Date : 20030130
Dossier : A-526-01
Référence neutre : 2003 CAF 50
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
ENTRE :
DANIEL POULIN,
Demandeur
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
Défendeur
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2003.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE NADON
Date : 20030130
Dossier : A-526-01
Référence neutre : 2003 CAF 50
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
ENTRE :
DANIEL POULIN,
Demandeur
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
Défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt au terme de laquelle la Cour maintint la détermination du ministre du Revenu national que les trois travailleurs suivants, M. Piersotte, Mme Joseph et Mme Paquette, étaient des employés du demandeur au sens de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, c. 11 (Loi). De là, la conclusion que ces trois personnes occupaient des emplois assurables. Le demandeur nous demande de renverser cette conclusion. Avant d'aborder les questions en litige, il m'apparaît nécessaire d'établir le contexte particulier et troublant dans lequel ces procédures ont pris naissance et suivent leur présent cours.
Le contexte particulier et troublant entourant le déroulement des procédures
[2] Le demandeur, M. Poulin, est, le 29 novembre 1991, victime d'une terrible tragédie qui bouleverse toute sa vie : il devient quadraplégique suite à un accident d'automobiles dans le Parc des Laurentides, au nord de Québec. La source de sa paralysie : une lésion à la moelle épinière. Il devient cloué en permanence à un fauteuil. Il ne peut subvenir à ses besoins, même les plus essentiels. Il doit se soumettre trois à quatre fois par jour à un cathétérisme vésical au moyen d'une sonde pour vider sa vessie. Il doit utiliser des condoms urinaires. Des touchers rectaux sont nécessaires pour faire fonctionner ses intestins. Il a besoin d'aide pour des choses aussi élémentaires que sa toilette personnelle, i.e., rasage, douche, hygiène buccal, préparation des repas, mise au lit, déplacements, etc. Une personne doit se dévêtir et l'accompagner dans la douche pour le laver. Il souffre de spasmes douloureux qui nécessitent la prise de médicaments à des heures fixes et régulières. Bref, sa dépendance à des services normaux, même les plus primaires, mais pourtant essentiels, est totale. La situation est pathétique et désespérante. Malgré tout, son employeur, le Musée canadien des civilisations, parvient à lui aménager un emploi de demi-journées adapté à et requis par sa condition physique : guide touristique ou agent d'information. Rien de comparable aux responsabilités qu'il assumait auparavant au niveau du personnel, des caisses et des "stocks" : voir le témoignage du demandeur, Dossier du demandeur, pages 35 et 51-52.
[3] Suite à son malheureux accident, le demandeur reçoit de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) une indemnité pour perte de salaire ainsi qu'une indemnisation pour les soins médicaux et autres requis par sa condition physique. Ces soins lui sont prodigués à domicile. Mais pour la période en litige, soit l'année 1999 et les années antérieures, la SAAQ ne veut ni s'occuper de recruter le personnel requis, ou celui de remplacement en cas d'absence, ni se charger de négocier le coût des services dûs au demandeur. À l'exemple de l'entreprise privée, elle préfère laisser cette tâche aux victimes qu'elle rembourse sur production de pièces justificatives jusqu'à concurrence, en l'espèce, de 614$ par semaine. Il n'est point besoin d'insister sur le fait que pour le demandeur, vu sa condition physique et l'état d'immobilisme qu'elle engendre, il s'agit là d'un fardeau significatif, particulièrement lorsqu'un bénéficiaire n'est pas familier avec le domaine de la santé et les services auxiliaires. À l'inverse, la SAAQ évite des coûts importants engendrés autant par les démarches pour l'obtention de tels services que par leur gestion administrative. Les parties nous ont informés à l'audience que la SAAQ assume maintenant la gestion de ces services et ne se contente plus simplement d'en rembourser les coûts au bénéficiaire : elle rémunère directement les travailleurs et assure la stabilisation au niveau des services.
[4] Une lecture de la transcription des témoignages à l'audience devant la Cour canadienne de l'impôt révèle qu'au moment de l'audition de la cause en 2001, au moins cinq personnes différentes, sans compter le personnel d'agences et de Centres locaux de services de santé (CLSC), fournissaient des services au demandeur. La procureure de ce dernier nous a informés que le demandeur était poursuivi devant la Cour du Québec pour l'année 1998, les autorités gouvernementales invoquant qu'il avait onze personnes à son emploi. Pour l'année 1999 ici en litige, le ministre a conclu que le demandeur était l'employeur de trois personnes : un préposé aux bénéficiaires, M. Piersotte, une préposée aux bénéficiaires et infirmière auxiliaire, Mme Joseph, et une auxiliaire familiale effectuant principalement, mais non exclusivement, différentes tâches ménagères, Mme Paquette.
[5] Une détermination que ces personnes sont des employés du demandeur est lourde de conséquences pour ce dernier. Dans le contexte de la présente Loi, elle signifie que le demandeur doit payer sa quote-part des primes d'assurance-emploi et prélever celle des employés. Elle peut également signifier en vertu d'autres lois applicables à l'emploi qu'il doit aussi verser sa part des autres charges sociales, telles les contributions au Régime des rentes du Québec et au Régime de pensions du Canada. À titre d'employeur, le demandeur doit prélever et remettre aux deux gouvernements (fédéral et provincial) la contribution de ces employés à ces charges sociales ainsi que les impôts dûs aux deux gouvernements. À défaut de ce faire, il est personnellement redevable de ces sommes : voir Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173, permission d'appeler à la CSC refusée le 10 avril 2000.
[6] Deux autres considérations sont importantes et méritent d'être mentionnées pour bien faire ressortir le contexte dans lequel se situe le présent litige. Premièrement, les cas comme celui du demandeur, en apparence rares et exceptionnels, risquent de se multiplier. Avec le virage ambulatoire entrepris au Québec où les patients sont appelés, de plus en plus, à recevoir des soins à domicile et à être remboursés pour les coûts de ces soins, ces bénéficiaires seront-ils considérés comme les employeurs de ces fournisseurs de services et appelés à s'en défendre, à l'instar du demandeur dans la présente affaire?
[7] Deuxièmement, la Loi, par opposition à l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage, accroît le nombre d'emplois assurables. Selon l'ancienne loi, un emploi devait, pour être assurable, comporter un minimum de quinze heures par semaine. Sous la nouvelle Loi, chaque heure travaillée par une personne peut être comptabilisée aux fins de satisfaire aux critères d'admissibilité exprimés maintenant en terme d'heures travaillées. Dans le contexte d'une multiplication d'emplois à temps partiel de courte durée, dont plusieurs exercés par une même personne, je ne suis pas certain que les critères de détermination du caractère assurable d'un emploi, consacrés dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.), ne devront pas faire l'objet d'une révision en profondeur pour tenir compte de cette nouvelle réalité.
[8] Après ce long préambule situant le contexte des présentes procédures, il y a lieu d'examiner maintenant les principales conclusions et justifications de la Cour canadienne de l'impôt.
La décision de la Cour canadienne de l'impôt
[9] La Cour canadienne de l'impôt, tel que déjà mentionné, a entériné la détermination du ministre que les emplois exercés par les trois personnes qui fournissaient des services au demandeur étaient des emplois assurables pour l'année 1999. Elle a rejeté l'appel du demandeur.
[10] L'essence de la décision de la Cour canadienne de l'impôt se retrouve dans les quatre paragraphes suivants :
[24] Les décisions de cette Cour dans Grenon (supra) et Jeannine R. Houle et M.R.N., également en date du 27 avril 2001, concernent aussi des personnes handicapées qui ont besoin d'aide. Chacune de ces décisions veut qu'il y ait un lien de subordination entre la personne handicapée et la personne recrutée pour accomplir certaines tâches selon un horaire déterminé et selon une rémunération déterminée.
[25] Dans la présente affaire, la description des tâches et leurs modalités d'accomplissement ne tendent pas non plus vers une situation d'entreprise pour les travailleurs. Bien que ces derniers à l'audience aient mentionné que ce ne soit pas eux qui aient fait la demande d'assurabilité, il est à noter qu'une fois que cette décision a été rendue, ils ne l'ont pas contestée. Non pas que ceci aurait changé ma décision, mais c'est un élément qui indique que ces personnes ne se considéraient pas en entreprise, mais bien dans des situations d'emploi.
[26] Le contrôle est exercé par l'appelant. Les travailleurs ont des tâches à accomplir, tâches qui ont été déterminées par l'appelant et qui doivent être accomplies personnellement par les travailleurs. L'horaire est déterminé par l'appelant pour de longues périodes à venir. Il est normal que l'appelant embauche des personnes qui savent exécuter ces tâches en donnant les soins requis. Cela n'en fait pas des travailleurs autonomes. Nous savons tous que la plupart des diplômés sont des employés et non des travailleurs autonomes. C'est l'appelant qui fournit le matériel nécessaire aux soins même si ce matériel lui est remboursé par la SAAQ. Ce ne sont pas les travailleurs.
