Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20090219

Dossier : A-39-08

Référence : 2009 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE BLAIS

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

MICHEL GRIMARD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 février 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février 2009.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                              LE JUGE BLAIS

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20090219

Dossier : A-39-08

Référence : 2009 CAF 47

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE BLAIS

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

MICHEL GRIMARD

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Cet appel soulève trois questions :

 

1.         Les services professionnels fournis par l’appelant l’étaient-ils en vertu d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise?

 

2.         S’il s’agissait d’un contrat d’entreprise, les dépenses réclamées par l’appelant étaient-elles déductibles de son revenu à titre de dépenses d’entreprise? et

 

3.         Y avait-il en l’espèce partialité ou apparence de partialité de la part du juge de la Cour canadienne de l’impôt (juge) qui a rendu la décision dont il est fait appel?

 

[2]               La première question, qui est d’importance et récurrente, fournit l’occasion d’apporter certaines précisions, d’une part quant à la soi-disant opposition sur la question entre le droit civil du Québec et la common law et, d’autre part, quant à ce que les auteures M. P. Allard et C. Jacquier ont appelé La valse-hésitation de la Cour d’appel fédérale dans l’application des lois fédérales au Québec, dans un article publié dans la Revue de planification fiscale et successorale, vol. 28, no. 1, 2007-2008, où, à la page 58, elles concluent à de l’incertitude qui en découle pour les justiciables québécois.

 

[3]               J’inclus, pour fin de référence, une table des matières des sujets traités :

 

Table des matières

Para.

 

Les faits à la source du litige et les procédures auxquelles ils ont donné naissance                                4

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt                                                                                   14

 

Analyse des motifs d’appel et de la décision                                                                                      18

            a)   Les dispositions législatives pertinentes                                                                            18

            b)   Le droit complémentaire applicable en l’espèce                                                              20

            c)   L’antinomie droit civil et common law                                                                             27

            d)   Le rôle et les pouvoirs de notre Cour dans le présent appel                                             45

 

            e)   Les services professionnels fournis par l’appelant l’étaient-ils en vertu d’un

                  contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise?                                                                47

            f)   S’il s’agissait d’un contrat d’entreprise, les dépenses réclamées par l’appelant

                  étaient-elles déductibles de son revenu à titre de dépenses d’entreprises?                        68

            g)   Y avait-il en l’espèce partialité ou apparence de partialité de la part du juge de

                  la Cour canadienne de l’impôt (juge) qui a rendu la décision dont il est fait

                  appel?                                                                                                                            69

 

Demande d’un remède équitable                                                                                                       77

 

Conclusion                                                                                                                                      

 

Les faits à la source du litige et les procédures auxquelles ils ont donné naissance

 

[4]               L’appelant, M. Grimard, se représente seul. Il est médecin spécialiste. Il réside à Sherbrooke. Il offre des services à titre d’expert-conseil en matière de santé environnementale et de médecine du travail.

 

[5]               Au cours des années 1995 à 1998 qui sont en litige, l’appelant a fourni une prestation de travail comme assesseur médical auprès du tribunal administratif connu à l’origine sous le nom de la Commission d’appel en matière d’accidents de travail et des maladies professionnelles. Ce tribunal fut créé par le Gouvernement du Québec en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001 (LATMP).

 

[6]               Cette Commission fut remplacée et continuée en 1998 par la Commission des lésions professionnelles (CLP) suite à la réforme des tribunaux administratifs. J’utiliserai l’abréviation CLP pour référer à l’une ou l’autre des deux commissions puisque le changement de désignation de l’organisme n’a aucun impact sur l’analyse qui sera faite de la relation de travail impliquant l’appelant.

 

[7]               La CLP possédait des bureaux à Montréal. L’appelant fut donc appelé à s’y rendre régulièrement pour fournir sa prestation de travail. Le travail de la CLP consiste à entendre et décider des litiges en matière de santé découlant de la LATMP et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., ch. S-2.1 (LSST).

 

[8]               L’appelant a conservé sa résidence principale à Sherbrooke. Mais il a loué à Montréal un appartement qui lui servait également de bureau. Pour les années d’imposition en litige, soit 1995 à 1998, il a déclaré son revenu provenant de la CLP comme un revenu de profession. Il en a déduit les dépenses encourues pour le loyer et les frais de bureau ainsi que pour ses déplacements entre Sherbrooke et Montréal effectués les fins de semaine. Au chapitre des frais de bureau générés à Montréal furent comptabilisés les frais de téléphone, d’ordinateur et de papeterie.

 

[9]               Suite à une vérification du ministère du Revenu du Québec, il fut déterminé que les assesseurs de la CLP avaient statut de salariés auprès de celle-ci. Elle en fut informée le 31 mars 1998 afin qu’elle procède dorénavant aux retenues des impôts et autres charges sociales qui sont le lot des employeurs (ex. assurance-maladie, assurance-emploi, régimes de pension, etc.).

