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Date : 20090512

Dossier : A-476-07

Référence : 2009 CAF 150

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

GABRIEL FONTAINE

appelant

et

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 6 mai 2009.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 mai 2009.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                            LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20090512

Dossier : A-476-07

Référence : 2009 CAF 150

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

GABRIEL FONTAINE

appelant

et

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Questions en litige

 

[1]               L’appelant se représente seul. Il conteste par voie d’appel un jugement de la Cour fédérale rendu par l’honorable juge Tremblay-Lamer (juge) le 4 octobre 2007.

 

[2]               Je reproduis telles que formulées par l’appelant les questions qu’il désire soulever en appel :

a)         la cour a refusé ou négligé de considérer l’effet du temps écoulé;

 

b)         la cour a refusé ou négligé de considérer la totalité des documents demandés;

 

c)         la cour a refusé ou négligé de communiquer avec les tiers qui ont fourni des renseignements afin de demander leur consentement à la divulgation des documents;

 

d)         la cour a refusé ou négligé de considérer que le secret professionnel ne peut être invoqué lorsqu’il y a eu infraction; et

 

e)         la cour a refusé ou négligé de considérer les éléments de preuve qui lui ont été fournis touchant la perpétration d’une infraction concernant la divulgation de pièces à conviction.

 

[3]               L’on aura compris que le litige a trait à une demande d’accès à l’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R. 1985, ch. A-1 (Loi) mettant en cause l’alinéa 16(1)a) et les articles 19 et 23 de cette Loi. Une brève mise en perspective s’impose afin de comprendre le cheminement et le dénouement du présent appel.

 

Les faits et la procédure

 

[4]               L’appelant a fait l’objet d’enquêtes criminelles en 1988 et 1989 par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), section des délits commerciaux de Québec, le service divisionnaire des infractions commerciales de la GRC à Ottawa et la Direction de la police économique au quartier général à Ottawa.

 

[5]               Le dossier d’enquête sur l’appelant fut ouvert le ou vers le 5 décembre 1988. L’appelant fit à la GRC une demande d’accès à l’information contenue dans son dossier. La demande fut reçue par la GRC vers le 6 mai 2004. D’une manière plus spécifique, l’appelant demandait que lui soit communiqué un rapport de continuation de l’enquête amorcée.

 

[6]               En réponse à la demande d’accès, la GRC a remis à l’appelant un certain nombre de documents. Mais se prévalant de la discrétion que lui confèrent l’alinéa 16(1)a) et l’article 23 et se soumettant à l’obligation que lui impose l’article 19 de la Loi, elle a refusé l’accès à plusieurs d’entre eux. Tous les documents dataient de moins de vingt (20) ans lors de la demande d’accès (alinéa 16(1)a)). Certains des documents refusés l’étaient aussi parce qu’ils contenaient des renseignements personnels (art. 19) ou bénéficiaient de la protection que confère le secret professionnel de l’avocat (art. 23).

 

[7]               L’appelant a porté le refus de divulguer devant le Commissaire à l’information du Canada (Commissaire). Après enquête et vérification, le Commissaire a conclu que le refus était justifié. Il en a informé l’appelant par lettre datée du 10 janvier 2006.

 

[8]               De là naquît la demande de révision faite à la Cour fédérale en vertu de l’article 41 de la Loi pour faire infirmer la décision de la GRC.

 

Décision de la Cour fédérale

 

[9]               La juge a statué que tous les documents demandés avaient été préparés par la GRC dans le cadre d’une enquête criminelle visant à déterminer si l’appelant avait commis une infraction. En outre, selon la juge, tous ces documents rencontraient l’exigence temporelle de l’alinéa 16(1)a) : ils étaient tous datés de moins de vingt (20) ans lors de la demande, de sorte qu’il était permis à la GRC d’en refuser l’accès.

 

[10]           Elle a aussi constaté que certains renfermaient des renseignements personnels et qu’aucune des exceptions des alinéas 3j) à 3m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R. 1985, ch. P-21, ne s’appliquait. Elle a accepté l’argument de la défenderesse que les exceptions du paragraphe 19(2) de la Loi n’étaient pas applicables, de sorte que le refus d’accès était obligatoire en vertu du paragraphe 19(1), et donc justifié.

 

[11]           Enfin, elle a estimé que parmi les documents qui se classaient sous la rubrique « secret professionnel de l’avocat » de l’article 23 de la Loi, quelques-uns participaient du privilège relatif au litige. Comme le litige a déjà pris fin, ils auraient pu être remis à l’appelant selon l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, si ce n’était du fait qu’ils se qualifiaient pour un refus en vertu de l’alinéa 16(1)a) de la Loi.

 

 

L’exception de l’alinéa 16(1)a) de la Loi et le refus allégué de la Cour fédérale de considérer l’effet du temps écoulé

 

 

[12]           À la discrétion de la GRC, l’alinéa 16(1)a) limite pour une durée possible de vingt (20) années l’accès aux documents contenant des renseignements qu’elle a obtenus ou préparés au cours d’enquêtes licites visant la répression de la criminalité, l’application des lois fédérales et provinciales et la protection de la sécurité du Canada. Il se lit :

 

Enquêtes

 

16. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents :

 

 

a) datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant des renseignements obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait :

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

 

Law enforcement and investigations

 

16. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

(a) information obtained or prepared by any government institution, or part of any government institution, that is an investigative body specified in the regulations in the course of lawful investigations pertaining to

(i) the detection, prevention or suppression of crime,

(ii) the enforcement of any law of Canada or a province, or

(iii) activities suspected of constituting threats to the security of Canada within the meaning of the Canadian Security Intelligence Service Act,

if the record came into existence less than twenty years prior to the request;

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[13]           Dans le cas qui nous occupe, il appert que le dossier a été ouvert en décembre 1988. Or, selon l’alinéa 16(1)a), la durée du moratoire de vingt (20) ans, ou, si l’on préfère, l’âge des documents auxquels on désire avoir accès, se suppute par rapport à la date où la demande d’accès fut faite et non pas par rapport à celle où elle fait l’objet d’une adjudication ultérieure finale. L’appelant a soumis celle-ci en mai 2004, de sorte que les documents étaient tous datés de moins de vingt (20) ans à cette époque et qu’ils tombent alors tous sous le coup du pouvoir discrétionnaire de l’intimée.

 

[14]           Cette acceptation du texte clair de l’alinéa 16(1)a) sur le calcul du délai permet de disposer de l’appel. Mais comme l’appelant peut reformuler une demande qui échapperait alors en tout ou en partie à la contrainte temporelle de l’article 16, je crois utile, au bénéfice de ce dernier, d’examiner ses autres griefs d’appel.

 

Le refus ou l’omission de considérer que le secret professionnel ne peut être invoqué lorsqu’il y a eu infraction

 

 

[15]           La juge n’a pas traité de la question de savoir si une infraction avait été commise pouvant faire perdre le bénéfice du secret professionnel. Elle ne l’a pas fait parce que la question ne lui fut pas soumise pour détermination. On ne saurait donc l’en blâmer.

 

[16]           Tel que je comprends la prétention de l’appelant, le poursuivant, à l’époque des poursuites criminelles contre l’appelant, lui aurait « caché des renseignements importants et significatifs », consistant en l’omission de lui divulguer que des pièces à conviction étaient manquantes et en celle de clarifier la chaîne de possession de celles-ci.

 

[17]           Dans l’exercice de sa charge de poursuivant, le procureur de la poursuite a le devoir de communiquer à la défense, lorsque demande lui en est faite par celle-ci, la preuve qu’il détient afin de permettre à l’accusé d’exercer son droit à une défense pleine et entière. L’obligation de la poursuite est strictement corrélative à l’exercice du droit de la défense de demander communication : R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, à la page 343.

 

[18]           Mais l’omission du poursuivant de se conformer en tout ou en partie à ce devoir ne constitue pas nécessairement une infraction pénale. Elle peut donner lieu toutefois à des sanctions administratives telles un ajournement, une condamnation aux dépens (voir R. c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575), l’inadmissibilité de la preuve en question et, ultimement, si le droit à une défense pleine et entière est compromis, un arrêt des procédures.

 

[19]           Il semble qu’en l’espèce, d’après ce que décrit l’appelant, le procureur de la poursuite ait eu de la difficulté à l’époque à rapatrier des nombreux intervenants, en temps utile pour le procès, les originaux de certaines pièces à conviction. Je ne vois pas clairement en quoi ce problème organisationnel qu’a pu éprouver la poursuite, et le fait qu’elle puisse en avoir caché l’existence à la défense, peuvent constituer une infraction donnant droit d’accès à des documents protégés par la Loi en vertu du secret professionnel de l’article 23.

 

[20]           L’appelant soumet qu’il n’aurait pas plaidé coupable s’il avait été mis au courant de cette difficulté qu’éprouvait la poursuite. Mais cette difficulté de dernière minute ne change rien au fait que la preuve à charge avait été communiquée à l’appelant et à son avocat. C’est sur la foi de cette preuve que la décision fut prise de plaider coupable.

 

[21]           Avec respect, je crois que l’appelant confond les règles qui gouvernent la communication de la preuve dans un procès criminel et celles qui régissent la communication de documents dans le contexte d’une demande d’accès à l’information. D’une part, les règles de ces deux processus ne sont pas interchangeables à cause de leur finalité respective. D’autre part, celles relatives à la protection du secret professionnel de l’avocat, sauf exceptions qui n’ont pas d’application ici, transcendent par leur finalité les deux processus et s’appliquent aussi bien dans l’un que dans l’autre.

 

[22]           En conséquence, je ne vois pas de mérite dans ce motif d’appel.

 

La cour a refusé ou négligé de communiquer avec les tiers qui ont fourni des renseignements afin de demander leur consentement à la divulgation des documents

 

 

[23]           Il importe de préciser au départ que, s’il existe une obligation en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi de chercher à obtenir le consentement de tiers, cette obligation n’incombe pas à la cour, mais bien au responsable de l’institution fédérale concernée : voir Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (CAF), aux paragraphes 109 et 110.

 

[24]           On nous a référé à cet extrait que l’on retrouve dans l’arrêt Ruby, « des considérations politiques et pratiques, se rapportant, entre autres, à la nature des renseignements et à la quantité de renseignements peuvent empêcher l’obtention d’un consentement sur une base individuelle et mener à l’établissement de protocoles qui respectent l’esprit et la lettre de la Loi et de l’exception ».

 

[25]           Il ne faut pas oublier que dans l’affaire Ruby, c’était l’article 19 de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui était en cause et que cet article vise des renseignements personnels obtenus à titre confidentiel de gouvernements d’États étrangers, d’organisations internationales, de gouvernements provinciaux ou d’administrations municipales ou régionales. Dans ce contexte, il est plus facile de rechercher leur consentement et, au besoin, de le faire par voie de protocoles.

 

[26]           La problématique n’est pas la même et s’avère plus épineuse sous l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information où, par exemple, comme en l’espèce, une enquête policière d’envergure peut impliquer un nombre considérable de tiers desquels des informations peuvent avoir été obtenues les concernant, concernant l’appelant ou d’autres tiers. D’ores et déjà on peut voir les difficultés pratiques de retracer et de localiser tous et chacun de ces tiers pour chercher à obtenir leur consentement. Tout au plus peut-on imposer une obligation de moyen, soit, comme cette Cour le disait au paragraphe 110 de l’arrêt Ruby, « de faire des efforts raisonnables » pour obtenir le consentement du tiers concerné par l’information obtenue.

 

[27]           Dans le cas présent, la question ne s’est pas posée compte tenu du délai de vingt (20) ans de l’alinéa 16(1)a) de la Loi.

 

[28]           Quoiqu’il en soit, même lorsqu’il y a consentement des tiers, l’institution fédérale jouit d’une discrétion pour refuser la divulgation de documents contenant des renseignements personnels : voir Congrès juif canadien c. Canada, [1996] 1 C.F. 268, aux pages 282 et 283 (C.F. 1ière instance).

 

[29]           En l’instance, les renseignements obtenus de tiers le furent dans le cadre de l’enquête qui a mené au dépôt des accusations criminelles contre l’appelant.

 

[30]           La juge ne s’est pas prononcée sur l’application de l’alinéa 19(2)a) de la Loi car l’argument que l’appelant soulève maintenant n’en est pas un qu’il lui a soumis lors de sa demande de contrôle judiciaire. Ce fait en soi suffit pour en disposer. Mais j’ajouterai ceci. L’intimée a estimé qu’il était dans l’intérêt de la justice, et plus précisément dans celui d’une répression efficace de la criminalité, de ne pas identifier dans le cas présent ses sources de renseignements. Je ne saurais dire que, dans les circonstances, il y a eu par l’intimée un exercice illégal du pouvoir discrétionnaire dont elle bénéficie.

 

La Cour a refusé ou négligé de considérer la totalité des documents demandés

 

[31]           L’appelant fonde l’argument ci-haut mentionné sur le fait qu’au paragraphe 22 des motifs de sa décision, la juge a conclu que les renseignements que la défenderesse a jugé appropriés de maintenir confidentiels sont essentiellement des renseignements qui révèlent l’identité de ses sources de renseignements.

 

[32]           Avec respect, ce passage ne revêt pas le sens que l’appelant lui attribue. Ce que la juge y dit, c’est que la grande majorité des renseignements entraient dans une catégorie de refus, et le reste dans d’autres catégories justificatives, sans spécifier lesquelles. On ne saurait le lire comme voulant dire qu’elle n’a pas examiné les autres documents.

 

[33]           Au contraire, à la fin de l’audition de la cause, la juge a exprimé en ces termes son engagement profond à examiner attentivement chacun des documents :

 

Monsieur Fontaine, Me Bertrand a répondu à des questions que j’avais dans la façon dont les documents avaient été présentés. C’est important pour moi pour la compréhension du dossier.

 

J’ai indiqué à Me Bertrand que j’avais eu l’occasion à date de vérifier à peu près deux tiers des documents.

 

Évidemment, c’est une tâche extrêmement ardue parce qu’il y en a beaucoup et je veux, étant donné que vous vous représentez vous-même, je trouve ça d’autant plus important que vous avez absolument pas accès à rien, de tout réviser pour m’assurer que ces documents-là soient effectivement bien couverts par les exceptions qui ont été mentionnées.

 

Donc, je vais prendre cette affaire en délibéré et je vais finir ma revue des documents en question, mais je peux vous assurer que la Cour va être extrêmement minutieuse dans son examen.

 

Alors, je prends cette affaire en délibéré.

 

 

Je n’ai aucune raison de croire qu’elle ne s’y soit pas conformée.

 

 

 

Conclusion

 

[34]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel sans frais dans les circonstances.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Robert Décary, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              A-476-07

 

 

INTITULÉ :                                             GABRIEL FONTAINE c. LA GENDARMERIE

                                                                  ROYALE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 6 mai 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                               LE JUGE DÉCARY

                                                                  LA JUGE TRUDEL

 

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 12 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Gabriel Fontaine

POUR LUI-MÊME

 

Me Marie-Josée Bertrand

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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