Date : 20030626
Dossier : A-103-03
A-104-03
Référence : 2003 CAF 289
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE et INCO LIMITÉE
intimées
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), les 25 et 26 juin 2003.
Jugement rendu à l'audience, à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 juin 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR : LE JUGE SHARLOW
Date : 20030626
Dossier : A-103-03
A-104-03
Référence : 2003 CAF 289
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE SHARLOW
LE JUGE MALONE
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE et INCO LIMITÉE
intimées
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(rendus à l'audience, à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 juin 2003)
[1] La Cour est saisie de l'appel interjeté par la Couronne relativement aux ordonnances interlocutoires de la Cour canadienne de l'impôt (Imperial Oil Ltd. c. Canada, 2003 D.T.C. 179) rejetant sa requête visant la radiation des avis d'appel des deux intimées, ou la suspension des appels, au motif qu'ils visent des cotisations fondées sur les déclarations de revenus produites par les intimées et acceptées telles quelles ou modifiées à leur demande.
[2] Devant la Cour canadienne de l'impôt, la Couronne a soutenu qu'une cotisation établie électroniquement ou mécaniquement à partir d'une déclaration de revenus acceptée telle quelle, comme en l'espèce, ne constitue pas une « cotisation » au sens des par. 165(1) et 169(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu pouvant faire l'objet d'une opposition ou d'un appel lorsque le ministre ne donne pas suite à l'avis d'opposition dans un délai de 90 jours. Selon la Couronne, la Cour canadienne de l'impôt n'a pas compétence pour connaître des appels. Subsidiairement, si elle a compétence pour le faire, les appels constituent un abus de sa procédure.
[3] Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté les arguments de la Couronne et a rendu des motifs détaillés à l'appui. À notre avis, son analyse de chacun des arguments de la Couronne se fonde sur une interprétation juste des dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont voici le résumé. Le paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère à tout contribuable le droit de s'opposer à une cotisation moyennant le respect des exigences d'ordre procédural, y compris les délais prescrits. Lorsqu'il n'est pas donné suite à l'opposition dans le délai imparti, le paragraphe 169(1) confère au contribuable le droit d'interjeter appel à la Cour canadienne de l'impôt. Seule une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu peut priver le contribuable du droit de s'opposer à une cotisation ou retarder l'exercice de ce droit.
[4] La Couronne a formulé quatre arguments principaux dans le cadre du présent appel.
[5] Premièrement, elle soutient qu'un contribuable ne devrait pas pouvoir s'opposer à une cotisation fondée sur l'acceptation globale de sa déclaration de revenus. Cet argument doit être rejeté. Suivant les paragraphes 165(1) et 169(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le droit d'opposition et d'appel peut être exercé lorsque le ministre établit une cotisation. Ces dispositions ne font aucune distinction entre l'opposition à une cotisation rendue inexacte par un acte ou une omission du contribuable et l'opposition à une cotisation rendue inexacte par un acte ou une omission du ministre, qu'elle résulte ou non d'une vérification.
[6] Deuxièmement, la Couronne soutient qu'un contribuable ne devrait pas pouvoir s'opposer ou interjeter appel avant que la vérification ne soit terminée, car cela n'est ni pratique ni efficace. Si cet argument était jugé valide, le droit de s'opposer à une cotisation et d'en appeler ferait l'objet d'une restriction supplémentaire non prévue par la loi. Aucune disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu n'exige du contribuable qu'il retarde l'exercice de son droit de s'opposer à une cotisation ou d'en appeler pour tenir compte des contraintes administratives du ministre. L'argument doit donc être rejeté.
[7] Troisièmement, la Couronne prétend que, en s'opposant à la cotisation établie à partir de sa propre déclaration de revenus et en en appelant, le contribuable nuit aux activités de vérification du ministre. Cet argument n'est pas fondé. Le ministre peut procéder à une vérification et établir une nouvelle cotisation dans le délai prescrit même si une opposition ou un appel est en instance. Nous ne croyons pas non plus que le ministre pourrait se voir opposer qu'il y a chose jugée si un redressement après vérification était apporté une fois que la Cour canadienne de l'impôt a entendu un appel relatif à une question dont elle ne pouvait pas être saisie. Le droit du ministre d'établir une nouvelle cotisation dans le délai prescrit par la loi ne peut être ainsi limité. En outre, le principe de la chose jugée offre des garanties inhérentes écartant son application lorsque la justice l'exige dans des circonstances particulières.
[8] Quatrièmement, la Couronne fait valoir que si le contribuable peut en appeler de la cotisation fondée sur sa propre déclaration, le ministre perd l'avantage procédural consistant à invoquer les « hypothèses de base » à l'encontre d'un appel interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt, de sorte qu'il incombe au contribuable appelant de les réfuter. L'absence de fondement de cet argument ressort de la présente espèce, où le contribuable a demandé la déduction de certaines pertes sur change seulement au stade de l'opposition. Le droit à la déduction de ces pertes est maintenant débattu devant la Cour canadienne de l'impôt. En réponse à l'avis d'appel, le ministre a dit ne pas être informé de l'existence des pertes sur change et il exige que les intimées [Traduction] « en fassent la preuve stricte » . La position stratégique de la Couronne ne pourrait être meilleure.
[9] Le ministre a pour pratique d'établir très rapidement une cotisation initiale après avoir seulement procédé à un examen mécanique ou à une vérification arithmétique. Suivant les documents versés au dossier, cette pratique s'appuie sur des considérations de politique générale valables. Cependant, la Loi de l'impôt sur le revenu n'exige pas que, dans tous les cas, il établisse une cotisation initiale avant un examen approfondi de la déclaration de revenus. L'obligation légale du ministre consiste à établir la cotisation avec diligence raisonnable. Il s'agit d'une norme souple qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider qu'une déclaration de revenus en particulier doit faire l'objet d'un examen détaillé avant que la cotisation ne soit établie. Tant que l'examen requis progresse à un rythme raisonnable dans les circonstances, le ministre ne manque pas à son obligation légale d'établir la cotisation avec la diligence voulue.
[10] Les difficultés administratives découlant de la complexité des activités de deux grandes sociétés ont amené la Couronne à proposer une interprétation des dispositions législatives qui est non seulement incorrecte, mais qui est également susceptible de causer des difficultés excessives aux contribuables dont les activités ne sont pas complexes. Par exemple, il arrive assez souvent qu'un contribuable s'oppose à la cotisation établie à partir de sa propre déclaration de revenus. Cette démarche est courante, notamment lorsque le contribuable souhaite préserver son droit d'appel éventuel jusqu'à ce que le ministre décide d'accorder ou non la déduction qu'il avait simplement oubliée. Subsidiairement, le contribuable peut décider de faire une allégation sujette à controverse seulement au stade de l'opposition, puisqu'une décision défavorable n'entraînera pas d'obligation fiscale. Bon nombre de demandes de cette nature pourraient être dûment examinées sans que la déclaration ne fasse l'objet d'une vérification complète.
[11] En l'espèce, les intimées n'ont pas été victimes d'une erreur. Elles ont à dessein choisi de recourir à une stratégie qui place le ministre dans une situation inhabituelle et inconfortable. Toutefois, nous ne faisons pas droit à la prétention de la Couronne selon laquelle le contribuable qui décide d'exercer son droit légal de s'opposer à une cotisation, puis d'en appeler, abuse de la procédure de la Cour canadienne de l'impôt.
[12] Pour les motifs qui précèdent, nous arrivons à la conclusion que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a eu raison de rejeter la requête de la Couronne visant la radiation de l'appel.
[13] Les mêmes motifs appuient la décision du juge de ne pas suspendre l'instance. Comme il l'a dit, la suspension est une mesure extraordinaire que ne justifient pas les éléments qui lui ont été présentés.
[14] Nous n'avons pas écarté la possibilité que, du fait qu'elle n'a pas effectué la vérification habituelle, la Couronne pourrait avoir besoin de plus de temps pour mener à bien la communication de la preuve qu'autorisent les règles de la Cour canadienne de l'impôt. Aucun élément de la décision portée par l'appel n'empêche la Couronne de demander au besoin une prorogation de délai, soit avec le consentement des intimées, soit en présentant une requête en ce sens à la Cour canadienne de l'impôt. Cette dernière a le pouvoir de suspendre et d'ajourner l'instance pour permettre au ministre de procéder à une vérification nécessaire ou d'éviter un litige inutile. Ce pouvoir doit être exercé judiciairement, et la décision de l'exercer ou non peut faire l'objet d'un appel. Nous nous refusons à supposer que la Cour canadienne de l'impôt n'exercera pas ce pouvoir de cette manière si elle est saisie d'une demande de suspension ou d'ajournement et d'une preuve suffisante à l'appui.
[15] Pour ces motifs, les appels seront rejetés.
« Karen R. Sharlow »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claire Vallée, LL.B.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-103-03 et A-103-04
INTITULÉ DE LA CAUSE : Sa Majesté la Reine c. Compagnie pétrolière Impériale Ltée et Inco Limitée
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : 25 et 26 juin 2003
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LES JUGES LÉTOURNEAU, SHARLOW ET MALONE
DÉCISION RENDUE À L'AUDIENCE PAR :LE JUGE SHARLOW
ONT COMPARU :
Me Luther P. Chambers POUR L'APPELANTE
Me George Boyd Aitken
Me Rhonda Nahorniak
Me Alnasir Meghji POUR LA PARTIE INTIMÉE
Me Gerald Grenon
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Morris Rosenberg POUR L'APPELANTE
Sous-procureur général du Canada
Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l. POUR LA PARTIE INTIMÉE
Toronto (Ontario)