Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030926

Dossier : A-497-01

Référence : 2003 CAF 350

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                 RODOLFO JOSE SLOBODRIAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                           défendeur

                                 Audience tenue à Québec (Québec), le 17 septembre 2003.

                                 Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                       LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                    LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20030926

Dossier : A-497-01

Référence : 2003 CAF 350

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                 RODOLFO JOSE SLOBODRIAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                           défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le juge Archambault de la Cour canadienne de l'impôt du Canada (2002 DTC 3827; [2002] C.T.C. 2089), dans laquelle le juge a rejeté l'appel du demandeur contre les cotisations établies à l'égard de ses années d'imposition 1996, 1997 et 1998.


[2]                La question en litige est celle de savoir si les montants que le demandeur a déduits, à titre de dons de bienfaisance, sont des dons au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). En particulier, il s'agit de savoir si la prestation de services qu'une personne fournit bénévolement à titre de professeur et de chercheur est un don au sens de l'article 118.1 de la Loi.

Contexte

[3]                Le demandeur, le Dr Slobodrian, est un professeur de physique à la retraite de l'Université Laval (l'Université). Pendant les années en cause, il a effectué des travaux de recherche avec d'autres personnes, conformément à un contrat conclu entre Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), au nom de l'Agence spatiale canadienne, et l'Université.

[4]                Le demandeur a accepté de fournir ses services sans être rémunéré et il a déduit, à titre de crédits d'impôt pour dons de bienfaisance, les montants de 41 160 $ en 1996, de 41 160 $ en 1997 et de 47 040 $ en 1998, en rapport avec les services qu'il avait rendus et qui étaient, selon lui, des dons. Ces montants reflètent la valeur des services rendus par M. Slobodrian à titre de chercheur et de professeur pour le compte de l'Université, selon l'évaluation effectuée chaque année par un directeur de faculté de l'Université. Le ministre du Revenu national a refusé ces déductions, décision contre laquelle le demandeur a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt.


Décision visée par le contrôle

[5]                Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'appel interjeté par le demandeur pour le motif principal que le demandeur n'avait fait don d'aucun bien à l'Université ou à l'Agence spatiale canadienne. Selon le juge de la Cour de l'impôt, ce sont les services du demandeur qui furent fournis, à titre bénévole, et des services ne sont pas des biens et ne peuvent pas faire l'objet d'une donation.

[6]                Le juge de la Cour de l'impôt a ajouté que même si on pouvait conclure que le fruit du travail de recherche du demandeur constituait une sorte de propriété intellectuelle, cette propriété ne pouvait pas faire l'objet d'une donation par le demandeur puisque le contrat qui régissait la recherche prévoyait que toute propriété intellectuelle découlant du projet serait dévolue au Canada.     

[7]                Enfin, le juge de la Cour de l'impôt a décidé que, quoi qu'il en soit, l'appel ne pouvait être accueilli puisque le demandeur n'avait pas présenté les reçus qu'exigent le paragraphe 118.1(2) et l'article 3501 du Règlement, à l'appui de sa réclamation.

Erreurs alléguées

[8]                Au soutien de sa demande, le demandeur affirme avoir fait don d'une [traduction] « recherche scientifique » et d'un [traduction] « enseignement supérieur » et non de services. Selon le demandeur, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur susceptible de contrôle en qualifiant l'objet de sa donation de « services » plutôt que de biens.


[9]                Subsidiairement, le demandeur fait valoir que la Loi ne restreint pas explicitement l'objet d'un don à des « biens » . Il affirme qu'il a fait un [traduction] « don en nature » (c'est-à-dire, un don de biens ou de travail, et non un don en argent selon le Oxford Dictionary of Current English, 1993, page 487). Selon lui, rien n'empêche la reconnaissance d'un don de services aux fins de l'impôt sur le revenu.

Analyse et décision

[10]            Premièrement, concernant ce dernier argument, la Loi ne contient aucune définition du terme « don » utilisé à l'article 110.1 de la Loi. Cette disposition permet uniquement de déduire « la juste valeur marchande d'un don [...] fait au cours de l'année [...] » ( « fair market value of a gift made ... in the year ... » ) [Non souligné dans l'original.].

[11]            Toutefois, dans une loi fiscale, le terme « don » ( « gift » dans le texte anglais) doit être interprété suivant son sens juridique, à savoir le transfert d'un bien (corporel ou incorporel) sans contrepartie (voir La Reine c. Littler, 78 D.T.C. 6179, à la page 6181). Plus récemment, la Cour suprême du Canada a affirmé de nouveau que le législateur sait que certains termes ont un sens bien établi en droit et que, quand il les utilise, il faut présumer qu'il leur a donné ce sens (Will-Kare Paving and Contracting c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915).

[12]            Le terme « bien » ( « property » dans le texte anglais) est défini par la Loi (paragraphe 248(1) en ces termes :


« bien » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c) les avoirs forestiers;

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

"property" means property of any kind whatever whether real or personal or corporeal or incorporeal and, without restricting the generality of the foregoing, includes

(a) a right of any kind whatever, a share or a chose in action,

(b) unless a contrary intention is evident, money,

(c) a timber resource property, and

(d) the work in progress of a business that is a profession;

[13]            La Cour a été récemment saisie de la question de savoir si cette disposition avait pour effet d'élargir la définition habituelle du terme « bien » (Manrell c. Canada, [2003] A.C.F. no 408, 2003 CAF 108). La Cour a commencé par préciser le sens de ce terme en se rapportant à son sens juridique reconnu (paragraphe 24) :

[traduction] Les biens sont parfois qualifiés d'ensemble de droits. Cette simple métaphore est une façon utile d'examiner le concept de base. Elle indique que les biens ne sont pas une chose, mais un droit, ou encore mieux, une collection de droits (sur des choses) qu'il est possible d'exercer contre d'autres personnes. Autrement dit, le mot « biens » signifie un ensemble de relations entre personnes qui se rapportent à la revendication d'objets corporels et d'objets incorporels (le professeur Ziss, dans l'ouvrage intitulé Principles of Property Law, 3e édition, Scarborough : Carswell, 2000, à la page 2).


[14]            Dans l'arrêt Manrell, la Cour a ensuite déterminé, après une analyse poussée (paragraphes 26 à 47), qu'à l'exception de l'alinéa d) (qui n'est pas pertinent en l'espèce), la définition contenue au paragraphe 248(1) n'a pas pour effet de conférer au mot « biens » un sens qui s'écarte de son sens ordinaire (voir également l'arrêt Rapistan Canada Ltd. c. MRN, 74 D.T.C. 6426, dans lequel la Cour en est arrivée, pour l'essentiel, à la même conclusion, en rapport avec la définition de « biens » au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148).

[15]            Il s'ensuit qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, un don doit comporter le transfert d'un bien au sens juridique de ce terme. La simple prestation de services sans rémunération ne vise aucun bien et ne peut donc faire l'objet d'une donation. Il faut comparer cette situation à celle de services rémunérés qui, une fois rendus, confèrent des droits de propriété qui peuvent faire l'objet d'une donation. Un exemple fort simple, celui du travailleur rémunéré qui cède gratuitement son droit à la rémunération qui lui est due. En l'espèce, il n'est pas contesté que le demandeur devait fournir ses services sans aucune rémunération.

[16]            Subsidiairement, le demandeur prétend que, par suite de ses efforts, l'Agence spatiale canadienne est devenue propriétaire d'une recherche de prix. Selon lui, cette recherche était une propriété intellectuelle susceptible de faire l'objet d'un don.

[17]            Il ne m'est pas nécessaire de décider si le travail du demandeur s'est transformé en quelque sorte en propriété intellectuelle, parce que, le cas échéant, l'accord en vertu duquel la recherche a été effectuée prévoyait expressément que toute propriété intellectuelle découlant de la recherche serait dévolue au Canada et non à l'Université ou à un membre de l'équipe de recherche. Il s'ensuit que le demandeur n'aurait pas pu devenir propriétaire de la propriété intellectuelle dont il prétend avoir fait le don.


[18]            Enfin, le juge de la Cour de l'impôt a également eu raison de dire que les reçus présentés par le demandeur attestant de la valeur du don allégué ne respectaient pas les exigences de l'article 3501 du Règlement. Mis à part le fait que les reçus faisaient état de la valeur d'une chose qui n'était pas un bien, contrairement aux exigences de l'article 3501 du Règlement, ils ne comportaient pas le numéro d'enregistrement de leur auteur, n'affirmaient pas qu'ils avaient été établis à des fins d'impôt ni n'attestaient que le signataire était dûment autorisé à établir ces reçus conformément à l'article 3501 du Règlement. Conformément au paragraphe 118.1(2), un don de bienfaisance ne peut être reconnu à moins d'être établi au moyen d'un reçu qui contient ces renseignements.

[19]            Je rejetterais la demande avec dépens.

              « Marc Noël »              

                                                                                                     Juge                     

« Je souscris aux présents motifs

Alice Desjardins, juge »

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           A-497-01

INTITULÉ :                                                         RODOLFO JOSE SLOBODRIAN

c.

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 17 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                          LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                                         LE 26 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Rodolfo Jose Slobodrian                                         POUR SON PROPRE COMPTE

Bernard Fontaine                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rodolfo Jose Slobodrian                                         POUR SON PROPRE COMPTE

Québec (Québec)

Morris Rosenberg                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.