Cour d’appel fédérale |
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Federal Court of Appeal |
Date : 20090605
Dossier : A-358-08
Référence : 2009 CAF 190
CORAM : LA JUGE DESJARDINS
LE JUGE NOËL
LE JUGE BLAIS
ENTRE :
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
appelant
et
NASSEREDDIN DERAKHSHANI
intimé
Audience tenue à Montréal (Québec), le 27 mai 2009.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juin 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NOËL
Y ONT SOUSCRIT : LA JUGE DESJARDINS
LE JUGE BLAIS
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Federal Court of Appeal |
Date : 20090605
Dossier : A-358-08
Référence : 2009 CAF 190
CORAM : LA JUGE DESJARDINS
LE JUGE NOËL
LE JUGE BLAIS
ENTRE :
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
appelant
et
NASSEREDDIN DERAKHSHANI
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel dirigé à l’encontre d’une décision rendue par le juge Martineau (le juge de la Cour fédérale ou le premier juge) refusant de donner effet à la requête ex parte présentée par le Ministre du Revenu national (le ministre) afin d’être autorisé à émettre une demande péremptoire de renseignements visant des personnes innommées, selon les termes de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).
[2] La courte ordonnance rejetant la requête se lit comme suit :
La requête ex parte du demandeur pour émission d’une ordonnance exigeant la fourniture de renseignements et la production de documents concernant des personnes non nommément désignées est rejetée, sans frais. Pour les motifs communiqués séance tenante à l’audition, la cour n’est pas satisfaite, à la lumière de la preuve au dossier et considérant les représentations du demandeur, que les deux conditions précisées au paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, telles qu’interprétées par la jurisprudence, sont rencontrées en l’espèce.
[3] Les motifs communiqués séance tenante n’ont pas été consignés au procès-verbal. Selon l’avocat du ministre, le juge aurait formulé les commentaires suivants au cours de l’instance (mémoire de l’appelant, au paragraphe 10) :
- L’ARC ne pouvait justifier une large vérification des déclarations de revenu préparées par M. Derakhshani sur la base du résultat de la vérification des déclarations de revenu de trois contribuables seulement;
- La vérification risquait de porter sur les déclarations de revenu de contribuables qui n’ont rien à se reprocher.
[4] Le ministre a initialement tenté de se pourvoir en appel de cette décision en déposant un avis d’appel sans qu’il soit signifié à l’intimé. Puisque selon les Règles des Cours fédérales un avis d’appel ne peut être déposé avant d’être signifié, l’avis d’appel fut référé au juge des requêtes par un agent du greffe. En date du 19 août 2008, le juge Pelletier émettait la directive suivante :
La Loi de l'impôt sur le revenu ne contient aucune disposition qui autorise le dépôt d'un avis d'appel ex parte. Les Règles des Cours fédérales contiennent certaines dispositions qui traitent de requêtes faites ex parte, notamment la règle 361, mais il n'y a rien dans les Règles ni dans la Loi sur les Cours fédérales qui autorise le dépôt d'un avis d'appel ex parte. Un tel avis d'appel ne peut être déposé sans avoir été autorisé au préalable par une ordonnance de la Cour rendue à la suite d'une requête qui, elle, peut être déposée ex parte.
Les termes de la directive accordaient au ministre un délai de quelques 30 jours pour demander, par requête ex parte, le droit de poursuivre l’appel sans avis, ainsi que toute autre mesure accessoire.
[5] L’avocat du ministre ne s’est pas prévalu de cette invitation. Il a plutôt choisi de poursuivre son appel selon les règles normales (ordonnance du 27 octobre 2008). L’avis d’appel fut donc signifié, des mémoires furent déposés et un débat contradictoire a eu lieu lors de l’audition de l’appel.
L’objection préliminaire
[6] L’intimé fait valoir dans un premier temps que l’article 231.2 de la Loi ne prévoit pas de droit d’appel à l’encontre d’une décision d’un juge de la Cour fédérale rejetant la requête ex parte du ministre. C’est donc que cette Cour n’a pas la juridiction pour entendre l’appel du ministre. Selon lui, le même obstacle existerait si la requête avait été soumise à un juge de la Cour supérieure.
[7] Il est vrai que le seul recours prévu à la Loi à l’encontre d’une ordonnance rendue en vertu de l’article 231.2 de la Loi est celui prévu au paragraphe 231.2(5) qui accorde au tiers le droit de demander la révision d’une autorisation une fois accordée. Par contre, l’on doit tenir compte de l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales qui prévoit un droit général d’appel à l’égard de tout jugement définitif ou interlocutoire de la Cour fédérale. En l’occurrence, le jugement rendu par le juge de la Cour fédérale tombe nécessairement sous l’une ou l’autre de ces appellations.
[8] L’intimé soutient tout de même, se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53 (Kourtessis), que le droit d’appel prévu à l’article 27 n’est pas applicable en l’espèce. Dans cette affaire, qui s’inscrivait dans le cadre d’une enquête criminelle, la Cour suprême du Canada a jugé que la Cour d’appel de la Colombie Britannique n’avait pas juridiction pour entendre un appel à l’encontre d’une décision de la Cour suprême de cette province autorisant l’émission d’un mandat de perquisition selon les termes de l’article 231.3 de la Loi. Les juges minoritaires, se référant à l’article 27 de ce qui était à l’époque la Loi de la Cour fédérale, avaient fait valoir pour justifier l’opinion contraire, qu’il serait incongru que le droit d’appel puisse différer selon que la requête soit présentée devant un juge d’une Cour supérieure d’une province ou devant un juge de la Cour fédérale.
[9] Le juge La Forest, auteur de l’opinion majoritaire, a écarté cet argument en expliquant qu’il serait risqué, en l’absence de plaidoirie, de prendre pour acquis que le droit général d’appel prévu à l’article 27 s’applique à une procédure prévue par une loi distincte. Selon lui, l’attribution mineure d’une compétence inhabituelle à la Cour fédérale, en matière criminelle, permettait de douter que le Parlement ait voulu que le droit général d’appel prévu à l’article 27 s’applique à ce type d’affaire (Kourtessis, supra, à la page 85).
[10] Cette préoccupation n’existe pas en l’espèce. La présente affaire s’inscrit dans le cadre de l’exercice par la Cour fédérale de son pouvoir de surveillance sur les agissements du ministre dans le cadre de l’administration et la mise en œuvre de la Loi (voir à cet égard la distinction faite par la Cour suprême du Canada dans R. v. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la page 641) (McKinlay Transport Ltd.). Cette compétence n’a rien d’inhabituelle et n’est pas exceptionnelle. Au surplus, la Cour suprême du Canada a depuis reconnu que le droit général d’appel prévu à l’article 27 s’applique à un appel issu d’une loi distincte à moins d’être expressément exclu par cette loi (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 47).
[11] Selon moi, il n’y a pas lieu de remettre en question le droit d’appel qui se dégage du texte clair et non équivoque de l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales. Je suis donc d’avis de rejeter l’objection préliminaire de l’intimé.
La question procédurale
[12] Le ministre, en plus de demander que la décision du juge de la Cour fédérale refusant d’autoriser la demande soit renversée, a formulé la question incidente suivante au paragraphe 13 b) de son mémoire :
L’appel d’une décision rejetant une demande d’autorisation, entendue ex parte, doit-il procéder ex parte?
[13] Comme en fait foi le présent pourvoi, rien n’empêche qu’un appel d’une décision ex parte puisse procéder selon les règles normales. Lors de l’audition, j’ai compris que la question que l’on nous soumet est plutôt celle à savoir si l’appel d’une décision rejetant une demande d’autorisation présentée ex parte peut procéder sans avis afin de préserver l’effet surprise recherché par la demande initiale?
[14] Comme l’a indiqué le juge Pelletier dans sa directive, une requête peut être présentée à un juge de la Cour d’appel sans avis de sorte qu’il existe une procédure pour soumettre cette question à un juge. Le ministre dans la présente affaire a choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité. Chaque cas est un cas d’espèce et il est préférable de laisser au juge saisi d’une telle requête le soin de déterminer s’il est opportun, selon les faits qui lui seront présentés, de permettre qu’un appel puisse être entendu sans avis (voir à titre comparatif le commentaire de la Cour d’appel de la Colombie Britannique dans Canada (Deputy Minister of National Revenue – M.N.R.) v. Tioseco, 2000 BCCA 673, au paragraphe 25).
La question de fond
[15] Au soutien de son appel, l’avocat du ministre prétend que le juge de la Cour fédérale se devait d’accorder l’autorisation demandée puisque la preuve présentée établissait l’existence des deux conditions prévues au paragraphe 231.2(3) de la Loi :
[Le ministre souligne.]
[16] Selon l’avocat du ministre, le dossier établit clairement que le groupe de personnes sur qui porte les renseignements demandés est identifiable et que la fourniture de ces renseignements est nécessaire aux fins de la mise en œuvre de la Loi. Il s’ensuit que le juge de la Cour fédérale était dans l’obligation d’émettre l’autorisation; il n’avait aucune discrétion à exercer.
[17] Ce disant, l’avocat du ministre fait une mauvaise lecture du paragraphe 231.2(3) de la Loi. C’est le juge saisi d’une requête en vertu de cette disposition qui doit être convaincu (« is satisfied » selon le texte anglais) de l’existence des conditions requises. Évidemment, cette discrétion doit être exercée de façon judiciaire, mais le cas échéant, c’est le juge qui a le dernier mot.
[18] Contrairement à ce qu’affirme l’avocat du ministre, je ne crois pas que la décision de notre Cour dans M.N.R. c. Chambre immobilière du Grand Montréal, 2007 CAF 346, [2008] 3 R.C.F. 366, soutient la thèse qu’il avance (mémoire, au paragraphe 22). Dans cette affaire, notre Cour utilise la phrase suivante en début d’analyse (paragraphe 5) :
Il ressort de la lecture de cette disposition que l'ordonnance ex parte sera émise si la personne ou le groupe visé est identifiable et si la fourniture ou la production est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations imposés par la Loi.
[Le double souligné est le mien.]
Il ne s’agissait pas dans cette affaire de déterminer si le juge saisi d’une requête en vertu du paragraphe 231.2(3) possède une discrétion résiduelle. Le litige portait sur le contenu des deux conditions qui y sont prévues et plus précisément sur la question à savoir si l’existence d’une enquête « sérieuse et véritable », demeurait l’une des conditions applicables. Après avoir expliqué que ce critère était issu d’une jurisprudence qui date d’une époque où la Loi se lisait autrement, la Cour en a écarté l’application. C’est dans ce contexte que la Cour a expliqué qu’une autorisation « sera émise » lorsque les deux conditions que l’on retrouve maintenant au paragraphe 231.2(3) sont rencontrées.
[19] Il est utile de rappeler que l’existence d’une discrétion judiciaire est essentielle à la validité constitutionnelle de ce type de disposition qui est assimilable à une saisie, même lorsqu’utilisée dans un contexte réglementaire (voir non-criminel) (McKinlay Transport Ltd., supra, à la page 642). C’est cette discrétion, confiée à un juge indépendant, qui protège les individus à l’encontre de l’utilisation abusive de ce genre de pouvoir, et le rend conforme aux exigences de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, à la page 443). En l’occurrence, le libellé du paragraphe 231.2(3) selon lequel le juge « […] peut, aux conditions qu’il estime indiquées, […] » autoriser la demande « […] s’il est convaincu, […] » que les conditions prescrites sont rencontrées, ne laisse aucun doute quant à l’existence de cette discrétion.
[20] Subsidiairement, le ministre prétend que le juge de la Cour fédérale a manifestement mal exercé sa discrétion. Ceci met en question l’utilisation qui peut être faite des « motifs » oraux rapportés par l’avocat du ministre, lesquels sont reproduits en début d’analyse (paragraphe 3).
[21] Lors de l’audition, l’avocat a expliqué qu’il se sentait mal à l’aise de se fonder sur les propos du juge qu’il a lui-même rapportés et qui ne sont pas consignés au procès-verbal. Après que la Cour lui ait rappelé que l’intimé n’avait formulé aucune objection à cet égard, l’avocat du ministre a fait allusion à une autre difficulté. Il a expliqué que le juge de la Cour fédérale, après lui avoir indiqué que sa requête serait refusée, lui a présenté diverses possibilités dont celle de rejeter sa requête avec ou sans motifs. L’avocat du ministre aurait opté pour un rejet sans motifs, ce qui explique pourquoi le procès-verbal ne fait pas état de motifs.
[22] Dans ces circonstances, je comprends mieux pourquoi l’avocat du ministre ne se soit pas fondé sur les propos qu’il a rapportés pour attaquer l’exercice de discrétion fait par le premier juge. Selon moi, il aurait été mal venu de le faire.
[23] En l’absence de motifs, nous ne pouvons que revoir le dossier tel qu’il fut présenté par le ministre devant le premier juge, et nous demander si ce dernier pouvait, à la lumière de ce dossier, exercer sa discrétion comme il le fit.
[24] L’affidavit présenté au soutien de la requête est bref. Il est signé par Francis Goulet, le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada responsable du dossier de l’intimé. L’enquête s’inscrit dans le cadre d’un projet de vérification visant les chauffeurs de taxi. L’affidavit révèle que l’intimé fait affaire sous la raison sociale « Service d’impôt Bilan Enr. » et prépare des déclarations d’impôt pour le compte d’autrui. L’enquête a révélé que les déclarations de trois chauffeurs de taxi préparées par l’intimé entre 2002 et 2006 l’ont été « sans la documentation nécessaire et sur la base d’une estimation des recettes et dépenses » dans deux cas, et « sans pièces justificatives concernant le revenu et en estimant les dépenses à partir de reçus » dans l’autre (affidavit de Francis Goulet, aux paragraphes 9, 10 et 11).
[25] Le vérificateur explique au paragraphe 13 ne pas être en mesure d’obtenir l’information recherchée parce que :
[L’intimé] ne fait pas parvenir à l’ARC des déclarations de revenu de ses clients par le système de transmission électronique des données. Je ne suis pas en mesure d’identifier ses clients ou le nombre de ses clients car cette information n’est pas répertoriée manuellement dans les bases de données de l’ARC.
[26] Enfin, le vérificateur explique qu’une fois l’information obtenue, il sera en mesure d’effectuer les vérifications nécessaires auprès des clients de l’intimé et d’établir, s’il y a lieu, les cotisations et les pénalités qui s’imposent (idem, au paragraphe 14).
[27] Ce qui étonne en lisant cet affidavit est qu’aucun élément d’information n’est fourni au juge quant à la portée de la demande d’information qu’on lui demande d’autoriser. En acceptant que le nombre d’individus affectés par la demande ne soit pas connu, le vérificateur en charge du dossier de l’intimé a tout de même une connaissance de l’entreprise de l’intimé. À cet égard, aucune référence n’est faite aux déclarations d’impôt de l’intimé ni à l’information qu’on est susceptible d’y retrouver sur son entreprise, incluant l’étendue des revenus qui en découle. Je tiens à faire remarquer que l’affidavit déposé au soutien de la demande ne fait état d’aucun soupçon quant à l’exactitude de l’information contenue dans les déclarations d’impôt de l’intimé.
[28] L’affidavit semble incomplet à un autre égard. Normalement, le nom d’un professionnel qui prépare une déclaration d’impôt pour le compte d’autrui doit apparaître sur les déclarations. Ceci fait partie de l’information requise. L’affidavit est silencieux à ce sujet. Je précise à cet égard que l’affidavit ne dit nulle part que l’information requise n’est pas disponible, mais bien qu’elle n’est pas répertoriée manuellement dans les bases de données (voir le paragraphe 13 cité au paragraphe 25 ci-haut). Ceci laisse croire, sans qu’on puisse en être certain, que l’information requise pourrait être obtenue autrement que par une demande d’information.
[29] Le fait que l’information puisse être obtenue autrement n’exclut pas la possibilité qu’une demande puisse être autorisée, mais il s’agit là d’une information qui doit être fournie au juge. Un juge ne doit pas être laissé dans le noir sur un point aussi important que celui-ci.
[30] Selon moi, l’affidavit présenté au soutien de la demande démontre un manque fondamental de rigueur, et le juge de la Cour fédérale était justifié dans l’exercice de sa discrétion de s’en déclarer non satisfait.
[31] Je rejetterais l’appel avec dépens.
« Je souscris.
Alice Desjardins j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Pierre Blais j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-358-08
INTITULÉ : Le Ministre du Revenu national et Nassereddin Derakhshani
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 mai 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Noël
Y ONT SOUSCRIT : La juge Desjardins
DATE DES MOTIFS : Le 5 juin 2009
COMPARUTIONS :
POUR L’APPELANT
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Nicolas Dubé (stagiaire) |
POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
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POUR L’APPELANT
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Montréal (Québec) |
POUR L’INTIMÉ
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