 

[10]           Cette détermination du statut des assesseurs a entraîné pour l’appelant une révision de ses déclarations de revenus et un refus de certaines des déductions qu’il avait prises au titre de ses dépenses. De nouvelles cotisations furent émises par l’Agence du revenu du Canada pour les années en cause, soit, je le répète, les années 1995 à 1998.

 

[11]           L’appelant s’est pourvu en appel devant la Cour du Québec de la décision du ministère du Revenu du Québec. Ce n’est que le 9 juillet 2003 que fut rendue la décision de la Cour confirmant, à partir des critères de contrôle, propriété des outils, chances de profits et risques de pertes, et intégration dans l’entreprise, la décision dudit ministère et donc le statut de salarié de l’appelant : C.Q. no. 500-02-087518-002.

 

[12]           Il y eut appel de la décision de la Cour du Québec. Le 23 mars 2005, la Cour d’appel du Québec confirmait la décision de la Cour du Québec : Grimard c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2005 QCCA 346. Elle concluait également que les dépenses de déplacement ainsi que celles pour l’appartement à Montréal ne pouvaient être déduites par l’appelant de son revenu imposable, et ce même s’il avait été un travailleur autonome régi par un contrat d’entreprise. Pour la Cour d’appel, il s’agissait d’une résidence secondaire et les dépenses de déplacement, des dépenses personnelles qui n’étaient pas engagées pour produire du revenu.

 

[13]           L’appelant s’est opposé aux nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) pour la période en litige. Ses appels furent entendus le 12 octobre 2007 et jugement rendu le 20 décembre de la même année. De là l’appel et les questions dont nous sommes saisis.

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

 

[14]           Afin d’éviter de fastidieuses répétitions, je me contenterai de rapporter dans les grandes lignes les conclusions prises par le juge. En examinant le premier motif d’appel, j’aurai l’occasion d’énoncer et d’analyser la démarche suivie par le juge.

 

[15]           En se fondant sur le Code civil du Québec (Code), et plus particulièrement sur les articles 2085, 2086, 2098 et 2099, ainsi que sur le contrat passé entre les parties, le juge a également conclu, à l’instar de ce que la Cour du Québec et la Cour d’appel du Québec avaient décidé précédemment, que la relation de travail entre l’appelant et la CLP en était une d’employeur/employé, régie par un contrat de travail.

 

[16]           En outre, au paragraphe 45 des motifs de sa décision, le juge endosse la conclusion de la Cour d’appel du Québec que les frais de déplacement de l’appelant de Sherbrooke à Montréal et ceux relatifs à l’appartement loué constituaient des dépenses personnelles qui ne pouvaient être déduites aussi bien d’un revenu d’emploi que d’entreprise.

 

[17]           En conséquence, le juge a rejeté les appels et confirmé les cotisations établies par le ministre en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

 

Analyse des motifs d’appel et de la décision

 

a)         Les dispositions législatives pertinentes

 

[18]           Je reproduis les dispositions pertinentes à la compréhension et à la solution du présent litige :

 

Loi d’interprétation

 

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

8.1 Both the common law and the civil law are equally authoritative and recognized sources of the law of property and civil rights in Canada and, unless otherwise provided by law, if in interpreting an enactment it is necessary to refer to a province’s rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights, reference must be made to the rules, principles and concepts in force in the province at the time the enactment is being applied.

 

Code civil du Québec

 

1425.  Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2086.  Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

 

2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

1425.  The common intention of the parties rather than adherence to the literal meaning of the words shall be sought in interpreting a contract.

 

1426.  In interpreting a contract, the nature of the contract, the circumstances in which it was formed, the interpretation which has already been given to it by the parties or which it may have received, and usage, are all taken into account.

 

2085.  A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

 

2086.  A contract of employment is for a fixed term or an indeterminate term.

 

2098.  A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

2099.  The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

 

[19]           Avant d’examiner le premier motif d’appel, il convient de déterminer le droit complémentaire applicable en l’espèce. À cet égard, l’appelant soumet que le juge a commis une erreur de droit. Il lui reproche d’avoir « systématiquement et délibérément écarté et ignoré la jurisprudence concernant les critères développés en droit coutumier afin de distinguer entre l’employé salarié et le travailleur autonome » : mémoire des faits et du droit de l’appelant, paragraphes 1, 19, 25 et 35. On pourra voir par la suite ce qu’il en fut dans la décision en analysant le premier motif d’appel.

 

 

 

 

b)         Le droit complémentaire applicable en l’espèce

 

[20]           Dans l’article La valse-hésitation de la Cour d’appel fédérale dans l’application des lois fédérales au Québec, précité, les auteures concluent à une tergiversation de notre Cour quant à la complémentarité du droit privé québécois au droit fédéral. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que cette tergiversation émanait du ministère fédéral de la Justice dont l’une des deux auteures fait partie.

 

[21]           En effet, dans l’affaire Construction Bérou Inc. c. La Reine, 99 D.T.C. 5841, plaidée le 13 mai 1999, le ministère argumentait avec force qu’il y avait lieu d’appliquer le droit civil du Québec comme droit complémentaire afin que soient niées au contribuable québécois des déductions qui seraient admises partout ailleurs au Canada pour les autres contribuables canadiens.

 

[22]           Or, un mois plus tard, soit le 16 juin, toujours dans l’optique de pouvoir refuser des déductions au contribuable québécois, ce même ministère plaidait dans l’affaire Sa Majesté la Reine c. Mont-Sutton Inc., A-764-95, 29 juin 1999 (C.A.F.) qu’il fallait appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu de façon uniforme pour tous les canadiens et ce peu importe le régime de droit provincial. Voici ce que notre Cour écrivait au paragraphe 24 des motifs de la décision dans Construction Bérou Inc., le jugement ayant été rendu après celui de l’affaire Mont-Sutton Inc. :

 

Je signale en passant qu’il est intéressant de noter que dans le dossier d’appel Sa Majesté la Reine c. Mont-Sutton Inc., lequel appel fut entendu par cette Cour le 16 juin 1999, l’appelante admettait que la notion de licence qui existe en common law n’existe pas en droit civil québécois. Or, aux fins de refuser une déduction à un contribuable, l’intimée plaidait qu’il était nécessaire de « favoriser une application juste et équitable de la Loi sur l’ensemble du territoire canadien » et que même si la notion de licence ne fait pas partie du droit civil québécois, « les dispositions de la Loi doivent s’appliquer de façon uniforme, dans la mesure du possible, à tous et ce peu importe le régime de droit ». On ne peut que s’étonner que, dans le présent appel, l’intimée invoque le particularisme du droit civil québécois pour refuser à l’appelante une déduction par ailleurs accordée aux contribuables et hommes d’affaires soumis au régime de la common law.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

 

[23]           De toute évidence, notre Cour n’a guère prisé qu’en l’espace d’un mois, l’exécutif plaide dans l’intérêt public, sur la même question, une chose et son contraire avec la ferme intention d’avoir gain de cause dans les deux affaires.

 

[24]           Deux ans plus tard, le législateur fédéral a fini par se commettre. En adoptant l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21 par le biais de la Loi d’harmonisation no. 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4, il a reconnu le principe de complémentarité du droit civil québécois au droit fédéral lorsque les conditions de l’article 8.1 sont rencontrées. Ce faisant, il permettait par le fait même qu’il y ait disparités de traitement des justiciables canadiens en vertu des lois fédérales.

 

[25]           Notre Cour a donné effet à l’article 8.1 dans l’arrêt Canada c. St-Hilaire, [2001] 4 C.F. 289 et, comme on le verra plus loin en faisant l’analyse de la relation de travail de l’appelant avec la CLP, je ne crois pas que les arrêts subséquents de notre Cour aient remis en question le principe de l’arrêt St-Hilaire.

 

[26]           Dans la présente cause, c’est à bon droit que le juge s’est fondé sur le Code pour apprécier la nature juridique de la relation de travail en litige.

 

c)         L’antinomie droit civil et common law

 

[27]           Mais il serait erroné de croire qu’il y a antinomie entre les principes du droit civil québécois sur la question et ce qu’il est convenu d’appeler les critères de common law, soit le contrôle, la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de perte et, enfin, l’intégration du travailleur à l’entreprise.

 

[28]           Je reconnais d’emblée, et c’est souvent le cas, qu’il y a une différence de conceptualisation entre le régime de common law et celui du droit civil, laquelle emporte une autre différence, cette fois-ci, au niveau de l’approche quant à la caractérisation de la nature du contrat de travail et de celle du contrat d’entreprise. L’une, l’approche de droit civil, se veut cartésienne et synthétique. L’autre, de common law, analytique.

 

[29]           C’est ainsi que le droit civil québécois, quant à lui, définit les éléments requis pour l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat d’entreprise. Pour sa part, la common law énumère plutôt des facteurs ou critères qui, si présents, servent à déterminer l’existence ou non de tels contrats.

 

[30]           L’article 2085 du Code exige, entre autres pour qu’il y ait un contrat de travail, la présence d’une direction ou d’un contrôle du travail par l’employeur. Son pendant pour le contrat d’entreprise, l’article 2099, requiert une absence de lien de subordination entre l’entrepreneur et le client quant à l’exécution du contrat.

 

[31]           Selon les dictionnaires Le Petit Robert et Le Petit Larousse Illustré, la subordination d’une personne implique la dépendance de celle-ci à une autre ou son assujettissement au contrôle de cette dernière. Le contrat d’entreprise se caractérise donc par une absence de contrôle de l’exécution du travail, un contrôle qu’il ne faut pas confondre avec celui de la qualité et du résultat. Le législateur québécois y ajoute également comme élément de définition le libre choix par l’entrepreneur des moyens d’exécution du contrat.

 

[32]           Un contrat se forme par l’accord des volontés des parties à ce contrat. Donc, au stade de l’interprétation du contrat, les articles 1425 et 1426 du Code exigent que l’on recherche la commune intention des parties et que l’on tienne compte d’un certain nombre de facteurs dont, par exemple, les circonstances dans lesquelles il a été conclu.

 

[33]           Pour importante qu’elle soit, l’intention des parties n’est pas à elle seule déterminante de la qualification du contrat : voir D&J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), 2003 CAF 453; Dynamex Canada Inc. c. Canada, 2003 CAF 248. De fait, le comportement des parties dans l’exécution du contrat doit refléter et actualiser cette intention commune, sinon la qualification du contrat se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non de ce que prétendent les parties.

 

[34]           En outre, comme le fait remarquer à juste titre le juge, des tiers, dont l’État, peuvent avoir un intérêt à ce que les lois créant des charges sociales pour l’employeur et l’employé soient respectées alors que la tentation peut-être grande pour l’une ou l’autre des parties au contrat, ou les deux, de vouloir les éviter ou de vouloir profiter d’avantages fiscaux qui s’offrent aux entrepreneurs, mais non aux employés.

 

[35]           Par contraste, comme je l’ai déjà mentionné, la common law a développé des critères pour analyser la relation entre les parties. Mais il ne faut pas croire que ces critères dits de common law ne sont d’aucune utilité (voire même qu’ils seraient à proscrire et leur usage constituerait une hérésie) dans la qualification d’un contrat de travail en vertu du droit civil québécois.

 

[36]           Dans l’affaire Wolf c. La Reine, [2002] 4 C.F. 396, notre collègue, le juge Décary, citait l’extrait suivant de feu Robert P. Gagnon tiré de son volume Le droit du travail au Québec, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 67 et précisant le contenu de la notion de subordination en droit civil québécois :

 

Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C. ; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[37]           On retrouve dans cet extrait la notion de contrôle sur l’exécution du travail aussi présente dans les critères de la common law, à cette différence que la notion de contrôle est, en vertu du droit civil québécois, plus qu’un simple critère comme en common law. Elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail : voir D&J Driveway, précité, au paragraphe 16 de cette décision; et 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2005 CAF 334.

 

[38]           Mais on peut également noter dans l’extrait de Me Gagnon que le concept juridique de subordination ou contrôle, pour que l’on puisse conclure à sa présence dans une relation de travail, fait aussi appel en pratique à ce que l’auteur appelle des indices d’encadrement, que notre Cour a qualifié de points de repère dans Le Livreur Plus Inc. c. MRN, 2004 CAF 68 au paragraphe 18; et Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, au paragraphe 3.

 

[39]           Par exemple, l’intégration du travailleur dans l’entreprise apparaît en droit civil québécois comme un indice d’encadrement qu’il importe ou qu’il est utile de rechercher en pratique pour déterminer l’existence d’un lien de subordination juridique. N’est-ce pas là également un critère ou un facteur recherché en common law pour définir la nature juridique de la relation de travail existante?

 

[40]           De même, en règle générale, un employeur, et non l’employé, encaisse les profits et subit les pertes de l’entreprise. En outre, l’employeur est responsable des faits et gestes de son employé. Ne sont-ce pas là des indices pratiques d’encadrement, révélateurs d’une subordination juridique aussi bien en droit civil québécois qu’en common law?

 

[41]           Enfin, le critère de la propriété des instruments de travail, mis de l’avant par la common law, n’est-il pas aussi un indice d’encadrement qu’il convient d’examiner? Car, selon les circonstances, il peut révéler une intégration du travailleur à l’entreprise et son assujettissement ou sa dépendance à celle-ci. Il peut contribuer à établir l’existence d’un lien de subordination juridique. Plus souvent qu’autrement dans un contrat de travail, l’employeur fournit à l’employé les instruments nécessaires à l’exécution de son travail. Par contre, il m’apparaît beaucoup plus difficile de conclure à une intégration dans l’entreprise lorsque la personne qui exécute le travail possède son propre camion, par exemple, arborant de la publicité à son nom et quelque 200 000 $ d’outils pour accomplir les fonctions qu’il exerce et qu’il commercialise.

