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Date : 20010112

Dossier : A-220-00

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MICHAEL NORWOOD

intimé

JUGEMENT

L'appel est accueilli en partie. La partie du jugement de la Cour de l'impôt sur la réparation en vertu de la Charte est annulée et remplacée par une ordonnance portant que les notes de M. Armour prises lors de l'entrevue avec M. Norwood, en décembre 1992, ne sont pas admissibles en preuve dans l'appel de M. Norwood de ses nouvelles cotisations pour 1991, 1992 et 1993, pendant devant la Cour de l'impôt. La Couronne paiera les dépens de cet appel à M. Norwood.

     B.L. Strayer

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20010112

Dossier : A-220-00

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MICHAEL NORWOOD

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2001

JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2001

MOTIFS DE JUGEMENT :                                                                   LE JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                             LE JUGE STRAYER

                                                                                                                 LE JUGE SEXTON


Date : 20010112

Dossier : A-220-00

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE SEXTON

LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MICHAEL NORWOOD

intimé

                                                  MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW

[1]                La Couronne interjette appel de la décision d'un juge de la Cour de l'impôt, [2000] 2 C.T.C 2900, [2000] D.T.C. 2019, qui ordonne au ministre du Revenu national de diminuer les cotisations d'impôt de l'intimé Michael Norwood pour les années 1991, 1992 et 1993. L'ordonnance vise à accorder la réparation prévue à l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés pour une violation du droit de M. Norwood à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, droit qui est garanti par l'article 8 de la Charte.


[2]                Durant toute la période pertinente en l'instance, M. Norwood était l'unique actionnaire de 947014 Ontario Inc. Cette dernière était à son tour l'unique actionnaire de 450344 Ontario Inc., qui exploitait un restaurant, un bar et une salle d'attractions. M. Norwood et ses sociétés étaient clients du cabinet d'experts-comptables Connelly Koshy & Frouin. M. Koshy était l'associé responsable du dossier, mais l'essentiel du travail était fait par M. Armour, C.G.A. La Couronne conteste le fait que le cabinet de comptables représentait M. Norwood personnellement, mais le juge de la Cour de l'impôt a conclu au contraire et sa conclusion est appuyée par la preuve.

[3]                Au début de 1995, M. Norwood a reçu un appel téléphonique d'un vérificateur de Revenu Canada, l'informant qu'on procéderait à une vérification au sujet de 450344 Ontario Inc. La vérification se fondait sur le paragraphe 231.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que la vérification s'étendait à M. Norwood personnellement, conclusion qui est appuyée par la preuve, notamment la lettre que je viens de mentionner.

[4]                Le vérificateur a commencé sa vérification à la mi-février 1995. La vérification a été menée dans les bureaux de 450344 Ontario Inc., ainsi que dans les bureaux du cabinet Connelly Koshy & Frouin. Dès le 16 février 1995, le vérificateur posait des questions sur plusieurs sujets, y compris la façon de déclarer les revenus des tables de billard. Il voulait aussi se faire expliquer les différences entre les reçus des caisses enregistreuses et les revenus déclarés.

[5]                Les événements qui donnent lieu à cet appel se sont produits le 23 mars 1995. Le juge de la Cour de l'impôt les décrit comme suit (au paragraphe 3) :


[Le vérificateur] a commencé sa vérification dans les bureaux des comptables vers la mi-février 1995. Son bureau assigné n'avait pas de téléphone. Le 23 mars, alors qu'il savait que M. Koshy et M. Armour étaient absents d'Ottawa, il est entré dans le bureau de M. Armour afin d'utiliser le téléphone. Pour faire cela, il devait aller dans un bureau attenant qui était libre et qui avait un téléphone. Il devait ouvrir la porte du bureau de M. Armour qui était fermée mais non verrouillée. Après avoir terminé son appel et avant de quitter le bureau, il a vu un dossier sur une tablette de rangement qui était identifié sur sa couverture comme un dossier de la société. Il a apporté le dossier dans son bureau et a photocopié des notes manuscrites (les « notes » ) apparemment prises par M. Armour au cours de l'entretien initial avec l'appelant le 11 décembre 1992. Il a ensuite rapporté le dossier à son endroit original dans le bureau de M. Armour sans en faire mention à l'appelant ni à ses comptables. Les inscriptions sur la note qui ont attiré l'attention du vérificateur comprennent :

2.         Droits d'entrée pour les nouveaux venus - 2 $ par personne

Budget de Mike donné à son épouse

Environ 1 000 $ par semaine

c.-à.-d. revenu non déclaré

13.       Sources d'argent -en espèces

- Tables de billard

- Machines à sous de type récréatif

- Machines à poker

- 2 $, huard (illisible)

- Revenu non déclaré

- Mike doit penser à déclarer son revenu à l'avenir.

[6]                Ces notes sont des réflexions que M. Armour a consignées pendant une conversation avec M. Norwood en décembre 1992, peu de temps après que ce dernier ait retenu les services de Connelly Koshy & Frouin. Sur la couverture du dossier qui contenait les notes, on trouve la mention 450344 Ontario Inc. ainsi que le nom de M. Norwood. Le vérificateur ne pouvait savoir ce que le dossier contenait sans l'ouvrir, puisqu'il l'a pris sans préavis et sans autorisation.


[7]                M. Armour a témoigné que ce dossier était son dossier de travail pour l'année d'imposition 1992 de 450344 Ontario Inc. Connelly Koshy & Frouin a pour politique générale, lorsqu'on demande un de ses dossiers de travail dans le cadre d'une vérification d'impôt, de ne donner au vérificateur que les renseignements spécifiques qu'il demandait. Ceci consistait généralement en renseignements financiers ou mathématiques nécessaires pour expliquer ou appuyer les états financiers. En général, ils considéraient que leurs notes de service internes n'étaient pas des renseignements qu'ils étaient tenus de divulguer. Rien dans la preuve n'indique que le vérificateur aurait demandé à voir des dossiers de travail complets, non plus que les notes que M. Armour ou d'autres comptables auraient pu verser à ces dossiers. La Couronne ne prétend d'ailleurs pas que ce soit le cas. La preuve démontre qu'on a fourni au vérificateur tous les documents demandés qui se trouvaient au dossier de travail.

[8]                Par la suite, le vérificateur n'a jamais dit à M. Norwood ou à ses comptables qu'il avait pris un dossier dans le bureau de M. Armour, ou qu'il avait photocopié les notes de M. Armour. Il n'a pas non plus demandé de voir le dossier ou les notes en question.


[9]                Le vérificateur déclare que les notes l'ont aidé dans sa vérification, puisqu'elles venaient confirmer certaines questions qu'il se posait déjà et qu'elles lui ont permis de cibler les sources des recettes en espèces. Le juge de la Cour de l'impôt a déclaré que les notes « compromettaient » la position de M. Norwood, sans expliquer la nature du préjudice qui lui aurait été causé. L'avocat de M. Norwood soutient qu'on peut déduire que les notes ont pour le moins eu un effet négatif sur l'évaluation que le vérificateur faisait de la crédibilité de M. Norwood. En effet, après qu'il eut pris possession des notes, la vérification est devenue plus agressive et approfondie. Le dossier a été référé aux Enquêtes spéciales et on a menacé M. Norwood de procédures criminelles. Toutefois, les Enquêtes spéciales ont renvoyé le dossier sans faire de suivi et aucune procédure criminelle n'a été intentée.

[10]            On ne peut déclarer que les nouvelles cotisations qui visent maintenant M. Norwood soient appuyées sur les notes ou justifiées par elles. La question des droits d'entrée, mentionnée au poste 2 des notes de M. Armour, a fait l'objet d'une enquête par le vérificateur mais aucune modification n'a été apportée au revenu des sociétés ou à celui de M. Norwood quant à ces droits.

[11]            Le revenu non déclaré des tables de billard, qui est mentionné au poste 13 des notes, a été ajouté au revenu de 450344 Ontario Inc. et des sommes semblables ont été ajoutées au revenu de M. Norwood pour 1991, 1992 et 1993, au titre des attributions à l'actionnaire. Des pénalités portant sur ces sommes ont été ajoutées aux cotisations de M. Norwood. Toutefois, le revenu des tables de billard faisait déjà l'objet d'une enquête de la part du vérificateur avant qu'il trouve les notes. Ces revenus ont finalement été déterminés à partir des dossiers du propriétaire des tables de billard, une société qui exploite des machines distributrices. Ces renseignements auraient probablement pu être découverts sans l'aide des notes.


