Date : 20010110
Dossier : A-69-98
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE McDONALD
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
appelantes
(requérantes)
- et -
APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(intimés)
Dossier : A-681-98
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
appelantes
(requérantes)
- et -
NU-PHARM INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(intimés)
Audience tenue à Toronto (Ontario), le mercredi 4 octobre 2000
Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le mercredi 10 janvier 2001
MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ISAAC, AUXQUELS ONT SOUSCRIT LE JUGE LÉTOURNEAU ET LE JUGE McDONALD
Date : 20010110
Dossier : A-69-98
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE McDONALD
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
appelantes
(requérantes)
- et -
APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(intimés)
Dossier : A-681-98
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
appelantes
(requérantes)
- et -
NU-PHARM INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(intimés)
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE ISAAC
[1] Il s'agit de deux appels interjetés à l'égard d'ordonnances en date du 30 janvier 1998 et du 21 décembre 1998 par lesquelles la Section de première instance a rejeté les demandes de Pfizer Canada Inc et Pfizer Corporation (les « appelantes » ) en vue d'obtenir des ordonnances d'interdiction en application du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)[1] (le « Règlement » ). Par ces demandes, les appelantes voulaient empêcher le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le « ministre » ) de délivrer des avis de conformité ( « ADC » ) conformément à la section C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues[2] aux intimées Nu-Pharm ( « Nu-Pharm » ) et Apotex Inc. ( « Apotex » ) à l'égard du médicament fluconazole avant l'expiration des lettres patentes canadiennes numéro 1 181 076 (le « brevet de Pfizer » ).
Les faits
[2] Les faits ne sont pas contestés et peuvent être résumés brièvement comme suit.
[3] Le 23 juin 1995, les intimées Apotex et Nu-Pharm ont toutes deux délivré, conformément au Règlement, des avis d'allégation dans lesquels elles ont soutenu que les procédés spécifiques qu'elles avaient l'intention d'utiliser pour fabriquer du fluconazole ne donneraient lieu à aucune contrefaçon d'une revendication pertinente du brevet de Pfizer. En réponse aux avis d'allégation, les appelantes ont engagé des demandes d'interdiction devant la Section de première instance le 10 août 1995, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement.
[4] Les demandes ont été entendues séparément par deux juges des requêtes différents. Le 30 janvier 1998, le premier juge des requêtes a rejeté la demande d'interdiction à l'égard de l'avis d'allégation délivré par l'intimée Apotex, au motif que les appelantes n'avaient pas prouvé que l'allégation d'absence de contrefaçon n'était pas justifiée. Les appelantes ont interjeté appel de cette ordonnance le 9 février 1998. Toutefois, avant que la présente Cour entende l'appel, le ministre a délivré à Apotex un ADC à l'égard du fluconazole le 9 octobre 1998.
[5] Le 16 octobre 1998, la demande d'interdiction déposée contre l'intimée Nu-Pharm a été entendue devant le deuxième juge des requêtes qui, le même jour, a rejeté la demande au motif que les appelantes n'avaient pas prouvé que les allégations d'absence de contrefaçon formulées par l'intimée Nu-Pharm n'étaient pas justifiées[3]. Le 27 octobre 1998, le ministre a délivré à Nu-Pharm l'ADC qu'elle demandait à l'égard du fluconazole. Les appelantes ont interjeté appel de l'ordonnance portant rejet de cette demande d'interdiction.
[6] Les deux appels ont été entendus ensemble devant la Cour d'appel fédérale le 4 octobre 2000. Même si tous les documents pertinents quant aux appels lui ont été signifiés en bonne et due forme, le ministre n'a pas déposé de mémoire auprès de la Cour ni n'a formulé d'observations verbales au cours de l'audition des appels. Les appelantes demandent en l'espèce à la Cour d'annuler les décisions de la Section de première instance, de prononcer les ordonnances d'interdiction initialement demandées et de rendre des ordonnances révoquant tous les ADC délivrés aux sociétés intimées à l'égard du fluconazole jusqu'à l'expiration du brevet de Pfizer. Pour leur part, les intimées Apotex et Nu-Pharm ont défendu les ordonnances en appel et invoqué un nouveau moyen de leur propre chef. Se fondant sur le jugement que la présente Cour a rendu dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1999), 240 N.R. 195 (C.A.F.) (autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. rejetée, [1999] S.C.C.A. no 313), les sociétés intimées soutiennent que les deux appels sont théoriques et que, si nous acceptons cette position, nous ne devrions pas exercer notre pouvoir discrétionnaire ni entendre les appels.
[7] Quatre questions ont été soulevées en appel. Toutefois, je suis d'avis que les appels peuvent être tranchés sur la base d'une seule question, soit celle de savoir si les appels sont devenus théoriques parce que le ministre a délivré des ADC. J'examine maintenant cette question.
Position des parties
[8] Les intimés soutiennent que les appelantes ne tiennent pas compte de la nature spéciale des demandes d'interdiction prévues au Règlement. À leur avis, le Règlement constitue un code complet de droits procéduraux qui définit et restreint les réparations qu'un titulaire de brevet peut obtenir. Le Règlement porte uniquement sur la question de savoir à quel moment, et non de quelle façon, le ministre peut délivrer un ADC. Lorsqu'un avis d'allégation est signifié et déposé conformément à l'alinéa 5(1)b), l'article 7 du Règlement envisage uniquement deux résultats possibles : soit le ministre ne peut délivrer un ADC avant l'expiration du brevet en question, soit le ministre peut le faire à l'expiration du dernier des autres délais pertinents qui sont prévus au paragraphe 7(1). Le premier résultat sera atteint si le titulaire de brevet réussit à obtenir une ordonnance d'interdiction de la Cour; dans le cas contraire, c'est la seconde possibilité qui s'appliquera. Dans un cas comme dans l'autre, une fois que le ministre délivre un ADC, le Règlement cesse de s'appliquer. En tout état de cause, il ne permet certainement pas au titulaire de brevet de demander à la Cour d'annuler ou d'infirmer l'ADC une fois que celui-ci a été délivré.
[9] Se fondant sur cette interprétation du Règlement, les intimés font valoir que les appels sont théoriques, parce que le ministre a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a délivré les ADC aux sociétés intimées après l'expiration des délais pertinents prévus au paragraphe 7(1). Ils ajoutent que la Cour ne peut entendre aucun appel interjeté à l'égard des décisions de la Section de première instance, parce qu'elle n'a pas compétence en vertu du Règlement pour infirmer un ADC qui a été valablement délivré. Ce résultat découlerait nécessairement de la portée restreinte du pouvoir de réparation dont la Cour est investie en vertu du Règlement.
[10] Dans le mémoire qu'elles ont déposé en appel, les appelantes n'ont formulé aucun commentaire au sujet du caractère théorique de l'appel, étant donné que cette question n'a pas été soulevée en première instance. Toutefois, à l'invitation de la Cour, les avocats des appelantes ont signifié et déposé un mémoire pour répondre aux arguments formulés dans le mémoire des intimés sur ce point.
[11] En réponse aux arguments des intimés au sujet du caractère théorique des appels, les appelantes invoquent trois arguments.
[12] D'abord, elles font valoir que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, le sous-alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Cour d'appel fédérale la compétence voulue pour placer les parties dans la position dans laquelle elles se seraient trouvées si la Section de première instance n'avait pas commis d'erreur. Par conséquent, ajoutent-elles, la présente Cour a compétence en l'espèce pour rendre une ordonnance d'interdiction et pour annuler les avis de conformité délivrés par le ministre, si elle en arrive à la conclusion que les juges des requêtes de la Section de première instance ont commis une erreur lorsqu'ils ont rendu les ordonnances contestées. De plus, elles font valoir que la Cour d'appel fédérale n'a pas compétence pour ordonner un sursis des procédures pendant l'appel, contrairement à la suggestion des intimés à ce sujet.
[13] En deuxième lieu, les intimés invoquent le principe de l'équité et allèguent qu'étant donné que les secondes personnes au sens du Règlement peuvent interjeter appel d'une ordonnance d'interdiction rendue par un juge des requêtes, que le délai de 30 mois prévu au Règlement ait expiré ou non, les sociétés intimées devraient également, à titre de premières personnes selon le Règlement, avoir le droit d'interjeter appel des ordonnances rejetant les demandes d'interdiction, que le délai de 30 mois ait expiré ou non.