 

[42]           Il va de soi, aussi bien en droit civil québécois qu’en common law, que ces indices d’encadrement (critères ou points de repère), lorsque chacun est pris isolément, ne sont pas nécessairement déterminants. Ainsi, par exemple, dans Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] F.C.J. No. 749, (1999), 249 N.R. 1, le fait que l’entrepreneur devait se servir d’un coûteux appareil spécial de détection fourni par le donneur d’ouvrage pour vérifier et calibrer des détecteurs de substances toxiques ne fut pas jugé suffisant en soi pour transformer ce qui était un contrat d’entreprise en un contrat de travail.

 

[43]           En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

 

[44]           Voyons maintenant la démarche suivie et les principes appliqués par le juge pour en arriver à la conclusion que les parties en cause étaient régies par un contrat de travail.

 

d)         Le rôle et les pouvoirs de notre Cour dans le présent appel

 

[45]           Avant d’examiner les motifs d’appel, je dois déterminer la norme de contrôle applicable en l’espèce et, ainsi, définir le rôle et les pouvoirs de notre Cour à l’égard de la décision du juge.

 

[46]           Le rôle et les pouvoirs de notre Cour à l’occasion du présent appel sont dictés et régis par la norme de contrôle élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 SCC 33. Les questions de droit sont soumises à la norme de la décision correcte. Celles de fait ou mixtes de fait et de droit ne sont révisables par nous que si elles sont empreintes d’une erreur manifeste et dominante.

 

e)         Les services professionnels fournis par l’appelant l’étaient-ils en vertu d’un contrat de travail

ou d’un contrat d’entreprise?

 

[47]           On se rappellera que, contrairement à la prétention de l’appelant qu’il s’agissait d’un contrat d’entreprise, le juge a plutôt estimé que le contrat intervenu entre les parties en était un de travail. Pour ce faire, tel que déjà mentionné, il a appliqué les principes du droit civil à la qualification juridique de la relation de travail de l’appelant. Il a aussi cité et analysé la jurisprudence de notre Cour en la matière. Il a également considéré l’intention du législateur.

 

[48]           En ce qui a trait à l’intention des parties, il a examiné les clauses du contrat et évalué les témoignages de l’appelant ainsi que des représentants de la CLP. Il a noté que le contrat était muet quant à sa véritable nature juridique : voir le paragraphe 28 des motifs de la décision. Il a identifié des clauses du contrat qui tantôt contenaient des indices d’encadrement, tantôt des indices d’une libre exécution, sans lien de subordination : ibidem, paragraphes 28 à 30.

 

[49]           De la preuve documentaire et testimoniale, le juge a conclu que la CLP ne s’était pas interrogée sur la nature juridique du contrat. Pour elle, il était primordial de pouvoir se libérer de certaines des contraintes administratives reliées au recrutement et à l’embauche dans la fonction publique : ibidem, au paragraphe 32. En outre, ce qui était important pour la CLP, c’était que l’assesseur ait un statut de travailleur contractuel à durée déterminée et non de travailleur permanent jouissant de la sécurité d’emploi. C’est ce qui explique, selon le juge, que la CLP ne se soit pas arrêtée à la nature juridique du contrat qu’elle émettait et à ses conséquences fiscales : ibidem, aux paragraphes 33 et 34 des motifs de la décision.

 

[50]           Aux paragraphes 35 et 36 des motifs de sa décision, le juge tire la conclusion suivante :

 

[35]     À mon avis, il ne faut pas accorder ici une grande importance à la compréhension que pouvait en avoir les deux parties de la nature de leur contrat lorsqu’elles l’ont conclu. Elles n’ont jamais envisagé de façon précise les questions de savoir si monsieur Grimard devait avoir le libre choix des moyens d’exécution de son contrat et s’il devait fournir son travail sans la direction ni le contrôle de la Commission.

 

[36]     De toute façon, comme on le mentionne à plusieurs reprises dans la jurisprudence, le fait que les parties aient qualifié leur contrat de contrat de service ne signifie pas nécessairement que c’en est un. Il faut déterminer de quelle façon les parties se sont conduites afin de déterminer la nature véritable de la relation contractuelle qui existait entre elles. C’est ce qu’on appelle en France l’application du « principe de la réalité ». Ici, je n’ai aucune hésitation à conclure que l’interprétation adoptée par les parties ne correspond pas à la réalité, comme ont d’ailleurs fait la Cour du Québec et la Cour d’appel du Québec : de par sa nature véritable le contrat en cause est un contrat de travail plutôt qu’un contrat de service. En effet, la Commission avait un droit de direction ou de contrôle sur monsieur Grimard et ce dernier a rendu ses services sous la direction ou le contrôle de la Commission. Il existait ainsi un lien de subordination entre lui et la Commission.

 

 

[51]           Une lecture des paragraphes 37 à 46 révèle que le juge a recherché et analysé des indices soit d’encadrement, soit de libre exécution du travail. Il est intéressant de voir, contrairement à ce que lui reproche l’appelant, qu’à ce titre le juge a examiné les critères de common law.

 

[52]           Ainsi, au paragraphe 39, le juge retient le fait que l’appelant se voyait fournir par la CLP « un bureau doté de tous les outils nécessaires pour exercer ses fonctions ». En d’autres termes, il s’est préoccupé de la propriété des outils de travail.

 

[53]           Aux paragraphes 42 et 43, le juge examine l’intégration de l’appelant dans l’entreprise. Il constate que, selon l’organigramme de la CLP, « le travail des assesseurs fait partie intégrante des rouages de la Commission ». Il lie ce facteur également à la durée des services (8 ans), au fait que l’appelant a travaillé à temps plein et de façon continue, aux modalités de rémunération, au fait que les services furent rendus à la CLP dans les bureaux de la CLP et que tous les outils de travail nécessaires à l’exercice du travail étaient fournis par la CLP. Si la référence par le juge à l’organigramme de la CLP peut donner l’impression qu’il a examiné l’intégration dans l’entreprise sous l’angle du payeur plutôt que celui du travailleur, les autres facteurs qu’il retient corrige celle-ci.

 

[54]           Enfin, le juge s’est penché sur les risques de pertes pour conclure que l’appelant n’en avait aucun s’il prenait des vacances (il avait droit à quatre semaines de congé annuel rémunérées), s’il ne travaillait pas les jours fériés (il était rémunéré), s’il devait se déplacer pour exercer ses fonctions (ses dépenses lui étaient remboursées), s’il commettait de bonne foi une faute dans l’exercice de ses fonctions (il bénéficiait d’une immunité de poursuite).

 

[55]           L’appelant s’étonne du fait qu’on puisse conclure qu’il était un employé de la CLP avant qu’on ne lui confère le statut d’employé de la fonction publique au lendemain de la réévaluation de son statut entreprise par le ministère du Revenu du Québec. Si je suis devenu employé après, c’est donc, conclut-il, que je ne l’étais pas avant.

 

[56]           Cette situation en apparence contradictoire au plan factuel ne l’est cependant pas au plan juridique. Elle n’a rien de saugrenu. Car le concept d’employé reçoit sur le plan juridique une définition et une interprétation en fonction du contexte et de la fin pour lesquels il est utilisé.

 

[57]           Ainsi, par exemple, le Code canadien du travail adopte une définition très large et très englobante du terme « employé » pour les fins de détermination du contenu des unités d’accréditation et de négociation. Par contre, la définition est plus restrictive pour les fins de l’embauche dans la fonction publique et de son appartenance à celle-ci.

 

[58]           Dans le cas présent, la finalité était la suivante : qualifier la nature juridique de la relation contractuelle de travail entre l’appelant et la CLP. De là, l’application des définitions prévues au Code pour les contrats de travail et ceux d’entreprise.

 

[59]           La détermination du régime juridique applicable à la question soulevée par le présent litige, soit la nature de la relation de travail entre les parties, est une question de droit. À ce chapitre, le juge n’a pas commis d’erreur requérant ou justifiant notre intervention. Il s’est servi du droit civil québécois comme droit complémentaire au droit fédéral ainsi que l’exige l’article 8.1 de la Loi d’interprétation.

 

[60]           L’application des principes du droit civil québécois aux faits de la cause soulève des questions mixtes de fait et de droit.

 

[61]           Le juge s’est appliqué à déterminer s’il existait ou non un lien de subordination entre l’appelant et la CLP. Pour ce faire, il a analysé le contrat, recherché l’intention des parties et examiné le comportement des parties en pratique. Comme on l’a vu, il s’est arrêté à de nombreux indices, dont ceux qui sont utilisés dans les provinces de common law, pouvant lui permettre d’établir la nature juridique de la relation entre les parties.

 

[62]           Comme c’est souvent le cas en cette matière, le juge a été confronté à des indices parfois contradictoires. Il les a soupesés pour finalement en arriver à la conclusion que la relation de travail entre l’appelant et la CLP était régie par un contrat de travail au sens du Code.

 

[63]           L’appelant fait plusieurs reproches au juge quant à son analyse de la situation juridique, notamment en ce qui a trait au concept d’intégration dans l’entreprise, au contrôle du travailleur par opposition au contrôle du résultat du travail et au fait qu’il était rémunéré lorsqu’il s’absentait pour cause de maladie.

 

[64]           L’appelant ajoute que, dans sa recherche du lien de subordination, le juge a erronément tenu compte du fait qu’il était soumis à un Code de déontologie. De même, le juge aurait trop mis d’emphase sur le fait que l’appelant exerçait sa fonction sous l’autorité d’un commissaire dans le cadre du processus décisionnel de la CLP.

 

[65]           Il n’est pas évident que le juge se soit mépris sur l’existence d’une rémunération pendant une absence pour cause de maladie car, selon le juge, l’appelant aurait admis qu’il pouvait être rémunéré s’il manquait une journée pour cause de maladie : voir le paragraphe 29 et la référence de bas de page numéro 21 des motifs de la décision. Quoiqu’il en soit, si erreur il y a eu, celle-ci ne suffit pas, en soi, à invalider les conclusions du juge quant à la nature juridique de la relation de travail, fondées sur les nombreux autres indices d’encadrement.

 

[66]           L’imposition d’un Code de déontologie par la CLP et le fait que l’appelant exerçait sa fonction sous l’autorité d’un commissaire demeurent des indices d’encadrement pertinents dont le juge pouvait tenir compte. Mais il a aussi pondéré le poids de ces indices par une reconnaissance du fait que l’appelant « jouissait, en raison de son niveau d’expertise, d’une large autonomie relativement au travail qu’il devait accomplir, à savoir fournir son expertise médicale pour répondre aux questions que la Commission lui soumettait » : voir le paragraphe 38 des motifs de la décision.

 

[67]           Le juge devait rechercher et déterminer la nature juridique de la relation globale que les parties entretenaient entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Le Livreur Plus Inc. c. Le ministre du Revenu National et Laganière, 2004 CAF 68, au paragraphe 17; Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); et Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., 2004 CAF 54. C’est ce qu’il a fait. Il est possible qu’un examen microscopique de l’exercice auquel le juge s’est livré puisse, à l’égard de certains indices d’encadrement qu’il a examinés, justifier un apport de nuances ou de précisions. Mais je ne peux conclure que l’ensemble de cet exercice est entaché d’erreurs manifestes et dominantes, pour paraphraser la norme de la Cour suprême, qui requièrent et justifient notre intervention.

 

f)          S’il s’agissait d’un contrat d’entreprise, les dépenses réclamées par l’appelant étaient-elles déductibles de son revenu à titre de dépenses d’entreprise?

 

 

[68]           Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en suis venu et de l’article 8 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que les dépenses réclamées par l’appelant n’étaient pas déductibles.

 

g)         Y avait-il en l’espèce partialité ou apparence de partialité de la part du juge de la Cour canadienne de l’impôt (juge) qui a rendu la décision dont il est fait appel?

 

 

[69]           L’appelant soumet que le juge aurait dû « se récuser pour éviter d’être taxé de partialité » : voir le mémoire des faits et du droit de l’appelant, aux paragraphes 3 et 29. Selon lui, le juge était biaisé et la question en litige était déjà préjugée : ibidem, aux paragraphes 19, 24, 27, 34 et 36. Il en prend à témoin le fait que le juge s’est référé à un article qu’il a écrit, intitulé Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Door Services Ltd ne s’applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer, l’Harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, deuxième recueil d’études en fiscalité (2005), Montréal, APFF, 2005, et qu’il a cité à trois reprises pour étayer son raisonnement et ses conclusions. Il s’agit d’un article que le juge a écrit alors qu’il était dans l’exercice de ses fonctions et dont l’appelant n’a appris l’existence qu’en lisant les motifs de la décision.

 

[70]           Il est toujours délicat, voire même périlleux, pour un juge en exercice de publier dans un article ses opinions sur un sujet ou sur une question qu’il sera éventuellement appelé à trancher. Ce fait peut donner ouverture chez le plaideur, surtout le citoyen qui se représente lui-même, à une perception que le juge s’est déjà commis et qu’il n’est aucunement disposé à s’écarter des positions antérieures fermes qu’il a prises et qu’il a affichées. Dans ce domaine, la perception est souvent et malheureusement aussi, sinon plus importante que la réalité. Évidemment, cette problématique ne se pose pas lorsque les opinions émises par le juge le sont dans le cadre d’une décision judiciaire qu’il prend. Comme il se doit d’être constant dans l’application de la loi, il peut, sans difficulté par la suite, citer comme précédents les décisions qu’il a rendues et qui ont acquis l’autorité de la chose jugée.

 

[71]           J’ai examiné attentivement et scrupuleusement les motifs de la décision du juge afin de déterminer s’ils pouvaient objectivement donner naissance à une conclusion ou à une perception que celui-ci manquait d’impartialité. Pour les raisons qui suivent, je suis satisfait qu’une personne bien renseignée quant aux faits et aux circonstances, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne pourrait en arriver à cette conclusion : voir le test élaboré par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, au paragraphe 40.

