Date : 20030114
Dossiers : A‑423‑00
A‑424‑00
A‑425‑00
A‑426‑00
Référence neutre : 2003 CAF 9
CORAM: LE JUGE STONE
ENTRE : A‑423‑00
VAUGHN PICTOU
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑424‑00
RODERICK A. GOOGOO
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑425‑00
EDWARD GOOGOO
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑426‑00
JO‑ANN TONEY‑THORPE
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Halifax (Nouvelle‑Écosse), les 6 et 7 novembre 2002.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2003.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE STONE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE PELLETIER
Date : 20030114
Dossiers : A‑423‑00
A‑424‑00
A‑425‑00
A‑426‑00
Référence neutre : 2003 CAF 9
CORAM: LE JUGE STONE
LE JUGE ROTHSTEIN
LE JUGE PELLETIER
ENTRE : A‑423‑00
VAUGHN PICTOU
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑424‑00
RODERICK A. GOOGOO
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑425‑00
EDWARD GOOGOO
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
ET ENTRE : A‑426‑00
JO‑ANN TONEY‑THORPE
appelante
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] La question en litige fondamentale dans le cadre des présents appels est celle de savoir si les appelants, qui sont des Indiens inscrits de la Nouvelle‑Écosse, sont tenus de percevoir et de verser la taxe sur les produits et services, en application de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.C. 1990, ch. 45, à l’égard des ventes à des clients non indiens dans les points de vente au détail situés dans leur réserve respective en Nouvelle‑Écosse. Les appelants soutiennent qu’en vertu d’une série de traités conclus entre les Micmacs et les autorités britanniques en 1760‑1761 en Nouvelle‑Écosse, ils sont dispensés à l’obligation prévue par cette loi de percevoir et de verser la taxe à l’égard de telles ventes.
[2] Au moyen de cotisations datées du 12 février 1993 (Roderick A. Googoo), du 16 mai 1993 (Jo‑Ann Toney‑Thorpe), du 16 mai 1995 (Vaughn Pictou) et du 1er décembre 1995 (Edward Googoo), l’intimée a imposé chacun des appelants pour les montants de taxe sur les produits et services qu’ils avaient omis de percevoir et de verser, en y ajoutant des pénalités. Chacune de ces cotisations a été contestée devant la Cour canadienne de l’impôt; tous les appels ont été rejetés par des jugements datés du 29 mai 2002. Ces jugements font l’objet du présent appel. Les commerces de détail des appelants étaient tous de même type, seule leur taille étant variable. Vaughn Pictou exploitait un poste d’essence dans la réserve de Yarmouth; Edward Googoo et Roderick A. Googoo exploitaient des postes d’essence et des dépanneurs adjacents dans la réserve de Whycocomagh; Jo‑Ann Toney‑Thorpe exploitait un dépanneur dans la réserve de Cambridge. Pendant les périodes en cause, les ventes à des clients non indiens dans ces divers points de vente au détail se sont élevées à des sommes variant de 26 000 $ à 159 000 $ par mois.
Arguments soulevés au procès
[3] Les appelants ont soulevé quatre arguments distincts au procès. Ils ont soutenu qu’une clause commerciale prévue dans les traités conclus en 1760‑1761 entre les Micmacs et les autorités britanniques en Nouvelle‑Écosse avait pour effet de dispenser les Micmacs de l’application de toute loi leur enjoignant d’aider l’intimée à percevoir une taxe sur les ventes à des clients non indiens dans le cours des affaires. Outre la clause commerciale des traités de 1760‑1761, ils soutiennent que, puisque ceux‑ci étaient des traités de paix et d’amitié, ils avaient pour effet de dispenser les Micmacs de l’application de toute loi leur imposant des obligations nouvelles à moins qu’on ne les ait d’abord consultés et obtenu leur consentement. Les appelants ont enfin prétendu que l’article 87 de la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I‑5, les dispensait de l’obligation de percevoir et de verser des taxes et, qu’en tout état de cause, l’article 89 de cette loi faisait obstacle à la saisie de leurs biens dans une réserve par l’intimée. Le juge Bowie de la Cour canadienne de l’impôt a rejeté tous ces arguments; notre Cour ne traitera pas plus avant des deux derniers.
La clause commerciale
[4] La clause commerciale en question figure dans des traités de paix et d’amitié conclus en Nouvelle‑Écosse, en 1760 et 1761, entre les Micmacs et les autorités britanniques. Avant que ces traités ne soient conclus, à la mi‑février 1760, les Pescomodys et les Indiens [Malécites] du fleuve Saint‑Jean, de l’actuel Nouveau‑Brunswick, se sont rendus à Halifax en vue de conclure un traité de paix et d’amitié avec les autorités coloniales britanniques, lequel traité a été signé le 23 février 1760. À la fin du même mois, les chefs micmacs Paul Laurent, de La Have, et Michael Augustine, de Richibucto, sont arrivés à Halifax dans le même but. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a émis les commentaires suivants sur cette tentative, au paragraphe 19 de ces motifs :
[traduction]
Les modalités des traités venant d’être conclus avec les Malécites et les Pescomodys ont été communiquées aux deux chefs, qui ont dit au gouverneur de la colonie que les Micmacs seraient disposés à accepter les mêmes conditions. Des traités avec les Micmacs ont effectivement été conclus selon les mêmes modalités que dans le cas des Malécites et des Pescomodys. Les Britanniques entendaient conclure un traité global avec les divers villages micmacs. Un traité global n’a jamais été conclu, mais les villages ont tous bel et bien conclu des traités comportant les mêmes modalités, y compris la clause commerciale et les maisons de troc.
[5] Un traité de paix et d’amitié conclu entre Paul Laurent et le gouverneur Charles Lawrence de la Nouvelle‑Écosse et signé le 10 mars 1760 renferme l’engagement suivant pris par Laurent :
[traduction]
Et je promets en outre, en mon nom et au nom de ma tribu, que nous n’assisterons, ni directement ni indirectement, aucun des ennemis de Sa Majesté très sacrée le Roi George II, de ses héritiers ou successeurs, ni ne ferons quelque forme de commerce, de trafic ou d’échanges avec eux; mais qu’au contraire nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour découvrir et signaler au gouverneur de Sa Majesté tout complot formé ou ourdi contre les sujets de Sa Majesté. Et je prends en outre l’engagement que nous ne trafiquerons, ne troquerons et n’échangerons aucune marchandise, de quelque manière que ce soit, si ce n’est qu’avec les personnes ou les gérants des maisons de troc qui seront désignées ou établies par le gouverneur de Sa Majesté à Lunenburg ou ailleurs en Nouvelle‑Écosse ou Acadie.
[Non souligné dans l’original.]
Le passage souligné est parfois désigné sous le nom de « clause commerciale ». Un traité de paix et d’amitié renfermant des modalités identiques a été conclu entre le gouverneur Lawrence et Michael Augustine et signé le 10 mars 1760. Comme le juge de la Cour canadienne de l’impôt l’a mentionné, les divers villages micmacs de la Nouvelle‑Écosse ont conclu par la suite des traités comportant les mêmes modalités, y compris la clause commerciale. Les Micmacs du Cap‑Breton ont ainsi conclu un traité le 25 juin 1761. Aucun de ces traités ne fait état de l’acceptation par les Micmacs de l’obligation de payer ou de percevoir toute taxe imposée par les autorités britanniques. Selon leurs termes, les Micmacs ont déclaré reconnaître « [traduction] la juridiction et la domination » du souverain britannique « [traduction] sur les territoires de la Nouvelle‑Écosse ou d’Acadie et nous faisons notre soumission à Sa Majesté de la manière la plus complète et la plus solennelle ». Les Micmacs ont également convenu qu’en cas de mésentente ils n’exerceraient « [traduction] aucune vengeance personnelle, mais que nous demanderons réparation selon les lois établies dans les Dominions de Sa Majesté ».
[6] La Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’examiner la portée de la clause commerciale des traités de 1760‑1761 dans l’affaire R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Tel que le juge Binnie l’a alors souligné au nom de la majorité, au paragraphe 29, la « clause relative au commerce des Mi’kmaq tire [...] son origine des négociations antérieures du gouverneur avec les Premières nations Maliseet et Passamaquody », alors que les chefs de ces premières nations ont demandé « l’établissement d’une maison de troc afin de leur fournir des biens nécessaires, en échange de leurs pelleteries », ce que les Britanniques ont convenu de faire; la Couronne est liée sur son honneur à cet égard. Les traités eux‑mêmes ne faisaient nulle mention du droit de pêcher. Le rôle de la Cour, tel que l’a énoncé le juge Lamer (plus tard juge en chef) dans R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la page 1069, consiste à « choisir, parmi les interprétations de l’intention commune qui s’offrent à nous, celle qui concilie le mieux » les intérêts des Mi’kmaq et de la Couronne au moment où les traités ont été conclus. De l’avis du juge Binnie (au paragraphe 35), la « clause relative au commerce n’aurait pas favorisé les objectifs des Britanniques (des relations harmonieuses avec un peuple mi’kaq autosuffisant) ni ceux des Mi’kmaq (l’accès aux « biens nécessaires » européens, sur lesquels ils étaient venus à compter) si les Mi’kmaq n’avaient pas été assurés, implicitement ou explicitement, d’avoir un accès continu aux ressources de la faune pour en faire le commerce. » Le juge Binnie s’est ensuite penché sur la question de la preuve extrinsèque et a déclaré ce qui suit, au paragraphe 58 de ses motifs :
Le document du 11 février 1760 faisait état de « l’établissement d’une maison de troc afin de leur fournir des biens nécessaires » (je souligne). Par conséquent, ce qui est envisagé ce n’est pas un droit de commercer de façon générale pour réaliser des gains financiers, mais plutôt un droit de commercer pour pouvoir se procurer des biens nécessaires. Le droit issu du traité est un droit réglementé qui peut, par règlement, être circonscrit à ses limites appropriées.
Il a déduit de cette preuve l’existence d’une clause implicite portant que les traités conféraient aux Micmacs le droit de pêcher et de chasser les produits qu’ils avaient le droit, en vertu des traités, d’échanger avec les autorités britanniques contre des « biens nécessaires ».
[7] Il est manifeste que le juge de la Cour de l’impôt a bien compris qu’il fallait interpréter les traités en cause selon le contexte historique, tel qu’il a été énoncé dans de récents arrêts de la Cour suprême du Canada, notamment Marshall, précité. Au paragraphe 28 de ses motifs, il a cité le juge Cory dans R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, qui a déclaré ce qui suit (au paragraphe 52) : « [...] le tribunal qui examine un traité doit tenir compte du contexte dans lequel les traités ont été négociés, conclus et couchés par écrit. » Le juge Cory a également souligné qu’en « tant qu’écrits, les traités constataient des accords déjà conclus verbalement, mais ils ne rapportaient pas toujours la pleine portée des ententes verbales », et qu’ils « ont été rédigés en anglais par des représentants du gouvernement canadien qui, on le présume, connaissaient les doctrines de common law ». Pour interpréter un traité, il était donc nécessaire de prendre en compte les différences culturelles et linguistiques existant entre les parties. Dans Marshall, précité, au paragraphe 13, le juge Binnie a attiré l’attention sur l’opinion exprimée par le juge Lamer dans Sioui, précité, au paragraphe 1068, selon laquelle « [s]i le contexte historique a pu servir à démontrer l’existence du traité, il peut tout aussi bien nous aider à interpréter l’étendue des droits qui sont contenus dans ce traité ».
Preuve de nature historique et contextuelle
[8] Le dossier d’instruction consiste pour une large part en un nombre important de documents historiques tirés d’archives et de sources publiées, dont l’authenticité a été reconnue par les parties. Comme le dossier le révèle et tel que le juge de la Cour de l’impôt l’a fait observer aux paragraphes 12 et 13 de ses motifs, le processus de conclusion de traités allait bon train entre les Micmacs et les Britanniques en 1725, alors que ces derniers ont tenu des réunions à Boston avec des Penobscots, qui représentaient les Abénaquis de ce qui est maintenant devenu le Maine, des Malécites de l’actuelle région sud‑ouest du Nouveau‑Brunswick et des Micmacs de la Nouvelle‑Écosse. Paul Mascarene, membre du Conseil de Sa Majesté, représentait la Nouvelle‑Écosse à ces négociations. Les négociations ont donné lieu à un traité, daté du 15 décembre 1725 et visant les Micmacs de la Nouvelle‑Écosse, qui a été ratifié le 11 juin 1726 à Annapolis Royal. Par ce traité, les Micmacs ont fait leur « [traduction] soumission à Sa Majesté de manière aussi complète qu’ils l’avaient fait précédemment au Roi Très Chrétien » et ont convenu « [traduction] qu’en cas de querelle ou mésentente, nous n’exercerons aucune vengeance personnelle, mais que nous demanderons réparation selon les lois de Sa Majesté ». Le traité ne faisait nulle mention de commerce avec les Indiens non plus que de taxation.
[9] Le 15 août 1749, immédiatement après qu’Halifax a été fondée et est devenue le nouveau siège du gouvernement de la Nouvelle‑Écosse, des représentants des Indiens de Saint‑Jean se sont entendus avec le gouverneur Edward Cornwallis pour reconduire et confirmer le traité conclu le 15 décembre 1725 à Boston. La reconduction n’a pas produit ses effets et les relations sont devenues si mauvaises entre les Micmacs et les autorités britanniques d’Halifax qu’en octobre de la même année, ces dernières ont autorisé à titre d’expédient inhabituel temporaire qu’une prime soit versée « [traduction] pour chaque Indien micmac pris ou tué ». Les hostilités entre les Micmacs et les Britanniques ne favorisaient manifestement l’établissement de ces derniers dans la province. Les Britanniques désiraient en même temps soustraire les Micmacs de l’influence des Français se trouvant dans ce qui constitue actuellement le Cap‑Breton et l’Île‑du‑Prince‑Édouard et des Acadiens de la péninsule de la Nouvelle‑Écosse.
[10] Plus tard, soit en novembre 1752, les autorités britanniques de la Nouvelle‑Écosse ont conclu avec les Micmacs de Shubenacadie, représentés par Jean Baptiste Cope, un traité contenant une clause commerciale, dont voici un extrait :
[traduction]
Il est convenu que ladite tribu d’Indiens ne sera pas empêchée, mais aura l’entière liberté de chasser et de pêcher comme d’habitude, et que, si elle juge nécessaire que soit établie une maison de troc sur la rivière Shubenacadie ou à tout autre endroit de son choix, ladite maison sera construite et les marchandises voulues y seront entreposées, afin de servir au troc avec ce dont les Indiens disposeront, et qu’entre‑temps les Indiens auront l’entière liberté d’apporter, aux fins de vente, à Halifax ou à tout autre établissement de la province, des peaux, des plumes, du gibier, du poisson ou tout autre article qu’ils auront à vendre, où ils auront le loisir d’en disposer à leur plus grand avantage.
M. Cope n’étant pas autorisé de manière générale à conclure le traité, il semble que celui‑ci n’a pas survécu aux hostilités qui ont continué de ponctuer les relations entre les Micmacs et les Britanniques en Nouvelle‑Écosse. Aucune disposition du traité ne traitait de taxation des Micmacs.
[11] Le 11 février 1760, les chefs indiens des Malécites (fleuve Saint‑Jean) et des Pescomodys ont pris part à Halifax à un conseil tenu à la résidence du gouverneur en vue de négocier le traité de paix et d’amitié susmentionné. Ce traité « [traduction] reconduisait et réaffirmait » le traité du 15 décembre 1725 et exigeait que les Indiens « [traduction] fassent le commerce, le troc et l’échange de marchandises avec les gérants des maisons de troc qui seront établies à cette fin par les gouverneurs de Sa Majesté dans cette province ». Voici un extrait du procès‑verbal de la réunion du 11 février 1760 :
[traduction]
Son Excellence leur a alors demandé si leurs tribus les avaient chargés de faire toute autre proposition, ce à quoi ils ont répondu que leurs tribus les avaient chargés de proposer simplement que l’on crée une maison de troc pour leur fournir des biens nécessaires en échange de leurs pelleteries, qui pourrait pour l’instant être située à Fort Frederick.
Sur ce, son Excellence les a informés que s’ils signaient le traité de la manière proposée, et que celui‑ci était ratifié à la prochaine réunion générale de leurs tribus le printemps prochain, une maison de troc serait établie à Fort Frederick, conformément au désir qu’ils ont exprimé, ainsi qu’en d’autres lieux selon les besoins, pour leur fournir les produits qui leur sont nécessaires en échange de leurs pelleteries, et qu’on prendrait grand soin pour que le commerce auxdites maisons de troc soit géré par des personnes sur lesquelles elles pourraient toujours compter pour obtenir un traitement équitable et bon, et que lesdites tribus ne feraient aucun commerce ou échange de produits à d’autres endroits ou avec d’autres personnes. Les chefs ont exprimé leur total consentement sur tous ces points.
[Non souligné dans l’original.]
Comme le juge de la Cour de l’impôt l’a conclu au paragraphe 19 de ses motifs, les modalités des traités conclus entre les Pescomodys et les Malécites et les Britanniques ont été « communiquées » aux chefs Laurent et Augustine, qui ont dit être disposés à « accepter les mêmes conditions ».
[12] Dans une lettre datée du 11 mai 1760, le gouverneur Charles Lawrence de la Nouvelle‑Écosse a fait rapport comme suit, relativement à la question du commerce, aux lords commissaires du commerce et des plantations au sujet des négociations en février de l’année précédente avec les Indiens du fleuve Saint‑Jean et les Pescomodys en vue de la conclusion d’un traité :
[traduction]
[...] deux représentants des tribus d’Indiens du fleuve Saint‑Jean et des Pescomodys sont venus ici pour demander la paix, que j’ai conclue avec eux, et quelques jours plus tard j’ai conclu la paix, selon les mêmes modalités, avec les tribus de Richibucto, de Musquodoboit et La Have, qui ont envoyé leurs chefs ici à cette fin. L’un des principaux articles de ces traités concerne le commerce, et régit le commerce des fourrures. Lors des négociations entourant cet article, j’ai pris un soin particulier pour leur faire voir et les convaincre combien le commerce avec l’Angleterre leur serait plus profitable et avantageux que le commerce avec la France, compte tenu du prix plus élevé qu’ils obtiendraient pour leurs fourrures et du prix peu élevé des produits que nous offrons en échange. Pour tirer le plus grand avantage découlant de cet article, qui est l’amitié avec ces Indiens, tout commerce privé est exclu, sauf dans les maisons de troc établies par le gouvernement où il sera pratiqué de manière juste et aux prix fixés [...]
Il semble donc que les Britanniques considéraient le commerce avec les Indiens comme un moyen de promouvoir la paix et l’amitié.
[13] De fait, le 14 février 1760 à Halifax, une liste a été déposée devant le Conseil « [traduction] des nombreux articles que les Indiens [...] pourraient se procurer à la maison de troc », et les chefs indiens présents « [traduction] ont été consultés sur le prix devant être fixé pour chaque article, et devant être acquitté sous forme de peaux de castor, et le prix des articles et des peaux de castor a été déterminé à leur satisfaction générale ». Deux jours plus tard, soit le 16 février 1760, les Indiens ont convenu du prix de leurs propres produits, y compris les peaux de castor, de martre, de loutre, de vison, d’ours, de renard, de phoque, d’original, de chevreuil et d’hermine et les plumes d’oiseaux. On a convenu à la même réunion du prix des produits (les « biens nécessaires ») européens. Il semble bien que la création d’un système de maisons de troc pour le commerce avec les Micmacs occasionnait des coûts au gouvernement colonial, ce que le gouverneur Lawrence reconnaît dans un message du 18 février 1760 à la Chambre d’assemblée :
[traduction]
Vous êtes conscients, Messieurs, que ces fins désirables ne peuvent se réaliser sans que des dépenses ne soient engagées : il faut construire des maisons de troc, faire des présents, acheter des produits à échanger et nommer et rémunérer un commissaire et maître du troc. Au début, toutes les sommes requises doivent être avancées sinon acquittées par le public [...]
Preuve d’expert
[14] Les appelants ont cité deux experts comme témoins, le Dr John G. Reid, professeur d’histoire à la Saint Mary’s University, et le Dr William C. Wicken, professeur adjoint d’histoire à l’Université York. L’intimée a cité le Dr Stephen E. Patterson, professeur d’histoire à l’Université du Nouveau‑Brunswick. Ces témoins avaient témoigné au procès dans l’affaire Marshall, précitée. Le juge de la Cour de l’impôt a tiré comme conclusion de fait qu’il n’y avait pas de différence fondamentale dans les dépositions de ces témoins quant aux faits historiques ayant précédé et entouré la conclusion des traités de 1760‑1761. Il a toutefois conclu qu’ils divergeaient d’opinion quant au sens à donner à une partie du libellé de ces traités et quant à l’intention à imputer aux parties relativement aux modalités des traités.
[15] Le Dr Patterson a traité dans son témoignage des régimes de taxation en place lors des négociations entourant les traités de 1760‑1761. Selon ce qu’il a dit, le gouvernement britannique réunissait des fonds pour ses besoins en imposant un tarif impérial sur divers biens produits à l’étranger, comme le sucre, la mélasse, le rhum et le tabac, et vendus en Angleterre ou dans une colonie. Les biens importés en Nouvelle‑Écosse, comme le rhum et le tabac, étaient assujettis à de faibles droits coloniaux imputés aux importateurs, qui se répercutaient dans le prix demandé au consommateur sous forme de taxe déguisée. Le Dr Patterson a également déclaré que cette taxe « [traduction] s’appliquait de manière universelle » et que les lois ne prévoyaient absolument aucune dispense pour quiconque. Du rhum étant vendu dans les maisons de troc, les Micmacs ont donc payé cette taxe déguisée lorsqu’ils ont échangé leurs produits contre cette marchandise. Bien que le juge de la Cour de l’impôt n’ait pas traité de la déposition du Dr Patterson dans ses motifs, sa conclusion semble coïncider avec celle de ce témoin. Dans son avis écrit, le Dr Patterson a notamment déclaré que les traités de 1760‑1761 « [traduction] ne reconnaissaient nullement ni ne conféraient à tout Micmac, de manière individuelle ou collective, le droit d’échapper à l’obligation d’imputer ou de percevoir une taxe pour la Couronne ».
[16] Le Dr Reid était d’avis que les Micmacs n’avaient pas accepté d’être soumis à la Couronne britannique et qu’ils n’étaient pas assujettis à une législation unilatérale exigeant qu’ils participent à un régime de taxation. Il a en outre déclaré dans sa déposition écrite que « [traduction] bien qu’il n’existe aucune preuve quant au fait qu’on ait jamais traité explicitement de la question, il aurait été impensable pour les deux parties que les Micmacs paient ou perçoivent des taxes des Britanniques ». Le Dr Wicken a déclaré dans son témoignage que les principales taxes directes en Nouvelle‑Écosse à l’époque étaient la rente libératoire payée annuellement par les bénéficiaires de concessions de terres et le cens électoral, soit une taxe per capita imposée aux hommes. Ni l’une ni l’autre n’étaient payées par les Micmacs. Son analyse des lois fiscales de la Nouvelle‑Écosse au milieu du XVIIIe siècle l’a conduit à conclure que les traités de 1760‑1761 soustrayaient les Micmacs à l’obligation de percevoir des taxes et de les verser à la Couronne britannique parce qu’au moment où les traités ont été conclus, les lois de la Nouvelle‑Écosse n’imposaient pas aux Micmacs soit de payer directement des taxes, soit d’en percevoir pour la Couronne. Il était également d’avis que, comme les traités ne mentionnaient pas spécifiquement la question de la taxation, on ne pouvait imposer d’obligations aux Micmacs à cet égard à moins que cela ne fasse d’abord l’objet de négociations et d’entente avec eux. Le Dr Wicken a résumé comme suit son opinion à ce sujet, à la page 5 de sa déposition écrite :
[traduction]
En résumé, les Micmacs et les Britanniques comprenaient qu’en vertu des traités de 1760‑1761 et de leur relation qui en découlait, les Micmacs échappaient à l’obligation soit de payer les taxes acquittées par les résidants européens de la Nouvelle‑Écosse, soit de percevoir des taxes. Leur intention aurait également été que toute modification de la relation découlant du traité fasse l’objet de négociations et d’entente. De fait, toute modification unilatérale par le gouvernement britannique de leur relation découlant de traité et l’imposition aux Micmacs de toute nouvelle charge ou obligation aurait été inconcevable pour ces derniers.
Le jugement du tribunal inférieur
[17] Le juge de la Cour de l’impôt a conclu, compte tenu de la décision dans Marshall, précité, que les Micmacs de la Nouvelle‑Écosse d’aujourd’hui ont le droit de tirer profit des traités de 1760‑1761. Il a passé en revue une partie des témoignages d’expert, concluant que celui du Dr Reid n’était guère utile. Selon le juge de la Cour de l’impôt, en outre, « ni la clause commerciale ni les promesses de paix et d’amitié [...] n’étayent l’interprétation avancée par les appelants. La preuve est loin de me convaincre que l’une ou l’autre partie avait à l’esprit la question de la taxation lorsque ces traités ont été conclus ». Il était également d’avis qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté démontrant que les Micmacs étaient protégés par la clause commerciale des traités de 1760‑1761, en raison du fait que les points de vente au détail exploités par les appelants n’ont « pas trait au produit du mode de vie traditionnel des Micmacs », et qu’il n’y avait aucune analogie à faire entre ce type de commerce et celui prévu par les parties au moment de la conclusion des traités. Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument des appelants selon lequel l’obligation de percevoir et de verser la taxe sur les produits et services désavantagerait les Micmacs sur le plan de la concurrence en augmentant le coût de leurs produits pour leurs clients. Cet argument, selon lui, ne tenait pas compte du fait que les concurrents non indiens doivent percevoir et verser cette taxe.
[18] Le juge de la Cour de l’impôt a déduit du compte rendu historique que l’intérêt des autorités britanniques au moment de la conclusion des traités consistait à « mettre un terme aux escarmouches à répétition et aux effusions de sang occasionnelles qui avaient marqué les relations » et à permettre ainsi à la colonisation de « se faire dans l’ordre ». Il a conclu également que l’intérêt des Micmacs à l’époque consistait à « établir des relations commerciales dans lesquelles ils recevraient un prix équitable pour leurs fourrures » et les autres produits dont ils désiraient faire commerce. Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’argument selon lequel les promesses de paix et d’amitié énoncées dans les traités de 1760‑1761 créaient l’obligation pour les Britanniques de consulter de bonne foi les Micmacs et de faire une place importante à leurs intérêts avant tout exercice de souveraineté, comme dans le cas de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise concernant la perception et le versement d’une taxe sur les produits et services à l’égard des ventes à des clients non indiens. Il a de même rejeté un argument portant que, lors du processus de conclusion de traités, il était entendu que, lorsque les parties seraient confrontées à des problèmes nouveaux, elles négocieraient de bonne foi, d’égal à égal, dans le but de concilier les intérêts divergents. Il a conclu qu’aucun élément de preuve ne permettait de croire « que les gouverneurs ou le Conseil envisageaient de temps à autre de conférer aux Micmacs le statut de citoyens qui ne seraient pas liés par les lois ordinaires d’application générale à moins d’avoir d’abord été consultés et d’avoir accepté d’être liés par ces lois ».
Questions soulevées en appel
[19] Les appelants soulèvent trois questions dans le cadre du présent appel. Ils soutiennent ce qui suit :
1. Le juge de la Cour de l’impôt s’est mal dirigé en droit et il a commis une erreur de droit en concluant que les appelants n’étaient pas dispensés pour des motifs constitutionnels, fondés sur les traités de 1760‑1761 et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, L.R.C. (1985) (Annexes), de percevoir et de verser la taxe sur les produits et services à l’égard des ventes à des non‑Indiens.
2. Le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en statuant que la promesse de paix et d’amitié énoncée dans ces traités ne créait pas l’obligation pour l’intimée de consulter les Micmacs et de tenter d’obtenir de bonne foi leur consentement en vue de l’imposition de nouvelles charges et obligations, particulièrement dans le cas de changements touchant les bases du commerce entre les Micmacs et les Britanniques et, en l’absence d’un tel consentement, de faire une place importante aux intérêts des Micmacs avant que de telles charges ou obligations puissent être validement imposées.
3. Le juge de la Cour de l’impôt s’est mal dirigé en droit en faisant défaut de reconnaître que l’intimée avait l’obligation de consulter les Micmacs avant de prendre des mesures pouvant avoir l’effet d’enfreindre leur droit de commercer prévu par les traités de 1760‑1761 conclus avec les autorités britanniques.
ANALYSE
Interprétation des traités
[20] Les appelants font valoir un droit de commercer avec les non‑Indiens garanti par les traités de 1760‑1761, ce qui comprend le droit de ce faire en en tirant légèrement profit aux dépens de la Couronne, d’égal à égal ou en contexte de concurrence. Ils soutiennent que l’obligation prévue à la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise de percevoir et de verser une taxe a pour effet de les empêcher d’exercer valablement ce droit issu de traité. Ce droit, soutiennent‑ils, ne consiste pas simplement dans le droit accessoire de pêcher, comme il est énoncé dans Marshall, précité, ou encore de faire le commerce des seuls produits pouvant être récoltés par les appelants. Les traités ne prévoyaient pas une telle restriction au droit de commercer, et aucune ne doit en être déduite.
[21] Cela soulève la question de l’interprétation des traités, celle‑ci devant se faire en conformité avec les principes reconnus. Le juge McLachlin (depuis juge en chef) a commodément résumé comme suit, dans Marshall, au paragraphe 78, les principes élaborés à ce jour :
Notre Cour a, à maintes reprises, énoncé les principes qui régissent l’interprétation des traités, notamment les principes suivants :
1. Les traités conclus avec les Autochtones constituent un type d’accord unique, qui demandent l’application de principes d’interprétation spéciaux : R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, au paragr. 24; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au paragr. 78; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, à la p. 1043; Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 404. Voir également : J. [Sákéj] Youngblood Henderson, « Interpreting Sui Generis Treaties » (1997), 36 Alta. L. Rev. 46; L. I. Rotman, « Defining Parameters: Aboriginal Rights, Treaty Rights, and the Sparrow Justificatory Test » (1997), 36 Alta. L. Rev. 149.
2. Les traités doivent recevoir une interprétation libérale, et toute ambiguïté doit profiter aux signataires autochtones : Simon, précité, à la p. 402; Sioui, précité, à la p. 1035; Badger, précité, au paragr. 52.
3. L’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature : Sioui, précité, aux pp. 1068 et 1069.
4. Dans la recherche de l’intention commune des parties, l’intégrité et l’honneur de la Couronne sont présumées : Badger, précité, au paragr. 41.
5. Dans l’appréciation de la compréhension et de l’intention respectives des signataires, le tribunal doit être attentif aux différences particulières d’ordre culturel et linguistique qui existaient entre les parties : Badger, précité, aux paragr. 52 à 54; R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, à la p. 907.
6. Il faut donner au texte du traité le sens que lui auraient naturellement donné les parties à l’époque : Badger, précité, aux paragr. 53 et suivant; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 36.
7. Il faut éviter de donner aux traités une interprétation formaliste ou inspirée du droit contractuel : Badger, précité, Horseman, précité, et Nowegijick, précité.
8. Tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au‑delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le langage utilisé [...] permet » : Badger, précité, au paragr. 76; Sioui, précité, à la p. 1069; Horseman, précité, à la p. 908.
9. Les droits issus de traités des peuples autochtones ne doivent pas être interprétés de façon statique ou rigide. Ils ne sont pas figés à la date de la signature. Les tribunaux doivent les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Il faut pour cela déterminer quelles sont les pratiques modernes qui sont raisonnablement accessoires à l’exercice du droit fondamental issu de traité dans son contexte moderne : Sundown, précité, au paragr. 32; Simon, précité, à la p. 402.
[22] Les appelants considèrent que la clause commerciale des traités de 1760‑1761 donne lieu à un droit non restreint de commercer qui échappe à tout régime de taxation. Il faut déduire, selon eux, de l’absence de toute mention dans les traités des régimes de taxation alors existants l’intention des parties que les Micmacs ne soient pas tenus de participer à ces régimes, et l’on ne peut maintenant les forcer à en être des participants. En vertu de ces régimes, comme nous l’avons vu, les Micmacs n’étaient obligés de payer aucune taxe, si ce n’est la faible taxe déguisée sur les produits importés vendus dans les maisons de troc. Ni les traités ni le compte rendu historique ne révèlent l’existence d’une quelconque obligation des Micmacs de percevoir et de verser toute taxe exigible en vertu de ces régimes de taxation ou de tout autre. Les appelants soutiennent qu’obliger les Micmacs à percevoir et verser la taxe sur les produits et services à l’égard des ventes à des non‑Indiens leur enlève des avantages qu’ils avaient acquis par les traités de 1760‑1761 et concernant le commerce dans les maisons de troc, soit un système qui était subventionné par les autorités britanniques et qui permettait aux Micmacs de faire le négoce de leurs produits à des conditions avantageuses. Ils soutiennent également que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas pris en compte le caractère évolutif des droits issus de traités ni reconnu que ces droits ne sont pas figés à la date de la signature.
[23] Tel qu’il a été souligné dans Marshall, précité, au paragraphe 78, « [l]’interprétation des traités a pour objet de choisir, parmi les interprétations possibles de l’intention commune, celle qui concilie le mieux les intérêts des deux parties à l’époque de la signature ». Dans Marshall, la preuve de l’intention commune a été établie au moyen d’éléments de preuve concernant le contexte dans lequel les traités de 1760‑1761 ont été conclus, ce qui comprenait la promesse faite par les Britanniques d’établir des maisons de troc devant permettre aux Micmacs d’échanger des produits de leur économie traditionnelle contre des « biens nécessaires ». Cette preuve a permis de conclure que le droit de commercer des Micmacs comportait le droit implicite de pêcher et de chasser ce qu’il leur faudrait échanger contre des « biens nécessaires ». De plus, le juge Binnie a réitéré ce qui suit dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, au paragraphe 138 : « Un droit issu de traité est une promesse affirmative de Sa Majesté, qui sera interprétée libéralement et mise en application d’une façon qui préserve l’honneur de Sa Majesté ».
[24] Il ressort clairement de Marshall, précité, qu’existe en vertu des traités de 1760‑1761 le droit de faire le commerce des produits de l’économie traditionnelle des Micmacs. Le juge Binnie l’a fait observer lorsqu’il a déclaré ce qui suit, au paragraphe 25 :
[...] les Britanniques considéraient que la question du commerce avec les Mi’kmaq était liée à la paix, comme a affirmé l’expert du ministère public, le Dr Stephen Patterson, [traduction] « les gens qui commercent ensemble ne se font pas la guerre, voilà quelle était la théorie ». La paix était liée à la capacité des Mi’kmaq de subvenir à leurs besoins sur le plan économique. La famine engendre le mécontentement. Les Britanniques ne voulaient certes pas que les Mi’kmaq deviennent une ponction inutile sur les deniers publics de la colonie de la Nouvelle‑Écosse ou sur le trésor impérial à Londres, comme a conclu le juge du procès. Pour éviter un tel résultat, il est devenu nécessaire de protéger l’économie mi’kmaq traditionnelle, y compris leurs activités de la chasse, de cueillette et de pêche.
[Non souligné dans l’original.]
Il a de nouveau insisté sur ce point, au paragraphe 56 :
J’estime que l’aspect du traité qui survit n’est pas la promesse littérale d’établir des maisons de troc, mais un droit – issu de ce traité – qui permet de continuer à pouvoir se procurer les biens nécessaires en pratiquant la chasse et la pêche et en échangeant le produit de ces activités traditionnelles, sous réserve des restrictions qui peuvent être justifiées suivant le critère établi dans Badger.
Le dossier laisse croire et le Dr Wicken confirme qu’historiquement les Micmacs étaient d’abord et avant tout des pêcheurs et des chasseurs qui dépendaient principalement du gibier et du poisson pour leur subsistance et leur survie. En l’espèce, rien au dossier ne permet de penser que la clause commerciale ait été censée s’appliquer à des produits des Micmacs autres que ceux devant être échangés contre des « biens nécessaires », selon l’intention commune des Micmacs et des Britanniques lors de la signature des traités de 1760‑1761. En bref, ni les traités ni la preuve contextuelle n’étayent l’assertion selon laquelle les traités dispensent les Micmacs de l’obligation prévue par la loi de percevoir et de verser une taxe à l’égard de ventes de produits non traditionnels à des clients non indiens. Puisque la nature du commerce des appelants échappe à la portée du droit issu de traité de commercer, ce droit ne peut servir de fondement à une dispense pour les appelants des obligations imposées par la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise.
[25] Les appelants prétendent que leurs droits issus de traités de commercer ne sont pas figés au moment de la signature et que la Cour devrait les interpréter de manière à permettre leur exercice dans le monde moderne. Ce qu’on laisse entendre ainsi, c’est que le droit de commercer issu des traités de 1760‑1761 comprend le droit de faire le commerce des produits à l’égard desquels une cotisation a été établie. Cela présume bien sûr de la question de savoir si les traités de 1760‑1761, correctement interprétés, créent le droit de faire le commerce de produits échappant, au moment de leur signature, à l’économie traditionnelle des Micmacs. En l’absence de preuve d’une intention commune que le droit issu de traité de commercer ne se restreigne pas aux produits de l’économie micmac traditionnelle et s’étende à la vente de produits à des non‑Indiens, il est difficile de considérer que sont visés par le droit de commercer garanti par traité les produits de l’économie régulière vendus à des non‑Indiens aux points de vente dans les réserves de Yarmouth, de Whycocomagh et de Cambridge. Un principe d’interprétation des traités requiert que, tout en donnant une interprétation généreuse du texte du traité, les tribunaux ne peuvent en modifier les conditions en allant au‑delà de ce qui est réaliste ou de ce que « le langage utilisé [...] permet ». Il faut toutefois se rappeler à cet égard la mise en garde formulée par le juge Binnie dans Marshall, précité, au paragraphe 14 : « Il ne faut pas confondre les règles “généreuses” d’interprétation avec un vague sentiment de largesse a posteriori ».
Consultation et prise en compte des intérêts
[26] Les appelants soulèvent un second argument. Ils soulignent que les traités de 1760‑1761 étaient, comme le fait voir leur préambule, des « Traités de paix et d’amitié » entre les Britanniques et les premières nations micmaques. Ils soutiennent qu’une relation sui generis a ainsi été créée, en vertu de laquelle l’intimée avaient envers les appelants l’obligation fiduciaire de procéder à des négociations de bonne foi en vue de concilier les intérêts divergents avant que toute charge ou obligation nouvelle puisse être valablement imposée aux Micmacs. L’« amitié » est à ce prix.
[27] Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté cette prétention, concluant que rien dans la preuve n’étayait l’existence d’une intention chez les signataires britanniques de dispenser les Micmacs de l’application des lois de portée générale. Il a dit estimer, au paragraphe 41, que « les Micmacs comprenaient très bien qu’ils devaient jouir de la protection des lois britanniques tout en étant assujettis à ces lois » et, au paragraphe 43, que les « Britanniques n’avaient assurément en 1760 aucune raison d’offrir aux Micmacs des conditions plus favorables que celles qui s’appliquaient aux colons britanniques ».
[28] Dans Mitchell, précité, le juge en chef McLachlin a réaffirmé, aux paragraphes 9 et 10 de ses motifs, que bien avant que les Européens n’entrent en contact avec les peuples autochtones de l’Amérique du Nord, ces derniers existaient en tant que « sociétés organisées et distinctives » et possédaient des lois et des intérêts préexistants que le droit anglais acceptait et donc il reconnaissait le maintien s’ils n’étaient pas éteints par la cession, la conquête ou la loi. Elle a également déclaré que « les intérêts et les lois coutumières autochtones étaient présumés survivre à l’affirmation de souveraineté, et ont été incorporés dans la common law en tant que droits, sauf si : (1) ils étaient incompatibles avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne; (2) ils avaient été cédés volontairement par traité; ou (3) le gouvernement les avait éteints ». En l’espèce, comme nous l’avons vu, le processus de conclusion de traités entre les Britanniques et les Micmacs en 1760‑1761 laisse croire que ces derniers, en se soumettant, ont reconnu la souveraineté de la Couronne britannique, sauf dispositions contraires des traités, et ont accepté qu’en cas de querelle ou mésentente entre eux‑mêmes et les Britanniques, ils n’exerceraient aucune vengeance personnelle mais demanderaient plutôt réparation selon les lois britanniques.
[29] Il est vrai que les traités de 1760‑1761 donnaient naissance à une relation fondée sur l’intention commune des Micmacs et des autorités britanniques de favoriser la paix et l’amitié entre eux. Cette relation était avantageuse pour les deux parties. Pour les autorités britanniques, parce que la paix permettrait la colonisation et le développement dans l’ordre par les colons européens; pour les Micmacs, parce que les traités leur garantiraient une certaine protection de la Couronne et la liberté de commercer pour obtenir les « biens nécessaires » à leur subsistance. Rien au dossier ne laisse toutefois croire que les parties entendaient qu’en vertu de cette relation, les Micmacs soient pour toujours dispensés de l’application des lois généralement applicables au commerce de produits avec des non‑Indiens dans le cadre de l’économie régulière, plutôt que n’était visé uniquement le commerce des produits de l’économie traditionnelle des Micmacs concernés par la clause commerciale des traités de 1760‑1761.
[30] Comme on l’a déjà mentionné, bien qu’il se soit agi de traités « de paix et d’amitié », ceux‑ci prévoyaient également la soumission des Micmacs à la Couronne britannique, la reconnaissance de la souveraineté britannique sur la Nouvelle‑Écosse et l’application des lois britanniques pour le règlement de différends futurs. La preuve historique laisse croire que les Micmacs comprenaient bien ces conditions telles qu’elles étaient libellées. Ainsi, lors de la cérémonie de rétablissement de la paix qui a eu lieu à la ferme du gouverneur Jonathan Belcher le 25 juin 1761, le chef des Micmacs du Cap‑Breton a fait un discours, traduit par l’abbé Pierre Maillard, missionnaire de longue date auprès de ces derniers, où il a déclaré se soumettre « [traduction] aux lois de votre gouvernement ». De même, tel que le Dr Patterson l’a signalé à la page 54 de son avis écrit, pendant les années 1760, « [traduction] les autorités de la Nouvelle‑Écosse ont délivré à divers Autochtones des laissez‑passer reconnaissant leur soumission et garantissant leur libre passage » à l’intérieur et à l’extérieur de la Nouvelle‑Écosse. Le 22 juin 1771, également, le lieutenant‑gouverneur William Campbell a délivré une commission au chef des Micmacs du cap de Sable par laquelle il permettait à ce dernier de porter des couleurs royales à la condition qu’il ordonne à son peuple de « [traduction] toujours faire preuve d’une parfaite soumission et obéissance ». À la page 55 de son avis écrit, finalement, le Dr Patterson fait état d’une pétition adressée par le chef micmac Adelah (Andrew Muis) au Secrétaire aux Colonies (lord Bathurst) en 1825, et émet les commentaires suivants à ce sujet :
[traduction]
Les problèmes, a‑t‑il [le chef Adelah] écrit, « ne rejaillissent pas sur le gouvernement britannique, qu’ils sont tenus par traité de servir et de soutenir ». Il a joint à cet égard une copie du traité du 10 mars 1760 signé par Michael Augustine des Micmacs de Richibucto. En outre, a‑t‑il dit, les Micmacs « ne se sont pas opposés aux lois auxquelles il s’était engagé par traité à obéir ».
Dr Patterson a toutefois reconnu (transcription du procès, le 4 mars 1998, à la page 93) que, quoique la soumission à la Couronne britannique en vertu des traités de 1760‑1761 faisait des Micmacs des sujets à part entière de celle‑ci, ces derniers ne devenaient pas de la sorte des sujets comme les autres, mais bien « [traduction] des sujets spéciaux [...] protégés par la Couronne ». En ce qui concerne les nouveaux problèmes se soulevant après la signature des traités, le Dr Patterson a déclaré (transcription du procès, le 4 mars 1998, à la page 127) qu’en plus du cadre législatif et des recours possibles devant les tribunaux du Roi à cette fin, « [traduction] il était normal de s’attendre [...] à ce que les Autochtones, en tant que sujets de la Couronne, aient l’occasion de faire connaître leurs griefs au même titre que tous les sujets de la Couronne ».
[31] Il est difficile de déduire des traités ou de la preuve contextuelle l’intention commune, tel que les appelants le prétendent, que les traités requéraient que les autorités britanniques consultent les Micmacs avant de leur imposer de nouvelles charges au moyen d’une loi, comme celles prévues à la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise. Tel qu’en a décidé la Cour suprême du Canada dans une affaire fiscale, Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, au paragraphe 36 des motifs du juge Dickson (plus tard juge en chef), « [l]es Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d’impôts, que les autres citoyens canadiens ». En l’espèce, comme nous l’avons déjà mentionné, la portée du droit de commercer prévu dans les traités de 1760‑1761 ne s’étend pas au type de commerce avec des non‑Indiens auquel les appelants s’adonnaient dans leur point de vente au détail respectif en Nouvelle‑Écosse.
Atteinte éventuelle au droit de commercer
[32] Les appelants avancent un dernier argument. Ils soulignent que, quoique le juge de la Cour de l’impôt n’ait pas admis qu’un droit issu des traités de 1760‑1761 visait le commerce avec des non‑Indiens dans les points de vente au détail des réserves de Yarmouth, de Whycocomagh et de Cambridge, il a toutefois reconnu, suivant en cela la décision dans Marshall, précité, que ces traités conféraient bel et bien un droit de commercer. Les appelants soutiennent qu’il en découle l’obligation fiduciaire pour l’intimée de procéder de bonne foi à des consultations avant de prendre toute mesure pouvant porter atteinte à ce droit issu de traité. Or, il n’y a pas eu de telles consultations avant que la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise ne soit adoptée ni avant que la décision ne soit prise d’imposer les appelants en vertu de cette loi.
[33] On a reconnu dans Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 qu’en certaines circonstances il existait une obligation de consulter, en l’occurrence avant que la Couronne puisse autoriser une atteinte possible au titre aborigène à l’égard d’une région de 58 000 kilomètres carrés en Colombie‑Britannique. Traitant de justification d’une atteinte au titre aborigène, le juge en chef Lamer a déclaré ce qui suit, au paragraphe 168 :
Il y a toujours obligation de consulter. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l’atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d’une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l’obligation de fiduciaire de celle‑ci en common law : Guerin. La nature et l’étendue de l’obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s’agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d’un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle‑ci doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu.
Ce raisonnement a été adopté dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533 (requête en nouvelle audition de Marshall, précité) où la Cour suprême a déclaré, au paragraphe 43, que les rapports spéciaux de fiduciaire entre la Couronne et les Indiens « comportent le droit pour les bénéficiaires du traité d’être consultés à l’égard des restrictions de leurs droits ». L’argument avancé en l’espèce, ce n’est pas que les Micmacs étaient « bénéficiaires du traité » quant au droit de commercer dans les points de vente au détail concernés, mais plutôt que, puisqu’ils pourraient disposer du droit issu de traité de ce faire, ils auraient dû être consultés avant que la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise ne soit adoptée ou avant qu’ils ne soient imposés.
[34] Les appelants font valoir deux décisions des tribunaux de la Colombie‑Britannique à l’appui de leurs prétentions, soit Westbank First Nation c. British Columbia (Minister of Forests) (2000), 191 D.L.R. (4th) 180 (CS C‑B), et Haida Nation c. British Columbia (Minister of Forests), 2002 CA C‑B 147. L’une des questions en litige dans Westbank First Nation concernait la question de savoir si le chef de district du ministère provincial des forêts était tenu de consulter les Indiens avant que des arbres puissent être coupés dans une région visée par une revendication du titre aborigène. Le juge Sigurdson a rejeté cet argument en prenant appui sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans TransCanada PipeLines Ltd. c. Beardmore (Township) (2000), 186 D.L.R. (4th) 403, où l’on a statué, au paragraphe 119, que « [traduction] l’obligation de la Couronne de consulter les premières nations est une obligation légale qui aide le tribunal à décider si la Couronne est justifiée ou non au plan constitutionnel de prendre une mesure particulière jugée enfreindre prima facie un droit ancestral ou issu de traité existant d’une première nation ». Dans Haida Nation, précitée, les Haïdas prétendaient que la Couronne avait l’obligation légale de les consulter avant d’autoriser des opérations forestières dans les îles de la Reine‑Charlotte à l’égard desquelles ils revendiquaient un titre aborigène. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait droit à cette prétention. Comme semble l’indiquer le paragraphe 50 de Haida Nation, la Cour d’appel a été influencée par la conclusion tirée au procès selon laquelle la prétention des Haïdas « [traduction] concernant un titre aborigène et des droits ancestraux était établie prima facie ». La conclusion selon laquelle il restait peu de vieilles forêts de cèdre était d’égale importance. Malgré que le bien‑fondé de la revendication n’avait pas encore été établi par un tribunal, il ressort implicitement de la dernière conclusion que permettre à la coupe de continuer jusqu’à ce qu’un tribunal se prononce sur l’existence du titre aborigène ne ferait qu’accentuer la pénurie existante d’un bien, soit un élément qu’on ne rencontre pas dans la présente affaire. En l’espèce, les appelants ne disposent pas d’un droit issu de traité établi de faire le commerce des produits à l’égard desquels ils ont été imposés, ni n’ont solidement établi prima facie l’existence soit d’un droit de commercer qui viserait ces produits, soit d’une obligation fiduciaire de la Couronne de consulter les Micmacs avant d’adopter les dispositions relatives à la perception et au versement d’une taxe de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise ou avant de les imposer par suite du défaut de procéder à une telle perception et à un tel versement.
[35] Avant soit que le texte législatif ait été adopté, soit que les appelants aient été imposés, il n’avait pas été établi que ces derniers disposaient du droit issu de traité de faire le commerce des produits qu’ils vendaient à des non‑Indiens dans leur point de vente au détail respectif. Il ne semble pas, non plus, que les Micmacs aient fait valoir à l’intimée qu’ils possédaient bien prima facie le droit de faire un tel commerce sans être astreints à l’obligation prévue par la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise de percevoir et de verser la taxe sur les produits et services à l’égard des ventes à des non‑Indiens. Il s’ensuit donc que ne peut être retenu l’argument selon lequel la Couronne était tenue de consulter les Micmacs avant que la Loi sur la taxe d’accise ne prévoie l’obligation qu’ils contestent maintenant, ou avant que les appelants ne soient imposés.
[36] Pour ces motifs, les appels devraient être rejetés, avec un seul mémoire de dépens.
« A.J. Stone »
Juge
« Je souscris aux présents motifs
Marshall Rothstein, juge »
« Je souscris aux présents motifs
J.D. Denis Pelletier, juge »
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION D’APPEL
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A‑423‑00
INTITULÉ : VAUGHN PICTOU c. SA MAJESTÉ LA REINE
DOSSIER : A‑424‑00
INTITULÉ : RODERICK A. GOOGOO c. SA MAJESTÉ LA REINE
DOSSIER : A‑425‑00
INTITULÉ : EDWARD GOOGOO c. SA MAJESTÉ LA REINE
DOSSIER : A‑426‑00
INTITULÉ : JO‑ANN TONEY‑THORPE c. SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)
DATE DE L’AUDIENCE : LES 6 ET 7 NOVEMBRE 2002
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE STONE
Y ONT SOUSCRIT : LES JUGES ROTHSTEIN ET PELLETIER
DATE DU JUGEMENT : LE 14 JANVIER 2003
COMPARUTIONS :
D. BRUCE CLARKE POUR LES APPELANTS
PETER J. LESLIE POUR L’INTIMÉE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BURCHELL GREEN HAYMAN PARISH POUR LES APPELANTS
HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)
MORRIS ROSENBERG POUR L’INTIMÉE
SOUS‑PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA