Date : 20010326
Dossier : A-153-99
TORONTO (ONTARIO), le 26 MARS 2001
EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN
MADAME LE JUGE SHARLOW
MONSIEUR LE JUGE MALONE
ENTRE :
WAWANG FOREST PRODUCTS LTD
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
_________________________________________________________________
Dossier : A-154-99
ENTRE :
NERAK CONTRACTORS INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
JUGEMENT
Les appels sont accueillis avec dépens. La décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt est annulée, et les nouvelles cotisations contestées en appel doivent être renvoyées au Ministre pour qu'il établisse une autre cotisation en tenant pour acquis que les retenues étaient déductibles au cours des années demandées.
Marshall Rothstein
J.A.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
Date : 20010326
Dossier : A-153-99
Référence neutre : 2001 CAF 80
CORAM: LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
ENTRE :
WAWANG FOREST PRODUCTS LTD
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
_________________________________________________________________
Dossier : A-154-99
ENTRE :
NERAK CONTRACTORS INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Appels entendus à Toronto (Ontario), le 12 mars 2001
JUGEMENT rendu à Toronto (Ontario), le 26 mars 2001
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE MALONE
Date: 20010326
Dossier : A-153-99
Référence neutre : 2001 CAF 80
CORAM: LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
ENTRE :
WAWANG FOREST PRODUCTS LTD
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
_________________________________________________________________
Dossier : A-154-99
ENTRE :
NERAK CONTRACTORS INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
_________________________________________________________________
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE SHARLOW
[1] Il s'agit, dans le présent appel, de déterminer si Wawang Forest Products Ltd. et Nerak Contractors Inc. ont le droit de déduire, dans le calcul de leurs revenus pour une année donnée, le coût total du travail exécuté par leurs sous-traitants pendant l'année. La Couronne est d'avis que la fraction du paiement contractuel retenue au titre d'une provision contre les entrepreneurs qui font défaut de remplir les obligations leur incombant en vertu des loi sur les accidents du travail, est une déduction admissible seulement lorsqu'elle est payée ou exigée. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les retenues n'étaient pas des déductions permises au cours des années pour lesquelles elles ont été demandées : Wawang Forest Products Ltd. c. La Reine, [1999] 2 C.T.C. 2966, 99 D.T.C. 759 (C.C.I.). Les contribuables ont porté cette décision en appel.
[2] Les dispositions législatives pertinentes en matière d'accidents du travail se trouvent aux paragraphes 11(3) et (4) de la Loi sur les accidents du travail, L.R.O. (1990), ch. W-11, rédigés comme suit :
11(3) Si une personne, appelée l'entrepreneur principal dans le présent paragraphe et le paragraphe (4) [...] signe un contrat avec une autre personne, appelée l'entrepreneur dans le présent article, pour l'exécution, par l'entrepreneur ou sous sa direction, de la totalité ou d'une partie d'un travail pour le compte de l'entrepreneur principal, il incombe à ce dernier de veiller à ce que toute somme que l'entrepreneur ou un sous-traitant est tenu de verser à la caisse des accidents soit versée. L'entrepreneur principal qui néglige de le faire est personnellement tenu de payer cette somme à la Commission. Cette dernière possède, pour ce qui est de l'exécution du paiement, des pouvoirs et des recours qui sont identiques à ceux qu'elle possède relativement au paiement d'une cotisation. |
11(3) Where a person [...], in this subsection and in subsection (4) referred to as the principal, contracts with any other person, in this section referred to as the contractor, for the execution by or under the contractor of the whole or any part of any work for the principal, it is the duty of the principal to see that any sum that the contractor or any subcontractor is liable to contribute to the accident fund is paid, and if [sic] any such principal who fails to do so is personally liable to pay it to the Board, and the Board has the like powers and is entitled to the like remedies for enforcing payment as it possesses or is entitled to in respect of an assessment. |
|
11(4) L'entrepreneur principal qui est tenu de faire un paiement à la Commission en vertu du paragraphe (3) a le droit d'être indemnisé par le personne qui aurait dû faire ce paiement et il a le droit de retenir, sur la somme due à cette personne, un montant suffisant correspondant à cette dette. La Commission règle les différends relatifs au droit à cette indemnité et à son montant. |
11(4) A principal who is liable to make payment to the Board under subsection (3) is entitled to be indemnified by any person who should have made such payment and is entitled to withhold out of any indebtedness due to such person a sufficient amount to answer the same, and all questions as to the right to and the amount of any such indemnity shall be determined by the Board. |
|
[3] Ces dispositions étaient en vigueur au cours de la plupart des années visées par l'appel. Des dispositions essentiellement similaires figuraient aux paragraphes 9(3) et (4) de la Loi sur les accidents du travail, L.R.O. (1980), ch. 539, soit la version antérieure.