 

[72]           Le juge, pour la première fois, fait référence à l’article qu’il a écrit au paragraphe 20 de ses motifs. Mais il le fait simplement pour reproduire des commentaires du ministre de la Justice du Québec relativement à l’article 2085 du Code, commentaires qu’il avait inclus dans cet article. Il reproduit, en fait, l’opinion du ministre sur le sujet. Le renvoi à son article n’en est un que de pure facilité.

 

[73]           Cette référence à l’opinion du ministre s’insère dans l’analyse détaillée et sérieuse qu’il fait de la jurisprudence de notre Cour, de celle de la Cour suprême du Canada et de la doctrine québécoise. On ne peut inférer de l’analyse qu’il fait du droit applicable une crainte raisonnable de partialité.

 

[74]           Le deuxième renvoi que le juge fait à son article est de même nature que le premier : voir le paragraphe 26 des motifs de sa décision. Il reprend une citation qu’il y avait insérée d’un extrait pertinent d’une décision de la Cour supérieure du Québec sur l’interprétation du contrat d’entreprise.

 

[75]           Enfin, on retrouve le dernier renvoi au paragraphe 27 des motifs de la décision. Le juge fait, dans son article, état de la jurisprudence de notre Cour sur la portée qu’il convient de donner à l’intention des parties par rapport à la réalité que révèle l’exécution de la prestation de services. C’est cette jurisprudence qu’il a correctement appliquée aux faits de la présente cause.

 

[76]           Pour ces raisons, je ne peux accueillir le troisième motif d’appel invoqué par l’appelant.

 

 

Demande de remède équitable

 

[77]           L’appelant se plaint du préjudice qu’il subit du fait qu’il fut l’objet de nouvelles cotisations pour les années 1995, 1996, 1997 et 1998. Celles-ci furent émises suite à une nouvelle qualification juridique de sa relation de travail avec la CLP. Plus de dix (10) années se sont écoulées depuis les nouveaux avis de cotisation et le montant des intérêts accumulés durant cette période dépasse, selon l’appelant, le montant original des cotisations contestées.

 

[78]           Il ne fait pas de doute que tant l’appelant que la CLP étaient de bonne foi dans la définition de leur relation de travail et de la qualification juridique qu’ils y attachaient. Une lettre en date du 8 juillet 1996, adressée par la CLP à Mme S. Beauvais, agente d’accréditation, indiquait que les assesseurs à la conciliation (un statut d’assesseur comparable à celui de l’appelant), engagés par contrat (comme l’appelant) pour offrir des services de conciliation, étaient liés, selon la CLP, par un contrat d’entreprise et non de travail : voir dossier d’appel, volume II, sous l’onglet 11. De toute évidence, et cela ressort également dans le présent dossier, la CLP croyait que les contrats qu’elle octroyait étaient des contrats d’entreprise.

 

[79]           L’appelant se plaint aussi du fait qu’une partie de son préjudice résulte du long délai pris par l’Agence des douanes et de revenu du Canada pour répondre aux avis d’opposition qu’il avait déposés plusieurs années auparavant. Pour ces raisons, il demande à cette Cour un remède en équité.

 

[80]           La responsabilité fiscale d’un contribuable naît par l’effet de la Loi de l’impôt sur le revenu. Notre Cour ne peut le soustraire à son application ou le relever de cette responsabilité.

 

[81]           De même, nous ne disposons pas du pouvoir d’interférer avec le paiement des intérêts. Dans l’arrêt Gilbert c. Canada, [2000] A.C.F. no. 550 (QL), notre Cour écrivait :

 

[5]     Dans ses conclusions, l’appelant a demandé d’être relevé du paiement des intérêts sur le montant dû. Dans les circonstances, il ne s’agit pas d’un montant négligeable puisque l’avis de cotisation remonte à 1984 pour l’année d’imposition 1981.

 

[6]     Nous n’avons pas la compétence pour accéder à cette demande. Le pouvoir de faire une remise des intérêts est un pouvoir discrétionnaire dont l’exercice a été confié au ministre du Revenu national par l’article 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

 

[82]           Le ministre jouit de la discrétion nécessaire à ce niveau pour alléger le fardeau du contribuable. Sur demande, il pourra, s’il le juge opportun, accorder le remède qu’il estimera approprié dans les circonstances.

 

Conclusion

 

[83]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel sans frais.

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            Pierre Blais, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-39-08

 

 

INTITULÉ :                                                   MICHEL GRIMARD c. SA MAJESTÉ LA

                                                                        REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE BLAIS

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 19 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Michel Grimard

POUR LUI-MÊME

 

Me Claude Lamoureux

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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