Date : 20030403
Dossier : A-71-02
Référence neutre : 2003 CAF 176
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
ENTRE :
NORMAND MARTINEAU
appelant
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé
Audience tenue à Montréal (Québec), les 2 et 3 avril 2003.
Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 3 avril 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE LÉTOURNEAU
Date : 20030403
Dossier : A-71-02
Référence neutre : 2003 CAF 176
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
ENTRE :
NORMAND MARTINEAU
appelant
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Montréal (Québec)
le 3 avril 2003.)
[1] Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une décision du juge Blais, de la Section de première instance, qui était saisi d'une requête visant à obtenir l'annulation d'une décision du protonotaire Morneau.
[2] Par sa décision, le juge Blais a rejeté avec dépens la requête de l'appelant qui, en vertu de l'article 124 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e supplément) ( « Loi » ), a fait l'objet d'un avis de confiscation compensatoire. L'avis fut émis suite aux allégués de fausses déclarations faits contre l'appelant en rapport avec une exportation ou une tentative d'exportation de marchandises, le tout contrairement au paragraphe 95(1) et aux alinéas 153a) et c) de la Loi.
[3] Le juge des requêtes a rejeté la requête pour deux motifs. Premièrement, l'affidavit signé par le procureur de l'appelant était contraire à la Règle 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) qui, sauf autorisation de la Cour, ne permet pas à un avocat d'être à la fois l'auteur d'un affidavit et de présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. Séance tenante, le procureur signataire de l'affidavit a demandé au juge Blais, et s'est vu refuser par ce dernier, l'autorisation de déroger à la Règle 82. L'intimé n'a, en aucun temps, soulevé d'objection fondée sur la Règle 82. Il n'a d'ailleurs en appel soumis aucun argument sur la question.
[4] Deuxièmement, le juge des requêtes a refusé d'accéder à la prétention de l'appelant qu'il était un inculpé, qu'il avait droit au bénéfice de l'alinéa 11c) de la Charte canadienne des droits et libertés ( « Charte » ), et, conséquemment, qu'il était exempt de l'obligation de se soumettre à un interrogatoire au préalable dans le cadre de l'action intentée pour contester la décision du ministre du Revenu national ( « ministre » ) maintenant l'avis de confiscation compensatoire.
[5] L'appelant s'en prend à ces deux conclusions du juge. Suite à l'envoi d'un Avis de question constitutionnelle conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale et à la Règle 69 de nos Règles, il conteste l'applicabilité constitutionnelle de la Règle 236(2) qui énonce le droit d'un défendeur d'interroger un demandeur à tout moment après le dépôt de la déclaration. À l'audience, il fut convenu entre les parties et nous que l'applicabilité de la Règle 236 dépendait de la reconnaissance ou non du statut « d'inculpé » de l'appelant et qu'il n'y avait pas lieu pour les parties de faire des représentations particulières à la Règle 236 et différentes de celles qui ont été faites à l'égard de l'alinéa 11c) de la Charte.
[6] Le procureur de l'appelant n'a pas insisté sur l'aspect de la décision du juge des requêtes portant sur l'affidavit déposé au soutien de la requête. Nous sommes satisfaits des explications qu'il nous a fournies quant à sa teneur et quant aux raisons pour lesquelles il l'a lui-même signé. Nous avons pu échanger avec lui sur le but et la portée de la Règle 82 de même que sur les limites posées par la Règle 81 qui n'avait aussi pas été suivie. Nous sommes alors convenus d'examiner la question de fond relative à l'application de l'alinéa 11c) de la Charte.
[7] Malgré l'excellente plaidoirie du procureur de l'appelant, nous sommes satisfaits, comme le furent le juge des requêtes et le protonotaire, que l'appelant n'est pas un inculpé dans l'action qu'il a entreprise, conformément à l'article 135 de la Loi, pour contester la décision du ministre. Cet article se lit :
135. (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l'article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d'action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.
Action ordinaire (2) La Loi sur la Cour fédérale et les Règles de la Cour fédérale applicables aux actions ordinaires s'appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), sous réserve des adaptations occasionnées par les règles particulières à ces actions. |
135. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.
Ordinary Action (2) The Federal Court Act and the Federal Court Rules applicable to ordinary actions apply in respect of actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions. |
[8] Cet article prévoit que la personne qui a demandé au ministre de rendre une décision sur l'avis de confiscation compensatoire peut en appeler par voie d'action et que les Règles de la Cour fédérale relatives aux actions ordinaires s'appliquent. Il est surprenant, voire même déroutant, de constater qu'un appel à l'encontre d'une décision ministérielle se fait par voie d'action, mais c'est là la procédure choisie par le législateur. C'est celle que l'appelant a suivie. C'est aussi celle qui le lie et qui, tant qu'elle n'aura pas été déclarée inconstitutionnelle, nous dicte la marche à suivre en faisant, bien sûr, les adaptations nécessaires lorsque requises.
[9] Après une période de flottement consécutive à l'adoption de la Charte concernant la nature de procédures de saisie et de confiscation en vertu des lois fiscales, période où est intervenue la décision de notre Cour dans l'affaire Canada c. Amway of Canada Ltd., [1987] 2 C.F. 131 (C.A.F.), la jurisprudence s'est cristallisée. Il est maintenant acquis que ces procédures, incluant celles en vertu de la Loi, ainsi que les pénalités administratives imposées sont des procédures et des peines civiles et non criminelles : Time Data Recorder International Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1997] F.C.J. No. 475 (C.A.F.), Lavers v. British Columbia (Minister of Finance), [1989] B.C.J. No. 2239 (C.A. C.-B.), R. v. Yes Holdings Ltd., [1987] A.J. No. 1040 (C.A. Alta). De même, la confiscation de biens saisis en vertu de la Loi n'équivaut pas à une mise en accusation donnant ouverture à l'application de l'article 11 de la Charte : R. c. Luchuk, [1987] B.C.J. No. 2021 (C.A. C.-B.). La raison en est que ces pénalités imposées en matière fiscale, incluant les douanes, et les procédures de saisie et de confiscation qui en découlent sont, dans un système de déclarations volontaires, destinées à régir la conduite des contribuables en vue d'assurer, d'une manière préventive, le respect des lois fiscales. Ce sont des procédures de nature administrative. Et pour utiliser les termes de Madame la juge Wilson dans l'affaire R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, à la page 560, au paragraphe 23, "[l]es procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d'une loi ne sont pas ... le genre de procédures relatives à une « infraction » , auxquelles s'applique l'art. 11."
[10] En l'instance, l'appelant est un demandeur dans une action où, comme l'exige l'article 135, le ministre est le défendeur. Il n'est pas un inculpé dans cette procédure. Il n'est poursuivi ni civilement, ni pénalement. En fait, il est lui-même le poursuivant au sens civil du terme. La procédure qu'il a entreprise lui-même ne peut déboucher sur aucune condamnation, amende ou conséquence pénale au sens pénal du terme, faisant de lui un inculpé en vertu de l'alinéa 11c) de la Charte. La décision de procéder à une confiscation compensatoire est déjà prise et confirmée par le ministre. La procédure intentée par l'appelant pour contester la décision du ministre est, en somme, une procédure pour faire annuler la créance de l'intimé ainsi que la mesure de recouvrement de cette créance que constitue la confiscation compensatoire.
[11] L'appelant s'est bien efforcé, en s'appuyant sur l'arrêt Wigglesworth, précité, de nous convaincre que la procédure en l'espèce comporte l'imposition de véritables conséquences pénales entraînant l'application de l'article 11 de la Charte. Tout comme la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Lavers, précitée, qui a considéré l'impact de cette décision par rapport à l'imposition de pénalités de 25 à 50 pour 100 pour avoir éludé des paiements d'impôts, nous sommes d'avis qu'en l'espèce, la confiscation du bien dissimulé ou non déclaré, ou d'un montant égal à la valeur de ce bien ou moindre que cette dernière, tout en reconnaissant le sérieux de la sanction administrative prévue par la Loi, ne constitue pas « une véritable conséquence pénale » au sens requis par l'article 11 de la Charte.
[12] Pour ces motifs, l'appel sera rejeté, sans préjudice au droit de l'appelant de contester, comme il le fait dans l'instance, la constitutionnalité du processus de contestation de la décision du ministre.
« Gilles Létourneau »
j.c.a._
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
Date : 20030403
Dossier : A-71-02
Entre :
NORMAND MARTINEAU
appelant
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D'APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-71-02
INTITULÉ :
NORMAND MARTINEAU
appelant
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Les 2 et 3 avril 2003
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LÉTOURNEAU, NADON, PELLETIER, J.C.A.)
PRONONCÉS À L'AUDIENCE : LE JUGE LÉTOURNEAU
DATE DES MOTIFS : Le 3 avril 2003
COMPARUTIONS :
Me Frédéric Hivon |
POUR L'APPELANT |
Me Jacques Savary Me Marie-Ève Sirois-Vaillancourt |
POUR L'INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hivon, Beaulac Montréal (Québec) |
POUR L'APPELANT |
Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR L'INTIMÉ |