[4] Nul ne conteste que les contribuables ont, pour l'année pendant laquelle les sous-traitants ont exécuté le travail, respecté les principes comptables ordinaires lorsqu'elles ont déduit les retenues dans le calcul de leurs revenus, sans égard à la date du paiement. Personne n'a fait observer que le fait de déduire les retenues cette année-là donnerait une fausse image du revenu annuel des contribuables, ni que le revenu serait représenté plus fidèlement si les retenues étaient déduites au cours d'une année subséquente, au moment où leur paiement a été effectué. Partant, la déduction des retenues est admissible au cours des années demandées, à moins d'une disposition contraire de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), ou de sa version antérieure, ou d'un principe de droit fiscal : Canderel Limitée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, [1998] 2 C.T.C. 35, 98 D.T.C. 6100 (C.S.C.).
[5] Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que l'alinéa 18(1)a), ou subsidiairement l'alinéa 18(1)e), de la Loi de l'impôt sur le revenu rendait la déduction des retenues inadmissible avant l'année où le paiement est effectué. Les alinéas 18(1)a) et e) sont rédigés comme suit :
18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles : |
18(1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of |
|
a) les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien; |
(a) an outlay or expense except to the extent that it was made or incurred by the taxpayer for the purpose of gaining or producing income from the business or property; |
|
[...] |
[...] |
|
e) un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie; [...] |
||
[6] Pour les deux contribuables, les années d'imposition visées par l'appel sont 1988, 1990 et 1991. Pour la société Wawang, 1987 est également une année visée. Une version légèrement différente de l'alinéa 18(1)e) était en vigueur en 1987, mais la différence n'est pas significative eu égard aux questions soulevées en l'espèce.
[7] L'alinéa 18(1)a) assujettit la déductibilité d'un montant dans le calcul du revenu d'une entreprise ou d'un bien au critère du but visé. La Couronne ne soutient pas qu'en l'espèce ce critère n'est pas respecté. Elle considère plutôt l'alinéa 18(1)a) comme une disposition qui empêche de déduire un montant qui ne saurait à bon droit être qualifié de « dépense effectuée » . C'est ainsi que la Cour a appliqué à l'alinéa 18(1)a) (voir, par exemple, La Reine c. Burnco Industries Ltd., [1984] 2 C.F. 218, [1984] C.T.C. 337, 84 D.T.C. 6348 (C.A.F.)).
[8] Exposant les raisons qui l'ont amené à conclure qu'il y avait lieu d'appliquer l'alinéa 18(1)a) en l'espèce, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est exprimé ainsi au paragraphe 12 de ses motifs :
Avant de recevoir tout le montant qui lui était dû par l'exécution d'un contrat, l'entrepreneur devait d'abord remplir la condition préalable de fournir aux appelantes une attestation de paiement émanant de la CAT. Cela relève du droit élémentaire des contrats. [ . . . ] Tant qu'elles n'avaient pas reçu des attestations de paiement, les appelantes n'avaient aucune obligation de payer les retenues dans les années pour lesquelles elles ont cherché à les déduire.
et ainsi au paragraphe 20 :
[ . . . ] des montants ne peuvent être déduits à titre de dépenses que s'ils sont dus. Ils deviennent des dépenses dans l'année où ils sont dus. Par exemple, le loyer qui est dû mais qui n'est payable qu'en 1999 n'est pas une dépense qui est déductible dans l'année d'imposition 1998.
[9] Avec égards, je suis d'avis que ces observations révèlent une incompréhension du sens du terme « effectuées » dans le contexte de l'alinéa 18(1)a). De façon générale, le contribuable effectue une dépense lorsqu'il a l'obligation juridique de payer une somme d'argent. Dans la majorité des cas, l'obligation juridique naît de l'exécution des obligations contractuelles auxquelles le paiement se rattache. Il n'est pas important de savoir si le paiement de l'obligation est exigible à ce moment précis ou dans une année subséquente. Par exemple, la plupart du temps, l'obligation de payer le loyer est une dépense effectuée dans l'année où le locataire a le droit d'occuper les lieux loués, peu importe si le contrat de location stipule que le paiement du loyer est dû en cours d'année ou à une date ultérieure.
[10] Au paragraphe 12 de ses motifs, le juge de la Cour canadienne de l'impôt conclut que, du point de vue de l'interprétation des contrats, il n'existait pas en l'espèce d'obligation de payer les retenues tant que les attestations de paiement n'étaient pas fournies. En d'autres termes, les retenues sont une obligation éventuelle jusqu'au moment où les attestations de paiement sont fournies. Or, s'il en était ainsi les retenues ne pouvaient être déduites pour l'année pendant laquelle le travail a été exécuté, sauf si des attestations de paiement étaient également fournies pour l'année en question. La déduction pourrait ne pas être accordée pour cette année-là en vertu de l'alinéa 18(1)e), qui interdit la déduction des éventualités, ou encore suivant l'alinéa 18(1)a), parce que une obligation éventuelle ne peut correspondre à une dépense « effectuée » au sens de l'alinéa 18(1)a) avant que l'éventualité ne survienne. La question, dans ce cas, est de savoir si les retenues étaient des obligations éventuelles qui incombaient aux contribuables après l'exécution du travail prévu au contrat.
[11] Pour décider si une obligation est éventuelle, on applique le critère généralement reconnu énoncé dans la désicion Winter and Others (Executors of Sir Arthur Munro Sutherland (deceased)) v. Inland Revenue Commissioners, [1963] A.C. 235 (H.L.), où lord Guest s'est exprimé en ces termes (à la page 262) :
[TRADUCTION] Il convient de préciser qu'une éventualité est un événement qui peut se produire ou ne pas se produire et une obligation éventuelle est une obligation dont l'existence dépend d'un événement qui peut se produire ou ne pas se produire.
[12] De nombreuses décisions en matière fiscale, émanant de notre Cour et d'autres tribunaux, reposent sur la même interprétation du terme « éventualité » , notamment Harlequin Enterprises Limited c. La Reine, [1977] 2 C.F. 579, [1974] C.T.C. 838, 74 D.T.C. 6634 (C.A.F.), Mandel c. La Reine, [1979] 1 C.F. 560, [1978] C.T.C. 780, 78 D.T.C. 6518 (C.A.F.), Perini Estate c. Canada, (1982), 40 N.R. 74, [1982] C.T.C. 74, 82 D.T.C. 6080 (C.A.F.), et Canadian Pacific Limited v. Ontario (Minister of Revenue), [1998] 41 O.R. (3d) 606, 114 C.A.O. 217, [2000] C.T.C. 331, 99 D.T.C. 5286 (C.A. Ont.).
[13] Certaines remarques incidentes faites dans la décision Samuel F. Investments Limited c. M.N.R., [1998] 1 C.T.C. 2181, 88 D.T.C. 1106 (C.C.I.), citée en l'espèce par l'avocat de la Couronne, ont jeté la confusion à l'égard du critère énoncé dans la décision Winter. Dans l'affaire Samuel F. Investments, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est appuyé sur la décision Winter pour conclure à l'existence d'une certaine obligation éventuelle. À mon avis, il est arrivé à la conclusion appropriée selon les faits. Toutefois, dans les motifs de sa décision il s'est exprimé comme suit :
Si je comprends bien, l'obligation de payer est éventuelle si ses modalités d'être comprennent des incertitudes à l'égard d'un de ces trois points : 1) savoir si le paiement sera effectué; 2) le montant à payer; ou 3) le moment où sera effectué le paiement.
[14] Ce n'est pas une erreur de dire que ces trois incertitudes peuvent représenter des indices d'obligations éventuelles dans certaines circonstances. Toutefois, la Couronne soutient en l'espèce que la présence de ces trois incertitudes constitue le nouveau critère qui permet de décider si une obligation est éventuelle. Pour étayer sa position, l'avocat de la Couronne cite la décision Barbican Properties Inc. c. Canada, [1996] 2 C.T.C. 2615, 97 D.T.C. 122 (C.C.I.), confirmé par [1997] 1 C.T.C. 2383, 97 D.T.C. 5008 (C.A.F.). À mon avis, cette affaire n'offre aucun appui à la thèse de la Couronne. Dans l'affaire Barbican, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a effectivement repris les trois incertitudes énumérées dans Samuel F. Investments, mais seulement après avoir déjà conclu que l'obligation en question était éventuelle puisque son existence était subordonnée à la survenance d'un événement éventuel. En d'autres termes, les obligations dans l'affaire Barbican étaient éventuelles selon la définition énoncée dans la décision Winter, et elles réunissaient les trois incertitudes précisées dans la décision Samuel F. Investments. Notre Cour a souscrit aux motifs du juge. Toutefois, il m'est impossible d'admettre que le juge de la Cour canadienne de l'impôt ou que notre Cour aient eu l'intention de remplacer le critère énoncé dans la décision Winter par un autre qui trouverait son fondement dans la décision Samuel F. Investments.
[15] Les « trois incertitudes » énumérées dans Samuel F. Investments ne permettent pas à elles seules d'établir si une obligation est éventuelle. Par exemple, dans le cas d'une incertitude se rapportant à un paiement, un contribuable peut contracter une obligation alors qu'il éprouve des difficultés financières, ce qui implique un risque important de défaut de paiement. Toutefois, cette incertitude ne peut signifier que l'obligation n'a jamais été contractée. De même, l'obligation de payer une certaine somme ne devient pas une obligation éventuelle simplement à cause d'événements qui peuvent se produire et qui auraient pour effet de réduire la valeur de l'obligation (voir, par exemple, la décision Canadian Pacific, précitée). L'obligation juridique de payer une somme ne devient pas non plus une obligation éventuelle du seul fait que certaines circonstances permettent d'en reporter le paiement, ou du fait qu'aucune date de paiement ne soit stipulée. Les parties ont le loisir d'invoquer le principe ordinaire de droit contractuel selon lequel le paiement de services doit être effectué dans un délai raisonnable.
[16] Pour revenir maintenant au critère énoncé dans la décision Winter, la question qu'il faut se poser, pour décider du caractère éventuel ou non d'une obligation juridique à un moment précis, est de savoir si l'obligation juridique existe à ce moment précis ou si elle ne naîtra qu'au moment où surviendra un événement, qui pourrait ne pas se produire. Par exemple, la décision Winter établit que lorsque le produit de la vente d'un actif est imposable, l'obligation de payer l'impôt est une obligation éventuelle tant que l'actif n'est pas vendu. L'obligation de payer un montant équivalent à un pourcentage des revenus gagnés est une obligation éventuelle tant que les revenus ne sont pas gagnés (Mandel, précité). L'obligation de payer une gratification aux cadres si les fonds sont disponibles est une obligation éventuelle tant que les fonds ne sont pas disponibles (La Reine c. Ken and Ray's Collins Bay Supermarket, [1975] C.T.C. 504, 75 D.T.C. 5346 (C.F. 1re inst.), décision confirmée sans motifs écrits (C.A.F.), demande de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée : [1978] 1 R.C.S. ix).
[17] Il ne reste plus qu'à appliquer aux faits de l'espèce le principe énoncé dans la décision Winter. Les faits ne sont pas contestés. Les entrepreneurs Wawang ont été embauchés pour faire la coupe, l'ébranchage et le débardage de grumes. Leur contrat prévoyait qu'ils seraient rémunérés à la quinzaine sur la base du prix convenu par corde. Les entrepreneurs Nerak ont été embauchés pour transporter le bois entre les sites d'exploitation forestière et les scieries. Ils devaient être rémunérés à la quinzaine sur la base d'un prix convenu par tonne métrique de bois livré.
[18] Le volume de bois coupé ou livré était établi par des mesureurs indépendants qui devaient fournir un bordereau de mesurage. Selon l'usage établi, le bordereau rempli faisait preuve des travaux exécutés. Dès l'instant où les bordereaux étaient présentés aux contribuables, le travail des entrepreneurs était considéré comme exécuté.
[19] Les contribuables avaient le droit contractuel de tenir les entrepreneurs responsables de toute amende perçue par le ministère des Richesses naturelles pour atteinte résultant de la négligence des entrepreneurs, et d'opérer compensation avec tous montants dus aux entrepreneurs.
[20] Les contribuables savaient que si elles payaient intégralement un entrepreneur dès la fin des travaux, il était possible qu'elles apprennent plus tard que l'entrepreneur avait fait défaut de payer les cotisations relatives à l'indemnisation en matière d'accidents du travail. Dans ce cas, il n'est pas impossible que les contribuables soient forcées de remédier au défaut de l'entrepreneur et qu'il ne leur reste qu'un droit de recours sans garantie contre l'entrepreneur.
[21] Il aurait été possible de résoudre ce problème de diverses façons. La solution privilégiée par les parties a été de reporter le paiement d'un montant suffisant pour couvrir les obligations de l'entrepreneur au chapitre des accidents du travail, aussi longtemps que subsistait le risque d'avoir à faire un paiement non garanti et partant irrécouvrable à la Commission des accidents du travail. À ces fins, des clauses spéciales ont été prévues aux contrats. En voici une illustration :
[TRADUCTION] L'ENTREPRENEUR s'engage à se conformer aux dispositions de la Loi sur les accidents du travail de l'Ontario et à garder son compte en règle pendant la durée de la présente convention, ainsi qu'à fournir à la SOCIÉTÉ le numéro du compte qu'il détient à la Commission des accidents du travail. L'ENTREPRENEUR s'engage à fournir à la SOCIÉTÉ, sur une base permanente, et même pendant toute période au cours de laquelle les seuls employés de L'ENTREPRENEUR sont ses propres dirigeants, une confirmation provenant de la Commission, soit au moyen des attestations de paiement qui confirment que le compte de L'ENTREPRENEUR est en règle, soit au moyen de documents attestant que les dirigeants sont exonérés de cotisations et que la comptabilité de l'ENTREPRENEUR ne démontre pas de rémunération cotisable.
La SOCIÉTÉ s'engage à retenir 0,50 $ par tonne métrique à titre de garantie accordée à la SOCIÉTÉ à l'encontre d'une dette due à la Commission sur les accidents du travail en vertu de l'article 9 de la Loi, ou de toute autre disposition. Sur réception d'une attestation de paiement valide ou sur réception des confirmations mentionnées précédemment, lesquelles doivent provenir de la Commission, la SOCIÉTÉ remettra les retenues à l'ENTREPRENEUR.
S'il arrivait que l'ENTREPRENEUR ne soit plus en règle avec la Commission, ou s'il faisait défaut de fournir les attestations de paiement dont il est fait mention dans la présente convention, la SOCIÉTÉ serait par les présentes en droit de payer à la Commission les sommes retenues, en tout ou en partie, au titre d'une dette que la Commission réclame à L'ENTREPRENEUR.
[22] Le montant de la retenue était établi en fonction de la partie du coût estimé au contrat pour la main-d'oeuvre, ce qui était reconnu comme un fondement raisonnable pour estimer les obligations des entrepreneurs à l'égard des cotisations au régime des accidents du travail.
[23] D'autres contrats comportaient également le même genre de clauses. Parfois, le montant de la retenue correspondait à un montant supplémentaire à payer pour chaque tonne métrique ou corde de bois, selon le cas, la procédure de retenue s'appliquant seulement à ce montant supplémentaire. À mon avis, les différences dans les clauses de retenue aux divers contrats n'ont pas d'importance eu égard aux questions en litige dans le présent appel.
[24] Dans le cours normal des activités, approximativement 90% des retenues étaient payées dans l'année même où les travaux étaient exécutés. L'autre 10% était inscrit à titre de passif à la fin de l'exercice. La preuve démontre que, à compter de 1994, entre 1% et 5% des retenues effectuées pour les années visées par l'appel n'avaient pas été payées. Certaines de ces sommes étaient restées impayées pendant une longue période à cause d'un différend avec la Commission des accidents du travail qui n'a été résolu qu'en 1995. Dans d'autres cas, les entrepreneurs avaient cessé leurs activités pour diverses raisons et ils n'avaient pas réclamé les sommes en cause.
[25] La qualification des retenues comme obligation absolue ou obligation éventuelle des contribuables dépend de l'interprétation des termes des contrats. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que les clauses relatives aux retenues reportaient la naissance de toute obligation de payer les retenues aux entrepreneurs, jusqu'au moment où ceux-ci fournissaient les attestations de paiement prouvant qu'ils s'étaient conformés à la Loi sur les accidents du travail. Il s'agissait donc d'une éventualité puisqu'il était impossible d'affirmer avec certitude que la preuve serait fournie.
[26] Pour soutenir son interprétation, le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est appuyé sur la jurisprudence en matière de retenues effectuées dans le domaine de la construction, dont la décision de principe est J.L. Guay Ltée c. Le Ministre du Revenu national, [1971] C.F. 237, (1971) 6 N.R. 553, [1971] C.T.C. 686, 71 D.T.C. 5423 (C.F. 1re inst.). La décision Guay concernait des contrats de construction à long terme, dans lesquels des clauses stipulaient que l'entrepreneur principal devait verser des paiements provisoires aux sous-traitants. Pour chaque période, le sous-traitant présentait une facture comportant une estimation du travail exécuté au cours de la période. Les contrats de sous-traitance exigeaient le paiement du montant facturé moins le pourcentage de retenue qui devenait exigible uniquement lorsqu'un architecte attestait que le travail, décrit dans la facture, avait été exécuté de façon satisfaisante. Et malgré cela, les montants n'étaient plus exigibles si l'entrepreneur avait recours à une demande reconventionnelle pour dommages-intérêts. Le juge en chef adjoint Noël de la Section de première instance de la Cour fédérale a jugé que les retenues ne pouvaient être déduites. Sa décision a été confirmée d'abord par la Cour d'appel fédérale, [1972] C.F. 1441, (1972) 6 N.R. 552, [1973] C.T.C. 506, 73 D.T.C. 5373 (C.A.F.), et ensuite par la Cour suprême du Canada sans motifs écrits : (1975) 6 N.R. 550, [1975] C.T.C. 97, 75 D.T.C. 5094 (C.S.C.).
[27] Le juge de la Cour canadienne de l'impôt semble avoir conclu que les attestations de paiement en l'espèce étaient similaires aux attestations de l'architecte dans la décision Guay. À mon avis, l'analogie n'est pas adéquate. Dans la décision Guay, l'attestation de l'architecte servait à prouver que le travail avait été exécuté de manière satisfaisante. En l'espèce, cette preuve est établie par les bordereaux de mesurage et non pas par les attestations de paiement. Les attestations de paiement fournissent seulement la preuve que les entrepreneurs ont payé leurs cotisations à la Commission des accidents du travail, ce qui signifie que les contribuables n'ont plus besoin des retenues à titre de garantie puisqu'elles ne risquent plus d'être tenues indirectement responsables des obligations des entrepreneurs au titre des accidents du travail.
[28] Il est possible de faire la même distinction entre l'affaire qui nous occupe et Newfoundland Light & Power Co. Ltd. c. Canada (1990), 106 N.R. 139, [1990] 1 C.T.C. 229, 90 D.T.C. 6166 (C.A.F.). La question en litige dans l'affaire Newfoundland Light & Power portait sur l'année au cours de laquelle des paiements aux termes d'un contrat de construction pouvaient être admissibles aux fins de l'impôt sur le revenu, que ce soit à titre de partie du coût en capital afférent à la construction aux fins de la déduction pour amortissement, ou à titre de charges à déduire. Les paiements exigibles aux termes du contrat étaient assujettis à une retenue de 10% « tant que les travaux n'avaient pas été en majeure partie exécutés à la satisfaction de l'ingénieur et tant que l'entrepreneur n'avait pas réglé toutes les sommes dues à des tiers relativement à l'exploitation de son entreprise ou de l'entreprise de quelque sous-traitant, de leurs employés ou leurs représentants » .
[29] Les trois juges de la Cour sont arrivés à des conclusions unanimes dans l'arrêt Newfoundland Light & Power, mais ils ont chacun rédigé des motifs. Les juges Hugessen et Pratte ont conclu que le principe énoncé dans la décision Guay s'appliquait et que les retenues ne pouvaient être considérées comme faisant partie du coût des biens ni être déduites à titre de dépenses, avant que l'ingénieur ait attesté que le travail avait été exécuté de manière satisfaisante. Pour les raisons qui ressortiront des propos tenus précédemment au sujet de la décision Guay, j'estime que la décision majoritaire dans l'arrêt Newfoundland Light & Power ne suffit pas à régler la question soulevée en l'espèce.
[30] Le juge Desjardins a ajouté, dans des remarques incidentes, que les montants ne pouvaient être admissibles aux fins de l'impôt en l'absence de preuve que les réclamations de tiers avaient été réglées puisque, avant l'obtention de cette preuve, la valeur de l'obligation demeurait aléatoire. Elle s'est également appuyée sur le fait qu'une partie du montant réclamé n'avait pas été acquittée. Avec égards, je ne peux admettre ces commentaires. À mon avis, il peut y avoir une obligation juridique de payer une somme même s'il existe un risque quelconque que s'opère compensation avec d'éventuelles demandes reconventionnelles. De la même manière, le fait qu'une dette demeure impayée ne signifie pas qu'elle n'a jamais existé. Pour ces motifs, je rejette l'argument de la Couronne en l'espèce voulant que le droit contractuel des contribuables d'opérer compensation pour atteinte directe, ou le fait que certaines des retenues demeuraient impayées en 1994, constitue la preuve que les retenues étaient des obligations éventuelles pendant les années visées par l'appel.
[31] La Couronne se fonde également sur l'arrêt Northwood Pulp and Timber Limited c. Canada (1998), 233 N.R. 196, [1999] 1 C.T.C. 53, 98 D.T.C. 6640 (C.A.F.). La question en litige dans cette affaire était de savoir si un contribuable, que la loi obligeait à exécuter certains travaux de sylviculture, pouvait ajouter le coût estimé pour l'exécution du travail au coût de son inventaire de grumes récoltées avant que le travail soit exécuté ou même avant qu'il fasse l'objet d'un contrat. La Cour a jugé que le coût de la sylviculture ne correspondait pas au coût des stocks mais plutôt à une dépense courante, et qu'à ce titre il n'était pas possible d'effectuer une dépense avant l'exécution du travail. Cette affaire est fort différente de l'espèce puisque les montants qu'on cherche à déduire pour chaque année constituent la contrepartie du travail effectivement exécuté au cours de ces mêmes années.
[32] Avec égards, je suis d'avis que la jurisprudence sur laquelle s'est reposé le juge de la Cour canadienne de l'impôt ne soutient pas l'interprétation qu'il donne aux contrats. Je conviens avec l'avocat des contribuables que l'interprétation juste veut que le prix convenu devienne une obligation absolue qui incombe aux contribuables dès que les entrepreneurs ont exécuté leur travail, comme l'attestent les bordereaux de mesurage.
[33] Les clauses relatives aux retenues, telles que rédigées, s'appliquent seulement après la naissance de cette obligation. Elles donnent aux contribuables une certaine garantie contre le risque de se voir imputer la responsabilité indirecte des obligations des entrepreneurs en vertu des lois sur les accidents du travail. Ces clauses contractuelles sont conformes au paragraphe 11(4) de la Loi sur les accidents du travail, lequel dispose que l'entrepreneur principal a le droit d'effectuer une retenue « sur la somme due » . Les retenues constituent ainsi des sommes dues aux entrepreneurs et les contribuables ont l'obligation continue de payer les retenues même si, tant et aussi longtemps qu'une attestation de paiement n'est pas fournie, elles peuvent choisir de les payer soit aux entrepreneurs soit à la Commission des accidents du travail pour le compte des entrepreneurs. Tant qu'un paiement n'est pas effectué par l'un de ces moyens (ou encore par compensation en cas d'amende pour atteinte directe), l'obligation n'est pas éteinte.
[34] Pour ces motifs, j'accueillerais les appels avec dépens, j'annulerais la décision du juge de la Cour canadienne de l'impôt, et j'ordonnerais que les nouvelles cotisations contestées en appel soient renvoyées au Ministre pour qu'il établisse une autre cotisation en tenant pour acquis que les retenues étaient déductibles au cours des années demandées.
Karen R. Sharlow
J.A.
« Je souscris à ces motifs
Marshall Rothstein, J.A. »
« Je souscris à ces motifs
Brian Malone, J.A. »
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : A-153-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : WAWANG FOREST PRODUCTS LTD
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
DOSSIER : A-154-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : NERAK CONTRACTORS INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
DATE DE L'AUDIENCE : LE LUNDI 12 MARS 2001
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : MADAME LE JUGE SHARLOW, J.C.A.
ONT COMPARU: T. Nigel Campbell
Christopher Hersh
Pour l'appelante
Eric Noble
Pour l'intimée
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER: Blake, Cassels & Graydon, s.a.r.l.
Avocats et conseillers juridiques
Commerce Court West
2800-199 Bay St.
Boîte postale 25
Toronto (Ontario)
M5L 1A9
Pour l'appelante
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Pour l'intimée
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
Date : 20010326
Dossier : A-153-99
ENTRE :
WAWANG FOREST PRODUCTS LTD
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Dossier : A-154-99
NERAK CONTRACTORS INC.
appelante
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT