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Date : 20090211

Dossier : A-360-08

Référence : 2009 CAF 38

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

STEPHEN LEUNG

appelant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 janvier 2009

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 

 


 

 

 

 

Date : 20090211

Dossier : A-360-08

Référence : 2009 CAF 38

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

STEPHEN LEUNG

appelant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               La Cour statue sur l’appel d’une décision en date du 4 juin 2008 (2008 CF 704) par laquelle le juge Mandamin, de la Cour fédérale, a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur visant la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 11 août 2006 relativement à la plainte pour violation des droits de la personne qu’il avait déposée contre son employeur, l’Agence du revenu du Canada (l’employeur).

 

[2]               Selon la plainte, l’employeur aurait pris des mesures de représailles contre l’appelant parce qu’il avait présenté une plainte pour violation des droits de la personne en mai 2000. Plus particulièrement, il affirme que son employeur lui a refusé une promotion sans concours en créant, à la suite d’une réorganisation qui a rendu son poste excédentaire, un nouveau poste de directeur adjoint des Finances de niveau FI-04 pour lequel il était obligé de concourir. L’appelant soutient qu’il aurait dû être promu sans concours au poste de directeur adjoint des Finances de niveau FI-04 parce qu’il ne s’agissait que d’une reclassification à la hausse de son poste d’attache de gestionnaire des Finances (FI-03).

 

[3]               En réponse, l’employeur explique qu’un comité d’examen de la classification avait estimé que le nouveau poste de niveau FI-04 était un poste nouvellement créé qui n’avait aucun lien avec l’ancien poste de niveau FI-03 qu’occupait l’appelant. Il ne s’agissait donc pas d’une reclassification à la hausse et il fallait tenir un concours pour pourvoir à ce poste.

 

[4]               La Commission a rejeté la plainte de l’appelant au motif, notamment, que la preuve n’étayait pas l’allégation du plaignant selon laquelle il avait été la cible de représailles de la part de son employeur en raison de la plainte qu’il avait déposée pour violation des droits de la personne.

 

[5]               Voici un extrait de la lettre en date du 11 août 2006 par laquelle la Commission a informé l’appelant du rejet de sa plainte :

[traduction]         Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué ainsi que les observations formulées en réponse à ce rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 44(3)h) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que :

 

§         la preuve n’étaye pas l’allégation du plaignant selon laquelle il a été la cible de représailles en raison de la plainte relative aux droits de la personne qu’il a déposée;

§         la formule de plainte n’établit pas un lien entre les incidents allégués et les motifs de discrimination fondés sur la race et l’origine nationale ou ethnique, conformément à l’article 7 de la Loi;

§         la formule de plainte ne fait état d’aucune ligne de conduite discriminatoire au sens de la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Le rapport auquel la Commission fait allusion dans sa lettre est le rapport établi par l’enquêteuse chargée par la Commission d’enquêter sur la plainte de l’appelant concernant les mesures de représailles. Le rapport, que l’enquêteuse a déposé le 24 mars 2006, recommandait à la Commission, conformément à l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. 1985, ch. H-6, de rejeter la plainte de l’appelant.

 

[7]               Il est clair que la Commission a adopté intégralement les recommandations de l’enquêteuse et que le rapport constitue les motifs de la décision de la Commission. En fait, les motifs exposés par la Commission dans sa lettre de refus sont identiques à ceux qu’avait formulés l’enquêteuse dans son rapport pour recommander le rejet de la plainte.

 

[8]               À mon avis, le rapport de l’enquêteuse était vicié sous un aspect crucial. En effet, il ne donne aucun éclaircissement au sujet de la décision du comité d’examen de la classification suivant laquelle le nouveau poste FI-04 (identifié comme étant le poste F10011) était un nouveau poste qui n’avait aucun lien avec l’ancien poste occupé par l’appelant et pour lequel l’appelant devrait donc concourir. En fait, comme je l’ai déjà expliqué, l’appelant affirme qu’en raison de la plainte pour violation des droits de la personne qu’il avait déposée, son employeur avait pris des mesures de représailles contre lui en créant un poste qui était censé être un nouveau poste, c’est-à-dire sans lien avec son ancien poste, au lieu de reclasser à la hausse son ancien poste. Suivant l’appelant, comme son ancien poste et le nouveau poste étaient essentiellement identiques, il n’aurait pas dû avoir à participer à un concours pour obtenir ce poste.

 

[9]               Bien que, dans son rapport, l’enquêteuse déclare qu’à deux reprises, à l’automne 2001, un comité d’examen de la classification a estimé qu’il n’existait pas de lien important entre le nouveau poste de directeur adjoint et tout ancien poste régional de niveau F1, le rapport ne contient aucun détail au sujet des délibérations du comité ou des membres qui le composaient. Nous savons toutefois, à la lecture des notes d’entrevue de l’enquêteuse, que M. Ray Leblanc était à la tête du comité de classification, mais il ne semble pas qu’il ait été interrogé. C’est tout ce qu’on sait au sujet des personnes qui faisaient partie de ce comité.

 

[10]           La seule chose que l’on trouve dans le dossier est un document, qui ne porte ni date ni signature, intitulé [traduction] « Rapport et motifs du Comité, poste F10011, directeur adjoint des Finances, bureau régional, ARC », suivant lequel les membres du comité se seraient réunis le 17 septembre 2001. Je ne suis pas en mesure de dire si l’enquêteuse s’est fondée sur ce document ou sur d’autres documents. En tout état de cause, le rapport de l’enquêteuse ne révèle aucun renseignement au sujet de la rencontre qui aurait eu lieu le 17 septembre 2001.

 

[11]           Pour compliquer les choses, il semble que la décision précitée du comité contredise celle d’un autre comité, qui avait recommandé que le poste FI-03 de l’appelant soit reclassé à la hausse au niveau FI-04, comme en fait foi un document mentionné au paragraphe 29 du rapport de l’enquêteuse et intitulé [traduction] « 19 septembre 2001, directeur adjoint, Finances et Administration, conclusions du Comité », qui fait état des résultats de l’examen, par le comité d’examen de la classification en question, de 33 postes de cadres un peu partout au pays. Sous la rubrique « postes de niveau FI », on lit ce qui suit :

POSTE

CLASS. ACTUELLE

RECOMMANDATION DU COMITÉ

Soro – Directeur, Finances

FI-3

FI-4

(Dossier d’appel, vol. 1, p. 94)

 

[12]           L’enquêteuse a interrogé M. Steve Hertzberg, le supérieur immédiat de l’appelant, au sujet de la recommandation susmentionnée, et l’extrait suivant nous indique sa réponse :

[traduction] On a demandé à M. Hertzberg s’il savait pourquoi, à un moment donné, la direction avait proposé que le poste FI-03, soit reclassifié au niveau FI-04 et pourquoi il avait finalement été proposé qu’il soit remplacé par un nouveau poste. Il a répondu qu’il croyait que le document soumis par le plaignant pouvait être une version provisoire soumise au cours du processus de consultation et que ce document a par la suite été modifié. M. Hertzberg ne se rappelle pas précisément pourquoi et quand cette mesure aurait été proposée.

[Rapport d’enquête, p. 6, Dossier d’appel, vol. 1, p. 38]

 

[13]           La question était donc, pour l’enquêteuse, réglée. Elle n’a pas posé de questions de suivi ou fait d’autres recherches pour savoir pourquoi aucune suite n’avait été donnée à la proposition de reclassification du poste de l’appelant et pourquoi on avait finalement décidé de considérer le poste de niveau FI-04 comme un nouveau poste pour lequel il fallait tenir un concours. Là encore, il n’y pas le moindre élément d’information au sujet des personnes qui ont pris part à la décision de recommander la reclassification ou au sujet de leurs délibérations.

 

[14]           Je tiens à signaler ici que le document mentionné au paragraphe 11 des présents motifs a été obtenu par l’appelant grâce à la Loi sur l’accès à l’information, L.R. 1985, ch. A-1.

 

[15]           J’estime donc que l’enquêteuse n’a pas examiné correctement une question qui portait sur un point essentiel de la plainte en ne se renseignant suffisamment au sujet de la procédure de classification qui s’est soldée par l’obligation pour l’appelant de participer à un concours pour le nouveau poste créé. On comprend mal pourquoi le dossier demeure aussi obscur sur cette question, compte tenu du fait qu’il devrait être facile d’obtenir de l’employeur les renseignements requis pour éclaircir la question.

 

[16]           Ainsi, quelles décisions ont effectivement été prises à l’automne 2001 par un ou plusieurs comités de classification? Qui faisait partie de ces comités? Étaient-ce les mêmes personnes ou d’autres personnes? À mon avis, ces renseignements sont essentiels pour pouvoir répondre à la question de savoir si l’employeur a pris ou non des mesures de représailles contre l’appelant.

 

[17]           Je ne prétends évidemment pas ─ et ne voudrais pas non plus laisser entendre ─ que la Commission ou la Cour ont le pouvoir de s’immiscer dans le processus de classification de l’employeur ou dans des nominations à des postes. Toutefois, comme l’enquête menée par l’enquêteuse était entachée d’irrégularités, des doutes subsistent au sujet de la légitimité du processus de classification qui a conduit à la création d’un poste pour lequel l’appelant a dû concourir.

 

[18]           J’estime donc que le juge aurait dû intervenir. En conséquence, sa décision ne peut pas être confirmée.

 

DISPOSITIF

[19]           Pour ces motifs, j’accueillerais donc l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et, rendant la décision qui aurait dû être prononcée, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de l’appelant avec dépens et je reverrais l’affaire à la Commission pour qu’elle réexamine la plainte de l’appelant en conformité avec les présents motifs.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Marc Noël, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-360-08

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE MANDAMIN LE 4 JUIN 2008 DANS LE DOSSIER T-1631-06

 

 

INTITULÉ :                                                   STEPHEN LEUNG c.

                                                                        AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 FÉVRIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Glenn Stuart

POUR L’APPELANT

 

Gillian Patterson

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Glenn M. Stuart

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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