Date : 20031017
Dossier : A-176-01
Référence : 2003 CAF 386
ENTRE :
JOHN MITCHELL, ANITA MITCHELL,
LEONARD STEWIN et
J.A. FRASER IMPLEMENT CO. LTD.
appelants
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
représentée par le
MINISTRE DU REVENU NATIONAL, et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimés
MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS
Officier taxateur
[1] Revenu Canada s'était engagé à établir à l'égard des appelants une nouvelle cotisation conforme à l'issue d'une cause type (touchant une expropriation) qui concerne précisément les mêmes faits que ceux dont je suis saisi. Revenu Canada a ensuite affirmé que les appelants avaient omis de déposer les renonciations requises par la Loi de l'impôt sur le revenu et il a refusé d'établir une nouvelle cotisation contrairement à son engagement en ce sens. Les appelants ont, sans succès, présenté une demande de contrôle judiciairerelativement à ce refus. La Cour d'appel fédérale a annulé le jugement de la Cour fédérale (alors la Section de première instance) et renvoyé l'affaire au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conforme à la décision rendue dans la cause type. Le jugement de la Cour d'appel fédérale est muet sur la question des dépens, mais le paragraphe 48 des motifs de la Cour prévoit que « [...] les dépens en appel et en première instance [sont] adjugés à l'extrémité supérieure de la colonne V du tarif B » . Cette incompatibilité n'a pas été soulevée devant moi. J'estime donc pouvoir m'en remettre à des précédents comme l'arrêt Genpharm Inc. c. Le Ministre de la Santé et al., [2003] 1 C.F. 402, aux pages 408 et 409, pour interpréter l'objectif visé par l'ensemble des motifs et du jugement, c'est-à-dire en l'espèce, que les appelants ont droit à leurs frais.
[2] Le mémoire de dépens des appelants comprend des frais liés au dossier T-1761-99. Or, il n'est pas approprié de réunir dans un seul mémoire de dépens les frais relatifs aux deux sections de la Cour, mais je ne suis pas saisi de cette question. Afin d'accélérer le processus, j'ai taxé tous les dépens. Un exemplaire des présents motifs est versé au dossier T-1761-99 et s'y applique en conséquence. Les intimés ont consenti à certains articles tels qu'ils étaient présentés ou à des sommes réduites. D'une façon générale, les frais et débours ont donné naissance à cinq questions.
Première question en litige : L'article 27 (autres services acceptés aux fins de la taxation) peut-il être invoqué et, dans l'affirmative, peut-il l'être à plus d'un titre?
Thèse des intimés
[3] Les intimés admettent, sur le fondement de la décision Caricline Ventures Ltd. c. ZZTY Holdings Ltd., [2002] A.C.F. 1524 (O.T.), que l'article 27 peut être invoqué plus d'une fois dans certaines circonstances. Cependant, les quatre réclamations des appelants (une réclamation par contribuable relative aux demandes de remboursements) ne peuvent être accueillies puisqu'elles portent sur des frais engagés avant l'introduction de l'action. Même si la décision du Ministre concernant les remboursements faisait l'objet du litige, elle n'a pas été prise au cours de celui-ci. En conséquence, comme l'adjudication des dépens se limite à la Cour d'appel fédérale et à la Cour fédérale, ces réclamations fondées sur l'article 27 doivent nécessairement être refusées.
