CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DÉCARY
LE JUGE NOËL
ENTRE :
demanderesse
et
LA COMMISSAIRE AUX CONFLITS D’INTÉRÊTS ET À L’ÉTHIQUE
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intervenant
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009
Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EN CHEF RICHARD
Date : 20090121
Dossier : A-174-08
Référence : 2009 CAF 15
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE DÉCARY
LE JUGE NOËL
ENTRE :
DÉMOCRATIE EN SURVEILLANCE
demanderesse
et
LA COMMISSAIRE AUX CONFLITS D’INTÉRÊTS ET À L’ÉTHIQUE
défenderesse
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intervenant
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009)
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, présentée par Démocratie en surveillance, organisme qui, le 26 novembre 2007, avait demandé à la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique (la commissaire) de faire enquête et de statuer sur des décisions prises par le Premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Justice et procureur général Robert Nicholson et sur leur participation à ces décisions, et de statuer que tous les ministres devaient se récuser à l’égard de l’affaire Mulroney-Schreiber.
[2] Le 7 janvier 2007, la commissaire a répondu à la demanderesse en lui expliquant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles indiquant que M. Harper, M. Nicholson ou toute autre personne mentionnée dans la lettre de la demanderesse se trouvait en conflit d’intérêts et contrevenait ainsi à la Loi sur les conflits d’intérêts, L.C. 2006, ch. 9, art. 2 (la Loi). Elle a, en conséquence, conclu qu’il n’existait pas de motifs suffisants justifiant d’entreprendre une étude sous le régime du paragraphe 45(1) de la Loi.
[3] Voici les conclusions recherchées par la demanderesse dans son avis de demande :
· une ordonnance annulant la décision de la commissaire et lui intimant d’entreprendre une étude à l’égard de la plainte de la demanderesse ou, subsidiairement, une ordonnance annulant la décision de la commissaire et lui renvoyant le dossier en formulant des directives pour son réexamen;
· un jugement déclaratoire portant que Démocratie en surveillance a été privée de son droit à une audition impartiale;
· un jugement déclaratoire portant que les paragraphes 44(1) à 44(6) de la Loi sur les conflits d’intérêts violent les alinéas 2b) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le texte de loi
[4] La Loi établissant des règles concernant les conflits d’intérêts et l’après-mandat pour les titulaires de charge publique (la Loi sur les conflits d’intérêts) a été déposée le 11 avril 2006, au cours de la première session du 39e Parlement, et elle faisait partie du projet de loi C‑2, qui porte maintenant le nom de Loi fédérale sur la responsabilité, L.C. 2006, ch. 9. Cette loi a reçu la sanction royale au mois de décembre 2006 et est entrée en vigueur le 9 juillet 2007.
[5] L’objet de la Loi sur les conflits d’intérêts (la Loi) est énoncé en ces termes à l’article 3 :
a) d’établir à l’intention des titulaires de charge publique des règles de conduite claires au sujet des conflits d’intérêts et de l’après-mandat;
b) de réduire au minimum les possibilités de conflit entre les intérêts personnels des titulaires de charge publique et leurs fonctions officielles, et de prévoir les moyens de régler de tels conflits, le cas échéant, dans l’intérêt public;
c) de donner au commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique le mandat de déterminer les mesures nécessaires à prendre pour éviter les conflits d’intérêts et de décider s’il y a eu contravention à la présente loi;
d) d’encourager les personnes qui possèdent l’expérience et les compétences requises à solliciter et à accepter une charge publique;
e) de faciliter les échanges entre les secteurs privé et public. |
(a) establish clear conflict of interest and post-employment rules for public office holders;
(b) minimize the possibility of conflicts arising between the private interests and public duties of public office holders and provide for the resolution of those conflicts in the public interest should they arise;
(c) provide the Conflict of Interest and Ethics Commissioner with the mandate to determine the measures necessary to avoid conflicts of interest and to determine whether a contravention of this Act has occurred;
(d) encourage experienced and competent persons to seek and accept public office; and
(e) facilitate interchange between the private and public sector. |
[6] La charge de commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a été créée pour remplacer la charge de commissaire à l’éthique. Le titulaire de la nouvelle charge est investi par la Loi, en plus de ses fonctions de supervision et de contrôle d’application, de pouvoirs d’enquête afin de déterminer s’il y a eu contravention à la Loi.
[7] Plus précisément, la Loi prévoit deux mécanismes d’enquête. Premièrement, aux termes du paragraphe 44(3) de la Loi, le commissaire peut, sur demande d’un parlementaire, entreprendre une étude sur une possible contravention à la Loi, dans la mesure où il estime que la demande n’est pas futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Deuxièmement, le paragraphe 45(1) prévoit que le commissaire peut entreprendre une étude de son propre chef s’il a des motifs de croire qu’il y a eu contravention à la Loi.
[8] L’article 66 énonce que les ordonnances et décisions du commissaire sont définitives et ne peuvent être attaquées que conformément à la Loi sur les Cours fédérales.
Analyse
[9] Nous sommes tous d’avis que la lettre de la commissaire n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, puisqu’elle ne constituait ni une ordonnance ni une décision au sens de l’article 66 de la Loi ou du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales.
[10] Les actes administratifs qui ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs ou n’entraînent pas de conséquences juridiques ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Pieters c. Canada (Procureur général), 2007 CF 556, paragraphe 60; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national) (1998), 148 F.T.R. 3, paragraphe 28; voir aussi Institut canadien des compagnies immobilières publiques et privées c. Bell Canada, 2004 CAF 243, paragraphes 5 et 7).
[11] Légalement, la demanderesse ne dispose pas du droit de faire examiner sa plainte par le commissaire et le commissaire n’est pas habilité à donner suite à la plainte. Rien dans la Loi ne confère à un membre du public le droit de saisir le commissaire d’une demande d’étude. De fait, la Loi prévoit expressément comment doit procéder un membre du public qui souhaite présenter des renseignements au commissaire :
44. […]
(4) Dans le cadre de l’étude, le commissaire peut tenir compte des renseignements provenant du public qui lui sont communiqués par tout parlementaire et qui portent à croire que l’intéressé a contrevenu à la présente loi. Le parlementaire doit préciser la contravention présumée ainsi que les motifs raisonnables qui le portent à croire qu'une contravention a été commise. […]
|
44. …
(4) In conducting an examination, the Commissioner may consider information from the public that is brought to his or her attention by a member of the Senate or House of Commons indicating that a public office holder or former public office holder has contravened this Act. The member shall identify the alleged contravention and set out the reasonable grounds for believing a contravention has occurred. … |
[12] De plus, les déclarations que la commissaire a pu faire dans sa lettre, en l’espèce, sont dépourvues d’effet juridique obligatoire. La commissaire conserve le pouvoir discrétionnaire d’entreprendre une étude au sujet de la plainte de la demanderesse, si elle a, plus tard, des motifs de croire qu’il y a eu contravention à la Loi.
[13] La demanderesse soutient que la Cour fédérale, dans sa décision Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), [2004] 4 C.F. 83, 2004 CF 969, a considéré qu’une décision analogue rendue par le prédécesseur du commissaire à l’éthique, le conseiller en éthique, était susceptible de contrôle judiciaire. Sans trancher la question de savoir si la décision du conseiller en éthique pouvait à bon droit faire l’objet d’un contrôle judiciaire, il s’impose de signaler que le conseiller l’a prise dans un contexte législatif différent de celui qui nous concerne. Le conseiller en éthique n’était pas régi par la Loi que nous avons à appliquer en l’espèce.
[14] Étant donné notre conclusion que la lettre de la commissaire ne constitue pas une décision ou une ordonnance au sens de l’article 66 de la Loi, notre Cour n’a pas compétence pour accueillir les conclusions énumérées dans l’avis de demande.
[15] Pour ce qui est de la demande de jugement déclaratoire portant que les paragraphes 44(1) à 44(6) portent atteinte aux droits garantis par les alinéas 2b) et 2d), nous sommes d’avis que, bien que notre Cour soit habilitée à statuer sur une contestation constitutionnelle dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire, il n’est pas loisible à un demandeur de simplement arrimer une telle contestation à une demande de contrôle judiciaire mal fondée.
[16] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse uniquement.
Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras LL.L., Trad. a.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-174-08
INTITULÉ : DÉMOCRATIE EN SURVEILLANCE c. COMMISSAIRE AUX CONFLITS D’INTÉRÊTS ET À L’ÉTHIQUE
et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT (Le juge en chef Richard et les juges
ET JUGEMENT DE LA COUR : Décary et Noël)
PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR : Le juge en chef Richard
COMPARUTIONS :
Yavar Hameed |
POUR LA DEMANDERESSE
|
Ronald D. Lunau et Nancy Bélanger |
POUR LA DÉFENDERESSE
|
Christopher Rupar |
POUR L’INTERVENANT
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
POUR LA DEMANDERESSE
|
|
Gowling Lafleur Henderson LLP
Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique |
POUR LA DÉFENDERESSE
POUR LA DÉFENDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR L’INTERVENANT |