ENTRE :
et
ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES
ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES
DE L'AÉROSPATIALE, SECTION LOCALE 712
et
L-3 COMMUNICATIONS MAS (CANADA) INC.
mise en cause
Audience tenue à Montréal (Québec), le 31 mars 2009.
Jugement rendu à Montréal (Québec), le 1er avril 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
Date : 20090401
Dossier : A-349-08
Référence : 2009 CAF 103
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
FRANÇOIS BLANCHET
demandeur
et
ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES
ET DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES
DE L'AÉROSPATIALE, SECTION LOCALE 712
défenderesse
et
L-3 COMMUNICATIONS MAS (CANADA) INC.
mise en cause
MOTIFS DU JUGEMENT
Introduction
[1] Le demandeur cherche par voie de contrôle judiciaire à faire annuler une décision du Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) rendue le 29 mai 2008.
[2] Au terme de cette décision prise sans audition, le Conseil a conclu que le demandeur n’avait pas établi une cause prima facie de sa plainte à l’encontre de son syndicat. Le demandeur reprochait à ce dernier d’avoir manqué à son devoir de représentation juste et équitable que lui impose l’article 37 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (Code).
[3] Comme instrument de mesure de ce qui constituerait une cause prima facie d’une violation de l’article 37 du Code par le syndicat, le Conseil s’est posé la question suivante :
Si le Conseil considère toutes les allégations de M. Blanchet comme étant fondées, pourrait-il en venir à la conclusion qu’il y a eu violation du Code de la part de l’AIM (Association des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 712)?
[4] Après examen des faits et de la preuve soumise par le demandeur et en tenant pour bien fondées les allégations de ce dernier, le Conseil s’est dit d’avis qu’il ne pourrait conclure qu’il y a eu violation de l’article 37 par le syndicat.
[5] Le demandeur reproche au Conseil de ne pas avoir tenu une audience où des questions de crédibilité relatives à sa version des faits et à celle de l’employeur auraient pu être débattues. Il lui reproche également de s’être mépris sur des éléments externes à la plainte dont, notamment, le fait que le Conseil était d’avis que le procureur consulté par le syndicat était un procureur indépendant.
La norme de contrôle applicable
[6] Pour pouvoir réussir dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit établir que la décision du Conseil est déraisonnable : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 45; Société Télé-Mobile c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, [2004] A.C.F. no 2123, au paragraphe 47.
[7] Il s’agit d’un critère exigeant d’intervention qu’à mon avis le demandeur n’a pu satisfaire en l’instance pour les raisons suivantes.
Analyse de la décision du Conseil et des prétentions du demandeur
[8] Il n’est pas nécessaire de répondre à chacune des prétentions du demandeur que l’on retrouve dans son mémoire écrit. Je m’attarderai aux deux précédemment mentionnées. J’examinerai aussi des questions soulevées à l’audience.
[9] Le Conseil n’était pas contraint de tenir une audience même si une demande en ce sens lui avait été faite : Nav Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228, 2001 CAF 30, aux paragraphes 10 et 11; Raymond c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et Société canadienne des postes, 2003 CAF 418. Les questions de crédibilité évoquées par le demandeur ne constituent pas en l’instance des circonstances exceptionnelles justifiant l’octroi d’un contrôle judiciaire contre le Conseil pour son refus de tenir une audience. Aux paragraphes 6 et 7 de l’arrêt Nadeau c. Métallurgistes unis d’Amérique (F.T.Q.) et le Groupe de sécurité Garda du Canada Inc., 2009 CAF 100, la Cour écrit :
[6] Avec respect, je ne crois pas que, d’une manière générale, dans le contexte d’une plainte en vertu de l’article 37, les questions de crédibilité constituent des circonstances exceptionnelles nécessitant la tenue d’une audience par le Conseil et que son omission de le faire fonderait un recours valable en révision judiciaire. Presqu’inévitablement, des questions de crédibilité se soulèvent dans les relations conflictuelles employeur/employé, de sorte que l’article 16.1 serait alors dépourvu de tout sens et privé de l’effet recherché par le législateur.
[7] Car il ne faut pas oublier que le débat sous l’article 37 du Code ne porte pas sur le bien-fondé du grief du plaignant, mais sur le processus décisionnel du syndicat. Il s’agit pour le Conseil « d’analyser la conduite du syndicat dans la gestion du grief de l’employé » : voir Virginia McRae Jackson et autres, [2004] CIRB no. 290, aux paragraphes 10 à 12.
[10] Le demandeur insiste sur le fait que le Conseil s’est trompé lorsqu’il affirme que le procureur duquel le syndicat a sollicité une opinion juridique était un procureur indépendant.
[11] Avec respect, cette prétention du demandeur est sans fondement. Le syndicat n’a pas fait appel à des conseillers juridiques à l’interne. Il a plutôt retenu les services d’une firme d’avocats externes. On ne saurait présumer qu’un avocat soumis à un strict Code de déontologie perd son indépendance du fait que sa prestation de service juridique soit rétribuée par celui à qui il la fournit.
[12] Est aussi sans mérite cette autre prétention du demandeur que l’opinion juridique émise par le procureur indépendant était erronée dans sa conclusion que l’entente signée par le demandeur le réintégrant au travail était une entente dite de « la dernière chance » et qu’elle était opposable à un congédiement ultérieur.
[13] Expérimenté, le procureur du demandeur a reconnu à l’audience, en réponse à des questions des membres de la formation, que le syndicat pouvait se tromper dans son analyse de la situation sans qu’il n’en résulte pour autant une conduite arbitraire, négligente, discriminatoire ou de mauvaise foi : voir aussi Dutchak c. Travailleurs unis des transports, 2005 CAF 328, au paragraphe 15.
[14] Mais il nous a référé à l’extrait suivant de la plainte du demandeur, reproduite à la page 24 de son dossier du demandeur :
La décision de l’association de ne pas déférer mon grief était arbitraire puisqu’elle était fondée sur une opinion juridique manifestement erronée et déraisonnable. En effet, le procureur de l’association, Me Michel Cohen, réfère à la décision Délisle c. Descoteaux, 1999 CanLii 13780 Q.C.C.A. sur laquelle il fonde son opinion et indique erronément que l’arbitre de grief est lié par les « ententes de dernière chance ». Au contraire, la décision Délisle c. Descoteaux conclut que l’arbitre de grief n’est pas lié par les ententes de dernière chance et qu’il conserve compétence. Au surplus, le document signé le 10 novembre 2006, n’était pas une entente de dernière chance et toutes les mesures disciplinaires antérieures avaient été réglées par ma suspension de quatre (4) mois sans solde. Enfin, le congédiement lui-même se fonde sur un événement banal, et porté à l’attention du superviseur par moi-même.
[Je souligne]
[15] Il l’a ensuite opposé à cette conclusion prise par le Conseil à la page 5 des motifs de sa décision :
Dans la présente affaire, en se fondant uniquement sur la preuve présentée par M. Blanchet, et tenant pour acquis que toutes ses allégations sont fondées, le Conseil a déterminé que M. Blanchet n’a pas réussi à établir une cause prima facie d’une violation par l’AIM de l’article 37 du Code. M. Blanchet n’est pas d’accord avec la décision ultime de l’AIM de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage. Cependant, tous les faits exposés dans sa plainte, et la documentation déposée à l’appui de celle-ci, démontrent que l’AIM n’a pas agi de façon arbitraire quand elle a évalué si elle devait porter le grief à l’arbitrage. L’AIM a plutôt respecté le devoir que lui impose le Code.
[Je souligne]
[16] En acceptant comme il l’a fait que les allégations du demandeur sont fondées, comment, demande-t-il, le Conseil pouvait-il conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 37 du Code lorsque le demandeur allègue que la décision du syndicat de ne pas déférer son grief « était arbitraire puisqu’elle était fondée sur une opinion juridique manifestement erronée et déraisonnable »?
[17] En règle générale, lorsqu’un tribunal tient pour avérées les allégations, il s’agit d’allégations de fait. Cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de conclusions de droit : voir Lawrence v. The Queen, [1978] 2 C.F. 782 (1ière instance). La détermination des questions de droit appartient au tribunal et non aux parties : ibidem.
[18] Il est vrai que le Conseil, dans l’extrait cité, n’a pas spécifié qu’il faisait référence aux allégations de fait du demandeur. Mais la référence qui y est faite aux allégations du demandeur ne peut être autre chose qu’une référence à des allégations de fait. Car, s’il en était autrement, il suffirait pour un plaignant d’énoncer comme conclusion que la décision de son syndicat est arbitraire ou discriminatoire pour que le Conseil soit tenu de conclure à une violation, du moins une violation prima facie, de l’article 37 du Code et d’adjuger sur le bien-fondé de la plainte. Ainsi le processus de tamisage (screening) des plaintes serait relégué aux oubliettes du passé.
[19] Avec respect, l’extrait de la plainte auquel le demandeur réfère renferme une conclusion de droit que la décision du syndicat était arbitraire au sens de l’article 37 du Code et que l’opinion juridique qui l’appuyait était en droit erronée et déraisonnable. L’explication qui suit dans l’extrait ne vise qu’à démontrer le bien-fondé de la conclusion de droit prise par le demandeur.
[20] Lorsqu’abstraction est faite de ces conclusions de droit et qu’on s’en remet aux seules allégations de fait que contient la plainte du demandeur, il n’est pas possible de conclure que la décision du Conseil est déraisonnable.
Conclusion
[21] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur de la défenderesse.
« Gilles Létourneau »
j.c.a.
« Je suis d’accord
M. Nadon, j.c.a. »
« Je suis d’accord
J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-349-08
INTITULÉ : FRANÇOIS BLANCHET c. ASSOCIATION
INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES
TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE l’AÉRO-
SPATIALE, SECTION LOCALE 712 et L-3
COMMUNICATIONS MAS (CANADA) INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 31 mars 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE LÉTOURNEAU
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : Le 1er avril 2009
COMPARUTIONS :
POUR LE DEMANDEUR
|
|
Me Katherine Poirier |
POUR LA DÉFENDERESSE
POUR LA MISE EN CAUSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Laval (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino Montréal (Québec)
Borden Ladner Gervais, s.r.l. Montréal (Québec) |
POUR LA DÉFENDERESSE
POUR LA MISE EN CAUSE |