Date : 20030723
Dossier : A-321-03
Référence : 2003 CAF 309
Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2003
En présence de : MONSIEUR LE JUGE LINDEN
ENTRE :
SUNTEC ENVIRONMENTAL INC.
appelante
(défenderesse)
et
TROJAN TECHNOLOGIES INC.
intimée
(demanderesse)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] La présente requête en sursis d'exécution de l'injonction rendue le 3 juillet 2003, de l'ordonnance de restitution et de l'ordonnance prévoyant la fixation du montant des dommages-intérêts ou des bénéfices, obtenues à la suite de la requête en jugement sommaire présentée par Trojan Technologies Inc. (Trojan), entendue en février 2003, est présentée par l'appelante Suntec Environmental Inc. (Suntec).
[2] La requête de Trojan portait sur la contrefaçon de son brevet canadien 1 327 877 (le brevet 877) qui concerne un « Dispositif de purification des fluides » utilisant une lumière ultraviolette pour désinfecter les eaux usées.
[3] L'audience s'est déroulée sur deux jours, soit les 17 et 18 février 2003. Aucun témoignage oral n'a été entendu, mais de nombreux affidavits et contre-interrogatoires sur ces affidavits ont été présentés au juge des requêtes qui, à la suite d'un analyse minutieuse et exhaustive énoncée dans les motifs de sa décision de 46 pages, a accueilli la requête en jugement sommaire, a reconnu la validité des revendications et a estimé que Suntec avait contrefait les brevets. L'ordonnance enjoignait à Suntec de cesser de fabriquer et de vendre son système de désinfection par ultraviolets LPX200 et à restituer toutes les marchandises contrevenant à la loi.
[4] Cette requête vise surseoir à l'exécution des paragraphes 3, 4 et 5 de l'ordonnance en date du 3 juillet 2003 rédigés ainsi :
3. La Cour interdit à la défenderesse, ses dirigeants, administrateurs, employés, actionnaires, mandataires et toutes les personnes sur lesquelles elles exercent un contrôle de poursuivre la contrefaçon du brevet canadien no 1 327 877 et la fabrication, l'importation, l'exportation, la vente et l'offre en vente au Canada ou à partir du Canada, de tout système de désinfection par ultraviolets Suntec Environmental LPX200 ou de toute marchandise équivalente ou connexe.
4. La défenderesse doit restituer à la demanderesse tous les systèmes de désinfection par ultraviolets Suntec Environmental LPX200 et leurs pièces, produits équivalents ou marchandises, de même que tout appareil, document ou objet qu'elle a en sa possession, sous son autorité ou sous son contrôle susceptibles de contrevenir à l'injonction ordonnée aux termes de la présente décision.
5. Comme le prévoyait l'ordonnance sur consentement en date du 22 avril 2002, toutes les questions portant sur l'ampleur de la contrefaçon de tout droit et sur les dommages-intérêts ou bénéfices attribuables à une telle violation devront être tranchées séparément après la date de la présente décision.
[5] Le critère applicable pour l'obtention d'un sursis jusqu'à l'issue d'un appel est le même que celui applicable pour l'obtention d'une injonction interlocutoire, soit que le demandeur doit démontrer (1) l'existence d'une question sérieuse à trancher, (2) qu'il subira un préjudice irréparable si la suspension n'est pas accordée et que (3) la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur. À mon avis, le demandeur a démontré de façon convaincante qu'il avait satisfait à ce critère.
[6] Premièrement, examinons le volet de la question sérieuse à trancher. Quoique notre Cour possède des pouvoirs plus étendus que ceux de la Cour d'appel de l'Ontario en matière de requêtes en jugement sommaire, il convient de souligner que la décision visée est un jugement sommaire. Bien qu'une telle décision ait le même effet qu'une décision rendue à la suite d'un procès, aucun procès n'a eu lieu, aucun témoignage n'a été entendu et aucun contre-interrogatoire n'a eu lieu.
[7] Il est allégué que, puisque les affidavits de deux experts importants ainsi que les contre-interrogatoires correspondants ont été présentés au juge des requêtes relativement à la question d'interprétation et puisque ces experts étaient fondamentalement en désaccord, le juge des requêtes n'aurait pas dû accepter l'affidavit du témoin de l'intimée au détriment de celui du témoin de l'appelante. Il a indiqué qu'aucun des deux experts n'avait été « fortement ébranlé » en contre-interrogatoire, mais qu'il penchait davantage en faveur de la version de l'expert de l'intimée, M. Moreland, qu'en faveur de celle de l'expert de l'appelante, M. Scheible. En ce qui concerne les questions de l'antériorité et de l'évidence, le juge des requêtes a également penché davantage en faveur du témoin de l'intimée, même s'il estimait que les deux experts étaient crédibles et dignes de foi. De façon similaire, il a accepté la preuve présentée par l'expert de l'intimée concernant la contrefaçon. Le juge des requêtes a conclu que :
Il est possible de déterminer quels sont les faits nécessaires et il n'y a pas de question sérieuse en matière de crédibilité. Bien que j'estime que la preuve par affidavit des deux experts soit crédible et digne de foi, je penche davantage en faveur du témoignage de l'expert de Trojan sur chacune des questions importantes et je suis convaincu que, si la preuve des experts était présentée dans le cadre d'un procès où un juge aurait la possibilité d'observer leur comportement et leurs réactions lors d'un contre-interrogatoire, cela n'affecterait vraisemblablement pas le résultat de façon significative.
Bien que le juge des requêtes ait fort bien pu interpréter correctement le brevet et les questions connexes, je suis convaincu que l'appelante a démontré l'existence d'une question sérieuse quant à savoir si, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, il était justifié de qualifier les témoignages contradictoires des experts ainsi que cela a été fait en l'espèce.
[8] Deuxièmement, en ce qui concerne le préjudice irréparable, l'appelante m'a convaincu du fait que, si la suspension de l'injonction n'était pas accordée, elle subirait un préjudice irréparable en ce sens qu'elle ne pourrait continuer à exploiter son entreprise. La banque cesserait d'honorer la marge de crédit. La caution n'augmenterait pas sa garantie. Certains des employés quitteraient l'entreprise, paralysant celle-ci. Si l'appel est accueilli, l'entreprise aura de sérieux problèmes à se reconstruire. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une simple conjecture, mais de la réalité.
[9] Dans la présente affaire, la prépondérance des inconvénients milite à mon avis en faveur de l'appelante. L'intimée souligne sa perte de profits et l'improbabilité d'être en mesure de recouvrer des dommages-intérêts de l'appelante, une entreprise qui n'a pas encore réalisé de bénéfices. Elle indique que l'appelante coupe les prix et entraîne la baisse du prix que l'intimée est en mesure de demander à ses clients, compromettant sa capacité à poursuivre ses travaux de recherche précieux. Je ne doute point de l'importance des désavantages que l'intimée subit en raison de la poursuite des activités de l'appelante. Toutefois, ce n'est pas comparable avec la perte d'une entreprise entière, ce qui arriverait à l'appelante au cours de la période entre la présente décision et la date de la décision sur l'appel.
[10] Reconnaissant qu'il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire qui ne doit être exercé qu'avec parcimonie, j'accorde néanmoins le sursis d'exécution des paragraphes 3, 4 et 5 de l'ordonnance et du jugement en date du 3 juillet 2003, sous réserve des conditions suivantes :
(1) L'appelante doit tenir une comptabilité séparée de ses revenus et bénéfices et en fournir un relevé mensuel à l'intimée le 5e jour de chaque mois à compter du 5 septembre 2003.
(2) Comme cette situation est particulièrement défavorable pour les clients potentiels, l'appelante ne pourra présenter aucune nouvelle soumission dans l'attente de l'appel, mais aura le droit de remplir ses obligations aux termes des contrats déjà signés ou négociés à l'heure actuelle ainsi que tout contrat qui pourrait être conclu aux termes de soumissions déjà présentées. Elle peut également assurer le service pour les clients existants jusqu'à l'issue de l'appel.
(3) L'appelante ne doit pas modifier les conditions des contrats existants dans le but de réduire les revenus ou bénéfices prévus.
(4) L'appelante ne doit pas transférer de biens ou verser de sommes à des actionnaires.
(5) L'appelante ne doit payer ses créanciers et ses employés que selon ce qui est requis dans le cadre de la pratique normale du commerce et de la tenue du présent appel.
(6) La caution de 50 000 $, fixée par accord entre les parties et détenue en fiducie, y demeurera jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel. De plus, 10 % de l'ensemble des revenus de l'appelante seront déposés en fiducie à l'institution choisie par l'intimée avec la caution de 50 000 $ déjà déposée.
(7) L'instruction de l'appel de la présente affaire sera accélérée et aura lieu à 10h le 12 novembre 2003, à Ottawa.
signé « A.M. Linden »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christine Gendreau, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-321-03
INTITULÉ : SUNTEC ENVIRONMENTAL INC. c. TROJAN TECHNOLOGIES, INC.
REQUÊTE EN SURSIS D'EXÉCUTION D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 3 JUILLET 2003, DOSSIER NO T-1811-01
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : 22 JUILLET 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : MONSIEUR LE JUGE LINDEN
COMPARUTIONS :
Robert H.C. MacFarlane POUR L'APPELANTE
L.E. Trent Horne
Christopher Van Barr POUR L'INTIMÉE
Julie Florent
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sim, Hughes, Ashton & McKay
Toronto (Ontario) POUR L'APPELANTE
Gowling Lafleur Henderson s.r.l.
Ottawa (Ontario) POUR L'INTIMÉE