ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
défenderesse
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 février 2009.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 mars 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DESJARDINS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE TRUDEL
Dossier : A-351-08
Référence : 2009 CAF 68
CORAM : LA JUGE DESJARDINS
LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
demandeur
et
ELLEN L. MASON
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE DESJARDINS
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre (R.C. Stevenson) qui a accueilli l'appel interjeté par la défenderesse d'une décision du conseil arbitral (le Conseil).
[2] Le Conseil a unanimement maintenu la décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) répartissant la rémunération que la défenderesse a inscrite dans ses déclarations de revenus de 2002 et de 2003 à titre de revenu tiré d'un travail indépendant pour les années d’imposition 2002 et 2003.
[3] La défenderesse a travaillé au Vida Wellness Spa à Vancouver du 18 février 2002 au 6 août 2002. Le 12 août 2002, elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. Elle a reçu des prestations du 11 août 2002 au 8 février 2003.
[4] En 2006, grâce au système de rapprochement des données sur la rémunération, la Commission a pris connaissance du fait que la prestataire avait indiqué, dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2002 et 2003, avoir tiré un revenu d'un travail indépendant. La défenderesse n’a pas déclaré son travail ni sa rémunération durant la période où elle recevait des prestations d’assurance-emploi.
[5] En mai 2006, la Commission a demandé à la défenderesse, dans une lettre, de lui fournir des copies de ses déclarations de revenus pour 2002 et 2003 ainsi que d’autres documents se rapportant à son revenu d’entreprise. En juin 2006, la Commission a communiqué avec la défenderesse afin qu’elle lui fournisse tout document contenant des renseignements sur ses revenus et ses dépenses. La défenderesse a répondu qu’elle ne disposait que de ses déclarations de revenus, mais qu’elle essaierait d’obtenir d’autres documents.
[6] Le 14 juin 2006, la défenderesse a envoyé à la Commission des copies de ses déclarations de revenus de 2002 et de 2003. Elle n’a fourni aucun autre document.
[7] La déclaration de revenus de la défenderesse pour l'année 2002 indiquait un revenu brut d'entreprise de 19 630 $, moins des dépenses d’entreprise de 25 128,21 $ (incluant une déduction pour amortissement de 146,34 $), donc une perte nette de 5 498,22 $. Sa déclaration de revenus pour l'année 2003 indiquait un revenu brut d'entreprise de 30 621,16 $, moins des dépenses de 7 085,81 $ (incluant une déduction pour amortissement de 250,04 $), donc un revenu net de 11 530,55 $.
[8] La défenderesse affirme que le revenu d’entreprise qu’elle a déclaré en 2002 et en 2003 provenait de paiements résiduels de commissions ou d'autres sommes liés à USANA, un réseau de marketing direct auquel elle a participé avant de présenter sa demande de prestations. La défenderesse n'a soumis aucun document personnel à l'appui de cette déclaration ni aucun document lié à USANA ou préparé par le cabinet de comptables qui a fait sa déclaration de revenus.
[9] La Commission a conclu que le revenu d’entreprise provenant d’USANA constituait une rémunération au sens de l’article 35 du Règlement sur l’assurance-emploi (DORS/96-332) (le Règlement), et a réparti les sommes conformément au paragraphe 36(6) du Règlement, lequel s'applique aux situations où un revenu est tiré d'un travail indépendant. Compte tenu du manque de preuve quant à la date de réception des paiements par la défenderesse, la Commission a réparti les sommes déclarées à titre de revenu annuel pour 2002 et 2003 sur les 52 semaines de chaque année en litige, et, compte tenu du manque de preuve, une déduction générale de 25 % a été accordée sur le revenu brut d’entreprise pour les frais d'exploitation.
[10] La Commission a procédé à la répartition de la rémunération de la façon suivante : pour 2002, une somme de 14 722 $ a été répartie, à raison de 283 $ par semaine, et, pour 2003, une somme de 22 966 $ a été répartie, à raison de 442 $ par semaine. Cette répartition a entraîné un trop‑payé de 2 146 $.
[11] La défenderesse a interjeté appel de la décision de la Commission.
[12] Le juge-arbitre a accueilli l’appel en se fondant sur un extrait des observations présentées au Conseil par la Commission, qui, selon lui, constituait une concession de la part de cette dernière. Voici ce que le juge-arbitre a affirmé à la page 4 de sa décision :
Si, en réalité, les sommes (revenu d'entreprise) que [Mme Mason] a touchées et déclarées pour les années 2002 et 2003 découlent de services qui ont été fournis ou d'opérations qui ont eu lieu avant 2002, elles ne devraient pas être réparties sur ces années. Dans les observations qu'elle a présentées au conseil, la Commission a déclaré que [Mme Mason] « avait touché des sommes [...] sans avoir travaillé » [traduction], ce qui, à mon avis, revient à dire qu'elle admettait que les sommes reçues par [Mme Mason] au cours de la période où elle touchait des prestations d'assurance-emploi ne découlaient pas de services qui ont été fournis ou d'opérations qui ont eu lieu pas durant cette période. À cet égard, l'appel de [Mme Mason] devrait être accueilli.
[Non souligné dans l’original.]
[13] Le juge-arbitre a ajouté un raisonnement subsidiaire selon lequel si, en réalité, la Commission n’avait pas concédé ce point, la défenderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver que les services n'avaient pas été fournis ou que les opérations n'avaient pas eu lieu au cours de 2002 et de 2003.
[14] Concernant les dépenses déduites par la défenderesse et la répartition correspondante de la rémunération faite par la Commission, le juge-arbitre déclare ensuite ce qui suit à la page 5 de sa décision :
Le conseil arbitral ne s'est pas demandé si la Commission avait eu raison de décider que la répartition devait être effectuée à partir d'un montant équivalant à 75 % du revenu brut déclaré par [Mme Mason]. À mon avis, dès lors que la Commission a accepté comme étant valables les chiffres relatifs au revenu brut qui figuraient dans la déclaration de revenus, c'est à elle qu'il incombait de faire la preuve que les montants déclarés à titre de frais et de dépenses n'étaient pas justifiés ou étaient erronés, et non pas à la prestataire de prouver le contraire. Voir à cet effet la décision CUB 67641A rendue par le soussigné.
Le conseil arbitral a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des dispositions du paragraphe 35(10) du Règlement sur l'assurance-emploi. Comme le revenu net d'entreprise de [Mme Mason] pour 2002 constituait en fait une perte nette aux fins de l'impôt sur le revenu, il n'y avait aucune rémunération à répartir sur cette année. En 2003, son revenu net, avant la déduction pour amortissement autorisée, était de 11 530,55 $, soit de 221,74 $ par semaine. La moitié de ce dernier montant, soit 110,87 $, aurait dû être répartie sur la semaine du 29 décembre 2002, et le montant entier de 221,74 $ aurait dû être réparti sur chacune des semaines du 5, du 12, du 19 et du 26 janvier, et du 2 février 2003. Par conséquent, à titre subsidiaire, je renverrais l'affaire devant la Commission afin qu'elle procède à une nouvelle répartition de la rémunération et qu'elle détermine le montant exact du trop-payé qui en découlera.
[Non souligné dans l’original.]
[15] Voici l’extrait tiré des observations de la Commission présentées au Conseil, que le juge‑arbitre a interprété comme une concession :
Toute somme versée par un employeur est considérée comme une rémunération et doit donc être répartie, sauf si elle correspond à une exception énoncée au paragraphe 35(7) du Règlement ou si elle ne découle pas d'un emploi. En l'espèce, la prestataire a touché des sommes qui constituaient des commissions ou des paiements résiduels découlant de marketing direct, sans avoir travaillé. Ces sommes constituent une rémunération et doivent être réparties, selon les dispositions de l'alinéa 36(19)b), sur les semaines où ont eu lieu les opérations, dans la mesure où la Commission a su déterminer quelles étaient ces semaines. Autrement, la Commission peut répartir la rémunération qui découle du travail indépendant sur toute l'année d'imposition faisant l'objet de la déclaration de revenus où cette rémunération a été déclarée, conformément aux dispositions du paragraphe 36(6); c'est d'ailleurs ainsi que la Commission a procédé en l'espèce.
[Non souligné dans l’original.]
[16] Rien dans la preuve au dossier, relativement à la décision du conseil ou à celle du juge‑arbitre, ne donne à penser que la Commission ou le demandeur a fait une concession devant le Conseil ou le juge‑arbitre. L’existence possible d’une concession a été soulevée par le juge-arbitre de sa propre initiative. Elle n’a pas été soulevée par les parties en l’espèce. Par conséquent, les parties n’ont pas pu traiter de cette question dans leurs observations.
[17] En agissant ainsi, le juge-arbitre a enfreint la règle de l’équité procédurale au sens de l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi). Il a également fait abstraction de la décision de la Cour dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Badwal, [1998] A.C.F. no 1697 (C.A.F.) en vertu de laquelle un juge-arbitre ne peut être saisi d’un argument s’il n’a été soulevé devant le Conseil (voir aussi Le Procureur général du Canada c. Garg, 2004 CAF 410).
[18] Ce manquement en lui-même justifie l’intervention de la Cour.
[19] Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, le juge-arbitre a pris l’initiative inhabituelle de formuler un raisonnement subsidiaire, à savoir que si le demandeur n’avait pas fait de concession, la défenderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve. Sa conclusion sur ce point est conforme à l’article 48 de la Loi sur l’assurance-emploi (L.R. 1996, ch. 23), lequel est rédigé comme suit :
[20] Puisque la défenderesse n’a pas présenté de preuve établissant les dates des opérations, la Commission et le Conseil pouvaient raisonnablement inférer qu’il s’agissait d’une rémunération découlant d’opérations qui ont eu lieu pendant la période de prestations portant sur 2002 et 2003 conformément au paragraphe 36(6) du Règlement, lequel est rédigé comme suit :
(6) La rémunération du prestataire qui est un travailleur indépendant exerçant un emploi non relié aux travaux agricoles ou la rémunération du prestataire qui provient de sa participation aux bénéfices ou de commissions est répartie sur la semaine où ont été fournis les services qui y ont donné lieu ou, si la rémunération résulte d’une opération, sur la semaine où l’opération a eu lieu. |
(6) The earnings of a claimant who is self-employed in employment other than farming, or the earnings of a claimant that are from participation in profits or commissions, shall be allocated to the week in which the services that gave rise to those earnings are performed and, where the earnings arise from a transaction, they shall be allocated to the week in which the transaction occurred. |
[Non souligné dans l’original.]
[21] Ladite rémunération sera donc répartie selon le paragraphe 36(6) du Règlement.
[22] En ce qui a trait au calcul et à la répartition de la rémunération, le demandeur a déposé le consentement à jugement suivant devant la Cour au nom de la Commission :
[traduction]
a. La Commission de l’assurance-emploi (la « Commission ») souscrit au raisonnement subsidiaire du juge-arbitre dans la décision CUB 68737A.
b. La Commission souscrit au calcul de la rémunération répartie en vertu des articles 35 et 36 du Règlement sur l’assurance-emploi.
c. Pour 2002, aucune rémunération ne devrait être répartie au cours de cet exercice en raison des dépenses de la défenderesse.
d. Pour 2003, la rémunération devrait être répartie en fonction du revenu net gagné par la défenderesse au cours de cette année (déduction faite des dépenses), soit 11 530,55 $ ou 221,74 $ par semaine.
e. Comme l’a fait remarquer le juge-arbitre, la moitié de ce montant, c.-à-d. 110,87 $, devrait être répartie sur la semaine du 29 décembre et un montant de 221,74 $ devrait être réparti sur chacune des semaines du 5, du 12, du 19 et du 26 janvier, et du 2 février 2003.
[23] Par conséquent, j’accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l’affaire au juge-arbitre en chef, ou à la personne qu’il désignera, pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que la rémunération provient d’opérations qui ont eu lieu pendant la période de prestations portant sur 2002 et 2003 et que cette rémunération doit être calculée et répartie conformément au consentement à jugement susmentionné.
[24] Je n’accorderais aucuns dépens puisque le demandeur n’en a pas demandés.
« Je suis d’accord.
Gilles Létourneau, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Mélanie Lefebvre, trad. a., LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-351-08
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et ELLEN L. MASON
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 février 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE DESJARDINS
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE LÉTOURNEAU
DATE DES MOTIFS : Le 13 mars 2009
COMPARUTIONS :
POUR LE DEMANDEUR
|
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DÉFENDERESSE, POUR SON PROPRE COMPTE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
POUR LE DEMANDEUR
|
VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) |
DÉFENDERESSE, POUR SON PROPRE COMPTE |