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Cour d'appel fédérale |
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
ENTRE :
appelante
et
SPIRITS INTERNATIONAL B.V.
et
REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
intimés
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2009.
Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
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Cour d'appel fédérale |
Date : 20090317
Dossier : A-193-08
Référence : 2009 CAF 88
CORAM : LE JUGE EN CHEF RICHARD
LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
SC PRODAL 94 SRL
appelante
et
SPIRITS INTERNATIONAL B.V.
et
REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
intimés
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2009)
[1] Nous sommes tous d’avis que le présent appel devrait être accueilli.
[2] L’intimée, Spirits International B.V. (Spirits) a présenté une demande à la Cour fédérale sur le fondement des articles 57 et 58 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi) en vue de faire radier du registre la marque de commerce no 501347 (no 347) de l’appelante, SC Prodal 94 SRL (Prodal).
[3] La marque « STALINSKAYA » no 347 de Prodal, en liaison avec des boissons alcoolisées distillées, en particulier de la vodka, a été enregistrée au Canada le 28 septembre 1998. Le 5 novembre 2007, après avoir présenté une nouvelle demande pour la marque de commerce « STALINSKAYA », demande no 1370400, en date du 2 novembre 2007, Prodal a annulé de plein gré sa marque de commerce no 347. Par conséquent, au moment de l’instruction de la demande le 1er avril 2008, aucune de ces marques ne figurait au registre.
[4] Bien que la marque no 347 ait été annulée, le juge des demandes a accueilli la demande de Spirits. Le juge est allé plus loin et a prononcé un jugement déclaratoire portant que la marque de commerce STALINSKAYA [traduction] « n’était pas distinctive, car elle crée de la confusion avec les marques de commerce déposées STOLICHNAYA [de Spirits], notamment la marque portant le numéro d’enregistrement LMC208809 employée en liaison avec de la vodka ». S’agissant de la demande pendante, le juge des demandes a ordonné que [traduction] « soient accordés le sursis de l’instance et une injonction mandatoire permanente interdisant au registraire des marques de commerce d’examiner la demande d’enregistrement relative à la marque de commerce STALINSKAYA, demande no 1370400 ». Une somme globale à titre de dépens au montant de 1 000 $, plus les frais d’expert, les débours et la TPS, a été accordée à Spirits. Le juge n’a donné aucun motif concernant l’ordonnance. Il n’a pas expliqué pourquoi il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande qui était par ailleurs théorique.
[5] L’article 57 de la Loi permet au registraire, ou à toute personne intéressée, de présenter une demande à la Cour fédérale en vue d’obtenir une ordonnance visant la radiation ou la modification d’une inscription dans le registre au motif que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Comme nous l’avons indiqué, Spirits demandait la radiation de la marque de Prodal.
[6] Ce qui n’existe pas ne peut être radié. Le juge des demandes a accueilli la demande et a déclaré que la marque de commerce de Prodal n’était pas distinctive, car elle crée de la confusion avec une marque de Spirits. Nous ne nous prononçons pas sur le bien‑fondé de l’ordonnance accordant une réparation accessoire dans des cas où la réparation principale n’est pas possible. Pour les motifs qui seront exposés, nous somme d’avis que le jugement déclaratoire n’aurait pas dû être rendu.
[7] Le juge des demandes a également accordé une réparation qui ne peut être qualifiée d’accessoire à celle demandée dans l’avis de demande. Notamment, même si l’avis de demande ne contenait pas de demande visant à obtenir une telle réparation, le juge a accordé un sursis de l’instance et une injonction mandatoire permanente [traduction] « interdisant au registraire des marques de commerce d’examiner » la demande d’enregistrement no 1370400.
[8] Pour obtenir le sursis de l’instance, il faut répondre au critère en trois étapes énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (P.G.) (RJR), [1994] 1 R.C.S. 311. Le juge des demandes ne disposait d’aucune preuve portant sur les éléments constitutifs du critère énoncé dans l’arrêt RJR. De plus, le mémoire des faits et du droit de Spirits ne contenait aucun argument à cet égard (dossier d’appel, volume 6, p. 1548 à 1574). Les étapes du critère énoncé dans l’arrêt RJR sont conjonctives : il doit donc être satisfait à chacune d’elles pour obtenir un sursis de l’instance. En l’espèce, le critère n’était pas rempli. En fait, il n’a pas été abordé. Puisque rien ne lui permettait d’accorder un sursis de l’instance, le juge des demandes a commis une erreur en prenant une telle décision.
[9] Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’ordonnance du juge des demandes prévoit également qu’est accordée [traduction] « une injonction mandatoire permanente interdisant au registraire des marques de commerce d’examiner la demande d’enregistrement relative à la marque de commerce STALINSKAYA, demande no 1370400 ». Avec égards, j’estime que les deux réparations ne peuvent coexister.
[10] Une injonction mandatoire contraint une personne à accomplir un acte. Elle vise notamment à contraindre une personne à prendre les mesures nécessaires pour réparer les torts qu’elle a commis dans le passé. Elle peut également avoir un effet pour l’avenir et contraindre une personne à exécuter une obligation qu’elle n’a pas accompli. Une injonction prohibitive empêche une personne de commettre un acte précis : Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, 3e éd., Aurora, Canada Law Book, 2000, p. 1-1.
[11] Notamment, Spirits n’a pas demandé le sursis de l’instance, une injonction mandatoire ou une ordonnance d’interdiction dans son avis de demande. Elle demandait ces mesures de réparation dans son mémoire des faits et du droit. Spirits prétend que la « clause omnibus » insérée dans son avis de demande, dans laquelle elle demandait [traduction] « toute autre réparation que l’avocat peut recommander et que la Cour estime juste », vise en soi toutes les réparations demandées dans son mémoire des faits et du droit. Aucune source n’a été citée relativement à la proposition voulant que le principe énoncé dans Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627 (selon lequel un jugement déclaratoire nécessairement accessoire à la réparation demandée peut être prononcé en vertu d’une clause omnibus dans les cas où la partie adverse est prise au dépourvu ou a subi un préjudice quelconque) devrait s’appliquer à l’octroi de suris, d’injonctions mandatoires ou d’ordonnances d’interdiction.
[12] L’article 301 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) exige qu’un avis de demande contienne un énoncé précis de la réparation demandée ainsi qu’un énoncé complet et précis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable. Spirits ne répond pas à l’observation de Prodal selon laquelle les exigences de l’article 301 n’étaient pas remplies.
[13] Après avoir annulé sa marque, Prodal n’a pas déposé d’avis de comparution. L’article 145 des Règles prévoit que lorsqu’une personne a reçu signification d’un acte introductif d’instance et qu’elle n’a pas envoyé d’avis de comparution, la signification des autres documents dans le cadre de l’instance n’est requise que si la Cour l’ordonne. Par conséquent, Spirits n’a pas signifié son mémoire des faits et du droit à Prodal.
[14] Sans même s’interroger sur le bien‑fondé de la réparation que Spirits a demandée dans son mémoire des faits et du droit, il est bien établi qu’aucun avis n’a été donné à Prodal pour l’informer des réparations demandées, sauf celle relative à la radiation de sa marque. Spirits savait que Prodal n’avait jamais employé sa marque de commerce au Canada en raison du rejet de l’appel qu’elle avait présenté dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 45 de la Loi : Spirits International N.V. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (2006), 49 C.P.R. (4th) 196 (C.F.), conf. par (2007), 60 C.P.R. (4th) 31 (C.A.F.). Prodal prétend qu’elle n’a appris l’existence de l’ordonnance du juge des demandes qu’après son prononcé, et que cette ordonnance l’avait prise au dépourvu et lui avait causé un préjudice. De plus, elle soutient que le processus, dans les circonstances, était inéquitable sur le plan de la procédure.
[15] L’article 75 autorise une partie à présenter une demande à la Cour, à tout moment, pour modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties. Nous sommes d’avis que, dans les cas où aucun avis n’est donné à la partie intimée pour l’informer de la réparation demandée, une telle réparation ne devrait pas être accordée avant que l’avis ne lui soit donné et qu’elle ait l’occasion d’y répondre. Le défaut de s’assurer que l’avis est donné fait en sorte que le processus n’est pas équitable sur le plan de la procédure. En l’espèce, il était évident que la réparation demandée par Spirits telle qu’énoncée dans son avis de demande ne correspondait pas à celle figurant dans son mémoire des faits et du droit.
[16] L’appel sera accueilli avec dépens et l’ordonnance du juge des demandes sera annulée.
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-193-08
INTITULÉ : SC Prodal 94 SRL c. Spirits International B.V. et Registraire des marques de commerce
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 mars 2009
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EN CHEF RICHARD, LE JUGE LÉTOURNEAU et LA JUGE LAYDEN-STEVENSON)
PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR : La juge Layden-Stevenson
COMPARUTIONS :
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POUR L’APPELANTE
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson, s.r.l. Ottawa (Ontario)
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POUR L’APPELANTE
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Odutola Professional Corporation Avocats Ottawa (Ontario) |
POUR LES INTIMÉS
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