[12]            La seule autre modification au revenu de M. Norwood porte sur des sommes qui ne sont pas mentionnées dans les notes de M. Armour. Il s'agissait de recettes de caisses enregistreuses non déclarées, moins une allocation pour charges en trésorerie non documentées. Ces sommes ont été ajoutées au revenu de 450344 Ontario Inc., et des sommes semblables ont été ajoutées au revenu de M. Norwood pour 1992 et 1993, au titre des attributions à l'actionnaire. Ces sommes ont aussi été majorées de pénalités.

[13]            M. Norwood a fait appel à la Cour de l'impôt des nouvelles cotisations pour 1991, 1992 et 1993, contestant l'ajout des revenus et les pénalités. C'est au cours des interrogatoires préalables que M. Norwood a appris que le vérificateur s'était emparé des notes de M. Armour de la façon décrite plus tôt. M. Norwood a déposé une requête à la Cour de l'impôt, alléguant la violation de la Charte et demandant les réparations prévues à l'article 24.


[14]            Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le fait de prendre les notes de M. Armour dans son dossier de travail et dans les circonstances susmentionnées constituait une fouille, perquisition ou saisie abusive, qui violait les droits de M. Norwood garantis par l'article 8 de la Charte. Quant à la réparation appropriée, il a conclu que le fait de simplement exclure les notes en tant qu'élément de preuve ne réglait pas la question. Il a donc ordonné que les nouvelles cotisations visant les déclarations de M. Norwood pour 1991, 1992 et 1993, soient déférées au ministre pour nouvelle cotisation incluant les revenus non déclarés des tables de billard, ainsi que les intérêts et pénalités appropriés, l'excédent des cotisations pour ces trois années étant annulé.

[15]            Pour les motifs que je vais maintenant énoncer, j'ai conclu que le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de constater une violation des droits de M. Norwood en vertu de l'article 8 de la Charte. Je dois toutefois, avec égards, exprimer mon désaccord quant à la réparation appropriée.

[16]            Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les notes étaient des réflexions que M. Armour avait consignées lors d'une réunion avec M. Norwood en décembre 1992. Il a jugé que ces notes ne tombaient pas sous le coup du paragraphe 231.1(1), parce qu'elles n'étaient pas des « documents du contribuable ou d'une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer » . La Couronne conteste cette conclusion. Selon moi, il n'est pas nécessaire en l'instance d'examiner la portée du paragraphe 231.1(1). Même si l'on présume que le vérificateur aurait pu obtenir les notes en utilisant le paragraphe 231.1(1), la question à trancher consiste à savoir s'il les a obtenues légalement et, sinon, quelle doit être la conséquence de son geste.

[17]            Je partage l'avis du juge de la Cour de l'impôt que la façon dont le vérificateur a pris les notes n'est pas autorisée par l'article 231.1. Je veux exprimer mon accord avec la déclaration suivante du juge de la Cour de l'impôt (au paragraphe 8 de ses motifs):


Je crois qu'on s'attend à ce que les vérificateurs de Revenu Canada adoptent une approche plus franche et une norme plus élevée. Au cours de plusieurs rencontres avec l'appelant et ses représentants après le 23 mars 1995, les agents du ministère du Revenu national n'ont jamais mentionné qu'ils avaient en leur possession des copies de ces notes qui compromettaient la position de l'appelant. Ce n'est pas un cas où on a fait preuve de bonne foi. Cela renforce la conclusion selon laquelle les notes ont été obtenues clandestinement et sans apparence de droit. Leur comportement était celui de quelqu'un qui a quelque chose à cacher. Je ne crois pas que les actions de M. O'Reilley soient très éloignées du fait d'entrer dans un endroit avec une clé en pleine nuit. Ce type de comportement n'est pas prévu par les alinéas 231(1)c) et d) de la Loi malgré les pouvoirs étendus accordés à un vérificateur.

