Date : 20030321
Dossier : A-244-02
OTTAWA (ONTARIO), LE 21 MARS 2003
CORAM : LE JUGE DESJARDINS
ENTRE :
LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
demandeur
- et -
CROCE ANGHELONI
défenderesse
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour être jugée par une formation différemment constituée sur le fondement du dossier actuel et de tout autre élément de preuve que les parties pourront souhaiter présenter.
« Alice Desjardins »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20030321
Dossier : A-244-02
Référence neutre : 2003 CAF 140
CORAM : LE JUGE DESJARDINS
LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
ENTRE :
LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
demandeur
- et -
CROCE ANGHELONI
défenderesse
Audience tenue à Toronto (Ontario), le lundi 17 février 2003
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le vendredi 21 mars 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DESJARDINS
Y A SOUSCRIT : LE JUGE EVANS
MOTIFS CONCOURANTS : LE JUGE LÉTOURNEAU
Date : 20030321
Dossier : A-244-02
Référence neutre : 2003 CAF 140
CORAM : LE JUGE DESJARDINS
ENTRE :
LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
demandeur
- et -
CROCE ANGHELONI
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE DESJARDINS
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Commission d'appel des pensions (la Commission) a jugé la défenderesse admissible à des prestations d'invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le Régime ou la Loi).
[2] Le débat tourne autour de la question de savoir si la Commission a commis une erreur en interprétant et en appliquant le critère permettant de déterminer l'admissibilité de la défenderesse à des prestations d'invalidité en vertu du Régime. Plus précisément, la question en litige est celle de savoir si la défenderesse était atteinte d'une invalidité « grave » au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) de la Loi.
Les faits
[3] La défenderesse, Croce Angheloni, a 51 ans. Elle a une scolarité de cinquième année en Italie, ce qui équivaut à une scolarité de huitième année au Canada. Elle a travaillé comme opératrice de machines chez Certified Brakes, une usine de fabrication de freins de Mississauga, entre le mois d'août 1976 et le mois de novembre 1992.
[4] En 1989, alors qu'elle travaillait à l'usine, elle s'est blessée au genou et a dû subir une chirurgie orthoscopique.
[5] En 1992, l'usine a fermé ses portes. La défenderesse a cherché sans succès du travail et a été prestataire d'assurance-chômage pendant un certain temps. Suivant la demande et le questionnaire qui l'accompagnait et qu'elle a rempli, elle a cessé de travailler en novembre 1992 à l'âge de 40 ans. Elle affirme qu'elle a arrêté de travailler [TRADUCTION] « à cause de mon mauvais état de santé et d'une pénurie de travail » (dossier du demandeur, volume 1, p. 82).
[6] Le 8 janvier 1997, la défenderesse a présenté une demande de prestations d'invalidité. Sa première demande et sa demande de réexamen ont toutes les deux été rejetées. Elle a par la suite interjeté appel du rejet de sa demande devant le Tribunal de révision.
[7] Le 23 août 1999, le Tribunal de révision a statué qu'elle n'avait pas droit à des prestations d'invalidité étant donné que son invalidité ne répondait pas à la définition d'invalidité « grave » et « prolongée » au sens de la Loi. La défenderesse a interjeté appel devant la Commission de la décision du Tribunal de révision.
[8] La Commission a accueilli l'appel de la défenderesse le 13 février 2002. Le demandeur, le ministre du Développement des ressources humaines du Canada (le ministre), sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
Dispositions législatives applicables
[9] L'alinéa 42(2)a) de la Loi dispose :
42(2) Pour l'application de la présente loi : a) une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent alinéa : (i) une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, (ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès; |
42(2) For the purposes of this Act, (a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph, (i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and (ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and |
Norme de contrôle
[10] Il ressort des pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du paragraphe 83(11) et de l'article 84 de la Loi que les instances introduites devant la Commission sont des instances de novo. La Commission doit par conséquent appliquer les mêmes critères que si elle instruisait l'affaire en première instance. Pour conclure à l'admissibilité de la défenderesse aux prestations, il suffit que la Commission soit convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la défenderesse est atteinte d'une invalidité à la fois grave et prolongée.
[11] La norme de contrôle que notre Cour doit appliquer lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission se situe, sur le spectre, du côté de la norme de la décision bien fondée pour ce qui est des questions de droit. Sur les questions de fait, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Villani c. Procureur général du Canada, [2002] 1 C.F. 130; Canada c. Skoric, [2000] 3 C.F. 265; Powell c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), (2000), 258 N.R. 123 (C.A.F.); Lalonde c. Canada, 2002 C.A.F. 211, [2002] A.C.F. no 809 (C.A.F.) (QL)).
Analyse
[12] Le Régime de pensions du Canada est un régime contributif. Pour être admissible à des prestations d'invalidité, le cotisant doit avoir versé des cotisations au Régime pendant un nombre minimal d'années. C'est ce qu'on appelle la période minimum d'admissibilité (la PMA), qui est calculée conformément aux dispositions du Régime en vigueur à l'époque en cause. Suivant les cotisations qu'elle avait versées, la défenderesse n'avait droit à une pension d'invalidité que si elle était devenue invalide au sens du paragraphe 42(2) au plus tard le 31 décembre 1997.
[13] Au début de ses motifs, la Commission a cité l'arrêt Villani, précité, dans lequel notre Cour a statué que le libellé du sous-alinéa 42(2)a)(i) de la Loi doit être interprété dans un contexte « réaliste » . La Commission a cité des extraits de ce sous-alinéa où il est dit que « une invalidité n'est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » . La Commission a ajouté que [TRADUCTION] « la conjoncture économique qui existait dans la région où la défenderesse avait travaillé est également un facteur dont il y a lieu de tenir compte » .
[14] La Commission a commis une erreur de droit en ajoutant la conjoncture économique à la liste des facteurs pertinents. Dans l'affaire Ministre du Développement des ressources humaines c. Rice, 2002 C.A.F. 47, [2002] A.C.F. no 170 (C.A.F.) (QL), notre Cour a bien précisé, au paragraphe 13 de sa décision, que les mots du sous-alinéa 42(2)a)(i) font référence, non pas aux conditions du marché du travail, mais à la capacité d'une personne d'occuper régulièrement un emploi véritablement rémunérateur.
[15] Il est difficile de comprendre comment la Commission a pu commettre cette erreur, compte tenu du fait que l'arrêt Rice a été porté à son attention à l'audience. La Commission savait ou aurait dû savoir qu'elle était liée par l'arrêt Rice et elle n'aurait pas dû agir au gré de sa fantaisie. On ne sait toutefois pas avec certitude si cette erreur a eu une incidence sur la décision elle-même. Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet de la conjoncture économique qui existait à l'époque dans la région de Mississauga, où habite la défenderesse. La Commission n'a elle-même cité aucun élément de preuve à ce sujet.
[16] Pour s'acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait, la défenderesse a soumis à l'examen de la Commission une quantité impressionnante de rapports médicaux. La Commission a résumé ces éléments de preuve. Son résumé est cependant incomplet.
[17] La Commission a mentionné en détail les nombreux rapports rédigés par le docteur M. Roscoe, un chirurgien orthopédiste, et a notamment fait état de la conclusion à laquelle ce dernier en est arrivé le 16 octobre 1996 et suivant laquelle l'invalidité et les symptômes de la défenderesse dureraient longtemps (dossier du demandeur, volume 1, p. 110).
[18] La Commission s'est ensuite référée au rapport rédigé le 1er avril 1997 par le docteur Joel E. Maser, interne à la Direction générale des programmes de la sécurité du revenu. La Commission a cité les propos du docteur Maser au sujet de l'état de santé de la défenderesse lors de sa consultation du 16 septembre 1996. La Commission n'a cependant pas mentionné la lettre de mai 2001 dans laquelle le docteur Maser a déclaré ce qui suit, après avoir vu la défenderesse en avril 1998 :
[TRADUCTION] Mme Angheloni est une femme intelligente qui est apte au travail. Je ne crois cependant pas qu'elle pourrait reprendre son ancien travail ou accomplir tout autre travail qui l'obligerait à se tenir debout toute la journée ou à monter et à descendre des escaliers. Si elle se livre à ces activités ou si elle fait fonctionner des machines, elle risque de subir un accident si ses jambes se dérobent sous elle.
(Dossier du demandeur, volume 1, p. 145)
[19] Au paragraphe 19 de sa décision, la Commission a résumé de la façon suivante le rapport rédigé le 27 avril 1998 par le docteur M. Samways :
[TRADUCTION] [19] Il faut ensuite mentionner le rapport qu'un médecin indépendant, le docteur M. Samways a remis à la Section d'appel. Le docteur Samways est un consultant en médecine physique et de réadaptation. Il a constaté que l'appelante percevait certains handicaps, mais que sa capacité déclarée de s'asseoir, de se tenir debout et de marcher, ainsi que sa capacité de transporter, de soulever et de tenir des charges d'un kilo la rendraient capable d'accomplir des tâches sédentaires légères en changeant régulièrement de position. Le médecin ne précise toutefois pas quel genre de travail on s'attendrait à ce que l'appelante effectue.
[20] La Commission n'a pas fait allusion à l'extrait de son rapport dans lequel le docteur Samways (dossier du demandeur, volume 1, p. 128) précise que, de son propre aveu, la défenderesse limitait toutes les activités qui pouvaient lui causer de la douleur et qu'il serait dans son intérêt de participer à un programme de soulagement de la douleur chronique faisant appel à des stratégies cognitivo-comportementales. Il a expliqué que ce type de programme est axé sur l'augmentation des activités fonctionnelles en dépit de l'inconfort persistant. Il a ajouté qu'on favorise alors l'autonomie fonctionnelle tout en essayant de faire disparaître les comportements douloureux. Le docteur Samways a également expliqué qu'il existait une masse considérable d'éléments de preuve qui appuyaient l'idée de favoriser des exercices actifs chez les patients atteints d'arthrite au genou et qu'il conviendrait d'inciter la défenderesse à adopter un programme de marche régulière. Le pronostic de « guérison » de la douleur chronique était sombre. Toutefois, il s'est avéré que les programmes de soulagement de la douleur chronique favorisent l'autonomie fonctionnelle et atténuent la perception d'incapacité (non souligné dans l'original). Le docteur Samways a conclu :
[TRADUCTION] La perception d'incapacité de Mme Angheloni est aiguë. Sa capacité déclarée de s'asseoir, de se tenir debout et de marcher, ainsi que sa capacité de transporter, de soulever et de tenir des charges d'un kilo la rendraient incapable d'accomplir des tâches sédentaires légères en changeant régulièrement de position. Compte tenu de sa perception d'incapacité en raison de la douleur, Mm e Angheloni n'estimerait probablement pas elle-même que c'est là une option qui s'offre à elle.
Dans une lettre datée du 30 janvier 2002, le docteur Samways a qualifié le mot « incapable » d'erreur de frappe et l'a remplacé par le mot « capable » (dossier du demandeur, volume 1, p. 205).
[21] Le médecin de famille de la défenderesse, le docteur Lorne Sokol, a écrit de nombreuses lettres et de nombreux rapports pour appuyer la thèse de la défenderesse. Dans son rapport du 18 janvier 2002, (dossier du demandeur, volume 1, pp. 160 et 164), il a examiné en détail le dossier médical de la défenderesse. Il a toutefois omis de faire mention du rapport qui a été versé au dossier en août 2001 dans lequel le docteur Maser affirmait que la défenderesse était une femme intelligente qui était apte au travail même si elle ne pouvait reprendre son ancien emploi (dossier du demandeur, volume 1, p. 145). Le docteur Sokol a par ailleurs omis de mentionner le rapport susmentionné du 27 avril 1998 du docteur Samways. Le docteur Maser et le docteur Samways étaient tous les deux optimistes au sujet de l'aptitude au travail de la défenderesse. La Commission n'a jamais formulé de commentaires au sujet du défaut du docteur Sokol de faire était de l'opinion de ces médecins.
[22] La Commission n'a pas non plus fait état des passages de son rapport d'août 2001 dans lesquels le docteur R. Arbitman, un psychiatre, affirmait que la défenderesse avait une cote d'évaluation globale de fonctionnement d'environ 65 du point de vue diagnostique, selon le DSM-IV (dossier du demandeur, volume 1, pp. 138-139).
[23] Le docteur Frederick Forbes, conseiller auprès des responsables de l'application du Régime de pensions du Canada, a essayé d'expliquer ce qu'il faut entendre par cote d'évaluation globale de fonctionnement (ou GAF) d'environ 65. Il a écrit que [TRADUCTION] « Suivant la définition du DSM-IV, il s'agit d'une personne présentant l'équivalent de quelques symptômes bénins ou qui éprouve certaines difficultés à fonctionner en société, dans ses loisirs ou à l'école, mais qui dans l'ensemble fonctionne assez bien et qui entretient quelques relations personnelles satisfaisantes » (dossier du demandeur, volume 1, p. 203). La Commission n'a pas essayé d'en savoir plus au sujet des conséquences d'un GAF d'environ 65.
[24] Dans l'affidavit qu'il a souscrit le 6 juin 2002, le docteur Frederick Forbes a écrit que, lors du contre-interrogatoire qu'elle a subi lors de l'audience qui s'est déroulée devant la Commission, on a demandé à la défenderesse si, depuis 1992, elle avait entrepris des démarches en vue de se recycler, de poursuivre ses études ou de se trouver un emploi moins exigeant. Le docteur Forbes affirme que la défenderesse a répondu par la négative à chacune de ces questions, autrement dit qu'elle n'avait pas entrepris de démarches pour se recycler, poursuivre ses études ou trouver un emploi moins exigeant (dossier du demandeur, volume 1, p. 208).
[25] Il est donc évident que, partout dans son résumé de la preuve médicale, la Commission a écarté des éléments de preuve qui tendaient à démontrer que la défenderesse n'avait pas fait les efforts nécessaires pour maîtriser sa douleur ou pour se trouver un travail adapté à son état.
[26] Après avoir résumé la preuve, la Commission a déclaré ce qui suit, au paragraphe 22 de ses motifs :
[TRADUCTION] Je ne crois pas que la présentation de preuves médicales « objectives » soit nécessairement le critère applicable. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la Commission croit l'appelante lorsqu'elle affirme qu'elle souffre. Tous les médecins semblent s'entendre pour dire qu'elle souffre, même s'il y a peu d'éléments de preuve médicaux pour appuyer cette conclusion. Je la crois lorsqu'elle dit qu'elle souffre en raison des déficiences dont elle est atteinte. C'était aussi l'avis du Tribunal de révision. Mais le Tribunal de révision a estimé que ses déficiences n'étaient pas suffisamment graves pour l'empêcher de faire quelque chose... sans préciser quoi au juste.
[27] On ne sait pas avec certitude ce que le Tribunal et la Commission entendaient par preuves médicales « objectives » . Ils songeaient peut-être simplement à des radiographies, à des tests de laboratoire ou à d'autres éléments de preuve cliniques. Ou ils opposaient peut-être les preuves médicales « objectives » aux éléments de preuve subjectifs soumis par la défenderesse elle-même. Les souffrances de la défenderesse ne constituent cependant pas un élément sur lequel repose le critère de l' « invalidité » . La Commission doit être persuadée que la défenderesse souffre d'une invalidité qui, dans un contexte « réaliste » , la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
[28] La Commission a finalement tiré d'importantes conclusions de fait au paragraphe 23 de ses motifs, où elle déclare :
[TRADUCTION] Elle souffre d'un handicap à la main droite qui l'empêche de se servir de cette main. Elle a également un genou qui se bloque, ce qui l'expose à des accidents graves. Je crois qu'il est peu probable qu'elle puisse se recycler, compte tenu de son faible degré de scolarité. Par ces motifs, l'appel est accueilli.
[29] Bien que la Commission ait signalé que la défenderesse a un genou qui se bloque, « ce qui l'expose à des accidents graves » , le docteur Maser avait plutôt dit : « elle risque de subir un accident si ses jambes se dérobent sous elle » (dossier du demandeur, volume 1, p. 145).
[30] Mais qu'elle ait exagéré légèrement ou non, la Commission n'a jamais précisé en quoi ces conclusions avaient une incidence sur l'aptitude au travail de la défenderesse.
Conclusion
[31] Il ressort des motifs que la Commission a exposés pour justifier sa décision que la Commission n'a pas bien analysé la preuve. Elle a tenu compte de certains rapports médicaux et en a ignoré d'autres. Elle en est arrivée à une conclusion au sujet de l'invalidité sans expliquer les facteurs sur lesquels reposait sa conclusion. Bref, la Commission n'a pas procédé à un examen qui était conforme aux exigences du critère légal prévu à l'alinéa 42(2)c) de la Loi.
[32] L'analyse que la Commission a faite de la preuve est erronée. Sa décision doit par conséquent être infirmée. Dans l'arrêt Ministre du Développement des ressources humaines c. Quesnelle, 2003 CAF 92, [2003] A.C.F. no 267 (C.A.F.) (QL), notre Cour a souligné l'importance des intérêts publics en jeu dans des affaires comme la présente, dans laquelle des fonds publics sont en cause. La Commission est par ailleurs tenue, de par la Loi, de communiquer aux parties les motifs de sa décision (paragraphe 83(11) de la Loi). Or, les motifs que la Commission a exposés en l'espèce n'étaient pas suffisants pour lui permettre de se décharger de son obligation de motiver sa décision.
[33] Je suis par conséquent d'avis d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, d'infirmer la décision de la Commission et de renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle soit jugée par une formation différemment constituée sur le fondement du dossier actuel et de tout autre élément de preuve que les parties pourront souhaiter présenter. Le demandeur ne sollicite pas de dépens.
« Alice Desjardins »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
John M. Evans, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL.L.
LE JUGE LÉTOURNEAU (motifs concourants)
[34] J'ai eu l'avantage de lire les motifs de ma collègue et j'y souscris entièrement. Je souhaite seulement mentionner un autre facteur dont, à mon avis, la Commission aurait dû tenir compte dans son appréciation de la preuve.
[35] Mais auparavant, je tiens à ajouter ce qui suit au sujet des présumées souffrances de la défenderesse. Ainsi que ma collègue l'a souligné, pour en arriver à sa conclusion que la défenderesse était invalide, la Commission s'est fortement appuyée sur les souffrances dont la défenderesse avait fait état dans son témoignage et elle a minimisé le rôle des preuves médicales objectives. Pourtant, en ce qui concerne le syndrome de douleur chronique dont se plaignait la défenderesse, il est curieux de constater que le docteur Samways, qui est un spécialiste en médecine physique et de réadaptation, a relevé de nombreuses contradictions lors de son examen médical de la défenderesse et au sujet des douleurs signalées par cette dernière (voir le dossier de l'appelant, à la page 60). Or, la Commission ne fait aucune allusion à ces contradictions et à leurs conséquences dans sa décision.
[36] Je passe maintenant au rôle effectivement joué par le docteur Sokol pendant tout le processus. Le docteur Sokol était le médecin de famille de défenderesse. La Commission s'est également fiée aux conclusions de ce médecin pour rendre sa décision. Comme on peut le comprendre, le docteur Sokol a essayé d'aider la défenderesse à obtenir des prestations d'invalidité. Aussi louables que les démarches entreprises par le docteur Sokol puissent être, cette manière d'agir risquait d'entamer sa crédibilité ou à tout le moins de créer une apparence de manque d'objectivité. C'est, à mon avis, ce qui se produit lorsqu'une personne déborde le cadre de son rôle d'aide et se porte à la défense de quelqu'un (voir les décisions Blaskiw c. Metro Cab Co., [1967] O.J. 216, au paragraphe 5 (Cour sup. Ont.); R. c. Lebeau, [1999] O.J. No. 4207 (Cour sup. Ont.); Bent c. MHRD, 13 octobre 2000, et Calamusa c. MHRD, 22 novembre 1999, deux décisions de la Commission citées dans l'ouvrage de G. Killeen et A. James, Annotated Canada Pension Plan and Old Age Security Act, CCH Canadian Ltd., Toronto, 2001, à la page 64). En toute déférence, j'estime qu'en l'espèce, il ressort à l'évidence du dossier que le docteur Sokol a outrepassé son rôle de médecin pour devenir le défenseur de la cause de la défenderesse.
[37] D'ailleurs, le 7 juillet 1997, le docteur Sokol a écrit, pour le compte de la défenderesse, au directeur de la Division des appels et du réexamen des décisions du ministère du Développement des ressources humaines (le Ministère). Dans sa lettre, le docteur déclare que la défenderesse [TRADUCTION] « devrait être considérée inapte au travail de façon totale et permanente » (voir le dossier du demandeur, aux pages 92 et 94).
[38] Le 9 octobre 1998, après que la défenderesse eut été informée qu'elle avait été déboutée de sa demande de réexamen, le docteur Sokol a écrit une lettre essentiellement semblable, bien que mise à jour, à la Division du réexamen du Ministère (voir le dossier du demandeur, à la page 129). C'est lui qui a pris l'initiative de demander le réexamen de la décision.
[39] Le 6 novembre 1998, il a de nouveau écrit une lettre pour le compte de la défenderesse, cette fois-ci pour interjeter appel au Tribunal de révision (voir le dossier du demandeur, à la page 96).
[40] Le 30 mars 1999, il a écrit au commissaire au Tribunal de révision, pour répéter de nouveau que la défenderesse devait être considérée inapte au travail de façon totale et permanente (voir le dossier du demandeur, à la page 133).
[41] Le 17 novembre 1999, après que le Tribunal de révision eut rendu sa décision, il a écrit une longue lettre à la Commission d'appel des pensions pour faire valoir que la défenderesse satisfaisait au critère d'admissibilité à des prestations du RPC et pour affirmer que [TRADUCTION] « elle ne pourra jamais réintégrer le marché du travail » (voir le dossier du demandeur, aux pages 23 à 26).
[42] Le 18 janvier 2002, il a écrit au greffier de la Commission pour lui faire part de son avis au sujet de l'état de santé de la défenderesse en vue de la décision de la Commission (voir le dossier du demandeur, à la page 160).
[43] Dans sa lettre du 30 mars 1999, le docteur Sokol a cité, pour justifier ses conclusions au sujet de l'invalidité de la défenderesse, l'avis du docteur Samways suivant lequel la défenderesse était [TRADUCTION] « incapable d'accomplir des tâches sédentaires légères en changeant régulièrement de position » . Il s'agit manifestement d'une faute de frappe pour quiconque lit le rapport du docteur Samways, surtout un médecin. Ainsi que ma collègue l'a signalé, la conclusion du docteur Samways était que la défenderesse était « capable d'accomplir des tâches sédentaires légères en changeant régulièrement de position » . Dans sa correspondance subséquente, le docteur Sokol n'a fait aucune allusion au rapport du docteur Samways, qui était défavorable à la défenderesse. Il n'a pas non plus mentionné dans sa lettre du 18 janvier 2002, qui avait été adressée à la Commission, le test d'évaluation globale de fonctionnement réussi par la défenderesse que le docteur Arbitman lui avait fait subir tout en citant des extraits du rapport du docteur Arbitman qui étaient favorables à la demande de prestations d'invalidité de sa patiente.
[44] En résumé, j'estime que la Commission doit être vigilante lorsqu'elle évalue des éléments de preuve provenant d'un médecin de famille, surtout lorsque ce médecin n'a pas témoigné à l'audience, lorsqu'il existe des indices qu'il a perdu l'objectivité dont il est tenu de faire preuve et dont on s'attend de lui. Je ne suis pas convaincu que la Commission a, en l'espèce, tenu compte du rôle de défenseur joué du début à la fin par le docteur Sokol.
[45] Je suis d'avis de trancher la présente demande de contrôle judiciaire de la manière proposée par ma collègue.
« Gilles Létourneau »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : A-244-02
INTITULÉ : LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES
HUMAINES DU CANADA
- et-
CROCE ANGHELONI
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 FÉVRIER 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DESJARDINS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : LE 21 MARS 2003
COMPARUTIONS :
Me Stuart Herbert pour le demandeur
Me Tony Afecto pour la défenderesse
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MORRIS ROSENBERG pour le demandeur
Sous-procureur général du Canada
MOSTYN & MOSTYN pour la défenderesse
Avocats
845, avenue St. Clair Ouest, 4e étage
Toronto ON M6C 1C3