Date : 20030829
Dossier : A-692-02
A-687-02
Référence : 2003 CAF 324
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimé/appelant en appel
et
WILLIAM J. BALTRUWEIT
requérant/intimé en appel
et
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
intimée
ET ENTRE
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
intimée/appelante en appel
et
WILLIAM J. BALTRUWEIT
requérant/intimé en appel
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimé
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE STRAYER
[1] Il s'agit d'une requête présentée par l'intimé Baltruweit (l'intimé) afin d'obtenir une ordonnance lui permettant de produire en appel de nouveaux éléments de preuve en vue de déposer [TRADUCTION] « un mémoire modifié d'au plus 40 pages ou un mémoire supplémentaire d'au plus 10 pages » et d'obtenir une ordonnance permettant également au procureur général du Canada et à la Commission canadienne des droits de la personne de déposer des mémoires modifiés ou supplémentaires. Il ressort clairement des moyens invoqués dans la requête que le l'intimé souhaite soulever de nouvelles questions dans le mémoire modifié ou supplémentaire qu'il envisage et auquel les autres parties pourraient répondre dans leurs nouveaux documents.
[2] Le 4 novembre 1998, l'intimé a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) alléguant que son ancien employeur, le Service canadien du
renseignement de sécurité (SCRS), a pratiqué de la discrimination à son endroit en lui refusant, après une période de maladie, la possibilité de revenir au travail sans avoir été examiné par un médecin du SCRS. Le 15 octobre 2001, la CCDP a conclu que la tenue d'une enquête par le Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas justifiée et a, en conséquence, rejeté la plainte. Le 14 novembre 2001, l'intimé a présenté une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision. En réponse à cette demande, la CCDP a délivré un certificat en vertu de la règle 317, lequel énumérait et joignait l'ensemble des pièces documentaires présentées devant la CCDP pour qu'elle rende sa décision,
[traduction] avec pour exception l'opinion juridique en date du 7 mai 2001 pour laquelle le privilège des communications entre client et avocat est revendiqué...
Ce certificat a été délivré le 30 novembre 2001.
[3] L'audition de la demande de contrôle judiciaire de l'intimé devait avoir lieu le 9 septembre 2002. Toutefois, à la date prévue pour l'audience devant le juge Gibson, on a constaté que [traduction] « seulement quelques jours auparavant » l'avocat de l'intimé avait avisé les avocats des autres parties qu'il entendait soulever une question jamais mentionnée dans l'avis de demande de contrôle judiciaire, à savoir qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale de la part de la CCDP du fait qu'elle avait devant elle l'opinion juridique dont fait état le certificat du 30 novembre 2001, une opinion qui n'a pas été montrée à l'intimé, de sorte que ce dernier n'a pas eu la possibilité de répondre à quoi que ce soit contenu dans cette opinion. Du fait que cette nouvelle question a été soulevée aussi tardivement, les avocats des autres parties ont demandé un délai additionnel afin de préparer des exposées supplémentaires de fait et de droit. Le juge Gibson leur a accordé ce délai et a ajourné l'audience au 28 octobre 2002.
[4] À cette audience, un certain nombre de moyens de contestation ont été soulevés par l'avocat de l'intimé, mais le juge a soit rejeté ou refusé de juger ces moyens à une exception près, à savoir : le privilège des communications entre client et avocat protège-t-il l'opinion juridique en question ou bien ce privilège doit-il être atténué ou ignoré pour préserver l'équité procédurale? Il a conclu que le privilège ne devait pas empêcher une certaine divulgation de l'opinion juridique. Je déduis des motifs du juge de première instance (paragraphe 35) qu'il a estimé qu'il aurait suffi, pour la CCDP, d'aviser l'intimé qu'elle avait demandé une opinion juridique et de lui indiquer en substance quelle était la question soumise. Une telle information aurait dû être accompagnée de l'assurance que l'opinion demandée s'appuyait uniquement sur l'ensemble des documents produits devant la CCDP. Le juge Gibson a par conséquent annulé la décision de la CCDP et a renvoyé l'affaire pour réexamen. Malheureusement, je n'ai pu trouver son ordonnance parmi la documentation présentée par les parties, mais je déduis de tout ce qui a été dit à ce sujet que l'ordonnance ne faisait qu'imposer un réexamen en conformité avec les motifs du juge Gibson. Ceux-ci ont été déposés le 19 novembre 2002. Le procureur général du Canada a interjeté appel de cette décision pour le compte du SCRS en date du 19 décembre 2002 et la CCDP a interjeté appel en date du 16 décembre 2002.
[5] Entre temps, il appert que la CCDP a fait en sorte de se conformer avec l'ordonnance du juge Gibson en commençant un réexamen. Le 28 janvier 2003, elle a informé les autres parties par lettre qu'elle réexaminerait l'affaire. Voici le texte de cette lettre :
[TRADUCTION] La Commission réexaminera le cas de M. Baltruweit. En faisant cela, la Commission considérera tout argument que M. Baltruweit ou le SCRS souhaite soumettre quant au fond de la question renvoyée à un avocat et dont traite l'opinion juridique au dossier. L'avocat de la Commission s'est fait demander de fournir une analyse juridique pour savoir si une enquête plus poussée du Tribunal s'imposait. Pour répondre à cette question, l'avocat a retenu les questions suivantes :
· Y-a-t-il eu discrimination de la part du SCRS à l'endroit du plaignant du fait qu'on a exigé de lui qu'il se soumette à une évaluation médicale et du fait qu'on a mis fin à son emploi par suite de son défaut de se conformer à cette exigence?
· La politique de l'intimé selon laquelle les employés doivent, à leur retour au travail à la suite d'un congé de maladie, se soumettre à une évaluation médicale faite par le médecin attitré du SCRS est-elle discriminatoire?
Par la présente, la Commission affirme que l'opinion juridique est fondée uniquement sur les documents présentés devant les commissaires.
À la suite de cet avis, toutes les parties ont soumis de nombreux arguments relatifs au réexamen de l'affaire, le tout contenu dans six lettres échangées entre le 28 janvier et le 24 mars 2003.
[6] Entre temps, le 20 mai 2003, l'intimé a produit un mémoire en réponse aux appels du procureur général du Canada et de la CCDP à l'encontre de la décision du juge Gibson. Pour autant que je puisse en juger, il n'est fait aucune mention, dans le mémoire déposé le 20 mai 2003, de faits récents survenus à partir du 28 janvier 2003, date de l'avis de la CCDP pour réexamen de l'affaire. Cela n'a rien d'étonnant compte tenu que l'appel devant la Cour est lié à la question de savoir si le juge Gibson a commis une erreur suceptible de révision dans sa décision du 19 novembre 2002.
[7] Néanmoins, le 12 août 2003, l'intimé a déposé la présente requête visant à obtenir une ordonnance lui permettant de produire de nouveaux éléments de preuve en appel. Ces éléments de preuve sont en fait l'avis du 28 janvier 2003 de la CCDP relatif au réexamen de la présente affaire de même que tous les nouveaux arguments avancés par les parties. Dans l'éventualité où l'autorisation de production des pièces serait obtenue, l'intimé demande que plus de temps soit accordé aux parties afin de présenter de nouveaux mémoires ou encore des mémoires supplémentaires qui prendraient en considération l'avis du 28 janvier 2003 de même que tout ce que les parties ont dit à ce sujet, à partir de cette date, dans leurs arguments respectifs devant la CCDP relativement au réexamen. Les paragraphes pertinents des moyens invoqués à l'appui de la requête (à tout le moins tels que conçus au moment du dépôt de l'avis de requête) sont les suivants :
18. [traduction] La lettre du 28 janvier 2003 adressée à l'avocat du requérant/intimé est une preuve prima facie de délégation irrégulière puisqu'il établit que l'avocat s'est fait demander de produire une opinion sur la dernière question à être tranchée par la Commission.
19. En vertu de la règle audi alteram partem, le requérant/intimé est en droit de recevoir l'information suffisante lui permettant de participer utilement à l'audience.
20. Les arguments présentés à la Commission sont des éléments de preuve relevant d'une procédure à venir dans la présente affaire.
21. La lettre de Clayton Ruby, en date du 28 février 2003, laquelle a été adressée à la Commission, démontre de façon concluante que l'appelant/intimé n'a été capable de participer utilement à l'audition de sa plainte que lorsque les questions juridiques posées à l'avocat ont été divulguées quant au fond.
[8] Au soutien de la présente requête visant la présentation de nouveaux éléments de preuve et de documents débattant de nouvelles questions fondées sur ces éléments devant la Cour d'appel, l'intimé fait valoir qu'il répond aux exigences établies quant à l'admission de nouveaux éléments de preuve, ou bien que ces exigences peuvent être ignorées si des « circonstances spéciales » existent. Les exigences usuelles pour l'admission de nouveaux éléments de preuve en appel sont les suivantes : l'élément de preuve n'aurait pu être découvert avec diligence raisonnable avant la fin de l'audience; l'élément de preuve est crédible; si l'élément de preuve est accepté, il serait particulièrement concluant quant à une question faisant l'objet d'appel (Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc. [1993] ACF no 874 (C.A.)). À mon sens, le nouvel élément de preuve proposé en l'espèce ne répond pas à ces critères. En ce qui concerne la description de l'opinion juridique que l'intimé cherche à faire verser en preuve en utilisant une lettre de la CCDP en date du 28 janvier 2003, toute cette question aurait pu être présentée avec diligence raisonnable avant même que l'affaire ne soit soumise au juge de première instance. Suivant la règle 317, la CCDP, dans son certificat, a clairement signalé qu'il y avait une opinion juridique pour laquelle elle revendiquait le privilège des communications entre client et avocat. Lorsqu'un tribunal s'oppose à ce qu'on divulgue un document suivant la règle 317, la Cour peut, de son propre chef ou à la demande d'une partie, tenir une audience suivant les paragraphes 318(2) à 318(4) afin de déterminer la validité de cette objection. Il importe que cette procédure soit suivie dès le départ, c'est-à-dire avant que les parties préparent les documents qu'elles entendent produire. Une partie ne devrait pas attendre les quelques jours précédant l'audition d'une demande de contrôle judiciaire avant de soulever la question de la non-divulgation d'un document par le tribunal. De fait, en l'espèce, par sa requête visant à inclure en preuve une description d'une opinion juridique contestée, l'intimé tente de résoudre la question qui aurait dû être réglée à la fin de l'année 2001 ou début de l'année 2002, soit après la production du certificat de la CCDP en date du 30 novembre 2001, à savoir si une opinion juridique ou une description de celle-ci de même que certains passages d'une lettre en date du 28 janvier 2003 auraient dû être accessibles à l'intimé et au juge assigné au contrôle judiciaire frappé d'appel. Pour cette seule raison, le pouvoir discrétionnaire de la Cour devrait s'exercer en sa défaveur. Si toutefois il demande ultérieurement un contrôle judiciaire du réexamen de la décision de la CCDP, il est vraisemblable que l'information contenue dans la lettre du 28 janvier 2003 fasse partie du dossier fourni suivant la règle 317.
[9] En ce qui concerne les autres « faits nouveaux » présentés sous forme d'arguments dans le cadre du processus de réexamen, ceux-ci ne constituent pas des éléments de preuve automatiquement pertinents quant aux questions soulevées en appel. Les questions présentées en appel doivent servir à trancher si le juge Gibson a commis une quelconque erreur en rendant sa décision du 19 novembre 2002. Le 20 mai 2003, l'intimé avait déjà produit, comme il pouvait et devait le faire, un mémoire traitant des questions soulevées en appel de cette décision.
[10] Pour des raisons similaires, je ne puis conclure que les nouveaux éléments de preuve que l'on cherche à présenter puissent être, en pratique, considérés concluants relativement à une quelconque question dont est saisie la Cour d'appel. Les appels couvrent essentiellement l'interrelation entre les exigences en matière d'équité et la portée véritable du privilège des communications entre client et avocat, et dans une certaine mesure, le principe du « secret délibéré » . Les appels portent en grande partie sur le raisonnement spécifique du juge de première instance compte tenu des documents qui lui ont été présentés. J'ai du mal à saisir en quoi les documents additionnels, préparés après la décision en vue d'un réexamen ordonné par le juge - documents qui ne lui étaient pas soumis - et auxquels s'ajoute l'argumentation volumineuse produite par les parties à leur sujet, peuvent être concluants quant aux questions soulevées dans les appels formés contre la décision initiale.
[11] L'intimé n'a pas davantage établi quelles étaient les « circonstances spéciales » qui permettraient en l'espèce de s'éloigner de la jurisprudence constante de la Cour pour ce qui est des critères d'admissibilité de nouveaux éléments de preuve.
[12] Les nouveaux points au sujet desquels l'intimé tente de présenter des arguments sont essentiellement les suivants : il y a eu une délégation irrégulière de la part de la CCDP lorsque celle-ci a fait appel aux services d'un avocat pour obtenir une opinion juridique relativement à la plainte de l'intimé; et ne connaissant pas le fond des questions juridiques posées à l'avocat ni les réponses fournies, l'intimé s'est ainsi vu nié la possibilité de participer utilement à la procédure d'audience. Dans la mesure où ces arguments découlent à bon droit de l'instance devant le juge de première instance (et je ne tire, à ce stade, aucune conclusion à cet égard), il m'apparaît que ceux-ci ont été examinés dans le mémoire produit par l'intimé le 20 mai 2003. Dans la mesure où ces arguments naissent de faits survenus postérieurement à la décision, j'estime qu'ils ne sont pas pertinents quant aux appels pendants devant la Cour, pour les motifs exposés précédemment.
[13] En conséquence, la requête est rejetée avec dépens.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Évelyne Côté
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : A-692-02 - A-687-02
INTITULÉ : Le procureur général du Canada c. William J. Baltruweit c. La Commission canadienne des droits de la personne
La Commission canadienne des droits de la personne c. William J. Baltruweit et le procureur général du Canada
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Strayer
DATE DES MOTIFS : le 28 août 2003
OBSERVATIONS ÉCRITES :
Andrea Wright POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS
Ottawa (Ontario) DE LA PERSONNE
Monika Lozinska POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Ottawa (Ontario)
Breese Davies/Clayton Ruby POUR L'INTIMÉ
Toronto (Ontario) WILLIAM J. BALTRUWEIT
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Services juridiques POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS
Commission canadienne des droits DE LA PERSONNE
de la personne
Morris Rosenberg POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Sous-procureur général du Canada
Ruby & Edwards POUR L'INTIMÉ
Toronto (Ontario) WILLIAM J. BALTRUWEIT