[14] En troisième lieu, les intimés soutiennent qu'un appel est nécessaire, parce qu'il permet la correction des erreurs commises par la Section de première instance et facilitent la détermination de la responsabilité possible en vertu de l'article 8 du Règlement, lequel accorde à une seconde personne le droit de réclamer des dommages-intérêts en cas de retard lié à la délivrance d'un ADC par suite du rejet d'une demande d'interdiction. En tout état de cause, les appelantes affirment que les appels sont loin d'être théoriques, puisque le brevet de Pfizer n'expire qu'en janvier 2001 et qu'une ordonnance d'interdiction empêcherait le ministre de délivrer de nouveaux ADC tout en remettant les parties dans la position dans laquelle elles se trouvaient avant la délivrance des ADC aux sociétés intimées par le ministre.
Analyse
[15] Malgré les arguments ingénieux que l'avocat des appelantes a invoqués, j'estime que la décision que la présente Cour a rendue dans l'affaire Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1999), 240 N.R. 195, autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. rejetée, [1999] S.C.C.A. no 313, régit les appels en l'espèce et que, compte tenu de cette décision, il y a lieu de rejeter les appels. Toutefois, afin de répondre à quelques-uns des arguments que l'avocat a invoqués et d'éviter toute incertitude quant à la procédure à suivre et aux recours possibles en vertu du Règlement, j'aimerais formuler les observations suivantes.
[16] Le sort des appels dont la Cour est saisie en l'espèce dépend de l'interprétation du Règlement. Par souci de commodité, je reproduis les articles 6 et 7 du Règlement qui étaient en vigueur au cours de la période pertinente :
Article 6. Droits d'action
(1) La première personne peut, dans les 45 jours suivant la signification d'un avis d'allégation aux termes de l'alinéa 5(3)b), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l'expiration de un ou plusieurs des brevets visés par une allégation.
(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.
(3) La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée a ce paragraphe a été faite.
(4) Lorsque la première personne n'est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.
Article 7. Avis de conformité
(1) le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :
a) la date qui suit de 30 jours la date d'entrée en vigueur du présent règlement;
b) la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5;
c) sous réserve du paragraphe (3), la date d'expiration de tout brevet énuméré dans la liste de brevets qui n'est pas visé par une allégation;
d) sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de 45 jours la réception de la preuve de signification de l'avis d'allégation visé à l'alinéa 5(3)b) à l'égard de tout brevet énuméré dans la liste de brevets;
e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 30 mois la date à laquelle est faite une demande au tribunal visée au paragraphe 6(l).
f) la date d'expiration de tout brevet faisant l'objet d'une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).
(2) L'alinéa (1)e) ne s'applique pas si, à l'égard de chaque brevet visé par une demande au tribunal aux termes du paragraphe 6(l),
a) soit le brevet est expiré;
b) soit le tribunal a déclaré que le brevet n'est pas valide ou qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites.
(3) Les alinéas (1)c), d) et e) ne s'appliquent pas à l'égard d'un brevet si le propriétaire de celui-ci a consenti à ce que la seconde personne utilise, fabrique, construise ou vende la drogue au Canada.
(4) L'alinéa (1)e) cesse de s'appliquer à l'égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle-ci est retirée ou est rejetée par le tribunal de façon définitive.
(5) Le tribunal peut abréger ou proroger le délai visé à l'alinéa 1e) à l'égard d'une demande lorsqu'elle n'a pas encore rendu d'ordonnance aux termes du paragraphe 6(1) à l'égard de cette demande et qu'elle constate qu'une partie à la demande n'a pas collaboré de façon raisonnable au traitement expéditif de celle-ci.
[17] Les demandes d'interdiction fondées sur le Règlement sont bien différentes des procédures en contrefaçon de brevet. Le régime établi par le Règlement a été décrit de façon détaillée dans des jugements antérieurs de la présente Cour (voir, p. ex., Bayer AG c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, jugement du juge Mahoney, J.C.A., Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al.) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, jugement du juge Hugessen, J.C.A., Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, jugement du juge Stone, J.C.A., Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex (1997), 72 C.P.R. (3d) 170, jugement du juge Strayer, J.C.A.).
[18] Les procédures fondées sur l'article 6 constituent pour les titulaires de brevet une façon spéciale de protéger leurs brevets des risques de contrefaçon. Comme l'a fait remarquer le juge Mahoney dans l'arrêt Bayer AG, précité, p. 337,
[E]n se contentant d'introduire l'instance, le requérant obtient ce qui équivaut à une injonction interlocutoire d'une durée maximale de 30 mois sans avoir satisfait à aucun des critères qu'un tribunal exigerait qu'il respecte avant d'ordonner la délivrance d'un avis de conformité.
[19] Cet avantage unique conféré aux titulaires de brevet est assorti d'un corollaire, soit la nécessité que les procédures fondées sur l'article 6 soient traitées rapidement au moyen d'une demande sommaire de contrôle judiciaire conformément à l'intention du Parlement. C'est ce qui ressort clairement des remarques que le juge Strayer a formulées dans l'arrêt Merck Frosst, précité (p. 177) :
Pour résumer, la suspension de nature législative est une mesure extraordinaire qui se démarque des droits que le droit général des brevets reconnaît habituellement au défendeur. Elle doit donc être appliquée de façon stricte, conformément à son libellé. Il ne fait aucun doute que la période de 30 mois visait en partie à inciter les parties et la Cour à instruire de façon expéditive la demande d'interdiction.
[20] J'aimerais maintenant commenter quelques-uns des arguments que les appelantes ont invoqués. Elles soutiennent que la Cour d'appel fédérale est habilitée, en vertu de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale, à faire ce que le juge de première instance aurait dû faire, en l'occurrence, rendre l'ordonnance d'interdiction. Cet argument suppose que le paragraphe 7(4) du Règlement a pour effet de lever le délai de suspension de 30 mois prévu à l'alinéa 7(1)e) uniquement lorsque la Cour d'appel a rendu un jugement définitif au sujet de la demande d'interdiction. Cette supposition est fausse, compte tenu des commentaires que la présente Cour a formulés dans l'arrêt Hoffman Laroche, précité, au paragraphe 196, selon lesquels les mots « rejetée par le tribunal » du paragraphe 7(4) du Règlement signifient [TRADUCTION] « rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale » . Je ne vois aucune raison de m'éloigner de l'interprétation donnée à ces mots dans cet arrêt.
[21] Il s'ensuit que, dès que la Section de première instance a rejeté la demande d'interdiction présentée par les appelantes, le ministre a eu le droit de délivrer les ADC à Apotex et à Nu-Pharm à l'égard du fluconazole, comme qu'il l'a fait. La délivrance de ces ADC a mis un terme à toute tentative de poursuivre la demande d'interdiction fondée sur le Règlement, parce que le recours prévu dans celui-ci (procédure sommaire) a été épuisé. Comme l'a dit le juge Décary, J.C.A., dans l'arrêt Merck Frosst Canada, précité, au paragraphe 4, [TRADUCTION] « il est bien évident que l'appel est théorique, le ministre ayant fait ce qu'il est autorisé à faire en vertu du paragraphe 7(1) du Règlement, c'est-à-dire qu'il a délivré un avis de conformité » .
[22] À mon humble avis, cette interprétation du Règlement ne crée aucune injustice. Les appelantes ont bénéficié d'une injonction interlocutoire presque automatique pendant une période de 30 mois. Si elles avaient voulu interjeter appel devant la présente Cour sur la question de l'interdiction, elles auraient pu présenter leur demande et leur appel de façon expéditive dans le délai de 30 mois prévu à l'alinéa 7(1)e) du Règlement, mais elles ne l'ont pas fait. La possibilité pour les appelantes d'interjeter appel à l'intérieur de ce délai aurait peut-être existé uniquement si le ministre n'avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire et délivré les ADC. Cependant, c'est une situation que l'autorité réglementaire a envisagée en formulant le Règlement comme elle l'a fait. À mon avis, il serait erroné de notre part de modifier cette situation en évitant de rendre une décision au sujet de la question du caractère théorique de l'appel.
[23] Contrairement à ce que les appelantes soutiennent, je ne crois pas que la présente Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à entendre des appels qui sont par ailleurs devenus théoriques afin de préciser la responsabilité en dommages-intérêts à laquelle elles sont exposées en vertu de l'article 8 du Règlement. Voici le texte de cette disposition qui était en vigueur à la date pertinente :
8.(1) La première personne est responsable envers la seconde personne de tout préjudice subi par cette dernière lorsque, en application de l'alinéa 7(1)e), le ministre reporte la délivrance de l'avis de conformité au-delà de la date d'expiration de tous les brevets visés par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1). (2) Le tribunal peut rendre toute ordonnance de redressement par voie de dommages-intérêts ou de profits que les circonstances exigent à l'égard de tout préjudice subi du fait de l'application du paragraphe (1). |
8.(1) The first person is liable to the second person for all damage suffered by the second person where, because of the application of paragraph 7(1)(e), the Minister delays issuing a notice of compliance beyond the expiration of all patents that are the subject of an order pursuant to subsection 6(1). (2) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any damage referred to in subsection (1). |
|
L'argument ne m'apparaît pas fondé, parce que son acceptation donnerait lieu à une modification du régime établi par le Règlement.
[24] À mon sens, il y a toujours un facteur qui incite la première personne ayant présenté sans succès une demande d'interdiction à tenter d'éliminer la responsabilité en dommages-intérêts à laquelle elle est exposée. Ce stimulant s'appliquerait tout aussi bien à la seconde personne qui reconnaît que l'annulation d'une ordonnance d'interdiction en appel pourrait donner lieu à une condamnation à des dommages-intérêts. Si la présente Cour décidait d'entendre l'appel pour ce motif, le stimulant universel qui consiste à tenter d'obtenir ou d'éviter une décision accordant des dommages-intérêts en application de l'article 8 l'emporterait toujours sur la question du caractère théorique. Ce résultat irait à l'encontre de l'intention avouée de l'autorité réglementaire, qui est exprimée comme suit[4] :
Le présent règlement est nécessaire si on veut éviter que cette nouvelle exception en matière de contrefaçon soit mal utilisée par les fabricants de produits génériques désireux de vendre leurs produits au Canada pendant que le brevet original est encore valide. En vertu du règlement, ces fabricants peuvent toutefois entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir l'approbation réglementaire et ainsi commercialiser leurs produits dès que les brevets pertinents arrivent à expiration. Répercussions prévisibles Ce règlement et le paragraphe 55.2(1) favoriseront l'investissement dans le domaine de l'innovation parce qu'ils permettront aux titulaires d'un brevet de bénéficier de la protection complète conférée par les brevets tout en donnant aux concurrents la possibilité de mettre leurs produits sur le marché dès que les brevets pertinents seront arrivés à expiration. |
These Regulations are needed to ensure this new exception to patent infringement is not abused by generic drug applicants seeking to sell their product in Canada during the term of their competitor's patent while nonetheless allowing generic competitors to undertake the regulatory approval work necessary to ensure they are in a position to market their products immediately after the expiry of any relevant patents. Anticipated Impact These Regulations together with subsection 55.2(1) will allow patentees to enjoy full patent protection while ensuring off-patented competitors will be able to enter the marketplace immediately upon the expiry of all patents pertaining to a medicine. |
|
[25] Il convient de souligner qu'une décision de la présente Cour portant que les appels sont théoriques ne signifie pas que les appelantes n'ont pas de recours. Elles peuvent engager des actions en contrefaçon, si elles sont conseillées en ce sens et que les faits justifient ce recours. La Cour d'appel fédérale a indiqué très clairement que les demandes fondées sur l'article 6 n'ont pas pour effet de trancher les droits du titulaire de brevet. Dans l'arrêt Merck Frosst Canada, précité, p. 319, le juge Hugessen a rejeté l'idée d'assimiler une demande d'interdiction à une action :
La procédure engagée n'est pas une action et ne vise qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Manifestement, elle ne constitue pas « une action en contrefaçon de brevet » .
Dans ces circonstances, il est inutile de mentionner que toute décision que la présente Cour rendra en l'espèce pourrait servir à contester accessoirement un jugement prononcé dans une action en contrefaçon.
[26] Compte tenu de la nature distincte des procédures fondées sur l'article 6, les réparations qui peuvent être demandées se limitent à celles qui sont prescrites par le Règlement, lequel ne fait pas mention d'une ordonnance de certiorari annulant un ADC que le ministre a valablement délivré ou d'un autre redressement sous forme de jugement déclaratoire. Le juge Hugessen en est arrivé à cette conclusion dans l'arrêt Merck Frosst Canada, précité, lorsqu'il s'est exprimé comme suit (p. 319-320) :
À ce sujet, il y a lieu de noter que si l'alinéa 7(2)b) semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n'est pas valide ou qu'il n'est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l'article 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre, puisqu'elle revêt la forme d'un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu'elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l'intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L'invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n'est pas une question relevant d'une procédure de ce genre.
[27] La seule réparation que les appelantes peuvent obtenir est une ordonnance d'interdiction. Cependant, pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour d'appel fédérale ne peut rendre une ordonnance de cette nature, parce que, dans chaque appel, le ministre a délivré un avis de conformité et qu'il avait le droit de le faire. Les appels sont devenus théoriques en raison de cette mesure administrative valable que le ministre a prise en application du Règlement.
[28] À la fin des plaidoiries, la Cour a fait savoir aux avocats qu'elle différerait son jugement. Le 5 octobre 2000, alors que la Cour n'avait toujours pas rendu son jugement, l'avocat des appelantes lui a fait parvenir une lettre afin [TRADUCTION] « de porter à l'attention de la Cour d'autres faits qu'il ne pouvait connaître lors de l'audience, mais qu'il a pu confirmer par la suite » . Sans demander à la Cour l'autorisation de présenter cette preuve, l'avocat a formulé des arguments fondés sur les nouveaux faits. Les avocats des intimées Apotex et Nu-Pharm se sont opposés à l'admission de cette nouvelle preuve, parce que les appelantes n'ont pas respecté les critères bien connus au sujet de l'admissibilité. À mon avis, l'objection est bien fondée. Selon la Règle 351 des Règles de la Cour fédérale (1998), il est nécessaire d'obtenir l'autorisation de la Cour d'appel pour présenter des éléments de preuve sur une question de fait et de prouver l'existence de circonstances particulières justifiant cette demande. Dans la présente affaire, les appelantes n'ont pas demandé d'autorisation ni n'ont démontré l'existence de circonstances particulières. En conséquence, pour trancher le présent appel, je ne tiens pas compte des faits mentionnés dans la lettre du 5 octobre 2000 de l'avocat ou des arguments fondés sur ces faits.
[29] Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais les appels avec dépens.
[30] Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers A-69-98 et A-681-98 et sera alors considérée comme le jugement tranchant l'appel dans chaque dossier.
« Julius A. Isaac »
______________________________
J.C.A.
« Je souscris aux motifs du juge Isaac.
Gilles Létourneau, J.C.A. »
« Je souscris aux motifs du juge Isaac.
François Joseph McDonald, J.C.A. »
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 20010110
Dossier : A-69-98
OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 10 JANVIER 2001
CORAM : LE JUGE ISAAC
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE McDONALD
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
Appelantes
(demanderesses)
- et -
APOTEX INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(défendeurs)
Dossier : A-681-98
ENTRE :
PFIZER CANADA INC. et
PFIZER CORPORATION
appelantes
(demanderesses)
- et -
NU-PHARM INC. et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
intimés
(défendeurs)
JUGEMENT
Les appels sont rejetés avec dépens.
« Julius A. Isaac »
J.C.A.
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NOS DU GREFFE : A-69-98 et A-681-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : PFIZER CANADA INC. et PFIZER CORPORATION c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 4 octobre 2000
MOTIFS DU JUGEMENT DU : JUGE ISAAC, J.C.A.
AUXQUELS ONT SOUSCRIT : LES JUGES LÉTOURNEAU ET McDONALD
EN DATE DU : 10 janvier 2001
ONT COMPARU :
Me Anthony G. Creber
Me Jennifer Wilkie POUR LES APPELANTES
Me Harry D. Radomski
Me David Scrimger
Me Ivor Hughes POUR LES INTIMÉS
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowlings Lafleur Henderson, LLP
Ottawa (Ontario) POUR LES APPELANTES
Goodman, Phillips, Vineberg
Toronto (Ontario) POUR L'INTIMÉE APOTEX INC.
Me Morris Rosenberg POUR L'INTIMÉ
Sous-procureur général du Canada LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL