Date : 20030807
Dossier : A-179-03
Référence : 2003 CAF 317
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW
ENTRE :
PAULINE CHARLOTTE RAY
demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour de l'impôt par laquelle a été rejeté son appel relatif à l'impôt sur le revenu pour 1998 et 1999. Le 26 mai 2003, elle a déposé un affidavit à l'appui de sa demande. La présente requête de Sa Majesté demande la radiation de l'affidavit, ou subsidiairement des parties de l'affidavit, au motif qu'il s'agit d'une tentative pour soumettre à notre Cour des éléments de preuve dont ne disposait pas la Cour de l'impôt et aussi parce qu'il contient une opinion et une argumentation.
[2] La demanderesse a soumis des pièces, en réponse à la requête de Sa Majesté. J'ai donné des directives pour que ces pièces soient acceptées pour être déposées comme réponse à la requête de Sa Majesté même si elles n'ont pas été soumises en bonne et due forme. La demanderesse a également demandé que j'envisage la tenue d'une audience pour cette requête. Je ne crois pas qu'une audience soit nécessaire.
Nouveaux éléments de preuve dans l'affidavit
[3] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la fonction de notre Cour sera de juger si le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en décidant comme il l'a fait, sur le fondement des pièces et du témoignage qui lui ont été présentés.
[4] La demanderesse paraît soutenir que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains faits. C'est un argument qui est souvent présenté. Cependant, dans la plupart des cas, c'est un argument qui ne peut aboutir à moins que le juge de la Cour de l'impôt n'ait disposé d'éléments de preuve sur les faits précis dont, allègue-t-on, il n'a pas tenu compte.
[5] Dans une demande de contrôle judiciaire, notre Cour ne peut généralement pas tenir compte d'éléments de preuve dont ne disposait pas le juge de la Cour de l'impôt. Cette interdiction générale de nouveaux éléments de preuve, dans une demande de contrôle judiciaire, se justifie par la présomption que, si des éléments de preuve pertinents existent mais n'ont pas été présentés à l'audience devant la Cour de l'impôt, aucune erreur ne peut être attribuée au juge de la Cour de l'impôt. Sauf dans de rares situations, l'omission de soumettre des éléments de preuve pertinents au juge de la Cour de l'impôt est une erreur de la partie en litige. Ce n'est pas le genre d'erreur qui justifie l'annulation d'une décision par voie de contrôle judiciaire, même si la partie en litige n'avait pas compris la procédure devant la Cour de l'impôt, ou n'avait pas évalué l'importance d'un élément de preuve en particulier.
[6] Il s'ensuit que, dans la plupart des situations, un affidavit soumis à l'appui d'une demande de contrôle judiciaire est inapproprié s'il mentionne des faits ou des éléments de preuve dont le juge de la Cour de l'impôt n'était pas ou ne pouvait pas être informé.
[7] À cette règle générale, il y a évidemment des exceptions. Par exemple, s'il y a une allégation que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en n'acceptant pas des éléments de preuve, ou que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas procédé à une audience équitable, le demandeur de contrôle judiciaire peut soumettre un affidavit qui expose le fondement factuel de cette allégation. Un tel affidavit sera nécessairement une preuve dont ne disposait pas le juge de la Cour de l'impôt, mais cela est permis parce que, dans la plupart des cas, il n'y a pas d'autre méthode par laquelle notre Cour peut être informée de faits liés à une allégation d'erreur dans la procédure.
[8] En l'espèce, Sa Majesté soutient que l'affidavit de la demanderesse est inapproprié parce qu'il constitue une tentative de présenter des éléments de preuve dont ne disposait pas le juge de la Cour de l'impôt. Sa Majesté a fourni une copie de la transcription de l'audience de la Cour de l'impôt, et il appert qu'aucune preuve documentaire n'y a été présentée. Il appert que l'audience a été entièrement fondée sur les actes de procédure et le témoignage de la demanderesse. Toutefois, l'affidavit de la demanderesse mentionne des faits qu'on ne retrouve pas dans la transcription, et aussi des documents dont ne disposait pas le juge de la Cour de l'impôt.
[9] Si je comprends bien l'affidavit, il appert que la demanderesse a réuni une partie ou la totalité des éléments matériels de son affidavit après la clôture des procédures devant la Cour de l'impôt. Je ne peux voir aucune explication pour laquelle ils n'ont pas pu être réunis avant la fin de ces procédures, de façon que le juge de la Cour de l'impôt ait été au courant de leur existence.
[10] Il est possible que la demanderesse ait présumé que, parce qu'elle a fourni, dans le passé, des documents à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, le juge de la Cour de l'impôt pouvait ou devrait avoir accès à ces documents avant l'audience ou à l'audience elle-même. S'il en est ainsi, elle s'était trompée. En général, un juge de la Cour de l'impôt ne dispose que de l'avis d'appel, de la réponse de Sa Majesté, et d'autres actes de procédures et pièces présentés à la Cour de l'impôt suivant les règles. Si des pièces supplémentaires sont requises pour aider le juge de la Cour de l'impôt à comprendre et trancher les questions en litige dans l'appel en matière d'impôt, une des parties doit présenter ces pièces comme preuve à l'audience.
[11] Je suis convaincue que Sa Majesté a raison de s'opposer aux parties de l'affidavit de la demanderesse qui mentionnent des faits et des éléments de preuve dont ne disposait pas le juge de la Cour de l'impôt.
Argumentation et opinion dans l'affidavit
[12] Un affidavit ne devrait contenir que des exposés de faits. Dans la plupart des cas, l'affidavit d'un demandeur dans une demande de contrôle judiciaire rapporte simplement les particularités de l'audience : comment elle a été présentée (en général, les actes de procédure sont annexés à l'affidavit), quand et devant qui l'audience a eu lieu, quels éléments de preuve ont été présentés oralement (une transcription peut être annexée à l'affidavit), quels documents ont été soumis comme preuve (des copies des pièces documentaires peuvent être annexées), et quels arguments ont été présentés.
[13] L'affidavit soumis à l'appui d'une demande de contrôle judiciaire d'un jugement de la Cour de l'impôt ne devrait pas contenir des déclarations relatives aux motifs pour lesquels le demandeur croit que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur, ou quelle réparation devrait être accordée au demandeur. Voilà des éléments d'argumentation. La place de l'argumentation est dans le mémoire des faits et du droit qui devrait être inclus dans le dossier du demandeur (voir l'alinéa 309(2)h) des Règles de la Cour fédérale (1998) ).
[14] Sa Majesté dit, à juste titre, que la demanderesse a inclus une opinion et une argumentation dans son affidavit. L'affidavit est, dans cette mesure, inapproprié.
Réparation
[15] Sa Majesté a demandé que l'affidavit de la demanderesse soit entièrement radié. Je ne trouve aucun motif justifiant le contraire. Il est très difficile, dans l'affidavit tel qu'il est rédigé, de distinguer les éléments inappropriés des éléments appropriés. La requête en radiation sera accueillie. Toutefois, comme les erreurs contenues dans l'affidavit sont vraisemblablement dues au fait que la demanderesse n'avait pas compris la procédure, je lui accorderai un délai supplémentaire pour préparer et soumettre un affidavit approprié.
[16] Sa Majesté a sollicité des dépens relatifs à la présente requête. La demanderesse n'a pas répondu à la demande de dépens présentée par Sa Majesté. Le dossier ne contient aucun motif permettant de s'écarter de la règle générale voulant que les dépens soient accordés à la partie qui obtient gain de cause. La requête de Sa Majesté sera accueillie avec dépens.
_ K. Sharlow _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-179-03
INTITULÉ : PAULINE CHARLOTTE RAY
c.
SA MAJESTÉ LA REINE
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW
DATE DES MOTIFS : le 7 août 2003
OBSERVATIONS ÉCRITES :
Pauline Charlotte Ray pour son propre compte
Calgary (Alberta)
R. Scott McDougall pour la défenderesse
Ministère de la Justice
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pauline Charlotte Ray pour son propre compte
Calgary (Alberta)
Morris Rosenberg pour la défenderesse
Sous-procureur général du Canada