[18]            Il faut aussi noter que le paragraphe 231.1(1) porte qu'une personne autorisée peut enquêter « à tout moment raisonnable » . On peut se demander si un vérificateur a exercé ses pouvoirs d'enquête à un « moment raisonnable » lorsqu'il est entré dans le bureau privé d'un comptable sachant qu'il était absent de la ville, pour y prendre un document sans l'informer ou obtenir son consentement.


[19]            La Couronne soutient que M. Norwood n'avait pas qualité pour contester la saisie des notes de M. Armour, parce qu'il ne pouvait avoir d'attente raisonnable quant au respect de la protection de sa vie privée à leur sujet. Je ne peux accepter ce point de vue. Les notes consignent les réflexions de M. Armour au cours d'une entrevue avec M. Norwood, au cours de laquelle ils ont discuté des impôts de ce dernier, même si ce n'était que de façon incidente. La relation entre M. Norwood et M. Armour a un caractère confidentiel par sa nature même, savoir que M. Norwood pouvait raisonnablement croire, et il le croyait, que M. Armour et les membres du personnel de Connelly Koshy & Frouin préserveraient la confidentialité des renseignements qu'il leur donnait. Je connais bien la jurisprudence qui suggère que les attentes d'un contribuable quant au respect de sa vie privée face aux notes d'un comptable faisant état de renseignements personnels sont minimes, mais elles existent quand même.

[20]            Ayant conclu que le vérificateur n'était pas autorisé par le paragraphe 231.1(1) à s'emparer des notes comme il l'a fait, et que les notes contenaient des renseignements au sujet desquels M. Norwood avait une attente raisonnable quant au respect de sa vie privée, le juge de la Cour de l'impôt a eu raison de conclure que les droits de M. Norwood garantis par l'article 8 de la Charte avaient été violés. Même la plus minime des attentes quant au respect de la vie privée suffit à protéger M. Norwood de la saisie secrète des notes de M. Armour, sans préavis, demande ou consentement.

[21]            Quant à la pénalité au vu de la violation de la Charte, la preuve démontre qu'en définitive les notes n'ont pas servi à justifier les nouvelles cotisations. De plus, la nature même des notes fait qu'elles ne peuvent constituer une preuve du fait que M. Norwood aurait reçu certaines sommes. J'en conclus que le préjudice causé à M. Norwood par la violation de ses droits garantis par la Charte est minime. Par conséquent, la réparation aussi doit être minime.


[22]            Selon moi, une ordonnance interdisant l'utilisation des notes en preuve s'impose en l'instance, même si elle pourrait n'avoir en pratique que peu d'effet. Les appels de M. Norwood devant la Cour de l'impôt sont toujours pendants. Une des questions à déterminer dans ces appels consiste à savoir si la Couronne peut se décharger du fardeau de justifier les pénalités imposées. Il est concevable que les notes pourraient être pertinentes lorsque la Couronne devra faire sa preuve, même si elles ne peuvent avoir que peu de poids. En l'instance, je crois qu'il est raisonnable au vu des circonstances de s'assurer que M. Norwood n'a pas à faire face à une preuve fondée sur les notes dans le cadre de son appel des cotisations d'impôt sur le revenu.

[23]            Pour ces motifs, l'appel est accueilli en partie. La partie du jugement portant sur la réparation en vertu de la Charte est annulée et remplacée par une ordonnance portant que les notes de M. Armour, prises lors de l'entrevue avec M. Norwood en décembre 1992, ne sont pas admissibles en preuve dans l'appel de M. Norwood de ses nouvelles cotisations pour 1991, 1992 et 1993, pendant devant la Cour de l'impôt. La Couronne paiera les dépens de cet appel à M. Norwood.

Karen R. Sharlow

J.C.A.

« Je souscris à ces motifs

B.L. Strayer, J.C.A. »

« Je souscris à ces motifs

J. Edgar Sexton, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                      A-220-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Sa Majesté la Reine c. Michael Norwood

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 11 janvier 2000

MOTIFS DE JUGEMENT :                          le juge Sharlow, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :                                      le juge Strayer, J.C.A.

le juge Sexton, J.C.A.

EN DATE DU :                                                           12 janvier 2000

ONT COMPARU

M. Peter M. Kremer, c.r.                                              pour l'appelante

M. Rod A. Vanier                                                         pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                pour l'appelante

Landry, Vanier & Associates                                         pour l'intimé

Nepean (Ontario)

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