Date : 20031006
Dossier : A-630-02
Référence : 2003 CAF 370
En présence de Madame la juge Sharlow
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
appelant/défendeur
et
ROGER MISQUADIS, PETER OGDEN, MONA PERRY, DOROTHY PHIPPS-WALKER ET LE CHEF BOB CRAWFORD, en son propre
nom et au nom de la PREMIÈRE NATION ALGONQUINE ARDOCH, ET
DARWIN LEWIS ET LE CONSEIL AUTOCHTONE DE WINNIPEG INC.
intimés/demandeurs
et
LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES
intervenant
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] La Couronne fait appel du jugement de la Cour fédérale, publié sous l'intitulé Première nation algonquine d'Ardoch c. Canada (Procureur général) (1re inst.), [2003] 2 C.F. 350, qui faisait droit à la demande de contrôle judiciaire des intimés. Le juge a estimé que la manière dont Développement des ressources humaines Canada (DRHC) appliquait un programme appelé Stratégie de développement des ressources humaines autochtones (SDRHA) niait les droits reconnus à Roger Misquadis et aux autres intimés par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, et que cette négation de leurs droits ne pouvait se justifier selon l'article premier de la Charte.
[2] Le Congrès des peuples autochtones a obtenu l'autorisation d'intervenir dans l'appel, sous la réserve qu' « aucun nouveau point ne sera plaidé qui n'a pas été soulevé en première instance et qu'aucun nouveau point soulevé ne nécessitera la production de preuves nouvelles » (ordonnance du juge Desjardins en date du 14 mai 2001). Le Congrès des peuples autochtones a déposé son exposé des faits et du droit.
[3] La Couronne voudrait que soit radié l'exposé du Congrès des peuples autochtones au motif qu'il contrevient aux conditions de l'intervention parce qu'il soulève de nouveaux points et qu'il soulève des points qui requièrent l'examen de preuves nouvelles.
[4] Les points soulevés dans l'appel, selon l'exposé de la Couronne, sont les suivants : (1) Le juge a-t-il rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée abusivement ou arbitrairement, ou sans égard à la preuve? (2) Le juge a-t-il erré dans sa manière d'appliquer le paragraphe 15(1) de la Charte? (3) Le juge a-t-il erré dans sa manière d'appliquer l'article premier de la Charte? et (4) Le redressement ordonné par le juge est-il un redressement qui en fait ne peut être appliqué? Aucun des intimés n'a interjeté un appel incident, bien qu'il semble que le redressement accordé n'est pas aussi étendu que celui qu'ils avaient demandé à l'origine.
[5] Les plaintes de la Couronne à propos de l'exposé du Congrès des peuples autochtones, à titre d'intervenant, sont de trois ordres. D'abord, la Couronne dit que l'exposé plaide pour un redressement élargi qui n'est pas demandé par les intimés. Deuxièmement, la Couronne dit que l'exposé soulève des points qui nécessiteront des preuves nouvelles, par exemple le rôle du Congrès des peuples autochtones dans l'application de programmes de marché du travail selon la SDRHA, le niveau de financement accordé au Congrès des peuples autochtones au titre de la SDRHA, enfin l'étendue des consultations tenues avec le Congrès des peuples autochtones avant la mise en application de la SDRHA. Troisièmement, la Couronne dit que le Congrès des peuples autochtones s'appuie sur des preuves qui ne figurent pas dans le dossier. J'aborderai successivement chacun de ces points.
Redressement
[6] Le Congrès des peuples autochtones plaide pour un redressement élargi et différent du redressement accordé par le juge, un redressement que les intimés eux-mêmes ne sollicitent pas dans l'appel. Le rôle de l'intervenant est de présenter des arguments au soutien de la position adoptée par une partie, mais non de demander un redressement allant au-delà du redressement demandé par la partie que l'intervenant soutient. Les intimés demandaient en première instance un redressement plus étendu, mais ils n'ont pas interjeté d'appel incident pour réaffirmer cette prétention. Par conséquent, la valeur du redressement n'est pas contestée dans l'appel, et il n'est pas loisible au Congrès des peuples autochtones de soutenir que le redressement est inadéquat.
Le Congrès des peuples autochtones soulève-t-il de nouveaux points, ou des points
qui requièrent des preuves nouvelles, en ce qui concerne sa relation avec la SDRHA?
[7] Les objections de la Couronne sous cette rubrique se rapportent aux paragraphes 10 à 15 de l'exposé du Congrès des peuples autochtones. Ces paragraphes semblent constituer une réponse à la portion de l'exposé de la Couronne qui traite de l'application du paragraphe 15(1) de la Charte, portion dans laquelle la Couronne fait état de certaines ententes conclues au titre de la SDRHA entre Développement des ressources humaines Canada et le Congrès des peuples autochtones, en disant que ces ententes sont la preuve que Développement des ressources humaines Canada a reconnu et pris en compte les peuples autochtones vivant dans les villes ou hors réserve.
[8] Aux paragraphes 10 à 15 de son exposé des faits et du droit, le Congrès des peuples autochtones s'oppose à ce que la Couronne excipe des crédits SDRHA versés au Congrès des peuples autochtones pour soutenir la constitutionnalité de la SDRHA, et cela parce que les crédits reçus par le Congrès des peuples autochtones ne représentent que 11 millions de dollars sur un total disponible de 1,6 milliard de dollars (ces chiffres figurent apparemment dans le dossier). Le Congrès des peuples autochtones qualifie de « modestes » les crédits qu'il a obtenus, et de « limité » le rôle qu'il a joué dans la formation au marché du travail qui a été dispensée aux Autochtones citadins.
[9] Selon la Couronne, l'argument du Congrès des peuples autochtones sur ce point déborde les conditions de l'autorisation d'intervention parce que la Couronne aura besoin de preuves nouvelles pour le réfuter, à savoir la preuve de crédits SDRHA versés à d'autres affiliés. La Couronne dit que cette preuve n'a pas été produite en première instance parce qu'elle n'était pas disponible ou parce qu'elle n'intéressait pas la demande. Je ne suis pas persuadée que les conclusions du Congrès des peuples autochtones sur ce point requièrent la production de preuves nouvelles. Il ne va pas de soi que des preuves nouvelles sont requises, et l'affirmation de la Couronne selon laquelle des preuves nouvelles seraient nécessaires ne repose sur aucune preuve par affidavit.
[10] La Couronne donne aussi à entendre que l'exposé du Congrès des peuples autochtones soulève des points qui intéressent la nature, le degré, l'objet et l'étendue des consultations menées par le Canada avec le Congrès des peuples autochtones à propos de la SDRHA. Je ne vois rien de tel dans l'exposé du Congrès des peuples autochtones. Le paragraphe 13 de l'exposé reproduit le paragraphe 42 des motifs du juge, qui se réfère auxdites consultations, mais sans soulever un point particulier à propos des consultations.
[11] À mon avis, les paragraphes 10 à 15 de l'exposé du Congrès des peuples autochtones ne contreviennent pas aux conditions de l'autorisation d'intervention.
Utilisation, par le Congrès des peuples autochtones, de preuves qui ne figurent pas dans le dossier
[12] La Couronne dit que le Congrès des peuples autochtones a contrevenu aux conditions de l'autorisation d'intervention en citant, dans son exposé, des passages du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones qui ne figurent pas dans le dossier, et en citant des déclarations qui se trouvent dans des sites Web actuels dont seules des portions se trouvent dans le dossier.
[13] Le Congrès des peuples autochtones s'appuie sur des extraits du Rapport de la Commission royale qui ne figurent pas dans le dossier (paragraphes 55, 72 et 73 de son exposé). Cependant, le dossier renferme de nombreux renvois à d'autres extraits du Rapport de la Commission royale, y compris à des extraits se trouvant dans les mêmes chapitres que ceux auxquels se réfère le Congrès des peuples autochtones dans son exposé.
[14] On se demande souvent, dans le cas d'une publication gouvernementale officielle telle que le Rapport de la Commission royale, si cette publication devrait être considérée comme une preuve ou comme une source doctrinale. Les déclarations factuelles qui figurent dans de tels rapports entrent souvent dans la catégorie médiane et sont souvent acceptées comme une matière qu'un tribunal peut validement reconnaître d'office.
[15] La Couronne n'a produit aucune preuve au soutien de son argument selon lequel des preuves nouvelles seront nécessaires pour « interpréter » les parties du Rapport de la Commission royale auxquelles se réfère le Congrès des peuples autochtones. À mon avis, il ne serait pas juste de radier une quelconque partie des paragraphes 55, 72 et 73 de l'exposé du Congrès des peuples autochtones du seul fait qu'ils contiennent des renvois au Rapport de la Commission royale. C'est aux juges qui instruiront l'appel qu'il reviendra de déterminer le poids qu'il convient d'accorder à tels renvois.
[16] Le contenu d'un site Web, quant à lui, n'est pas en général acceptable comme matière qu'un tribunal peut reconnaître d'office. Je ne vois aucune raison d'autoriser le Congrès des peuples autochtones à se référer à des preuves nouvelles ayant la forme du contenu d'un site Web qui ne fait pas partie du dossier.
Dispositif
[17] Ainsi que je l'ai mentionné plus haut, la Couronne a raison de dire que l'exposé du Congrès des peuples autochtones contrevient sous certains aspects aux conditions de l'autorisation d'intervention. Cependant, il n'y a pas autant de contraventions que le prétend la Couronne, et les contraventions qui existent ne sont pas énormes au point de justifier la radiation de l'exposé tout entier. Il suffit de radier les portions suivantes de l'exposé du Congrès des peuples autochtones :
a) la dernière phrase du paragraphe 5,
b) la dernière phrase du paragraphe 70,
c) la citation qui apparaît à la fin du paragraphe 70,
d) les paragraphes 112 à 120 inclusivement,
e) tout ce qui, au paragraphe 121, suit les mots « le CPA demande que cet appel soit rejeté » .
[18] Puisque les deux parties ont gain de cause, chacune supportera ses propres dépens dans la présente requête.
« K. Sharlow »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-630-02
INTITULÉ : Le Procureur général du Canada et Roger Misquadis, Peter Ogden, Mona Perry, Dorothy Phipps-Walker et le chef Bob Crawford, en son propre nom et au nom de la Première nation algonquine d'Ardoch, et Darwin Lewis et le Conseil autochtone de Winnipeg Inc., et le Congrès des peuples autochtones
REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LA JUGE SHARLOW
DATE DES MOTIFS : le 6 octobre 2003
CONCLUSIONS ÉCRITES:
Me Michael H. Morris
Me Gail Sinclair
Toronto (Ontario) POUR L'APPELANT/DÉFENDEUR
Me Christopher M. Reid
Toronto (Ontario) POUR LES INTIMÉS ROGER MISQUADIS ET AUTRES
Me Greg Tramley
Winnipeg (Manitoba) POUR LES INTIMÉS DARWIN LEWIS
ET LE CONSEIL AUTOCHTONE DE WINNIPEG INC.
Me Joseph E. Magnet
Ottawa (Ontario)
Me Mahmud Jamal
Me Vaso Maric
Toronto (Ontario) POUR L'INTERVENANT
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
M. Morris Rosenberg
Ministère de la Justice du Canada
Ottawa (Ontario) POUR L'APPELANT/DÉFENDEUR
Me Christopher M. Reid
Toronto (Ontario) POUR LES INTIMÉS ROGER MISQUADIS ET AUTRES
McCandless Tramley
Winnipeg (Manitoba) POUR LES INTIMÉS DARWIN LEWIS ET
LE CONSEIL AUTOCHTONE DE WINNIPEG INC.
Me Joseph E. Magnet
Ottawa (Ontario)
Osler, Hoskin et Harcourt
Toronto (Ontario) POUR L'INTERVENANT