ENTRE :
ADMINISTRATEUR DE LA
SUCCESSION DE SHIMING DENG (LE DÉFUNT)
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
intimé
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 24 février 2009.
Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 février 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT: LA JUGE DESJARDINS
LA JUGE TRUDEL
Dossier : A-244-08
Référence : 2009 CAF 59
CORAM : LA JUGE DESJARDINS
LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
QIANHUI DENG,
ADMINISTRATEUR DE LA
SUCCESSION DE SHIMING DENG (LE DÉFUNT)
appelant
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel d’une décision du juge Pinard de la Cour fédérale rendue en matière d’immigration. Dans cette décision, il a refusé d’accorder une prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire et il a rejeté la demande de contrôle judiciaire en instance.
[2] La question fondamentale est de savoir si la Cour a la compétence pour entendre l’appel compte tenu des alinéas 72(2)e) et 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[3] L’alinéa 72(2)e) prévoit que le jugement sur la demande de contrôle judiciaire et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.
[4] En vertu de l’alinéa 74d), un jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci. En l’espèce, le juge Pinard a refusé de certifier une question.
Les faits et la procédure
[5] Le 26 octobre 2005, un agent d’immigration a établi un rapport en vertu de l’article 44 de la LIPR. Dans ce rapport, il a affirmé que M. Shiming Deng était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en raison d’une condamnation pour voies de fait. Il a confisqué le passeport chinois de M. Deng conformément à l’article 140 de la LIPR.
[6] Un agent principal a examiné le rapport. Il a ensuite déféré l’affaire de M. Deng, en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, à la Section de l’immigration pour enquête.
[7] Le 22 novembre 2005, M. Deng est décédé dans des circonstances tragiques. Près de deux ans plus tard, le 12 octobre 2007, l’appelant, qui est le père de M. Deng et l’administrateur de sa succession, a déposé une demande d’autorisation en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire et a sollicité une ordonnance de prorogation de délai pour déposer et signifier cette demande. La contestation visait le renvoi de l’affaire pour enquête et la confiscation du passeport de son fils décédé plus de deux ans auparavant.
[8] Le 31 janvier 2008, un juge de la Cour fédérale, siégeant à titre de juge des requêtes, a accordé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire et a fixé un délai pour l’achèvement de l’instance. Lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire devant le juge Pinard, l’intimé a affirmé, à titre préliminaire, qu’il n’existait aucune décision accordant la prorogation de délai requise pour commencer la procédure de contrôle judiciaire.
[9] Le juge Pinard a examiné ce point préliminaire soulevé par l’intimé. Il a souscrit à son argument selon lequel la question de la prorogation de délai n’avait pas été tranchée. Le juge Pinard a alors examiné la demande de prorogation de délai du défendeur. Il l’a refusée et a rejeté la demande de contrôle judiciaire.
La Cour a-t-elle compétence pour connaître de l’appel
[10] Le 21 mai 2008, le juge Pinard a rendu deux décisions : une décision rejetant la requête en prorogation de délai et une autre décision rejetant la demande de contrôle judiciaire.
[11] La décision rejetant la requête et refusant la prorogation de délai est une décision interlocutoire. L’alinéa 72(2)e) indique clairement que toute décision interlocutoire n’est pas susceptible d’appel.
[12] L’avocat de l’appelante s’appuie sur la décision de la Cour dans l’affaire Subhaschandran c. Canada, [2005] 3 R.C.F. 255 dans laquelle le juge Sexton a conclu que l’ajournement d’une requête en sursis à un moment où toute décision à son sujet sera devenue théorique constitue un refus d'exercer sa compétence et dans une telle situation la réparation doit être mandatoire. Il soutient que le juge Pinard, dans la présente instance, a refusé d’exercer sa compétence.
[13] Je ne souscris pas à cette prétention. Le juge Pinard a exercé sa compétence lorsqu’il a examiné la requête en prorogation et qu’il l’a refusé. Il a également exercé sa compétence lorsqu’il a rejeté la demande de contrôle judiciaire.
[14] Subsidiairement, l’avocat de l’appelant a soutenu que le juge Pinard n’avait aucune compétence pour examiner la décision du juge des requêtes et pour refuser la demande d’autorisation que le juge des requêtes avait accordée. Selon l’avocat, le juge Pinard n’avait aucune autorité de se prononcer sur le bien-fondé de la décision d’un autre juge de juridiction équivalente. L’avocat nous renvoie à la décision de la Cour dans l’affaire Canada (Solliciteur général) c. Bubla, [1995] 2 C.F. 680, p. 692.
[15] En toute déférence, je ne crois pas que c’est ce qu’a fait le juge Pinard en l’espèce. L’ordonnance du juge des requêtes ne disait rien au sujet de la prorogation de délai. L’ordonnance ne contenait aucune conclusion accordant ou refusant une prorogation. Le juge Pinard a tiré une conclusion de fait selon laquelle cette question avait été ignorée par le juge des requêtes. Cette conclusion n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Dans le mémoire des faits et du droit de l’appelant et dans celui de l’intimé, les parties ont soulevé des arguments liés à la prorogation de délai dans la partie se rapportant à l’ordonnance, mais n’ont sollicité aucune demande de prorogation de délai. Cette lacune pourrait expliquer un tel oubli : on peut trouver un autre exemple dans lequel la demande de prorogation de délai n’a pas été examinée, voir Nayyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 62 Imm. L.R. (3d) 78.
[16] L’appelant soutient qu’on devrait inférer de la décision du juge des requêtes d’accorder la demande d’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire qu’il a aussi accordé une prorogation de délai. Une situation similaire s’est produite dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Eason (2005), 286 F.T.R. 14 (C.F.) dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a refusé de tirer une telle conclusion. Je souscris à l’affirmation qu’elle a faite au paragraphe 20 de ses motifs du jugement, qui se lit comme suit :
[20] Cependant, comme nous l'avons vu plus haut, le membre en question de la Commission est resté muet sur la question de la prorogation du délai. Le défendeur soutient que, l'autorisation d'interjeter appel ne pouvant être accordée à moins que ne soit aussi accordée une prorogation de délai, on peut inférer de la décision du membre d'accorder ladite autorisation qu'il a aussi accordé une telle prorogation. Je ne souscris pas à cette proposition. S'il est vrai que M. Eason a effectivement demandé à la fois une prorogation de délai et l'autorisation d'interjeter appel, on ne peut automatiquement conclure, du simple fait qu'il a accordé l'autorisation demandée, que le membre de la Commission a examiné la question de la prorogation de délai. L'instance de décision doit explicitement examiner la question de savoir s'il y a lieu d'accorder une prorogation de délai.
[17] Puisque la requête en prorogation de délai n’avait pas été examinée par le juge des requêtes, le juge Pinard avait compétence pour trancher la question.
[18] En rejetant la requête en prorogation de délai, le juge Pinard s’est prononcé, par le fait même, sur la demande de contrôle judiciaire parce qu’à moins qu’un juge ait dûment autorisé qu’une telle demande puisse être présentée après l’expiration du délai de prescription, elle n’a aucun fondement valide en droit. En d’autres termes, le rejet de la demande de contrôle judiciaire était le corollaire et la conséquence inévitables du refus de proroger le délai.
[19] Puisque le juge Pinard a refusé de certifier une question lorsqu’il a rendu son jugement à l’égard de la demande de contrôle judiciaire, l’alinéa 74d) de la LIPR interdit l’appel.
[20] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, sans frais, pour défaut de compétence.
« Gilles Létourneau »
« Je suis d’accord
Alice Desjardins, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Johanne Trudel, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Mélanie Lefebvre, trad. a., LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-244-08
INTITULÉ : Qianhui Deng, administrateur de la succession de Shiming Deng (le défunt) c. MSPPC
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 24 février 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LA JUGE DESJARDINS
LA JUGE TRUDEL
DATE DES MOTIFS : Le 26 février 2009
COMPARUTIONS :
POUR L’APPELANT
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POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR L’APPELANT
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Sous-procureur général du Canada |
POUR L’INTIMÉ
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