[4] Les intimés font valoir que la décision Grace M. Carlile c. Sa Majesté la Reine, 97 D.T.C. 5284 (C.F. 1re inst.) (O.T.), confirme que l'article 27 touche certains services distincts qui ne sont pas par ailleurs visés par les articles 1 à 26. En conséquence, les autres réclamations des appelants qui se fondent sur l'article 27 devraient être rejetées pour les raisons suivantes : (i) recherche juridique - à cause de la décision Geddes et al. c. Lamin Tech Corporation Ltd. (dossier T-2810-97, 5 novembre 1999) dans laquelle l'officier taxateur conclut que ces frais relèvent habituellement des articles 1 à 26; (ii) mémoire des faits et du droit - parce que l'article 19 règle déjà cette question; (iii) instructions données par une avocate en droit fiscal (laquelle était présente à l'audience devant la Cour fédérale sans occuper pour les intimés à titre de second avocat, mais disponible comme personne-ressource en droit fiscal) - parce que ces frais font parties des frais généraux d'un cabinet d'avocats; et (iv) la complexité globale - parce qu'il ne s'agit pas d'un service précis fourni par un avocat et que le présent litige n'était pas particulièrement complexe.
Thèse des appelants
[5] Les appelants allèguent que le revirement du Ministre à l'égard de l'entente et des renonciations et son refus subséquent d'appliquer la cause type a obligé leur avocat (Neil W. Nichols, avocat exerçant seul) à se retirer parce qu'il était susceptible de devenir responsable de négligence envers ses clients. Me Nichols a donc recommandé à ses clients de retenir les services d'un avocat remplaçant. Ses clients ont effectivement présenté une demande contre Me Nichols, mais rien n'est réclamé à cet effet dans le mémoire de dépens, ni en ce qui concerne les frais de l'avocat remplaçant liés à la négociation avec le Ministre. L'avocat remplaçant, qui n'a pas réussi à obtenir gain de cause pour ses clients devant la Cour fédérale, a refusé de continuer à occuper dans ce dossier et Me Nichols a repris son rôle d'avocat inscrit au dossier dans l'instance à la Cour d'appel fédérale. Il a retenu les services d'un avocat (Roderick A. McLennan, c.r.) pour débattre l'appel. Les appelants avancent que la rupture fautive de l'entente par la Couronne a considérablement augmenté le degré de complexité de l'affaire. De plus, les intimés ont tenté en appel de revenir sur les admissions faites devant la Cour fédérale, ce qui a forcé Me Nichols à retenir les services de l'avocat remplaçant (au procès) pour donner à Me McLennan des instructions relatives à ces admissions. Le mémoire de dépens s'élève à 27 231 $ plus les intérêts échus, mais la somme totale engagée pour faire appliquer l'entente excède 80 000 $.
[6] À cet égard, et pour ce qui concerne les quatre autres principales questions en litige, les appelants ont généralement soutenu que le principe énoncé dans l'arrêt Smigarowski c. Mugliston, [1951] 3 D.L.R. 287, à la page 292 (C.A. Sask.) - à savoir qu'un pouvoir discrétionnaire absolu demeure absolu - s'applique à l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont jouit l'officier taxateur dans le cadre de l'adjudication des dépens. Les appelants invoquent l'article 409 des Règles pour affirmer que les réclamations faites dans le mémoire de dépens se fondent sur les dispositions suivantes des Règles : (i) alinéa 400(3)a) : les appelants ont entièrement obtenu gain de cause; (ii) alinéa 400(3)b) : approximativement 350 000 $ de la somme réclamée ont été totalement recouvrés; (iii) alinéa 400(3)c) : même si la Cour n'a tranché qu'un certain nombre des questions en litige, il y avait plusieurs autres questions principales et secondaires d'une importance et d'une complexité considérables; (iv) alinéa 400(3)d) : l'entière responsabilité a été imputée aux intimés; (v) alinéa 400(3)g) : les actions intentées par les intimés ont nécessité les services extraordinaires de plusieurs avocats; (vi) alinéa 400(3)h) : l'importance pour d'autres contribuables, à l'échelle nationale, de la question des conséquences du défaut de la Couronne de respecter les ententes qu'elle conclut; (vii) alinéas 400(3)i) et j) : les revirements de la Couronne ont aggravé et inutilement allongé l'instance, ce qui a occasionné davantage de travail; et (viii) alinéa 400(3)o) : cette disposition « omnibus » confère à l'officier taxateur une compétence étendue lui permettant de trouver une solution équitable et raisonnable sans avoir à contourner l'adjudication des dépens. Les appelants ont aussi invoqué la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., (1998) 84 C.P.R. (3d) 303, à la page 318, pour affirmer que les dépens taxés doivent avoir un rapport raisonnable avec les frais réellement engagés dans le cadre du litige et que cette taxation ne doit pas se fonder sur une appréciation faite après coup. Ils soutiennent en outre que, suivant la décision Re : Eastwood, [1974] 3 All E.R. 603, à la page 608, les dépens taxés doivent être fonction d'une « approximation sensée » .
[7] Selon les appelants, il était de l'intention du législateur que l'article 27 soit utilisé de façon restreinte. Or, le libellé de l'article 27 n'entrave pas expressément l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur de décider comment cet article est appliqué ou du nombre de fois qu'il peut s'appliquer à d' « autres services » . Le libellé des articles 1 à 26 précédents ne restreint pas non plus l'application de l'article 27. Les appelants se fondent en outre sur les décisions Re County of Peel and Town of Mississauga, (1971) 17 D.L.R. (3d) 377, aux pages 378 et 379 (H.C. Ont.), et Re Ontario Regional Assessment Commissioner, Region No. 9, (1992) 27 O.M.B.R. 257, à la page 259, pour prétendre qu'il faut donner au terme « autres » sa signification naturelle et conclure que l'article 27 vise des services distincts qui ne sont pas déjà énumérés dans le tarif. Rien dans le libellé de l'article 27 n'exige l'existence de circonstances exceptionnelles ou nouvelles.
[8] Invoquant l'arrêt Paskivski c. Canadian Pacific Limited, [1974] 1 W.W.R. 13, à la page 18 (C.A. Alb.), les appelants soutiennent aussi que le tarif des Cours fédérales consiste en un tarif global modifié par opposition à une longue liste détaillée de services ouvrant droit à une indemnité complète. Bien que suffisamment souple pour s'appliquer à diverses formes de litiges et permettre une approximation générale de l'indemnité partielle appropriée, le tarif global tend à être arbitraire, ce qui peut entraîner une taxation injuste ou déraisonnable des dépens. Les appelants s'appuient sur l'arrêt TRW Inc. c. Walbar of Canada Inc., (1992) 43 C.P.R. (3d) 449, à la page 455 (C.A.F.), la décision Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., (1992) 40 C.P.R. (3d) 376, aux pages 379 et 380 (C.F. 1re inst.), et l'arrêt C.N.R. c. Norsk Pacific Steamship Co. Ltd., (1990) 13 N.R. 4, à la page 6 (C.A.F.), pour avancer que les modifications apportées aux règles et aux tarifs au fil des ans et ayant débouché sur les Règles de la Cour fédérale (1998) reconnaissent ce fait et confirment les pouvoirs quasi-judiciaires de l'officier taxateur d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'une manière absolue, notamment en ce qui concerne l'approximation, afin d'en arriver à la solution équitable et raisonnable tributaire des circonstances particulières de chaque cas. Les appelants font valoir que l'assertion des intimés, selon laquelle l'article 27 ne peut valablement s'appliquer qu'une seule fois dans une affaire donnée, est simplement trop restrictive et qu'elle mine en même temps l'adjudication des dépens. Il importe toutefois de veiller à ne pas accorder deux fois des frais pour un même service, c'est-à-dire un service déjà visé par les articles 1 à 26.
[9] Les appelants ont admis que la recherche juridique ne fait pas l'objet d'un article distinct et qu'elle est habituellement comprise dans le tarif global, c.-à-d. les articles 1 à 26. Or, la décision Geddes, précitée, envisage une indemnité supplémentaire aux termes de l'article 27 pour la recherche en général. La réclamation fondée sur cet article devrait être accordée lorsqu'une affaire nécessite une recherche juridique supplémentaire en raison, par exemple, des questions nouvelles soulevées au cours de l'instruction ou de l'appel ou, comme en l'espèce, pour compenser le travail extraordinaire effectué à cause de l'approche suivie par les intimés.
[10] Les appelants soutiennent que la réclamation au titre de l'article 27 relative au mémoire des faits et du droit touche à l'inopportunité en l'espèce de la limite de 1 430 $ imposée par le tarif relativement à l'article 19. Ils allèguent que la réclamation fondée sur l'article 27 qui vise les instructions données par l'avocate en droit fiscal est justifiée parce que cette dernière a été reconnue comme un expert dans ce domaine du droit. Ils affirment que le tarif, parce qu'il ne comporte aucun article pour la préparation de l'audition de l'appel comparable à l'article 13 (juridiction de première instance), les a incités à utiliser l'article 13 pour l'appel, puis à y ajouter une réclamation fondée sur l'article 27 pour refléter les frais extraordinaires occasionnés par l'approche des intimés. Dans l'arrêt TRW Inc., précité, à la page 462, la Cour a accordé une somme forfaitaire de 40 000 $ en raison du volume de travail effectué pour la préparation d'un appel, y compris la préparation de deux mémoires des faits et du droit. Suivant le régime des dépens actuel et mis à jour, l'officier taxateur doit jouir du pouvoir discrétionnaire de tenir compte de circonstances inhabituelles pour trouver une solution équitable et raisonnable.
[11] En ce qui concerne les quatre réclamations fondées sur l'article 27 (demandes de remboursements), les appelants invoquent la décision Coppley Noyes & Randall Ltd. c. Canada, [1993] A.C.F. no 1378 (O.T.), et d'autres précédents pour faire valoir que la date de l'introduction d'une action ne constitue pas de façon absolue la date à partir de laquelle les frais susceptibles d'indemnisation seront calculés. En outre, dans l'arrêt La Reine c. Carr, [1996] 2 C.F. 4, [1996] 2 C.T.C. 100, à la page 101 (C.A.F.), la Cour a conclu que, dans certaines circonstances, les frais engagés avant l'introduction de l'action sont taxables. Selon les appelants, ces demandes de remboursements, qui ont donné lieu à la décision susceptible de contrôle prise par les intimés, étaient nécessaires pour qu'ils aient qualité pour comparaître devant la Cour et pour que les réclamations au titre de l'article 27 visant les frais connexes tombent sous le coup de l'adjudication des dépens.
Taxation
[12] Je conviens avec les appelants que, d'une manière générale, le libellé de l'article 27 ne restreint pas le pouvoir discrétionnaire conféré à l'officier taxateur. En revanche, comme c'est le cas pour d'autres articles des mémoires des dépens, ce pouvoir est entravé par l'existence de motifs relevant de la nécessité raisonnable et des limites afférentes à l'adjudication des dépens. Conformément à l'article 3 des Règles et à l'opinion que j'ai exprimée dans la décision Feherguard Products Ltd. c. Rocky's of B.C. Leisure Ltd., [1995] 2 C.F. 20, [1994] A.C.F. no 2012 (O.T.), au paragraphe 10, selon laquelle « la meilleure manière de déterminer le montant des dépens consiste à adopter dans l'application des dispositions un point de vue positif et non étroit et négatif » , l'exercice du pouvoir discrétionnaire devrait faire partie d'un processus raisonné qui permet de régler la question de la taxation de façon équitable pour les deux parties. L'article 27 intéresse les services professionnels qui sont rendus par des avocats et qui ne sont pas déjà prévus aux articles 1 à 26. Les termes « autres services » qui se trouvent dans cette disposition sont manifestement employés au pluriel. J'en déduis qu'ils permettent de taxer, au titre d'une seule réclamation fondée sur l'article 27, des services distincts qui ne sont pas déjà prévus par les articles 1 à 26, et non qu'ils restreignent le regroupement de plusieurs services. En d'autres termes, l'article 27 peut être invoqué plus d'une fois.
[13] J'ai déjà accordé des dépens engagés avant l'introduction de l'instance : voir la décision Williams c. Canada (Ministre du Revenu national - MRN), [2001] A.C.F. no 249 (O.T.). En effet, le passage suivant de l'article 1 du tarif fait expressément état des frais antérieurs à l'introduction de l'instance : « Préparation [...] des actes introductifs d'instance » . Selon le principe qui sous-tend la taxation des dépens susceptibles d'indemnisation subis avant l'introduction de l'instance, ces frais doivent, en définitive, avoir été engagés antérieurement au litige visé par l'adjudication des dépens. En l'espèce, les décisions défavorables prises à l'égard des demandes de remboursements dans le cadre plus large du litige opposant les parties ont donné lieu à une décision susceptible de contrôle, mais on ne peut prétendre que cette situation a permis de faire avancer l'instance de la même façon que l'aurait fait, par exemple, l'évaluation qui est préparée par un expert avant l'introduction de l'action et qui, ultimement, se révèle pertinente à l'instruction. Autrement dit, pour être susceptibles d'indemnisation, les frais doivent à tout le moins avoir été engagés en vue d'aider la Cour, en sa qualité de juge des faits et des questions en litige, à résoudre le différend. Or, la décision défavorable qui fait jouer la compétence de la Cour de contrôler cette décision ne satisfait pas à ce critère. L'évaluation d'un expert préparée avant l'introduction de l'instance dans le cadre plus large du litige opposant les parties pourrait, mais pas nécessairement, remplir cette exigence. Je refuse les quatre réclamations relatives aux demandes de remboursements qui se fondent sur l'article 27. Pour des raisons analogues, la réclamation pour complexité globale fondée sur l'article 27 ne peut être accueillie puisqu'elle ne vise pas un service particulier fourni pour faire avancer l'instance.
[14] Le fait que les dépens en l'espèce sont adjugés à l'extrémité supérieure de la colonne V n'a aucune incidence sur les principes ordinaires qui s'appliquent aux dépens dans les présentes circonstances. Dans le passé, on a déjà invoqué devant moi qu'aucun article relatif aux services d'avocats comparable à l'article 13 (préparation de l'instruction ou de l'audience) applicable à la Cour fédérale n'est prévu pour la Cour d'appel fédérale puisque l'article 19 intéresse essentiellement la préparation de l'audition de l'appel. Selon moi, un avocat responsable aurait certainement l'obligation d'examiner le mémoire mentionné à l'article 19, tel qu'il est signifié et déposé, avant l'audition de l'appel, et d'éventuellement revoir les arguments qu'il se propose d'avancer, mais l'article 19 paraît plutôt avoir pour objet la divulgation du raisonnement que présentera chacune des parties : voir l'article 70 des Règles. À mon avis, cela suppose nécessairement la préparation de la cause. Je refuse la réclamation fondée sur l'article 27 dans la mesure où elle touche le mémoire des faits et du droit puisque la préparation de la cause est déjà prévue à l'article 19.
[15] Je refuse la réclamation au titre de l'article 27 qui porte sur les services de l'avocate en droit fiscal. L'article 409 des Règles autorise la prise en considération des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles lors de la taxation des dépens. Or, même si j'estimais qu'il s'agit de frais raisonnables dans les circonstances de l'espèce, la prestation de ces services relève des articles 1 à 26 et de leurs limites connexes touchant l'indemnité partielle. Il existe des situations dans lesquelles les débours afférents aux services d'un avocat supplémentaire peuvent être autorisés, mais la présente affaire n'en fait pas partie : voir les décisions Chua c. Canada (Ministre du Revenu national - MRN), [2002] A.C.F. no 209 (O.T.), et James L. Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al., 29 juillet 1999, T-1941-93 (O.T.).
Deuxième question en litige : Les termes « à l'extrémité supérieure » s'entendent-ils du nombre maximal d'unités prévu par la fourchette ou d'un nombre moindre?
Thèse des intimés
[16] Les intimés reconnaissent, lorsque la fourchette applicable à un article donné l'autorise, le bien-fondé de la valeur la plus élevée moins une unité et allèguent que, si elle avait voulu accorder les dépens selon la somme maximale prévue à la colonne V, la Cour l'aurait précisé sans équivoque, comme elle l'a fait dans la décision Boots c. Conseil des Mohawks d'Akwesasne, [2000] A.C.F. no 312 (O.T.).
Thèse des appelants
[17] Les appelants soutiennent que l'officier taxateur aurait été privé de son pouvoir discrétionnaire d'accorder des dépens moindres que la somme maximale si la Cour avait employé l'expression « le plus élevé » . La décision Boots, précitée, en constitue un exemple parfait. Si la Cour utilise des termes tels « plus élevé » ou « à l'extrémité supérieure » , le pouvoir discrétionnaire de l'officier taxateur est sauvegardé et englobe la possibilité d'accorder des indemnités suivant le nombre d'unités le plus élevé. Dans la présente affaire, il incombe aux appelants de montrer, selon la prépondérance des probabilités, que ce nombre d'unités est justifié.
Taxation
[18] L'adjudication de dépens formulée d'une façon restrictive, par opposition à celle prononcée sans termes limitatifs, entraîne nécessairement des différences comparatives dans la mesure où le permettent des fourchettes données, c.-à-d. par l'élimination de certains choix par ailleurs possibles. Je pense donc que l'analyse du terme « supérieur » est inutile parce que celui-ci implique nécessairement des différences comparatives. À mon sens, seul le mot « à » [ « towards » en anglais], dans le passage « à l'extrémité supérieure » [ « towards the high end » en anglais], est à l'origine de la question en litige en l'espèce. Le Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, cinquième édition, Oxford University Press, 2002, tome 2 · N-Z, page 3311, donne plusieurs définitions du terme « towards » , mais celles-ci ont toutes un point commun : il s'agit de quelque chose qui s'approche, mais sans l'englober, d'une chose ou d'une valeur. Le terme « à » [ « at » en anglais] fait quant à lui l'objet de diverses définitions figurant dans le tome 1 · A-M, pages 139 et 140. Les définitions pertinentes se trouvent à la page 140 : [traduction] « Position relative dans une série ou sur une échelle; degré, taux, valeur » et [traduction] « Définition d'un point particulier d'une série ou d'une échelle » . Si la Cour avait accordé des dépens fondés sur la colonne V sans employer de déterminants, il aurait alors été possible d'adjuger les dépens à n'importe quel nombre d'unités prévu par la fourchette applicable, y compris le plus élevé et le plus élevé moins une unité. Or, la Cour a utilisé des déterminants qui restreignent la portée de mon pouvoir discrétionnaire. Le passage « à l'extrémité supérieure » n'englobe pas la valeur de l'extrémité supérieure de la fourchette. J'accueille les divers articles tels qu'ils ont été admis, soit la plus haute valeur fixée par la fourchette moins une unité, dans la mesure du possible.
Troisième question en litige: Est-il possible de réclamer une somme supplémentaire au titre de l'article 13 pour la préparation de l'audition de l'appel?
Thèse des intimés
[19] Les intimés affirment que les appelants ne peuvent recourir à l'article 13 qu'une seule fois pour réclamer des dépens afférents à la préparation de l'instruction, mais cet article ne s'applique pas à la préparation de l'audition de l'appel et ne peut être invoqué à cette fin : voir la décision Datascope Canada Ltd. c. Datascope Corp., [1999] A.C.F. no 1608 (O.T.). De même, l'absence de circonstances exceptionnelles ou nouvelles empêche l'application de l'article 27 : voir la décision Geddes et al., précitée.
Thèse des appelants
[20] Les appelants invoquent les arguments qu'ils ont présentés relativement à l'article 27 et font en outre valoir que les honoraires afférents à la comparution visés par l'article 22 ne peuvent englober les honoraires de la préparation de l'audience puisque les deux heures réclamées à ce titre sont sans commune mesure avec le travail que requiert une préparation adéquate. L'absence d'un article relatif à la préparation de l'audition de l'appel et analogue à l'article 13 applicable à la préparation de l'instruction est une omission dans le tarif qui, dans l'intérêt de la justice, peut être contournée au moyen de l'article 27.
Taxation
[21] Conformément au raisonnement que j'ai suivi plus haut en ce qui touche les questions liées à l'article 27, je refuse cette réclamation.
Quatrième question en litige : Recherche dans Quick Law
Thèse des intimés
[22] Les intimés reconnaissent que les appelants ont à bon droit invoqué la décision que j'ai rendue dans l'affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CCFNC) c. Norsk Pacific Steamship Co., [1994] A.C.F. no 1293 (O.T.), pour réclamer la somme de 351 $, soit le montant des frais d'accès à la base de données de Quick Law. Cependant, les frais de 2 148,50 $ exigés par le cabinet d'avocats indépendant qui a effectué cette recherche juridique constitue une double indemnité parce que les articles 1 à 26 règlent déjà la question des honoraires de l'avocat inscrit au dossier afférents à la recherche juridique et que les honoraires d'avocats qui s'ajoutent à ceux autorisés par les articles 1 à 26 ne peuvent être réclamés à titre de débours : voir la décision Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1999] A.C.F. no 1770 (O.T.).
Thèse des appelants
[23] Les appelants avancent qu'il existe en l'espèce des circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation à la pratique habituelle énoncée dans la décision Asbjorn Hogard A/S c. Gibbs Nortac Industries Ltd., 3 novembre 1988, A-304-86 (O.T.), selon laquelle les honoraires d'avocat convenus avec ce dernier ne sont pas susceptibles de taxation dans le cadre de dépens partie-partie. Les appelants signalent que ce genre de frais ont été approuvés par la Cour dans l'arrêt IBM Canada Ltd. c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.F.), où des avocats américains avaient donné des opinions sur le droit des États-Unis, et dans la décision Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper Ltd., 36 A.W.C.S. (2d) 449 (C.F. 1re inst.), où des avocats américains ont été chargés d'obtenir des copies et d'organiser des interrogatoires. Les appelants soutiennent que l'avocate dont les services ont été retenus en l'espèce pour effectuer les recherches juridiques dans la base de données Quick Law est un expert dans son domaine et que son travail spécialisé - à savoir l'examen des questions de renonciations implicites par opposition aux renonciations par interprétation -, rendu nécessaire à cause des mesures prises par les intimés, ne constituait pas un dédoublement du travail accompli par l'avocat inscrit au dossier. Ils affirment qu'il y a lieu d'étendre les dépens admissibles au titre de la pratique de la recherche juridique informatisée, laquelle est approuvée dans les décisions CCFNC c. Norsk et Caricline Ventures Ltd., précitées, non seulement aux frais d'accès aux bases de données, mais également aux honoraires des avocats responsables d'organiser cet accès.
Taxation
[24] Je ne crois pas que cette réclamation réponde au critère préliminaire envisagé dans les décisions Chua c. Canada (Ministre du Revenu national - MRN) et James L. Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al., précitées. Ce service tombe sous le coup des articles 1 à 26. Je fais uniquement droit aux frais d'accès de 351,02 $.
Cinquième question en litige : Débours de 3 070,90 $ versés à un tiers, soit l'avocat remplaçant qui a procédé à l'instruction, afin de contester le présumé revirement des intimés, lors de l'appel, quant aux admissions faites devant le juge de première instance
Thèse des intimés
[25] Les intimés nient être revenus sur leurs admissions et allèguent que les motifs prononcés par la Cour d'appel fédérale ne signalent ni ne reconnaissent une telle conduite. Ils avancent que l'intégralité du contenu de leur mémoire des faits et du droit est étayée soit par les conclusions de fait tirées par le juge présidant l'instruction, soit par des déclarations faites sous serment et versées au dossier. Cette réclamation constitue un dédoublement des honoraires d'avocat déjà réclamés au titre de l'article 22 pour la comparution lors de l'audition de l'appel.
Thèse des appelants
[26] Les appelants soutiennent qu'il était raisonnable pour eux de retenir les services de ces avocats afin de contrer le présumé revirement des intimés. Selon eux, il ressort des décisions Keane c. Craig, [2001] O.J. no 2779 (C.S.J. Ont.), et Mullen c. Lockhart Motor Sales (Collingwood) Ltd., (1998) 31 C.P.C. (4th) 287 (C.S.J. Ont.), que ce genre de frais constituent des débours raisonnables pour les plaideurs qui se trouvent dans une situation comme celle en l'espèce. Les intimés ne devraient pas pouvoir éviter de payer les dépens qui découlent uniquement de leur conduite injustifiée.
Taxation
[27] Une partie des tâches confiées à l'avocate indépendante consistait à fournir des renseignements sur la nature et la portée précises des admissions. La Cour d'appel fédérale était saisie d'éléments de preuve permettant d'inférer l'existence du revirement allégué (à savoir si la renonciation doit ou non figurer sur une formule réglementaire). Pour faire face à ce présumé revirement, les appelants ont veillé à ce que l'avocate indépendante soit présente dans la salle d'audience pour jouer un rôle consultatif. Aucun élément ne laisse penser que le revirement allégué a influé sur la décision de la Cour de ne pas adjuger les dépens habituels en conformité avec la colonne III, contrairement aux dispositions de l'article 407 des Règles. Je doute que la Cour aurait autorisé l'avocat consultant à parler. Rien ne permet de croire qu'une demande visant le dépôt d'éléments de preuve supplémentaires au dossier sera présentée. Les demandes de ce genre ne sont pas souvent accueillies. Ces points n'intéressaient pas la question de la renonciation et la Cour n'était pas tenue de les examiner. Elle n'a d'ailleurs fait aucune remarque incidente à leur sujet. J'arrive à la conclusion que ces dépenses sont tout simplement dénuées d'un lien de connexité suffisant avec l'issue de l'instance et je les refuse intégralement. À mon sens, l'article 27 n'est pas une solution de rechange appropriée dans les circonstances.
Dépens liés à la taxation et intérêt
[28] Les appelants réclament le nombre d'unités minimal prévu à l'article 26 si la taxation n'est pas contestée. Dans le cas contraire, ils demandent le nombre d'unités maximal et signalent que les intimés ne s'opposent pas à cette demande. Les appelants reconnaissent les préoccupations des intimés touchant le taux d'intérêt et consentent à ce que la Judgment Interest Act de l'Alberta s'applique à cet égard.
[29] J'accorde 9 unités au titre de l'article 26 (soit une unité de moins que le nombre maximal prévu par la fourchette applicable). Le mémoire des dépens des appelants, qui a été présenté à 27 231,00 $, est taxé et accueilli à 14 596,72 $ avec intérêt conformément à la Judgment Interest Act de l'Alberta à partir du 24 octobre 2002 jusqu'à la date du paiement.
« Charles E. Stinson »
Officier taxateur
Vancouver (C.-B.)
Le 17 octobre 2003
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-176-01
INTITULÉ : JOHN MITCHELL et al.
c.
SA MAJESTÉ LA REINE et al.
TAXATION DES DÉPENS FAITE PAR ÉCRIT SANS LA COMPARUTION DES PARTIES.
MOTIFS DE LA TAXATION : CHARLES E. STINSON
DATE DES MOTIFS : Le 17 octobre 2003
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nichols & Company Edmonton (Alberta)
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POUR LES APPELANTS
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Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LES INTIMÉS |
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