Date : 20031223
Dossier : A-315-02
Référence : 2003 CAF 489
CORAM : LE JUGE DÉCARY
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JACQUES CARLE
défendeur
Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 septembre 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DÉCARY
Y A ONT SOUSCRIT : LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
Date : 20031223
Dossier : A-315-02
Référence : 2003 CAF 489
CORAM : LE JUGE DÉCARY
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
JACQUES CARLE
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Par ordonnance rendue le 24 septembre 2002, cette Cour prescrivait la tenue d'une instruction conjointe dans ce dossier (Carle, A-315-02) et dans les dossiers Casaubon (A-314-02), Lampron (A-316-02), Trahan (A-317-02), Lapointe (A-318-02), Bellemare (A-319-02), Lévesque (A-320-02) et Gélinas (A-321-02). L'ordonnance prévoyait également que les motifs de l'ordonnance rendue dans ce dossier s'appliqueraient mutatis mutandis aux autres dossiers.
[2] À l'audience, il a été convenu qu'en raison du décès de M. Lapointe, il y avait eu défalcation dans le dossier A-318-02 et qu'en conséquence la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée dans ce dossier pour le motif que la question était devenue théorique.
[3] Il a également été convenu à l'audience que certaines des questions en litige ne se soulevaient pas dans certains des dossiers. J'en tiendrai compte lors de l'examen de chaque question et dans la formulation du jugement qui disposera de chacun des dossiers.
[4] Il y a chevauchement entre des années sujettes à la Loi sur l'assurance-chômage et d'autres sujettes à la Loi sur l'assurance-emploi. Comme ce chevauchement est sans conséquence sur les questions en litige, je ne me référerai, le cas échéant, qu'à la Loi sur l'assurance-emploi. Je me référerai, par ailleurs, à la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission), laquelle a remplacé, le 12 juillet 1996, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada.
Les faits
[5] Les faits pertinents se réduisent à peu de choses. Je décrirai ici ceux qu'on retrouve dans le dossier Carle.
[6] M. Carle, un chauffeur de camion, demande des prestations relatives à un emploi qu'il avait exercé au cours des années 1994, 1995 et 1996. (J'ignore, pour les fins de cette demande, l'année 1993, qui n'est pas en litige.) Sur chacune de ses demandes, il indique qu'il a cessé de travailler en raison d'un manque de travail. Il remet également à la Commission des relevés d'emploi émis par son employeur, lesquels relevés confirment ses déclarations. La Commission établit dès lors trois périodes de prestations en calculant pour chacune le taux auquel M. Carle avait droit.
[7] Le 14 mai 1997, après avoir appris qu'un système de banque d'heures prévalait chez l'employeur, la Commission demande au ministre du Revenu national (le Ministre) de se prononcer sur la rémunération assurable de M. Carle et sur son nombre de semaines d'emploi assurable. En vertu de ce système de banque d'heures, le prestataire et l'employeur fournissaient des relevés d'emploi falsifiés, ces relevés ne reflétant pas les heures réellement travaillées non plus que les semaines pendant lesquelles le travail avait été réellement effectué. Voici, par exemple, comment ce système était utilisé par M. Carle, selon les résultats de l'enquête menée à son sujet :
[...] Il est en emploi chez le payeur depuis 22 ans et il n'a aucun registre des heures faites dans les années 1994, 1995, 1996. Il n'a aucune explication à fournir sur le fait qu'il ait des paies de 44 heures dans les semaines où il n'a fait aucune livraison de béton, ni sur le fait qu'il y ait dans ces 3 années beaucoup de journées où il a fait des livraisons et pas de paie émise. Il admet qu'il y avait du temps accumulé mais n'a aucun registre permettant de retracer les heures réellement faites dans ces années.
(Dossier du demandeur, vol. III, p. 622)
[8] Le 22 septembre 1997, le Ministre rend sa décision, s'appuyant pour ce faire sur les informations obtenues de l'employeur. Il en arrive aux conclusions suivantes : en 1994, 38 semaines d'emploi assurable et rémunération assurable de 10 417$; en 1995 et en 1996, 27 et 8 607$, 37 et 10 671$ respectivement.
[9] M. Carle n'a pas porté cette décision du Ministre en appel.
[10] En réponse à la Commission qui lui demande ses commentaires relativement aux informations obtenues de l'employeur, M. Carle, le 28 octobre 1997, se dit en désaccord avec lesdites informations et invite la Commission à se fonder uniquement sur les informations que lui-même lui avait déjà fournies et sur lesquelles s'était appuyée la Commission pour établir le taux de ses prestations.
[11] Le 19 février 1998, la Commission informe le demandeur qu'eu égard à l'année 1994, elle est d'avis qu'il a fait 14 déclarations fausses ou trompeuses et elle lui impose une pénalité de 2 025$.
[12] Ce même jour, elle l'informe qu'eu égard à l'année 1995, elle est d'avis qu'il a fait 11 déclarations fausses ou trompeuses et elle lui impose une pénalité de 2 264$.
[13] Le 26 février 1998, le demandeur en appelle de ces deux décisions auprès du conseil arbitral.
[14] Le 20 avril 1998, la Commission informe M. Carle que suite à la décision du Ministre, des modifications sont apportées à son taux de prestations relativement aux demandes de 1994, 1995 et 1996. Ces modifications s'appuient sur les chiffres contenus dans la décision du Ministre.
[15] Ce même jour, la Commission informe M. Carle qu'il avait sciemment fait 8 déclarations fausses ou trompeuses et elle lui impose une pénalité de 235$. Elle lui donne aussi un avis de violation mineure. Ces avis n'identifient pas expressément l'année à laquelle ils renvoient.
[16] Le 29 avril 1998, M. Carle en appelle auprès du conseil arbitral des décisions rendues par la Commission le 20 avril 1998.
[17] Le 13 mai 1998, la Commission inflige une pénalité de 11 564$ à l'employeur.
[18] Le 5 juin 2001, le conseil arbitral rejette l'appel.
[19] Le 10 avril 2002, le juge-arbitre accueille l'appel de M. Carle et retourne le dossier au conseil arbitral pour qu'il demande à la Commission d'obtenir du Ministre une nouvelle décision relativement à la question de l'assurabilité. Le juge-arbitre demande également au conseil arbitral de se pencher de nouveau sur la question du montant de la pénalité. Le juge-arbitre annule par ailleurs certains des avis donnés par la Commission, avis dont il trouve le contenu insuffisant.
Les questions soulevées
[20] Le demandeur reproche au juge-arbitre 1) d'avoir conclu à tort que le conseil arbitral n'avait pas exercé sa compétence en ne retournant pas l'affaire au Ministre pour une nouvelle détermination; 2) d'avoir conclu à tort que certains avis donnés par la Commission relativement aux déclarations fausses ou trompeuses n'identifiaient pas les manquements reprochés; et 3) d'avoir tenu compte de considérations non pertinentes dans l'examen du montant de la pénalité. Une quatrième question, celle de savoir si les déclarations reprochées avaient été faites sciemment, ne fait plus litige.
la première question : le défaut du conseil arbitral d'exercer sa compétence
[21] Cette question est invoquée dans tous les dossiers.
[22] Le juge-arbitre a conclu que
Étant donné que suite à la décision de Revenu Canada, la Commission a utilisé des chiffres différents de ceux qu'elle avait fournis à Revenu Canada à l'appui de sa demande d'opinion sur l'assurabilité, elle aurait dû ... s'adresser de nouveau à Revenu Canada en lui demandant de se prononcer de nouveau sur les mêmes sujets mais, à la lumière des nouveaux chiffres en question.
[23] Cette conclusion témoigne d'une mauvaise compréhension du caractère bicéphale de la Loi sur l'assurance-emploi. Ainsi que cette Cour l'a maintes fois répété, les questions relatives à l'assurabilité d'un emploi relèvent du Ministre. Dès lors que ce dernier a rendu sa décision et que la personne visée n'en a point appelé de cette décision auprès de la Cour canadienne de l'impôt, la décision du Ministre devient définitive et lie la Commission.
[24] Comme il n'y a pas eu d'appel, ici, le dossier, pour ce qui relève de la compétence du Ministre, est clos. Le procureur du défendeur soutient que le délai d'appel ne pouvait courir qu'à compter du moment où le défendeur apprenait les conséquences réelles de la décision du Ministre, c'est-à-dire à compter du 19 février 1998. Tel n'est évidemment pas le cas et de toute manière aucune demande d'extension de délai n'a été soumise en temps utile.
la deuxième question : l'absence d'identification du manquement reproché
[25] Cette question se soulève dans tous les dossiers sauf celui de M. Lévesque (A-320-02).
[26] Le juge-arbitre a ordonné la radiation des avis produits comme pièces P-28, P-29, P-33 et P-39 pour le motif qu'ils ne permettaient pas au prestataire d'identifier les manquements qui lui étaient reprochés et donc de se défendre adéquatement.
[27] En ce qui a trait aux avis P-28 et P-29 envoyés le 19 février 1998, ils identifiaient les manquements reprochés au défendeur puisque la Commission indique précisément les semaines à l'égard desquelles une représentation fausse ou trompeuse a été faite et décrit à l'égard de chacune d'elles le manquement reproché et le montant de la rémunération non déclarée. La conclusion du juge-arbitre est donc manifestement mal fondée.
[28] La situation est moins évidente eu égard aux avis P-33 et P-39 émis le 20 avril 1998. Ces avis sont avares d'information, mais le conseil arbitral a conclu que « ces avis de violation surviennent suite à des avis antérieurs (avis de pénalité), et que ceci est implicite à la cause de chacun » . Cette conclusion du conseil arbitral en est une essentiellement de fait; elle n'est pas manifestement déraisonnable dans les circonstances de cette affaire où preuve avait été faite d'un stratagème impliquant à la fois l'employeur et les prestataires. Qui plus est, il ressort de notations manuscrites en bas de page que la pièce P-33 doit se lire avec la pièce P-32, laquelle renvoie à l'année 1994, et que la pièce P-39 doit se lire avec la pièce P-38, laquelle renvoie à l'année 1996. Il n'appartenait dès lors pas au juge-arbitre de substituer sa propre conclusion. Même si la situation varie quelque peu d'un dossier à l'autre, je ne crois pas que le juge-arbitre ait été justifié d'intervenir dans aucun des dossiers.
la troisième question : le montant de la pénalité
[29] Cette question se soulève dans tous les dossiers, sauf ceux de M. Lapointe (A-318-02) et de M. Trahan (A-317-02).
[30] Le juge-arbitre reproche essentiellement au conseil arbitral de n'avoir pas pris en compte l'écart considérable entre la pénalité imposée à l'employeur et celles imposées aux prestataires, non plus que la preuve de la santé physique ou financière précaire des prestataires.
[31] Je note que dans ses observations écrites à l'intention du conseil arbitral, la Commission souligne que « [p]uisqu'il s'agit ici d'un cas de connivence employeur et employé, la Commission veut souligner au conseil arbitral qu'elle a aussi imposé à l'employeur une pénalité » (dossier du demandeur, vol. 3, p. 658). La Commission ne mentionne pas le montant de la pénalité imposée à l'employeur mais il est évident qu'elle a jugé pertinent en l'espèce le fait qu'une pénalité ait aussi été imposée à l'employeur. Le conseil arbitral ne pouvait dès lors rendre sa décision sans se prononcer sur l'argument que tirait le prestataire de l'écart entre le montant de la pénalité imposée à l'employeur et le montant de celle imposée aux prestataires.
[32] En ce qui a trait à la santé physique et financière précaire des prestataires, le conseil arbitral a conclu qu'il y avait absence de preuve, alors qu'au contraire, il y avait de la preuve au dossier.
[33] La décision du conseil arbitral relativement au montant de la pénalité est donc à ce point laconique qu'il était loisible au juge-arbitre d'intervenir et de retourner les dossiers au conseil arbitral pour qu'il se prononce sur les circonstances propres à chacun des dossiers. Il n'appert pas de la lecture des motifs du conseil arbitral qu'il se soit véritablement penché sur les arguments qui lui étaient présentés et sur la preuve qui avait été faite. Les circonstances de ces affaires ne sont pas sans rappeler celles de l'affaire Procureur général du Canada c. Stark, A-701-96, inédit, 7 mai 1997.
[34] En conséquence, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire eu égard à la première et à la seconde question soulevée et je la rejetterais eu égard à la troisième question.
[35] Copie de ces motifs sera déposée dans chacun des dossiers pour y tenir lieu d'original et en disposer et le jugement formel rendu dans chacun des dossiers tiendra compte des particularités de chacun.
[36] Dans les circonstances, il n'y a pas lieu d'accorder de dépens.
« Robert Décary »
j.c.a.
« Je suis d'accord.
Marc Nadon, j.c.a. »
« Je suis d'accord.
J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-315-02
INTITULÉ : P.G.C. c. Jacques Carle
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 17 septembre 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Décary
Y ONT SOUSCRIT : Le juge Nadon
Le juge Pelletier
DATE DES MOTIFS : Le 23 décembre 2003
COMPARUTIONS :
Me Paul Deschênes |
POUR LE DEMANDEUR |
Me Jean-Guy Ouellet |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ministère de la Justice Ottawa (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Ouellet, Nadon et Associés Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |