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Date : 20090123

Dossier : A-480-07

Référence : 2009 CAF 19

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

177795 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 15 janvier 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE BLAIS

 


Date : 20090123

Dossier : A-480-07

Référence : 2009 CAF 19

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

177795 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

 

[1]               Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une décision rendue par la juge Lucie Lamarre de la Cour canadienne de l’impôt (la juge de la CCI), confirmant la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) à l’égard de l’année d’imposition 1992 de l’appelante.

 

[2]               L’appelante est une société qui, durant l’année d’imposition 1992, exploitait une entreprise sous le nom de Sofati Ltée (Sofati). Le litige porte sur son droit de réclamer une perte de l’ordre de 16 000 000 $US encourue en 1988, et d’en déduire le solde dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1992. La perte en question serait issue de l’exploitation d’une entreprise par une société de personnes dont l’appelante était membre.

 

LES FAITS

 

[3]               Les faits qui sous-tendent l’appel ont fait l’objet d’une entente partielle qui est reproduite par la juge de la CCI dans ses motifs. La CCI a aussi entendu le témoignage de Michel Gaucher, président de l’appelante, et Nancy Orr qui était à l’époque vice-présidente de Sofati et responsable des finances. Tous deux ont été impliqués dans la négociation des transactions qui auraient permis à l’appelante de devenir membre de la société qui a généré la perte.

 

[4]               La perte en question date de 1988 et provient de Preston Parkway Joint Venture (PPJV), une société de personnes constituée en vertu du Partnership Act de l’État du Texas, dont l’appelante serait devenue membre à compter du 1er décembre 1987.

 

[5]               Au 30 novembre 1987, le seul actif et le seul objet de l’entreprise de PPJV était un bien immobilier locatif, le Sherry Plaza, qui avait été construit plusieurs années auparavant au coût de
32 000 000 $US et qui avait, au 30 novembre 1988, une valeur marchande de 16 000 000 $US.

 

[6]               Avant le 1er décembre 1987, les membres de PPJV étaient Louis G. Reese Inc. (Reese) et Preston Parkway Development Company (PPDC), deux sociétés américaines dont la participation était de 99% et 1% respectivement.

 

[7]               Le 1er décembre 1987, la Banque de New York, qui détenait une hypothèque sur le Sherry Plaza, a acheté cet immeuble à l’encan moyennant une contrepartie de 16 000 000 $US. L’immeuble ayant été acquis par PPJV au prix de 32 000 000 $US, la vente a donné lieu à une perte de l’ordre de 16 000 000 $US, laquelle fut enregistrée par PPJV dans ses états financiers pour l’exercice se terminant le 31 décembre 1987.

 

[8]               PPJV avait été avisée une première fois, le 12 octobre 1987, que le bien immobilier serait saisi et vendu, faute de paiement de l’hypothèque. Elle a également été avisée, au moins 21 jours avant la date de la saisie, que le bien serait saisi et vendu.

 

[9]               Ainsi, le 16 novembre 1987, lorsque l’appelante s’engageait à acquérir l’intérêt de Reese et de PPDC dans PPJV, elle savait que le seul actif de la société serait saisi et vendu le 1er décembre 1987.

 

[10]           L’entente constitutive de PPJV prévoyait que son seul objet était le développement d’un projet immobilier qui fut éventuellement dénommé le Sherry Plaza. Selon les termes d’un amendement non daté mais prenant effet le 30 novembre 1987, l’entente originale fut modifiée pour permettre la poursuite d’autres projets.

[11]           Le 15 décembre 1987, l’entente selon laquelle Reese et PPDC ont cédé leur intérêt à Sofati et à sa société sœur, Westmount Park Towers Inc. (WPTI), a été signée. Reese a d’abord cédé son intérêt de 99% à l’appelante et à WPTI respectivement pour 99% et 1% et PPDC a ensuite transféré son intérêt de 1% à l’appelante et à WPTI dans les mêmes proportions, tout cela avec effet rétroactif au 1er décembre 1987.

 

[12]           La seule transaction effectuée par PPJV sous la gouverne des partenaires canadiens est survenue en septembre 1989, alors que PPJV a acquis un intérêt de 1% dans un projet au Texas (le Highland Park Shopping Village) à un coût de 175 000 $US.

 

[13]           Dans sa déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 1992, l’appelante a déduit dans le calcul de son revenu sa part de la perte de l’ordre de 16 000 000 $US qui découle de la vente du bien immobilier de PPJV en décembre 1987.

 

LA COTISATION

 

[14]           Le ministre a refusé d’appliquer la perte au motif qu’à l’époque où l’appelante a acquis son intérêt dans PPJV, elle n’avait pas l’intention d’exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice des activités de PPJV. L’appelante n’était donc pas devenue membre de cette société de personnes au sens de la Loi et ne pouvait prétendre avoir droit à la perte subie par PPJV en vertu de l’article 96 de la Loi.

 

[15]           Alternativement, le ministre a soutenu que, même si PPJV constituait une société de personnes à laquelle l’appelante participait, aucune perte ne lui était attribuable aux termes du paragraphe 10(1) de la Loi et de l’article 1801 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C.,
ch. 945
. Plus précisément, le paragraphe 10(1) obligeait PPJV à évaluer le Sherry Plaza selon sa juste valeur marchande, soit 16 000 000 $US, de sorte qu’aucune perte ne fut réalisée dans l’année de la disposition.

 

[16]           L’appelante s’est opposée à la cotisation, laquelle fut par la suite confirmée par le ministre en date du 4 mai 2004. Par conséquent, l’appelante s’est adressée à la CCI.

 

JUGEMENT DE LA CCI

 

[17]           La CCI a conclu que les associés américains et les acheteurs canadiens n’avaient pas d’intention commune d’exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice. L’essentiel du raisonnement de la juge de la CCI se retrouve au paragraphe 36 de ses motifs :

 

 

À mon avis, comme dans l’arrêt Backman [c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367,
2001 CSC 10], l’appelante n’a pas fait la preuve qu’elle avait convenu avec les partenaires américains, d’exploiter ou de tirer profit ensemble des activités de PPJV. Il est vrai que tout juste avant la reprise de l’immeuble par [la Banque de New York], le contrat de société a été modifié de façon à y prévoir la possibilité d’investir dans d’autres projets immobiliers que le Sherry Plaza, et que dans les faits PPJV a finalement investi deux ans plus tard une somme de 175 000 $US dans un projet qu’elle détient toujours. Mais ces seuls faits ne me convainquent pas, compte tenu des circonstances entourant toute la transaction, que Louis G. Reese, PPDC et l’appelante avaient l’intention de poursuivre en commun la réalisation d’un bénéfice. À mon avis, c’est l’élément important que devait prouver l’appelante et sur lequel elle a échoué.

[18]           Elle ajoute au paragraphe 40 :

 

Ici, le seul actif de PPJV a été saisi tout de suite après le départ rétroactif des partenaires américains. Même si les objets de la société ont été modifiés avant leur retrait, je conclus de la preuve que ni M. Reese ni PPDC n’avaient l’intention de poursuivre en commun la réalisation d’un bénéfice avec l’appelante et WPTI. Dans les faits, aucun investissement n’a été effectué avec ces derniers par la suite. Les objectifs poursuivis par l’appelante après le départ de M. Reese et PPDC, et le temps et l’argent investis par l’appelante, n’étaient pas la poursuite de l’entreprise exploitée par PPJV alors qu’elle était sous le contrôle américain. […]

 

 

[19]           Ayant conclu que l’appelante n’avait pas participé à la poursuite d’un but commun avec Reese et PPDC, la juge de la CCI n’a pas abordé l’argument alternatif soulevé par le ministre pour justifier la cotisation.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[20]           Tout en reconnaissant que la juge de la CCI a correctement identifié les éléments constitutifs d’une société de personnes, l’appelante lui reproche d’en avoir fait une mauvaise application (mémoire de l’appelante, paras 29 à 67). L’appelante remet aussi en question plusieurs des conclusions de fait tirées par la juge de la CCI (paras 68 à 76). Les questions ainsi soulevées sont soit des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait. Dans un cas ou l’autre, cette Cour ne saurait intervenir en l’absence d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 253). À mon humble avis, il n’a pas été démontré que la juge de la CCI a commis une telle erreur.

 

[21]           Parmi les arguments soulevés par l’appelante, le seul qui mérite que l’on s’y attarde est celui selon lequel la juge de la CCI aurait dû déterminer si la présence de Reese et PPDC était nécessaire pour assurer l’existence continue de PPJV (mémoire de l’appelante, paras 33 et 54). L’appelante prétend que si la juge de la CCI s’était posée cette question, elle aurait nécessairement conclu que l’existence de PPJV s’est poursuivie avec l’appelante et WPTI en tant qu’associées. Selon l’appelante, la participation de Reese et PPDC n’était nullement nécessaire pour assurer la pérennité de PPJV (mémoire de l’appelante, para. 55).

 

[22]           Avec égards, la juge de la CCI, après avoir conclu que l’appelante n’a jamais eu l’intention commune d’exploiter l’entreprise de PPJV avec les partenaires américains n’avait pas à aller plus loin. Pour avoir droit à la perte réclamée, l’appelante devait avoir participé en tant qu’associée à la société qui a généré les pertes. La juge de la CCI n’a pas exclu la possibilité que l’appelante avec WPTI puisse avoir créé une nouvelle société (motifs, para. 37) mais elle a conclu de façon non équivoque que l’appelante n’a jamais fait partie de la société qui a généré les pertes.

 

[23]           La preuve donne ouverture à cette conclusion. Selon la preuve, le seul immeuble qui faisait l’objet de l’entreprise exploitée par PPJV fut vendu le 1er décembre 1987. Ce n’est que quinze jours plus tard que l’appelante se voyait octroyer sa part dans la société. À cet égard, l’appelante a beaucoup insisté sur le fait que son admission dans la société avait un effet rétroactif au 1er décembre (mémoire de l’appelante, paras 57 à 59). Elle se fonde sur le libellé de l’entente qui prévoyait dans son paragraphe introductif que (dossier d’appel, vol. I, p. 66):

 

This assignment … is executed ... on the fifteenth day of December, 1987, to be effective as of the first day of December, 1987 …

 

 

[24]           Ce disant, les parties à l’entente n’indiquent pas que le contrat est le reflet écrit d’une entente verbale intervenue à une date antérieure, comme la chose se fait communément. Les parties se sont tout simplement entendues pour faire rétroagir l’entente au 1er décembre 1987. C’est ce qui se dégage du témoignage de Mme Orr (dossier d’appel, vol. IV, p. 699, lignes 3 à 8). M. Gaucher, pour sa part, a indiqué ne pas savoir pourquoi l’entente a été conclue avec effet rétroactif (dossier d’appel, vol. IV, p. 667, lignes 6 à 10). Chose certaine, personne n’a prétendu que l’entente signée le 15 décembre 1987 se voulait le reflet d’une entente verbale intervenue antérieurement.

 

[25]           La question de savoir si l’appelante avait l’intention d’exploiter l’entreprise de PPJV avec les associés américains en est une de fait. La juge de la CCI a retenu, entre autre, que PPJV s’était départie de l’immeuble productif de revenus lorsque l’appelante a signé l’entente du 15 décembre 1987 (motifs, paras 16 et 25). Puisque le développement et l’opération de cet immeuble constituaient la seule activité d’affaire de PPJV, la juge de la CCI a conclu que l’appelante ne pouvait avoir eu l’intention d’exploiter l’entreprise de PPJV avec les associés américains. L’effet rétroactif que les parties ont donné à l’entente ne peut évidemment palier à ce défaut.

 

[26]           Les tentatives d’impliquer Reese dans les opérations subséquentes qu’envisageait l’appelante, n’ont pas non plus réussi à démontrer l’existence d’une intention commune d’exploiter une entreprise (motifs, paras 27 et 28). En fin d’analyse, la juge de la CCI a conclu que l’appelante n’avait pas réussi à démontrer qu’elle a eu, à un quelconque moment, l’intention commune d’exploiter une entreprise avec les associés américains. Il s’agit là d’une conclusion à laquelle la preuve donnait ouverture.

 

[27]           Il n’est donc pas nécessaire de disposer de l’argument alternatif soulevé par le ministre pour justifier la cotisation. Je dirais cependant qu’il est douteux que le paragraphe 10(1) puisse s’appliquer indépendamment du paragraphe 10(2), comme le prétend l’avocat du ministre (mémoire de l’intimée, para. 39). En effet, le paragraphe 10(1) établit comment doivent s’évaluer les biens détenus en inventaire aux fins du calcul du revenu pour une année d’imposition donnée et selon la preuve, aucun bien en inventaire n’était détenu par PPJV en date du 31 décembre 1987.

 

[28]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

       Robert Décary j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

       Pierre Blais j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-480-07

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE MADAME LA JUGE LUCIE LAMARRE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT,  DU 27 SEPTEMBRE 2007, N° DU DOSSIER 2004-3092(IT)G.)

 

INTITULÉ :                                                                           177795 CANADA INC. et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 15 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 23 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Guy A. Gagnon

Khasayar Haghgouyan

 

POUR L’APPELANTE

 

Martin Gentile

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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