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Date : 20031215

Dossier : A-169-03

Référence : 2003 CAF 476

                                                                             

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                         LYDIA HWITSUM, chef des Tribus Cowichan,

                                     à titre de fiduciaire des membres des Tribus Cowichan

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                  LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et VENTURE LEASING LTD.

                                                                                                                                                  intimés

                     Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 décembre 2003

        Jugement prononcé à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 décembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                    LE JUGE LÉTOURNEAU   


Date : 20031215

Dossier : A-169-03

Référence : 2003 CAF 476

                                                                             

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                         LYDIA HWITSUM, chef des Tribus Cowichan,

                                     à titre de fiduciaire des membres des Tribus Cowichan

                                                                                                                                              appelante

                                                                             et

                                    SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

                  LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et VENTURE LEASING LTD.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 décembre 2003)

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]         Il s'agit d'un appel d'une décision du juge Hugessen de la Cour fédérale dans laquelle il a déterminé le prix du loyer, à compter du 1er janvier 2001, pour une parcelle de terrain faisant partie de la Réserve Cowichan.


[2]                Dans le présent appel, l'appelante, à titre de fiduciaire des membres des Tribus Cowichan, soulève trois points litigieux :

a)         le juge de première instance a-t-il commis une erreur en faisant un rajustement négatif à la valeur du terrain hypothétiquement considéré comme détenu en fief simple visé par le bail principal ainsi que du loyer qui y est précisé? Le rajustement visait, comme mesure de prévention des inondations, le remplissage du site au niveau de la plaine d'inondation de 200 ans;

b)         subsidiairement, le juge de première instance a-t-il commis une erreur quand il a basé le loyer économique pour le bail principal sur la valeur hypothétique en fief simple de comparables plutôt que sur la valeur du loyer de terres sur réserve indienne comparables?

c)         le juge de première instance a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire à bon escient en imposant les dépens à l'appelante?


[3]                La Couronne, c'est-à-dire Sa Majesté la Reine, ainsi que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le procureur général du Canada appuient la position de l'appelante pour ce qui est des deux premiers points, mais ils s'opposent au troisième. Le juge de première instance a bien compris la nature incongrue de la procédure en cause par laquelle la locataire du bail principal demandait à la Cour de l'obliger à payer un loyer beaucoup plus élevé que ce que le propriétaire demandait.

[4]                Le juge de première instance devait trancher sur l'interprétation de la clause d) du bail principal dans lequel il est déclaré ce qui suit :

_traduction_

Le loyer annuel pour chaque période quinquennale [...] sera l'un ou l'autre des montants suivants :

(i)            le montant qui correspond, quatre-vingt-dix jours avant la période quinquennale, de l'avis du ministre, au loyer économique pour les terres louées aux conditions énoncées dans le présent bail, comprenant tous les services et commodités qui existent alors, mais excluant la valeur de toutes les améliorations permanentes faites sur le terrain par le locataire, améliorations qui incluent la valeur du remplissage et du mur de soutènement; ou

(ii)           pour chaque année, le même loyer que celui de la dernière année de la période quinquennale antérieure, si ce montant est le plus élevé.

La clause de révision du loyer du sous-bail a essentiellement la même teneur, sauf qu'elle renvoie au _traduction_ _ juste loyer économique _ plutôt qu'au _ loyer économique _. Il ne semble pas que l'ajout du mot _ juste _ change quoi que ce soit.

[5]                Nous sommes convaincus que l'appel est sans fondement et qu'il doit être rejeté.

[6]                Pour ce qui est du premier point, l'appelante et la Couronne tentent de déguiser en erreur de droit pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte, ce qui est purement et simplement une conclusion de fait tirée par le juge de première instance.


[7]                Le juge de première instance disposait d'éléments de preuve indiquant que le terrain est dans une grande partie à un niveau inférieur à celui de la plaine d'inondation de 200 ans et donc extrêmement sujet à être inondé : voir le paragraphe 29 de sa décision. Au moment de l'instruction, soit en janvier 2003, les parties les plus basses du terrain étaient mouillées et, comme le juge l'a fait remarquer, il y avait des signes évidents d'inondation, notamment des flaques d'eau, des sacs de sable et des avertissements.

[8]                Le juge de première instance a reconnu qu'il n'y avait aucune exigence légale qui obligeait le remplissage du terrain à un niveau donné avant qu'il soit aménagé. Cependant, il a constaté que tous les immeubles avaient été relevés à peu près au niveau de la plaine d'inondation de 200 ans. Il a conclu que, en fait, un promoteur _ inclura dans ses frais d'acquisition le coût d'aménagement du terrain pour qu'il soit utilisable et réduira proportionnellement le prix du terrain _. Il a ajouté que _ [l]es évaluations de la valeur marchande des terres louées qui ne tiennent pas compte d'une allocation pour un tel facteur sont déraisonnables et ne peuvent pas être étayées _.


[9]                Nous partageons cet avis. Il est contraire au bon sens de penser qu'un locataire ou un promoteur prudent et raisonnable attribuerait la même valeur à un terrain qui est partiellement inondé chaque année qu'à un terrain qui ne l'est pas et qui est prêt à être aménagé ou occupé. Il ne s'agit pas d'une question de droit, mais d'un fait de la vie, d'une réalité pratique dont, comme l'intimée Venture Leasing Ltd. a eu raison de le souligner, les prêteurs hypothécaires et les sociétés d'assurance ne manqueront pas de tenir compte quand ils évalueront le risque qu'ils doivent assumer.

[10]            Il est révélateur de constater que même l'estimateur-expert agissant au nom de l'appelante avait déduit 810 000 $ de la valeur marchande cumulative du terrain afin de refléter la valeur estimative du matériau de remplissage et du mur de soutènement en place, ainsi que le remplissage qui sera exigé à l'avenir pour corriger les problèmes d'inondation.

[11]            En arrivant à la conclusion qu'un rajustement négatif s'imposait parce que le terrain est sujet aux inondations, le juge de première instance n'a pas interprété les clauses du bail de façon erronée et, comme le prétend l'appelante, il n'a pas tenté de récrire ces clauses. Il ne faisait que déterminer la valeur marchande des terres visées par le bail principal en tenant compte d'un fait réel qui a une incidence négative sur cette valeur. Ce faisant, il n'a commis aucune erreur.

[12]            Pour ce qui est du deuxième moyen d'appel, le juge de première instance n'a commis aucune erreur en utilisant et en appliquant la démarche axée sur le rendement d'après la valeur du site plutôt que celle de la comparaison directe pour déterminer le loyer économique du terrain.


[13]            Premièrement, il s'agissait non seulement de la méthode d'évaluation dont l'appelante s'était servie lors de l'instruction, mais également de la démarche retenue par l'expert de la Couronne, ainsi que par celui de l'intimée Venture Leasing Ltd. Il est vrai que l'expert de la Couronne a également envisagé l'approche de la comparaison directe, mais il lui a accordé moins d'importance étant donné que cette méthode a produit une valeur jugée supérieure au prix du loyer économique courant vu les limites et les restrictions applicables à l'utilisation du terrain et au bail.

[14]            De plus, l'expert de la Couronne ne s'est pas contenté de comparer des baux applicables à des terrains situés sur des réserves indiennes, comme l'appelante soutient que cela devrait se faire. L'expert s'est également servi comme comparables de baux de terres en fief simple ainsi que de biens fonciers municipaux et fédéraux. La plupart de ces terrains étaient aménagés à des fins commerciales, alors que le terrain visé par le présent appel servira essentiellement de Centre du patrimoine et de la culture et à d'autres usages institutionnels liés à l'éducation et aux arts. La démarche de la comparaison directe n'était pas la méthode d'évaluation privilégiée et appuyée par l'appelante pendant l'instruction. Tout au plus, cette démarche était recommandée simplement comme solution de rechange. On ne peut donc pas reprocher au juge de première instance d'avoir déterminé le prix du loyer en se servant de la démarche axée sur le rendement d'après la valeur du site, démarche que l'appelante avait proposée, et d'avoir évalué les éléments de preuve qu'elle avait déposés dans ce sens et qu'elle voulait qu'il évalue.


[15]            Nous partageons l'avis de l'intimée Venture Leasing Ltd. selon lequel la clause de révision du loyer du bail principal n'exige pas, contrairement à ce que prétend l'appelante, que le loyer soit _traduction_ _ établi uniquement en fonction de loyers économiques comparables pour des terrains situés sur la réserve Cowichan et autres réserves indiennes _ : voir cet argument au paragraphe 48 du mémoire des faits et du droit de l'appelante. Le bail ne contient aucune clause à cet effet. Si le juge de première instance avait accepté cet argument, il aurait par le fait même reformulé la clause du bail et fait abstraction de la majeure partie de la preuve, ce qu'il ne pouvait pas faire. Ce que la clause d) du bail principal exige est que le ministre ou la cour, en déterminant le loyer, tienne compte des modalités et des conditions particulières du bail, notamment des restrictions concernant l'aménagement et l'utilisation du terrain qui influent nécessairement sur le loyer économique. C'est ce que le juge de première instance a fait.

[16]            Enfin, nous ne voyons aucune erreur dans la façon dont le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l'attribution des dépens.

[17]            Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens. La Couronne aurait pu prendre une position neutre en regard du présent appel. Elle a plutôt choisi d'appuyer l'appel contre l'intimée Venture Leasing Ltd. sur les questions clés. Elle devrait donc assumer les dépens avec l'appelante.

      « Gilles Létourneau »     

        Juge

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              A-169-03

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DATÉ DU 7 MARS 2003, NO T-1402-01

INTITULÉ :                                                             LYDIA HWITSUM CHEF DES TRIBUS COWICHAN, À TITRE DE FIDUCIAIRE DES MEMBRES DES TRIBUS COWICHAN

c.

SMR ET AL.

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 15 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR                   (LES JUGES LÉTOURNEAU, NADON ET PELLETIER )

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                      LE JUGE LÉTOURNEAU

COMPARUTIONS :

Christopher Devlin                                                     POUR L'APPELANTE

John Gailus                                                              

Gerald Ghikus, c.r.                                                    POUR L'INTIMÉE

Robert Deane                                                            VENTURE LEASING LTD.

Jane Luke                                                                 POUR LES INTIMÉS

Dennis Hill                                                                SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Woodward and Company                                           POUR L'APPELANTE

Victoria (Colombie-Britannique)                                 

Borden Ladner Gervais LLP                                        POUR L'INTIMÉE

Vancouver (Colombie-Britannique)                              VENTURE LEASING LTD.

Morris Rosenberg                                                      POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada                              SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.


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