Date : 20030218
Dossier : A-563-02
(T-1747-00)
Référence neutre : 2003 CAF 87
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
et
AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et
ASTRAZENECA INC.
intimées
(demanderesses)
et
MINISTRE DE LA SANTÉ
intimé
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE STRAYER
[1] Il s'agit d'une requête présentée par l'appelante en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve en appel.
[2] Les intimées AB Hassle, Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc. (Astra), ont des intérêts dans le brevet canadien 1,292,693 (le brevet 693). Le 1er août 2000, l'appelante a signifié à Astra un avis d'allégation conformément à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) à l'égard de certains comprimés qu'elle avait l'intention de commercialiser. Dans cet avis d'allégation, l'appelante affirmait que son comprimé ne constituait pas une contrefaçon du brevet 693. Astra a demandé à la Cour d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité. La demande a été instruite les 6 et 7 août 2002 et le juge Kelen y a fait droit le 4 septembre 2002. L'appelante fait appel de cette décision.
[3] L'appelante a soutenu lors de l'instruction de la demande d'interdiction que son comprimé ne constituait pas une contrefaçon du brevet 693, du fait que ce brevet décrit un comprimé contenant de l'oméprazole avec un noyau, un sous-enrobage et un enrobage externe. Ces enrobages sont importants, car ils permettent au comprimé, pris pour soigner les ulcères, d'atteindre, sans dissolution pendant le transfert, les intestins où il est requis. L'appelante a affirmé que le brevet 693 exige l'application d'un sous-enrobage sur le noyau lors d'une étape distincte avant l'application de l'enrobage externe. L'appelante a soutenu que son comprimé, bien qu'il possède un sous-enrobage, ne donne pas lieu à une application séparée de ce sous-enrobage. Elle soutient plutôt que son sous-enrobage est généré in situ lorsque l'enrobage externe est appliqué sur le noyau. Cependant, à l'instruction de la demande d'interdiction, un affidavit d'expert a été présenté par Astra indiquant que les revendications du brevet 693 comportaient une formulation avec un sous-enrobage formé in situ.
[4] Moins d'un ou de deux mois après l'ordonnance d'interdiction du juge Kelen, un avocat d'un cabinet ne représentant pas l'appelante dans ce litige a découvert l'existence du brevet numéro 2,186,037 (le brevet 037), publié en août 1996 et accordé en avril 2002 à Astra AB (un prédécesseur d'Astrazeneca AB). Ce brevet fait lui aussi état d'une formulation pour un comprimé d'oméprazole. Il décrit spécifiquement un comprimé avec un sous-enrobage formé in situ. Ce brevet n'a pas été mentionné par Astra au cours de l'instance qui s'est déroulée devant le juge Kelen, et, selon l'affidavit de l'avocat qui l'a découvert postérieurement en octobre 2002, il n'était pas connu de l'avocat de l'appelante ni des responsables de son client, la compagnie appelante.
[5] L'appelante souhaite maintenant que ce brevet soit présenté en preuve, accompagné de l'affidavit de Rick Tusi, l'avocat qui en a découvert l'existence. Son affidavit atteste les faits déjà décrits ainsi que le fait que l'avocat de l'appelante et le président de la compagnie appelante l'ont informé qu'ils ne connaissaient pas l'existence du brevet 037. Il décrit ensuite dans son affidavit les deux brevets et en arrive à la conclusion suivante.
[TRADUCTION] Il découle à l'évidence de tout ce qui précède que l'invention présumée d'une formulation d'oméprazole, comprenant un noyau qui contient de l'oméprazole et un composé alcalin réactif, une couche gastrorésistante et entérosoluble incluant une couche polymérique gastrorésistante et entérosoluble, et une couche séparatrice hydrosoluble formée in situ sous forme d'un sel hydrosoluble entre le noyau et la couche gastrorésistante et entérosoluble par réaction entre la couche polymérique gastrorésistante et entérosoluble et le composé alcalin réactif, est l'objet du brevet 037 et, par conséquent, n'a pas et n'a pas pu être l'objet d'une invention quelle qu'elle soit, divulguée et revendiquée dans les brevets en cause.
[6] L'appelante soutient donc que si l'existence du brevet 037 avait été connue par le juge de première instance, il n'aurait pas pu concevoir que le brevet 693 porte également sur une formulation comportant un sous-enrobage créé in situ. Cela découlerait automatiquement du fait qu'après la délivrance du brevet 693, qui ne renfermait aucune référence spécifique à un sous-enrobage formé in situ, il y a eu délivrance du brevet 037 qui y faisait effectivement référence. L'appelante estime que le fait que le second brevet revendiquait une sous-couche formée in situ démontrerait clairement que le premier brevet ne portait pas sur un comprimé comportant un sous-enrobage formé in situ.
[7] Le critère qui régit l'admission de nouveaux éléments de preuve en appel a été réitéré par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Public School Boards' Association c. Alberta [2000] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 6 :
(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : voir McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.
(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.
(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi, et
(4) elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.
[8] Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l'espèce, j'en arrive à la conclusion que je ne devrais pas admettre les éléments de preuve en question.
[9] En premier lieu, l'affidavit souscrit par M. Tuzi ne m'a pas convaincu que l'appelante ou son avocat n'auraient pas pu découvrir l'existence du brevet 037 en exerçant une diligence raisonnable avant l'instruction de la demande d'interdiction. Le brevet a été publié pour la première fois en 1996 et l'appelante a envoyé son avis d'allégation le 1er août 2000. Le brevet 037 concerne un médicament que l'appelante s'apprêtait à vendre et pour lequel elle cherchait à obtenir un avis de conformité. Comme il est évident qu'il y avait un risque de conflit au sujet de la portée du brevet 693, il serait étonnant que l'appelante n'ait pas procédé à des recherches approfondies en vue de trouver un brevet qui aurait pu l'aider à interpréter le brevet 693. À cet égard, l'argument de l'appelante se retourne contre elle. Elle insiste sur l'importance vitale que revêt cet élément de preuve en ce qui concerne l'interprétation à donner au brevet 693, mais elle explique que la possibilité de l'existence du brevet 037 n'est pas une chose qu'on vérifierait normalement pour préparer ses arguments au sujet de l'interprétation d'un brevet déjà délivré pour des comprimés renfermant le même médicament. Qui plus est, j'estime que la preuve soumise au sujet de la diligence raisonnable de la compagnie appelante ou de son avocat n'est pas suffisamment claire et convaincante. Il n'y a pas de preuve directe provenant de l'une ou l'autre de ces sources, mais uniquement le ouï-dire d'un avocat qui n'est pas impliqué dans le présent procès au sujet du caractère raisonnable des mesures que ces personnes ont ou n'ont pas prises pour trouver cet élément de preuve avant l'instruction de la demande d'interdiction.
[10] Il y a lieu de signaler, en ce qui concerne le premier volet du critère posé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Public School Boards' Association (précité), que le critère de la diligence raisonnable doit être appliqué plus rigoureusement dans les affaires civiles. Or, je conclus qu'il n'a pas été établi de façon satisfaisante que les intéressés avaient fait preuve de diligence raisonnable en l'espèce.
[11] Les nouveaux éléments de preuve que l'on cherche à présenter au sujet du brevet 037 sont susceptibles d'être pertinents et leur texte est « digne de foi » . Je ne crois cependant pas qu'on puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'un brevet, au sujet duquel on ne disposerait que des explications d'un avocat, pourrait avoir des incidences sur le résultat. L'appelante table fortement sur la décision que notre Cour a rendue dans l'affaire Abbott Laboratories, Ltd. et al. c. Nu-Pharm Inc., (1998) 83 C.P.R. (3d) 441. Dans cette affaire, deux brevets qui avaient été délivrés après le brevet qui fait l'objet de l'interprétation avaient été jugés pertinents pour l'interprétation du premier brevet. Le débat ne tournait pas autour de l'admission de nouveaux éléments de preuve. La question de l'existence des brevets ultérieurs avait été traitée dans la preuve initiale soumise au juge de première instance. Les brevets avaient été mis en preuve par Nu-Pharm Inc. et les trois experts d'Abbott avaient été contre-interrogés à leur sujet. Or, ce n'est pas le cas en l'espèce et, à mon avis, une formation collégiale de notre Cour qui recevrait les nouveaux éléments de preuve proposés ne les trouverait pas très utiles à défaut d'une analyse à laquelle un expert procéderait au sujet du brevet 037 ou du brevet 693 encore une fois à la lumière de l'existence du brevet 037. Il y a par ailleurs lieu de noter que, dans l'arrêt Abbott, notre Cour n'a pas dit que l'existence des brevets ultérieurs avait une incidence déterminante sur le sort de l'affaire, mais simplement que cet élément de preuve soulevait une apparence de droit lorsqu'il était présenté à l'instruction de la demande, de sorte que la charge de la preuve incombait à Abbott, la demanderesse, qui devait démontrer que, malgré l'existence de brevets ultérieurs portant sur un procédé semblable à celui de Nu-Pharm, le premier brevet visé par l'avis d'allégation était néanmoins suffisamment large pour couvrir également le procédé de Nu-Pharm. La Cour a simplement statué qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, le juge de première instance avait commis une erreur en continuant à faire reposer le fardeau de la preuve sur Nu-Pharm. En l'espèce, la charge de la preuve n'est pas en litige.
[12] De plus, il est important de noter les motifs pour lesquels le juge de première instance a accordé l'interdiction dans le cas présent. Il a agi ainsi en se fondant sur le fait que la lettre de l'appelante du 1er août 2000 n'était pas conforme à la réglementation et qu'elle ne constituait donc pas un avis d'allégation. Il en est arrivé à cette conclusion parce que l'avis ne renfermait pas de faits suffisants au sujet de la formulation du nouveau médicament pour que les demanderesses puissent déterminer si les comprimés génériques possèdent un « sous-enrobage inerte » , et parce que l'avis ne représentait pas non plus un fondement juridique sur lequel Apotex pouvait ultérieurement faire valoir à l'audience que le sous-enrobage revendiqué dans le brevet 693 se limitait à un sous-enrobage tel qu'appliqué par le procédé décrit ici, c'est-à-dire par une étape distincte pour l'application du sous-enrobage sur le noyau du comprimé. Il semble clair que la nouvelle preuve avancée ne pouvait compenser les carences de l'avis d'allégation initial et qu'à moins que la Cour d'appel ne soit disposée à infirmer la décision du juge de première instance sur ce point, l'appel ne peut réussir. Le seul développement pertinent serait que la présente Cour commence à trouver que l'avis d'allégation était valide. Alors seulement, la Cour pourrait tenir compte de toute nouvelle preuve concernant l'interprétation du brevet 693.
Dispositif
[13] Par ces motifs, je rejette avec dépens la requête en présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l'appel.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-563-02
INTITULÉ : Apotex Inc. c. AB Hassle, Astrazeneca AB et al.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : mardi, 28 janvier 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Strayer
DATE DES MOTIFS : mardi, 18 février 2003
COMPARUTIONS :
H.B. Radomski & Andrew Brodkin POUR L'APPELANTE
Gunars A. Gaikis & J. Sheldon Hamilton POUR LES INTIMÉES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
H.B. Radomski/Andrew Brodkin/Ildiko Mehes
GOODMANS LLP
Toronto (Ontario)
POUR LES APPELANTES
Gunars A. Gaikis/J. Sheldon Hamilton
SMART & BIGGAR
Toronto (Ontario)
Eric Peterson
Ministère de la Justice
Toronto (Ontario) POUR LES INTIMÉES
Date : 20030218
Dossier : A-563-02
(T-1747-00)
OTTAWA (ONTARIO), LE MARI 18 FÉVRIER 2003
CORAM : LE JUGE STRAYER
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
(défenderesse)
et
AB HASSLE, ASTRAZENECA AB et
ASTRAZENECA INC.
intimées
(demanderesses)
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
intimé
ORDONNANCE
La requête en autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel est rejetée avec dépens.
« B.L. Strayer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.