[27] [...]
[28] En date du 7 mai 1992, dans l'affaire du Conseil Attikamek-Montagnais c. M.R.N., [1992] A.C.I. no 289 (Q.L.), j'ai rendu une décision dans le même sens sur un sujet similaire. Dans l'affaire The Insurance Corporation of British Columbia and M.N.R. and Ryan Lake, [2000] A.C.I. no 151 (Q.L.), j'ai eu à trancher sur un point différent mais où il s'agissait aussi d'un employé d'une personne accidentée. La jurisprudence citée et celle à laquelle je me suis référée est constante. Elle veut que les préposés des accidentés, des handicapés et des personnes en perte d'autonomie qui travaillent dans des conditions similaires à celles des travailleurs de l'appelant soient des employés.
(Mon soulignement)
Analyse de la décision
[11] Dans sa lettre à chacune des trois personnes qui fournissaient des services au demandeur, le ministre a retenu comme facteur déterminant, pour conclure à un emploi assurable, l'élément contrôle qu'il allègue que le demandeur exerçait sur les trois travailleurs. Il a inféré ce contrôle du fait que :
a) le demandeur établissait les heures de travail;
b) les travailleurs devaient rendre les services personnellement;
c) les travailleurs devaient suivre les instructions quant au travail à exécuter ainsi que la méthode à employer; et
d) les travailleurs n'avaient pas à fournir l'équipement ou le matériel requis pour l'exécution du travail.
La Cour canadienne de l'impôt a également retenu la notion de contrôle et a justifié sa conclusion en référant avec approbation aux faits invoqués par le ministre. En outre, elle a conclu à l'existence quasi-automatique d'un lien de subordination entre une personne handicapée et la personne recrutée pour effectuer certaines tâches du fait que ces tâches sont accomplies selon un horaire et une rémunération déterminés. Elle a aussi énoncé comme notoire et incontestable un fait dont elle a par la suite pris une connaissance judiciaire pour en tirer une justification additionnelle : la plupart des diplômés sont des employés. Enfin, elle s'est appuyée sur sa propre jurisprudence pour décider que sont des employés les préposés qui fournissent des services à "des accidentés, des handicapés et des personnes en perte d'autonomie" dans des conditions similaires à celles qui prévalaient chez le demandeur.
[12] Avec respect, je crois qu'il y a eu méprise sur la nature juridique de la relation entre le demandeur et les trois travailleurs lui fournissant des services. Cette méprise découle d'une mauvaise application de certains des critères de l'arrêt Wiebe Door Services Ltd., précitée, ainsi que du défaut de prêter suffisamment attention à l'intention des parties dans la détermination de la relation globale qu'elles entretiennent entre elles : 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, aux paragraphes 46 et 47. Je débuterai mes remarques par le critère du contrôle et du lien de subordination retenu par la Cour canadienne de l'impôt.
a) l'existence d'un contrôle et d'un lien de subordination
[13] Il s'agit, en vertu de ce critère, de se demander si, à partir de l'ensemble de la preuve, il y a contrôle du côté de l'un, i.e., le demandeur, et subordination de l'autre, soit les travailleurs : Wolf c. Sa Majesté la Reine, A-563-00, No. de référence neutre 2002 FCA 96, 15 mars 2002, paragraphe 117, par le juge Décary. En principe, ces deux notions définissent un élément important du contrat de travail par opposition au contrat de services. L'article 2085 du Code civil du Québec, qui détermine le droit applicable en l'espèce puisque le contrat doit être interprété conformément aux lois de la province de Québec (voir la Loi d'harmonisation no. 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4), énonce :
Art. 2085
Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
[14] À l'inverse, le contrat de services ou d'entreprise n'implique aucun lien de subordination quant à son exécution et laisse au prestataire de services le libre choix des moyens d'exécution : article 2099 du Code civil du Québec. Le prestataire qui soit exploite une entreprise, soit fournit simplement des services, le fait alors pour son propre compte.
[15] Ce qu'il faut retenir de ces définitions des deux contrats, c'est que la notion de contrôle est un élément important de la détermination juridique de la nature des relations entre les parties. Cependant, cette notion de contrôle n'est pas toujours en soi concluante malgré l'importance qu'il faut lui prêter. Comme le disait notre collègue, Madame le juge Desjardins, dans l'affaire Wolf, précitée, au paragraphe 76, "bien que le critère de contrôle soit le critère traditionnel de l'emploi en droit civil, il est souvent inadéquat à cause de la spécialisation accrue de la main d'oeuvre" : voir aussi Wiebe Door Services Ltd., précitée, aux pages 558-559 où notre collègue, le juge MacGuigan, indique que le critère s'est révélé tout à fait inapplicable pour les professionnels et travailleurs hautement qualifiés qui possèdent des aptitudes supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.
[16] Au surplus, la notion de contrôle n'est pas nécessairement absente du contrat de services. Elle y apparaît généralement quoique, un peu d'ailleurs comme dans le contrat de travail, à des degrés variables, qui peuvent être toutefois surprenants en terme d'ampleur, sans que le contrat d'entreprise ne soit dénaturé pour autant. Par exemple, un contrôle quant aux lieux en général et quant aux endroits spécifiques où les travaux doivent être exécutés s'exerce sur les entrepreneurs généraux et leurs sous-traitants. Ces derniers se voient également remettre des spécifications quant aux matériaux ainsi que des plans et devis auxquels ils doivent se conformer. Les heures et horaires de travail des uns par rapport aux autres sont aussi souvent contrôlées et déterminées afin d'assurer une progression efficace et harmonieuse du chantier. Les travaux effectués par contrat de services sont aussi soumis à des contrôles d'exécution, de productivité et de qualité.
[17] En l'espèce, Mme Joseph prodiguait au demandeur des soins infirmiers selon sa profession et les règles de l'art, sans que le demandeur n'ait véritablement de contrôle à cet égard. Les soins et les médicaments étaient prescrits par le médecin et requis par l'état de santé du demandeur. Les services médicaux ainsi rendus pouvaient l'être aussi bien en vertu d'un contrat de services que d'un contrat de travail sans que, dans un cas comme dans l'autre, le demandeur n'ait vraiment grand chose à dire, encore moins à contrôler.
[18] Quant aux services fournis par le préposé aux bénéficiaires et l'auxiliaire familiale, ils peuvent aussi être rendus autant en vertu d'un contrat de services que d'un contrat de travail. La nature même de ces services fait en sorte que la notion de contrôle n'est pas déterminante. Par exemple, que le demandeur précise à l'auxiliaire familiale ses tâches et lui indique, même dans les moindres détails les travaux ménagers qu'elle doit exécuter, n'aurait pas pour effet de transformer un contrat clair et net d'entreprise qu'elle détiendrait en un contrat de travail. D'ailleurs, Mme Paquette, l'auxiliaire familiale était à l'emploi de l'agence Remue-Ménage de Gatineau, laquelle offrait ce genre de services. Il est vrai que le demandeur a pu retenir ses services à temps partiel (une fin de semaine sur deux) sans passer par l'agence afin de ramener le coût des services à un niveau correspondant à sa capacité limitée de payer. Je ne vois cependant pas en quoi cela change la nature des relations entre le demandeur et elle.
[19] Enfin, le fait que les tâches exécutées l'aient été selon un horaire et une rémunération déterminés à l'heure ne conduit pas nécessairement, comme semble l'avoir fait la Cour canadienne de l'impôt, à l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Il est fréquent de voir des entrepreneurs, par exemple en plomberie, en chauffage ou en électricité, travailler et facturer selon des tarifs horaires établis et, comme pour les salariés, majorés les jours fériés. De même, il n'est pas rare pour un client de déterminer les heures auxquelles les services doivent être fournis par l'entrepreneur avec lequel il a contracté.
[20] Le défendeur a également grandement fait état du fait que les travailleurs devaient rendre les services personnellement. Je suis d'accord avec Madame le juge Desjardins que le fait qu'une personne ne puisse déléguer son travail à quelqu'un ne veut pas dire nécessairement que celle-ci est une employée : Wolf c. Sa Majesté la Reine, supra, au paragraphe 80. De même, on ne peut conclure à l'existence d'un statut d'employé du fait que la personne qui rend les services est un diplômé. Il faut examiner les faits et les circonstances entourant la prestation de services : chaque cas est un cas d'espèce.
[21] Dans le cas présent, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi le demandeur tenait à ce que les soins médicaux très intimes et très personnalisés que requérait son état de santé lui soient donnés par l'infirmière avec laquelle il avait contracté et en laquelle il avait confiance. La même remarque vaut pour beaucoup des services rendus par le préposé aux bénéficiaires et l'auxiliaire familiale suite aux carences neurologiques du demandeur. La preuve révèle que ces deux travailleurs s'occupaient de la personne du demandeur et des lieux de sa résidence : voir Dossier du demandeur, transcription des témoignages, pages 52 et 108-109. La pénible condition physique dans laquelle le demandeur s'est retrouvé n'a pas eu pour effet de le priver de ses droits à la dignité humaine et à l'intimité, et de ses attentes à cet égard.
[22] En somme, je crois que, dans les faits de la présente cause, les notions de contrôle et de lien de subordination sont au mieux neutres, au pire trompeuses. Elles ne sont pas d'une grande utilité dans la détermination de la nature de l'entente entre les parties.
b) la propriété des instruments de travail nécessaires à l'exécution du travail
[23] La Cour canadienne de l'impôt a conclu que le demandeur fournissait le matériel nécessaire aux soins dont il avait besoin, mais qu'il était par la suite remboursé par la SAAQ. Elle a interprété ce fait comme étant indicateur d'un contrat de travail entre le demandeur et les travailleurs.
[24] Encore une fois, je ne crois pas qu'en l'instance, l'on puisse prêter beaucoup de poids à ce facteur, compte tenu de la nature des services rendus, des besoins desservis et du peu d'instruments de travail utilisés. En outre, il ne faut pas confondre propriété et fourniture de matériaux avec propriété et fourniture d'instruments de travail. Bref, il faut éviter de confondre matériel de travail et instrument de travail. Quel propriétaire de maison n'a pas acheté des matériaux pour, par exemple, rénover une salle de bain, construire ou refaire un patio, et, par la suite, n'a pas retenu, par contrat de services, les services d'un entrepreneur pour que ce dernier, avec ses instruments de travail, fasse la pose ou l'installation des matériaux ainsi acquis? Le fait que le demandeur soit propriétaire des médicaments qu'il ingurgite, des condoms urinaires qu'il porte, des cathéters qu'il utilise, des couvertures imperméables qui recouvrent son lit en cas de fuite, etc. et qu'il fournisse ces matériaux aux travailleurs qui les installent ne fait pas de lui un employeur. Il ne s'agit pas d'instruments de travail, mais bien du matériel que nécessite le travail. La pose de ce matériel et l'administration des médicaments, comme la plupart des services rendus au demandeur, ne requièrent, à toutes fins pratiques, pas d'instrument de travail.
[25] On a grandement insisté sur le fait que le demandeur fournissait son automobile pour ses déplacements jusqu'à ce qu'elle soit détruite par le feu. La raison en est bien simple : sa voiture était adaptée au transport de personnes handicapées alors que celles des travailleurs ne l'étaient pas de sorte qu'il ne pouvait, à toutes fins utiles, y accéder et en ressortir. Dans la mesure où l'automobile utilisée dans de telles circonstances pouvait être considérée comme un instrument de travail nécessaire à l'exécution du travail, un fait demeure : la situation eut été la même, que le préposé au bénéficiaire qui conduisait l'automobile, ou l'infirmière auxiliaire qui prodiguait les soins de santé, vienne du CLSC ou d'une agence engagée à ces fins par contrat de services.
c) les chances de profits et les risques de perte
[26] Ce critère n'est d'aucune utilité en l'espèce. Les services eussent-ils été rendus par une agence en vertu d'un contrat de services que les risques de pertes et les chances de profits n'auraient pas été différents de ce qu'ils furent pour les trois travailleurs en cause.
[27] En conclusion, les critères développés par la jurisprudence pour différencier un contrat de travail d'un contrat de services ne s'avèrent pas d'une grande utilité dans le contexte particulier de la présente affaire. Les services rendus au demandeur au cours de l'année 1999 et les conditions dans lesquelles ils furent rendus révèlent une fourniture de services aussi compatible avec celle découlant d'un contrat de services ou d'entreprise que celle émanant d'un contrat de travail. Ceci dit, comme le rappelait notre collègue, le juge Décary, dans l'affaire Wolf, précitée, au paragraphe 117, ces critères ne sont que des facteurs à considérer dans la détermination de ce "qui est l'essence même d'une relation contractuelle, à savoir l'intention des parties". Et d'ajouter le juge Décary, "en fin de compte, on finit par faire, en droit civil comme en common law, un examen des termes des conventions pertinentes et des circonstances pour découvrir la véritable réalité contractuelle des parties" : ibid., au paragraphe 113.
[28] Ceci m'amène à examiner l'intention des parties afin de déterminer la relation globale qu'elles désiraient entretenir entre elles.
d) l'intention des parties
[29] Il n'y a pas en l'espèce, comme c'est souvent le cas en semblables matières, de convention écrite, ce qui, de toute évidence, rend la recherche de l'intention plus difficile, mais pas nécessairement impossible.
[30] Compte tenu de la condition physique du demandeur et des conséquences qui découlent du statut d'employeur, je ne crois pas qu'il soit raisonnable d'inférer que le demandeur avait l'intention de conclure avec les trois travailleurs un contrat de travail faisant de lui leur employeur. Je soupçonne que cette hypothèse ne lui a même pas effleuré l'esprit tant il devait être convaincu qu'il avait retenu les services de travailleurs indépendants à l'égard desquels sa seule obligation était de verser le prix convenu pour les services. D'ailleurs, et ce à la connaissance du demandeur, Mme Paquette, l'auxiliaire familiale, travaillait déjà pour une agence à temps plein et ne fournissait des services au demandeur qu'une fin de semaine sur deux : Dossier du demandeur, pages 107 et 135. En outre, il ne faut pas oublier que, pour le demandeur, il s'agissait, pour tous les services reçus, de services fournis par la SAAQ qui en était le payeur.
[31] Du côté des travailleurs, rien n'indique qu'ils considéraient le demandeur comme leur employeur. La Cour canadienne de l'impôt a noté le fait que ces travailleurs ne se sont pas opposés à ce que leur emploi soit déclaré un emploi assurable, inférant de cela qu'ils se considéraient comme des employés. Or, les trois travailleurs ont témoigné lors de l'audition de l'appel de cotisation fait par le demandeur et aucun n'a déclaré s'être considéré un employé du demandeur. Peut-être tout aussi significatif et révélateur de leur intention au moment où l'entente est intervenue avec le demandeur est le fait que ces trois travailleurs ne se sont jamais plaints au ministre quant à l'assurabilité de leur travail et n'ont jamais demandé que celui-ci soit déclaré un emploi assurable : ils se considéraient comme des travailleurs indépendants et croyaient que c'est à ce titre qu'ils avaient transigé avec le demandeur.
[32] Un élément objectif apparaissant au dossier pourrait, en apparence, tendre à démontrer l'existence d'un contrat de travail avec deux des trois travailleurs : le demandeur a versé une paye de vacances à M. Piersotte, le préposé au bénéficiaire et à Mme Joseph, préposée au bénéficiaire et infirmière auxiliaire. Compte tenu de la sévérité du handicap du demandeur et du caractère essentiel, recurrent et quotidien de ses besoins et, en conséquence, des services que rendaient ces deux travailleurs, il était impossible pour ces derniers de prendre des vacances. Le versement d'un bonus ou d'une indemnité sous forme d'une paye de vacances se comprend dans de telles circonstances. La situation n'est pas différente de celle qui avait cours dans l'affaire Wolf, précitée, où une paye de vacances était versée au consultant parce qu'il n'avait pas le temps de prendre des vacances pendant la durée du contrat. Ce fait n'a pas empêché que son contrat soit interprété comme un contrat de services ou d'entreprise.
Conclusion
[33] Je suis satisfait que pour la période en litige, soit l'année 1999, le demandeur n'était pas l'employeur des trois travailleurs qui lui fournissaient des services et que la relation juridique entre lui et ces derniers était de la nature d'un contrat de services.
[34] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens en cette Cour et la Cour canadienne de l'impôt, d'infirmer la décision de la Cour canadienne de l'impôt et de retourner l'affaire à ladite Cour pour qu'elle rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que l'appel du demandeur à l'encontre de la cotisation du ministre du Revenu national pour l'année 1999 doit être accueilli et la cotisation déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte des présents motifs.
"Gilles Létourneau"
j.c.a.
"Je suis d'accord
J. Richard j.c."
"Je suis d'accord
M. Nadon j.c.a."
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-526-01
INTITULÉ : DANIEL POULIN c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA
DATE DE L'AUDIENCE : le 15 janvier 2003
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE NADON
DATE DES MOTIFS : le 30 janvier 2003
COMPARUTIONS :
Me Chantal Donaldson POUR LE DEMANDEUR
Me Gatien Fournier POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Leblanc, Dioguardi POUR LE DEMANDEUR
Hull (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada