de l'entrevue de M. Mustus. J'ai lu plusieurs fois avec beaucoup d'attention la totalité de cette preuve, y compris les entrevues de 1991 et de 1999 de M. Willier. J'arrive à la conclusion qu'il est souvent très difficile de distinguer le point de vue du témoin de sa relation de l'histoire orale. Selon moi, ceci démontre encore une fois que le juge de première instance aurait dû être très prudent en évaluant la fiabilité de cette preuve.
[100] Je vais maintenant examiner l'aspect ouï-dire de la preuve par témoignage de l'histoire orale présentés par les trois témoins, ainsi que de l'entrevue Mustus. En évaluant le témoignage de MM. Paulette et Willier, et de Mme Randhile, ainsi que l'entrevue de M. Mustus, le juge de première instance aurait dû garder à l'esprit que la preuve sur laquelle il se fondait pour arriver à sa conclusion était du ouï-dire et, plus particulièrement, il aurait dû se préoccuper de la question de savoir si cette preuve satisfaisait au critère de fiabilité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mitchell, précité. Dans cet arrêt, le juge en chef McLachlin a clairement déclaré que les principes énoncés dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, précité, ne supposent pas qu'on doive admettre en preuve sans réserve les témoignages portant sur l'histoire orale, non plus qu'ils imposent le poids à leur donner par le juge de première instance. Le juge en chef McLachlin a souligné le fait que les témoignages au sujet de l'histoire orale étaient admissibles en preuve lorsqu'ils sont utiles et raisonnablement fiables, toujours sous réserve du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance de les exclure. Elle a aussi fait remarquer que la notion d'accorder « le poids qui convient » aux récits oraux veut dire qu'on doit accorder à cette preuve « un traitement égal et approprié » . Ce disant, le juge en chef McLachlin voulait dire que la preuve des récits oraux ne devrait pas être « sous-estimée » , non plus qu'on ne devrait la faire ployer artificiellement sous plus de poids que ce qu'elle peut raisonnablement étayer. S'agissant du critère de l'utilité et de la fiabilité, le juge en chef McLachlin fait les remarques suivantes, aux paragraphes 32 à 35 de l'arrêt Mitchell, précité :
32. Les récits oraux autochtones peuvent satisfaire au critère de l'utilité de deux façons. Premièrement, ils peuvent offrir une preuve de pratiques ancestrales et de leur importance, qui ne pourrait être obtenue autrement. Il peut n'exister aucun autre moyen d'obtenir la même preuve, compte tenu de l'absence d'archives contemporaines. Deuxièmement, les récits oraux peuvent fournir le point de vue autochtone sur le droit revendiqué. Sans cette preuve, il serait peut-être impossible de se faire une idée exacte de la pratique autochtone invoquée ou de sa signification pour la société en question. Il n'est pas facile après 400 ans de déterminer quelles pratiques existaient et de distinguer les caractéristiques principales et déterminantes d'une culture de celles qui sont marginales. L'identité culturelle est une question subjective difficile à saisir : [renvois non reproduits]
33. Le deuxième facteur à examiner dans la détermination de l'admissibilité de la preuve dans les affaires autochtones est la fiabilité : le témoin est-il une source raisonnablement fiable pour l'histoire du peuple en cause? Le juge de première instance n'est pas tenu de rechercher une garantie spéciale de fiabilité. Cependant, pour les questions de l'admissibilité de la preuve et, si elle est admise, du poids à lui accorder, il peut être approprié de s'enquérir de la connaissance du témoin des traditions et de l'histoire autochtones transmises oralement et de sa capacité de témoigner sur celles-ci. [je souligne]
34. Pour déterminer l'utilité et la fiabilité des récits oraux, les juges doivent se garder de faire des suppositions faciles fondées sur les traditions eurocentriques de collecte et de transmission des traditions et des faits historiques. Les récits oraux reflètent les perspectives et les cultures distinctives des communautés dont ils sont issus et ne devraient pas être écartés pour le simple motif qu'ils ne sont pas conformes aux attentes d'un point de vue non autochtone. D'où les mises en garde énoncées dans Delgamuukw de ne pas rejeter à la légère des récits oraux pour la simple raison qu'ils ne transmettent pas la vérité « historique » , comportent des éléments mythologiques, manquent de détails précis, renferment des données tangentielles au processus judiciaire ou se limitent à la communauté dont ils retracent l'histoire.
35. En l'espèce, les parties ont présenté des témoignages d'historiens et d'archéologues. Les récits oraux d'aî nés, dont le grand chef Mitchell, ont fourni le point de vue autochtone. Le témoignage du grand chef Mitchell, confirmépar la preuve archéologique et historique, était particulièrement utile, parce qu'il a commencé très jeune à apprendre l'histoire de sa communauté. Le juge de première instance a conclu que son témoignage était crédible et s'est fondé sur celui-ci. Il n'a pas commis d'erreur en cela et nous pouvons faire de même. [je souligne]
[101] En l'espèce, l'approche du juge de première instance quant à l'utilité et à la fiabilité de la preuve de l'histoire orale est exposée au paragraphe 238 de ses motifs, que je reproduis à nouveau pour faciliter la compréhension :
[238] L'utilité et la fiabilité sont des conclusions de fait qui doivent être tirées de la preuve présentée. Comme je viens de le rappeler, certaines personnes sont reconnues par les communautés autochtones comme rencontrant essentiellement cette norme. En l'absence de preuve contraire, je crois qu'il est raisonnable de conclure que si les autochtones considèrent qu'une certaine personne rencontre la norme de leur communauté, le critère juridique pour l'admissibilité de la preuve de la tradition orale présentée par cette personne est aussi satisfait.
[102] Selon moi, le critère de la « norme de [la] communauté » adopté par le juge de première instance ne satisfait pas au critère énoncé par le juge en chef McLachlin dans l'arrêt Mitchell, précité, savoir qu'on doit utiliser une norme objective pour déterminer si la preuve par ouï-dire est utile et fiable. Au paragraphe 33 de ses motifs dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge en chef McLachlin a parlé de la nécessité de s'enquérir de la connaissance du témoin des traditions et de l'histoire autochtone transmises oralement et de sa capacité d'en témoigner. Elle a ajouté qu'il était approprié de s'enquérir à ce sujet, tant pour les questions de l'admissibilité de la preuve que pour celle du poids à lui accorder si elle est admise.
[103] Je suis entièrement d'accord avec les appelants lorsqu'ils disent que le juge de première instance ne pouvait subordonner son examen de la question au point de vue de « la communauté » . Le point de vue de la communauté peut être pertinent, mais il ne peut trancher l'affaire. Le juge de première instance doit appliquer une quelconque norme objective. Par exemple, s'agissant de M. Paulette, j'ai déjà fait remarquer que le juge de première instance n'a pas appliqué la « norme de [la] communauté » utilisée jusque là, mais un critère moins exigeant.
[104] Au paragraphe 294 de ses motifs, le juge de première instance a traité de la contestation que les appelants avaient fait de la preuve de l'histoire orale en utilisant les témoignages d'experts :
[294] Plutôt que de contester la preuve de la tradition orale en contre-interrogatoire, le Canada et l'Alberta s'appuient sur leur propre preuve pour en diminuer le poids. En particulier, l'Alberta s'appuie sur la preuve du Dr von Gernet que je viens de citer. Pour que les préoccupations générales du Dr von Gernet au sujet de l'exactitude de la preuve de la tradition orale viennent réduire le poids à donner à celle qui a été présentée en l'instance, je conclus que ces préoccupations doivent être spécifiques à une personne qui a présenté cette preuve. Ceci veut dire qu'il faut prouver d'une manière ou d'une autre qu'un témoin parlant de la tradition orale ne l'a pas relatée de façon exacte. Je conclus qu'on n'y est pas arrivé. [je souligne]
[105] Je trouve l'approche adoptée par le juge de première instance déconcertante. Le fait qu'il impose une règle qui limite les préoccupations quant à la fiabilité de l'histoire orale uniquement à celles qui visent des témoins précis a fait qu'il a rejeté toutes les préoccupations visant la nature même de la preuve de l'histoire orale, qui est une preuve par ouï-dire. Selon moi, à toutes fins utiles le juge de première instance a traité la preuve de l'histoire orale présentée par MM. Paulette, Willier et Mustus, et Mme Randhile, comme s'il s'agissait d'une connaissance personnelle qu'ils auraient eue des événements pertinents. À cet égard, les commentaires qu'il fait aux paragraphes 283 à 285 de ses motifs sont éclairants :
[283] Je me range à l'avis du Dr von Gernet voulant que la mémoire de tous les témoins ne reflète pas nécessairement exactement ce qui a été vu ou entendu. Je conviens aussi qu'il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures dans l'appréciation de la preuve de la tradition orale; savoir qu'en suivant le concept mentionné dans l'arrêt Mitchell, la preuve de la tradition orale doit être placée sur un pied d'égalité avec les autres formes de preuve.
[284] Toutefois, je veux rappeler qu'au cours d'un procès les témoins ne doivent pas être jugés avec scepticisme, mais plutôt par une personne prête à croire qu'ils disent la vérité et à conserver cette croyance jusqu'à ce qu'il y ait un motif clair et important de ne pas le faire. Ce principe juridique est énoncé dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5 :
J'estime que la Commission a agi arbitrairement en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant susmentionnées. Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. En l'espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant.
[285] Par conséquent, je conclus que si l'on juge qu'un autochtone est qualifié pour présenter une preuve de la tradition orale, cette personne peut s'attendre à ce qu'on accorde du poids à sa preuve, à moins qu'il n'existe des raisons de ne pas le faire. En l'instance, cette conclusion s'applique à M. Willier, Mme Randhile, M. Paulette et M. Mustus.
[106] La mention que fait le juge de la décision de notre Cour dans l'arrêt Maldonado, précité, indique selon moi une certaine confusion dans son esprit. Dans l'arrêt Maldonado, précité, notre Cour était saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'appel de l'immigration. Il est important de rappeler qu'à cette époque, l'alinéa 65(2)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 portait que la Commission pouvait fonder sa décision sur toute preuve qu'elle considérait digne de foi et pertinente dans les circonstances de l'affaire[v]. Ainsi, la Commission n'était pas liée par les règles techniques de preuve et elle pouvait accepter une preuve par ouï-dire qui ne respectait pas les critères de l'utilité et de la fiabilité adoptés par la Cour suprême dans les arrêts Delgamuukw, précité, et Mitchell, précité. En conséquence, je ne vois pas en quoi l'arrêt Maldonado, précité, serait pertinent en l'espèce.
[107] Avec déférence, je suis d'avis que le paragraphe 284 des motifs du juge de première instance fait ressortir le fait qu'il n'a pas semblé tenir compte de la nature de la preuve par ouï-dire qui lui a été présentée dans les témoignages de MM. Paulette, Willier et Mustus, et de Mme Randhile, aucune de ces personnes n'ayant été présentes à la signature du Traité en 1899. Il est utile de répéter que ces témoins faisaient état de renseignements et de connaissances qu'ils déclaraient avoir obtenus de certaines autres personnes. Le fait qu'un témoin dit la vérité, c'est-à-dire le fait qu'il croit véritablement ce qu'il raconte à la Cour, ne constitue pas en soi une preuve que les renseignements transmis sont exacts. Le malentendu dans l'esprit du juge est illustré encore plus dans ses remarques au sujet du témoignage de M. Willier. Le juge de première instance déclare ceci, aux paragraphes 305 et 306 :
[305] S'agissant de la déclaration de 1999 de M. Willier, l'Alberta soutient que Mme Aasen a utilisé des questions suggestives pour obtenir des déclarations au sujet de la promesse d'exemption fiscale. Le droit portant sur les questions suggestives est bien connu, et il et exprimé succinctement comme suit :
Une question suggestive peut soit mener à une réponse donnée ou supposer l'existence de faits contestés.... On ne doit jamais oublier que le terme « suggestive » véhicule une notion qui n'est pas absolue, mais bien relative.... On peut s'objecter aux questions suggestives par suite du danger de collusion entre la personne qui les pose et le témoin, ou du fait qu'il est incorrect de suggérer l'existence de faits qui n'ont pas été mis en preuve (Cross on Evidence, 3rd ed., p. 188).
[306] Je conclus que, lorsqu'il s'agit d'obtenir d'un ancien respecté un compte rendu de la tradition orale qu'il connaît, le fait de diriger son attention vers un certain sujet ne constitue pas une question suggestive. Je ne peux absolument pas accepter qu'un homme du calibre de M. Willier inventerait cette déclaration portant sur la promesse d'exemption fiscale, et moins encore qu'il l'inventerait tout simplement parce que Mme Aasen a attiré son attention sur le sujet.
[108] La question qui s'imposait au juge de première instance ne consistait pas à savoir si M. Willier avait l'intention d'inventer sa déclaration portant sur la prétendue promesse d'exemption fiscale, mais bien celle de savoir si son témoignage était fiable. Comme je viens de le souligner, le juge a traité la preuve de M. Willier et celle d'autres témoins comme s'il s'agissait d'une connaissance personnelle qu'ils auraient eu des événements pertinents. En conséquence, dans les circonstances de l'affaire et à moins que les appelants puissent contester avec succès la preuve de l'histoire orale en contre-interrogatoire, le juge de première instance était prêt à accepter cette preuve telle que présentée et c'est ce qu'il a fait. Je constate aussi, au vu des paragraphes 305 et 306 des motifs du juge de première instance, qu'il était d'avis que les questions suggestives sont légitimes dans le cadre des témoignages des anciens. En toute déférence, je ne peux souscrire à ce point de vue. Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge en chef McLachlin a clairement indiqué que l'histoire orale ne doit pas recevoir un traitement préférentiel. En particulier, elle a fait les remarques suivantes, au paragraphe 38 :
38. Encore une fois, cependant, il faut souligner qu'être conscient de la nature particulière des revendications autochtones n'empêche pas d'appliquer les principes généraux de preuve. S'il ne faut pas sous-estimer la preuve présentée à l'appui des revendications autochtones, il ne faut pas non plus l'interpréter ou l'apprécier d'une manière fondamentalement contraire aux principes du droit de la preuve qui, en matière d'appréciation de la preuve, correspondent souvent aux [traduction] « principes généraux de bon sens » . [...]
[109] Il est aussi important de souligner que la nature de la preuve de l'histoire orale en l'espèce est fort différente de celle qui a été présentée, par exemple, dans l'arrêt Delgamuukw, précité. Dans cette affaire, les récits oraux des Gitksan et Wet'suwet'en, connus respectivement sous l'appellation addawk et kungax, constituaient la « litanie, l'énumération ou l'histoire officielle et sacrée, selon le cas, des règles de droit, des traditions et des faits historiques les plus importants d'une maison » . Seules certaines personnes désignées à cette fin avaient le droit de répéter ces récits lors de célébrations importantes et leur authenticité était garantie par le fait que toute personne pouvait opposer son désaccord à l'égard d'un détail ou d'un autre à ces occasions. De ce fait, les récits oraux étaient formels et structurés. En l'espèce, toutefois, ils sont de nature fondamentalement différente parce qu'ils passent d'un individu à un autre de façon informelle. On n'y trouve pas les mécanismes de régulation qui assuraient l'authenticité de l'adaawk et du kungax. Par conséquent, la preuve de l'histoire orale présentée en l'espèce ne peut être considérée aussi fiable que celle dont il est fait état dans l'arrêt Delgamuukw, précité.
[110] Je partage l'avis des appelants que le fait que le juge de première instance n'a pas compris la nature de la preuve qui lui était présentée constitue une erreur qui peut être corrigée. Selon moi, c'est cette erreur qui l'a amené à accepter telle que présentée la preuve de MM. Paulette, Willier et Mustus, et de Mme Randhile. Comme je l'ai souligné plusieurs fois, il ne semble pas que le juge de première instance ait fait quelque tentative que ce soit pour évaluer de façon critique la preuve présentée par ces témoins. En conséquence, il a accordé un traitement préférentiel à la preuve de l'histoire orale, contrairement aux principes établis par le juge en chef McLachlin dans l'arrêt Mitchell, précité. Le juge de première instance était saisi de déclarations qui étaient du ouï-dire et dont la fiabilité devait être clairement démontrée. Ceci exigeait de lui qu'il examine longuement la preuve présentée et qu'il détermine si elle était vraiment fiable. Ce faisant, le juge de première instance aurait nécessairement dû examiner la preuve de l'histoire orale au vu de toute la preuve dont il était saisi, y compris les entrevues du projet TARR et les présentations de 1946 au Comité mixte. Il aurait dû aussi tenir compte du fait que des chercheurs comme le Dr Irwin et le Dr McCormack n'avaient rien trouvé qui venait appuyer le point de vue voulant que les signataires autochtones avaient compris qu'on leur avait fait une promesse en matière de taxes. En toute déférence, je constate qu'il est manifeste que le juge de première instance n'a pas procédé ainsi.
[111] Je voudrais conclure mes commentaires en citant certains passages du rapport du Dr Alexander von Gernet, un anthropologue cité à témoigner par l'Alberta en tant que témoin expert au sujet du poids à donner à la preuve de l'histoire orale, passages que le juge de première instance a reproduits au paragraphe 282 de ses motifs :
[282] Le Dr von Gernet est très critique vis-à-vis la question de la preuve de la tradition orale. Les passages suivants de son rapport font ressortir la norme qu'il voudrait voir appliquer à l'évaluation de la preuve de la tradition orale :
Selon moi, l'approche la plus utile consiste à reconnaître la légitimité de l'image de soi et à accepter qu'il faut respecter les croyances des gens au sujet de leur passé et accorder à ces croyances une vraie valeur historique. En même temps, cette approche suppose l'existence d'un vrai passé qui ne dépend pas des croyances actuelles à son sujet, et que des renseignements valables au sujet de ce passé peuvent être obtenus de diverses sources, y compris les récits oraux et les traditions orales. Elle reconnaît que les chercheurs non autochtones et autochtones peuvent être partiaux, qu'on peut inventer diverses versions du passé ou les utiliser à des fins politiques, et que la réalisation d'une histoire qui serait complètement objective est un idéal impossible à atteindre. Toutefois, elle postule que le passé impose ses propres limites à la façon dont les interprètes modernes peuvent le manipuler à diverses fins. Bien qu'on ne puisse ressusciter le passé dans son intégralité, ceci doit demeurer notre objectif. Sans qu'on puisse lui donner le statut privilégié d'une « vérité » universelle, cette reconstitution aura l'avantage d'être rigoureuse. L'approche en cause rejette l'idée à la mode qui veut que comme les documents oraux autochtones ne sont pas d'origine occidentale, on ne peut les évaluer avec les méthodes occidentales et donc qu'ils échappent au genre d'examen auquel on soumet les autres formes de preuve. En définitive, cette perspective illustre la croyance de l'anthropologue fort respecté Bruce Trigger : les erreurs du passé ne seront pas rachetées en abandonnant toute norme scientifique dans l'étude historique des relations entre les autochtones et les non-autochtones. Ceux qui récupèrent les récits oraux et les traditions orales pour les présenter en preuve d'événements passés doivent franchir un écueil important--comment convaincre un sceptique que des documents créés dans le présent contiennent des renseignements exacts au sujet du passé (p. 6).
...
En d'autres mots, la valeur de l'histoire communiquée oralement ne réside pas toujours dans sa correspondance aux faits. Ce que les gens croient être vrai est tout aussi important que ce qui s'est réellement produit, puisqu'on peut en tirer des perspectives intéressantes au sujet de la signification de l'histoire. Même des comptes rendus erronés, peu judicieux ou délibérément trompeurs peuvent, par leurs erreurs mêmes, susciter la compréhension. De plus, il est important de comprendre pourquoi dans le passé les gens ont agi comme ils l'ont fait. Comme les gens agissent généralement selon leurs croyances, les chercheurs doivent essayer de comprendre chaque culture selon ses propres paramètres et de concevoir la façon dont les membres de ces cultures l'imaginent. Néanmoins, lorsqu'il s'agit de rechercher des faits historiques dans le cadre de litiges autochtones, il est important pour le moins d'essayer de distinguer entre ce que les gens croient s'être produit et ce qui peut réellement s'être produit au vu de la preuve globale (p. 9-10).
...
La question n'est donc peut-être pas tellement de savoir si un document oral relate de façon exacte le passé, mais bien s'il est corroboré par une preuve indépendante. D'aucuns ont suggéré qu'on établisse une distinction entre la fiabilité et la validité, la fiabilité portant sur la cohérence interne alors que la validité porterait sur le degré de conformité entre le récit oral et d'autres sources primaires, comme les documents écrits ou la preuve archéologique. Quelle que soit la façon dont nous formulons la question, les débats au sujet de l'aspect factuel, de l'historicité, de l'exactitude, de la fiabilité ou de la validité des documents oraux reflètent la tension entre l'objectivité historique et le postmodernisme, soulignent les points de vue divergents quant à savoir si de tels documents portent sur le passé ou sur le présent, et opposent quelquefois les membres de diverses écoles de pensée. En d'autres mots, les multiples opinions constituent un continuum (p. 11).
...
La mémoire est toujours sélective et sa structure est liée à la perception, celle-ci étant elle-même enracinée dans la culture et les relations sociales. Il est devenu clair que les souvenirs sont des reconstitutions colorées par les événements postérieurs et que les êtres humains reformulent, omettent, déforment, combinent et réorganisent les détails de leur passé. Au fur et à mesure que les gens modifient leur façon de voir le monde, ils font une mise à jour automatique de leurs souvenirs qui reflètent leurs nouvelles idées. De nouveaux intrants nous forcent à des réexamens et les lacunes sont comblées de façon inconsciente par des suppositions quant à ce qui aurait pu se produire. De cette façon, les faits dont nous nous souvenons sont augmentés de faits construits pour produire une version du passé. ...Il n'y a toutefois rien d'inhérent à la tradition orale qui encouragerait la transmission exacte de l'information, non plus qu'aucune preuve permettant de dire que les autochtones ont reçu en don une immunité génétique ou culturelle par rapport aux oublis qui sont le lot commun du reste de la race humaine. ...Toute la preuve indique que les autochtones, comme tous les êtres humains, sont victimes du phénomène bien connu des chercheurs dans le domaine de la mémoire : l'interférence rétroactive (p. 13-14).
...
Il est clair que pour beaucoup d'autochtones, la préservation de l'histoire n'implique pas seulement la transmission orale de l'information d'une personne à une autre, mais aussi un processus qui consiste à fixer les documents oraux par écrit afin de pouvoir les utiliser pour promouvoir des visions différentes du passé dans le discours politique contemporain et dans les salles d'audience de la nation. Une fois que les traditions ont été transformées en documents écrits présentés en preuve, il n'existe aucun impératif voulant qu'on ne devrait pas les soumettre au même type d'examen qui est utilisé couramment dans l'étude de n'importe quel autre document.... Une fois que les traditions orales sont présentées comme preuve à l'appui d'une reconstitution de ce qui se serait vraiment produit dans le passé, le fait de ne pas les soumettre à une analyse rigoureuse ne peut que mener à la pratique inacceptable de deux poids, deux mesures (p. 21-22).
[c'est le juge de première instance qui souligne]
[112] Selon moi, l'approche préconisée par le Dr von Gernet par rapport à la preuve de l'histoire orale est sans conteste la bonne approche à adopter et elle est entièrement conforme aux remarques faites par le juge en chef McLachlin au paragraphe 38 de l'arrêt Mitchell, précité, lorsqu'elle déclare que la preuve présentée à l'appui des revendications autochtones ne devrait pas être appréciée d'une manière « fondamentalement contraire aux principes du droit de la preuve... » .
[113] Je partage l'avis du Dr von Gernet que la preuve de l'histoire orale ne peut être acceptée telle quelle comme factuelle, à moins qu'elle n'ait été soumise à l'examen critique que les tribunaux et les experts, qu'ils soient historiens, archéologues, ou spécialistes des sciences sociales, utilisent pour analyser les autres types de preuve qu'ils doivent traiter. Mon objectif précis en renvoyant au rapport du Dr von Gernet est d'insister sur le fait que le juge de première instance aurait dû aborder la preuve de l'histoire orale avec prudence. Dans l'arrêt Mitchell, précité, par exemple, le juge de première instance et la Cour suprême du Canada ont accepté la preuve de l'histoire orale présentée par le grand chef Mitchell, preuve que le juge en chef McLachlin, au paragraphe 35 de ses motifs, déclare être confirmée par la preuve archéologique et historique. En d'autres mots, selon la nature de l'histoire orale en cause, il peut être nécessaire d'obtenir une corroboration pour en assurer la fiabilité.
[114] Dans l'arrêt Mitchell, précité, le juge en chef McLachlin, au paragraphe 27 de ses motifs, a énoncé pourquoi il ne fallait pas imposer aux demandeurs autochtones un fardeau de preuve impossible :
27. La revendication de droits ancestraux soulève des difficultés de preuve intrinsèques et uniques. Les demandeurs doivent établir les caractéristiques de leur société avant le contact avec les Européens, par-delà des siècles et sans l'aide d'écrits. Reconnaissant ces difficultés, notre Cour a fait une mise en garde contre la possibilité de rendre illusoires les droits protégés par le par. 35(1) en imposant un fardeau de preuve impossible à ceux qui revendiquent cette protection (Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, p. 408). Ainsi, dans Van der Peet, précité, la majorité de la Cour affirme que « le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d'un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n'étaient pas consignées par écrit » (par. 68).
Il faut lire avec beaucoup d'attention cette déclaration du juge en chef McLachlin. Son raisonnement se fonde sur la difficulté de prouver l'existence « d'un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n'étaient pas consignées par écrit » . De plus, il faut lire ses commentaires en gardant à l'esprit ce qu'elle déclare au paragraphe 38 de ses motifs, que je reproduis à nouveau :
38. Encore une fois, cependant, il faut souligner qu'être conscient de la nature particulière des revendications autochtones n'empêche pas d'appliquer les principes généraux de preuve. S'il ne faut pas sous-estimer la preuve présentée à l'appui des revendications autochtones, il ne faut pas non plus l'interpréter ou l'apprécier d'une manière fondamentalement contraire aux principes du droit de la preuve qui, en matière d'appréciation de la preuve, correspondent souvent aux [traduction] « principes généraux de bon sens » . [...]
[115] En l'espèce, ce qui est en cause n'est pas « un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n'étaient pas consignées par écrit » , mais bien la question de savoir si les signataires autochtones avaient compris qu'on leur avait fait une promesse qu'ils n'auraient à payer aucune taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit. Comme on peut le voir dans mes motifs, il existe un ensemble considérable de documents au sujet du Traité 8 et ces documents n'appuient pas le point de vue présenté par les intimés et accepté par le juge de première instance.
[116] En résumé, lorsque la preuve présentée au juge de première instance est examinée en entier et replacée dans son vrai contexte, la seule conclusion possible, selon moi, est qu'elle n'est pas suffisante pour appuyer le point de vue qui veut que les signataires autochtones aient compris qu'ils seraient exemptés du paiement de toute taxe, à quelque moment ou pour quelque motif que ce soit. Voici mes raisons pour arriver à cette conclusion :
1. Le Traité ne mentionne aucunement une promesse d'exemption fiscale faite aux autochtones.
2. La preuve documentaire relative au Traité, à l'exception du Rapport des commissaires, ne contient rien non plus au sujet d'une telle promesse.
3. Les commissaires pour le Traité n'ont pas fait cette promesse et ils n'avaient pas reçu l'autorité requise pour ce faire du gouvernement canadien.
4. Le Rapport des commissaires, lorsque transmis à Ottawa, n'a pas donné lieu à quelque plainte ou objection que ce soit de la part du gouvernement, le même qui avait donné instruction aux commissaires de ne pas outrepasser ce qui avait été accordé dans les traités précédents.
5. Les traités numérotés précédents ne contiennent aucune promesse d'exemption fiscale.
6. Les Drs Irwin et McCormack, témoins experts cités par les intimés, ont tous les deux témoigné que leur recherche historique et anthropologique ne leur a pas permis de trouver de source écrite qui viendrait appuyer le point de vue voulant que les signataires autochtones auraient compris qu'ils avaient reçu une exemption fiscale.
7. Les nombreuses présentations faites par les diverses bandes du Traité 8 au Comité mixte en 1946 ne soulèvent pas la question d'une promesse en matière de taxes qui n'aurait pas été respectée.
8. Les défenseurs des signataires autochtones, tels que l'évêque Breynat et le père Fumoleau, ne se sont jamais plaints au sujet d'une promesse en matière de taxes qui n'aurait pas été respectée.
9. Les entrevues du projet TARR n'appuient pas le point de vue voulant qu'on aurait fait une promesse d'exemption fiscale aux signataires autochtones.
10. Les témoignages de MM. Paulette et Willier, et de Mme Randhile, ainsi que la transcription de l'entrevue Mustus, n'appuient pas la conclusion à laquelle le juge de première instance est arrivé. Au mieux, ces preuves sont ambiguës et non concluantes et, selon moi, on ne peut les qualifier que d' « éparses, incertaines et équivoques » . Le fait que la preuve de ces témoins et la substance de leur témoignage étaient du ouï-dire exigeait du juge de première instance qu'il soit très prudent, compte tenu du fait que le Traité et la preuve documentaire ne contiennent rien au sujet de la prétendue promesse en matière de taxes et au sujet d'un malentendu dans l'esprit des signataires autochtones.
11. En relisant les témoignages des trois témoins et la transcription de l'entrevue de M. Mustus, il est fort souvent très difficile de savoir si le témoin relate l'histoire orale ou s'il ne donne pas tout simplement son avis sur les questions soumises à la discussion. En soi, ceci constitue un motif supplémentaire qui imposait au juge de première instance une grande prudence dans l'évaluation de cette preuve.
CONCLUSION
[117] Comme le dossier ne contient rien qui puisse raisonnablement appuyer la conclusion à laquelle le juge de première instance est arrivé, je suis obligé de conclure qu'il a commis une erreur manifeste et dominante. Le juge de première instance semble ne pas avoir tenu compte d'une partie importante de la preuve, en plus d'avoir mal compris une partie essentielle de la preuve. S'il n'avait pas commis ces erreurs, il n'aurait pu que constater que la preuve présentée par les intimés n'était pas suffisante pour qu'il tire la conclusion à laquelle il est arrivé.
[118] En conséquence, je conclus que les intimés n'ont pas démontré que les signataires autochtones du Traité 8 avaient compris que les commissaires pour le Traité leur avaient promis qu'ils ne seraient assujettis à aucune taxe, à quelque moment et pour quelque raison que ce soit.
[119] Pour toutes ces raisons j'accueillerais l'appel, infirmerais le jugement de la Section de première instance, daté du 7 mars 2002, et rejetterais l'action des intimés, avec dépens en notre Cour et en première instance, à l'exception du coût de préparation des dossiers d'appel, que le Canada s'est engagé à assumer.
« M. Nadon »
j.c.a.
« Je suis d'accord.
A.J. Stone j.c.a. »
« Je suis d'accord.
John M. Evans j.c.a. »
NOTES DE FIN DE DOCUMENT
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-47-02
APPEL D'UN JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE, EN DATE DU 7 MARS 2002, DOSSIER No T-2288-92
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c. CHARLES JOHN GORDON BENOIT ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE : Les 19, 20 et 21 novembre 2002
MOTIFS DU
JUGEMENT PAR : LE JUGE NADON
ONT SOUSCRIT À CES MOTIFS : LE JUGE STONE ET LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : Le 11 juin 2003
COMPARUTIONS :
M. Graham Garton, c.r. POUR L'APPELANTE, SA MAJESTÉ
Mme Bonnie Moon LA REINE DU CHEF DU CANADA
M. Everett L. Bunnell, c.r. POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
M. Aldo P. Argento PROVINCE DE L'ALBERTA
M. John F. Rook, c.r. POUR LA FÉDÉRATION CANADIENNE
M. John V. Carpay DES CONTRIBUABLES
Mme Lisa Mrozinski POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
M. Paul Yearwood PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
M. P. Mitch McAdam POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL, PROVINCE DE LA SASKATCHEWAN
Mme Elizabeth A. Johnson POUR LES INTIMÉS,
Mme Karin E. Buss CHARLES JOHN GORDON BENOIT
Mme J. Trina Kondro ET AUTRES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR L'APPELANTE, SA MAJESTÉ
Sous-procureur général du Canada LA REINE DU CHEF DU CANADA
Macleod Dixon LLP POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
Calgary (Alberta) PROVINCE DE L'ALBERTA
Bennett Jones LLP POUR LA FÉDÉRATION CANADIENNE
Toronto (Ontario) DES CONTRIBUABLES
Fédération canadienne des contribuables
Edmonton (Alberta)
Ministère du procureur général POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
Victoria (Colombie-Britannique) PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
Saskatchewan Justice POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
Regina (Saskatchewan) PROVINCE DE LA SASKATCHEWAN
Ackroyd, Piasta, Roth & Day LLP POUR LES INTIMÉS,
Edmonton (Alberta) CHARLES JOHN GORDON BENOIT
ET AUTRES
[i]. En juin 1899, l'art. 77 de l'Acte des Sauvages, L.R.C. 1886, ch. 43, portait que les autochtones ne pouvaient être taxés, à moins qu'ils ne possèdent en leur propre nom un immeuble en pleine propriété. De plus, la législation territoriale exemptait de la taxation [traduction] « tous les biens détenus à l'usage de toute bande d'Indiens ou en fiducie pour elle, ou tous les biens appartenant au ministère des Indiens » . (Règlement municipal du Nord-Ouest no 4, 1884 : voir le Dossier d'appel, vol. 8. p. 2529).
[ii]. Suite à un avis de question constitutionnelle en vertu du par. 57(5) de la Loi sur la Cour fédérale, les procureurs généraux des provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, ainsi que la Fédération des contribuables canadiens, sont intervenus. Bien qu'il y ait des différences entre l'appelante et les intervenants au niveau de l'approche qu'ils adoptent pour contester les conclusions du juge de première instance, je vais quand même regrouper l'appelant et les intervenants sous l'appellation « appelants » .
[iii]. Le projet de recherche Treaty and Aboriginal Rights Research (TARR) de l'Indian Association of Alberta..
[iv]. Les entrevues avec Jean-Marie Mustus ont été réalisées le 19 novembre 1972 et le 26 mars 1975.
[v]. L'alinéa 65(2)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 est rédigé comme suit :
65. (2) La Commission a, en ce qui concerne la présence, la prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la production et l'examen des documents, l'exécution de ses ordonnances, et toute autre question relevant de sa compétence, tous les pouvoirs, droits et privilèges d'une cour supérieure d'archives et peut notamment
c) recevoir, au cours d'une audition, toute preuve supplémentaire qu'elle considère digne de foi et pertinente.
À la page 310 de ses motifs en dissidence, le juge Ryan fait les commentaires suivants au sujet de la nature des procédures devant la Commission :
En ce qui concerne les réfugiés, les procédures ont le caractère d'une enquête plutôt que d'un procès, et les règles de preuve applicables aux procès ne s'appliquent pas aux procédures devant la Commission. Les dispositions de l'article 65(2)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 sont on ne peut plus claires sur ce point : [...]
Si les règles sur la recevabilité des preuves applicables au procès avaient été appliquées en l'espèce, le demandeur n'aurait pas pu produire la lettre de sa femme.
C'était une preuve par ouï-dire et qui semble de circonstance, et l'auteur de la lettre n'était pas là pour être soumis à un contre-interrogatoire. C'était à la Commission de déterminer la valeur des déclarations consignées dans la lettre.