ENTRE :
et
et DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED
intimées
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 28 avril 2009.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NADON
Y A SOUSCRIT : LA JUGE TRUDEL
MOTIFS DISSIDENTS : LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON
Dossier : A-373-08
Référence : 2009 CAF 212
CORAM : LE JUGE NADON
LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
APOTEX INC.
appelante
et
JANSSEN-ORTHO INC.
et DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED
intimées
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision du juge Shore, datée du 17 juin 2008, 2008 CF 744, interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (AC) à l’appelante Apotex Inc. (Apotex) à l’égard de ses comprimés de lévofloxacine semi‑hydratée avant l’expiration du brevet canadien n° 1,304,080 (le brevet 080).
[2] La procédure au terme de laquelle le juge a rendu l’ordonnance d’interdiction a été engagée par les intimées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement).
[3] Je conclus que l’appel doit être accueilli.
LES FAITS
Le brevet visé
[4] Le brevet 080 délivré à l’intimée Daiichi-Sankyo Company, Limited (Daiichi), le 23 juin 1992, divulgue et revendique la lévofloxacine, antibiotique traitant les formes les plus graves de pneumonie. Ce brevet arrive à expiration le 22 juin 2009.
[5] Daiichi est également titulaire du brevet canadien n° 1,157,840 (le brevet 840) qui est venu à expiration le 22 mai 2001. Ce brevet divulguait et revendiquait l’ofloxacine antibiotique, dont la commercialisation au Canada a été concédée sous licence à l’intimée Janssen-Ortho Inc. (Janssen).
[6] La seule revendication du brevet 080 en cause dans la présente instance est la revendication 4, qui est ainsi conçue :
acide (-)-(S)-9-fluoro-3-méthyl-10-(pipérazin-1-yl)-7-oxo-2,3-dihydro-7H-pyrido[1,2,3-de][1,4]benzoxazine-6-carboxylique
Les parties s’entendent pour dire qu’un autre nom pour le composé décrit par la revendication 4 est lévofloxacine.
[7] La lévofloxacine est un composé chiral. Les composés chiraux peuvent adopter deux types de configurations tridimensionnelles différents, connus sous le nom d’énantiomères. Les énantiomères ont la même structure bidimensionnelle, mais ce sont des images miroir non superposables l’une de l’autre. Lorsque les deux énantiomères font partie d’un mélange 50-50, on appelle ce mélange un racémate. Dans le cas de la lévofloxacine, le racémate est appelé « ofloxacine ». L’énantiomère symétrique de la lévofloxacine se nomme la « dextrofloxacine ».
[8] Bien que semblables à plusieurs égards, les énantiomères possèdent des propriétés chimiques différentes et ils peuvent avoir des effets physiologiques différents lorsqu’ils sont administrés. La divulgation du brevet 080 nous apprend que la lévofloxacine est moins toxique, plus soluble et a une activité antimicrobienne deux fois plus grande que l’ofloxacine racémique. Le brevet 080 divulgue également des procédés pour rendre la lévofloxacine réellement exempte de l’énantiomère dextrofloxacine.
[9] Ainsi qu’il est divulgué dans le brevet 080, la lévofloxacine peut prendre deux formes : hydratée et anhydre. La forme anhydre (l’anhydrate) est constituée de lévofloxacine qui n’est pas liée à des molécules d’eau. La lévofloxacine hydratée (l’hydrate) est constituée de molécules de lévofloxacine très étroitement liées à des molécules d’eau. La lévofloxacine semi‑hydratée constitue un type d’hydrate.
[10] Janssen produit la lévofloxacine en vue de la vente au Canada. Apotex, fabricant de produits « génériques » ou « seconde personne » selon le Règlement, cherche à obtenir l’autorisation réglementaire à l’égard de ses comprimés de lévofloxacine semi‑hydratée. Conformément à l’article 5 du Règlement, Apotex a envoyé un avis d’allégation (AA) à Janssen, alléguant notamment que le brevet 080 était invalide et que même s’il était valide, son comprimé n’en constituerait pas une contrefaçon.
[11] Le 2 septembre 2005, Janssen et Daiichi ont répondu à l’AA d’Apotex par la voie d’une procédure intentée en vertu du Règlement visant l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex pour ses comprimés de lévofloxacine semi‑hydratée avant l’expiration du brevet 080.
Historique des procédures relatives au brevet 080
[12] Le brevet 080 a déjà fait l’objet de procédures judiciaires au Canada. Premièrement, dans la décision Janssen-Ortho c. Novopharm Limited, 2004 CF 1631, 264 F.T.R. 202 (la procédure Novopharm), le juge Mosley de la Cour fédérale a examiné le brevet 080 dans le contexte d’une demande d’interdiction présentée par Janssen en vertu du Règlement en réponse à un AA déposé par Novopharm Limited. Le juge Mosley a conclu que les comprimés de lévofloxacine semi‑hydratée de Novopharm contrefaisaient la revendication 4 du brevet 080, mais que cette revendication était invalide pour cause d’évidence. Janssen a interjeté appel de la décision auprès de la présente Cour, mais l’appel a été rejeté en raison de son caractère théorique, le ministre ayant déjà délivré l’AC à Novopharm au moment où l’appel a été instruit (voir 2005 CAF 6, 337 N.R. 259); requête en prorogation du délai de demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 2005 CSC 33, [2005] 1 R.C.S. 776.
[13] Deuxièmement, par suite de la décision du juge Mosley et du rejet de son appel par la Cour, Janssen a intenté une action contre Novopharm en contrefaçon du brevet 080. Dans la décision Janssen-Ortho c. Novopharm Limited, 2006 CF 1234, 300 F.T.R. 166 (le procès Novopharm), le juge Hughes a statué que le brevet 080 était valide et accueilli l’action de Janssen. J’aimerais souligner que Novopharm ayant concédé que son produit contrefaisait la revendication 4 du brevet 080, le juge Hughes n’a pas été appelé à se prononcer spécifiquement sur ce point.
[14] Arrivant à une conclusion différente de celle du juge Mosley au sujet de l’évidence, le juge Hughes a noté que son collègue n’avait pas bénéficié de la preuve abondante dont lui-même avait été saisi, ni des comparutions de témoins qu’il avait vus et entendus lui-même au cours de l’instruction.
[15] Dans l’arrêt Novopharm Limited c. Janssen-Ortho, 2007 CAF 217 (l’appel de Novopharm), la Cour a confirmé la décision du juge Hughes et conclu à la validité du brevet 080. L’autorisation d’appel à l’encontre de l’arrêt de la Cour a été rejetée par la Cour suprême du Canada, 2007 C.S.C.R. n° 442 (QL).
LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[16] Comme il était d’avis qu’« aucune preuve n’a été faite au sujet de l’invalidité ou de la contrefaçon » (paragraphe 203 des motifs), le juge Shore a statué que les intimées avaient droit à l’ordonnance d’interdiction demandée. Pour statuer ainsi, il a dégagé les conclusions suivantes.
[17] Le juge Shore a conclu que la revendication 4 du brevet 080, correctement interprétée, englobe nécessairement la forme semi‑hydratée de la lévofloxacine parce que le brevet enseigne expressément, à l’exemple 7, comment produire la lévofloxacine semi‑hydratée. Le juge Shore a également noté que la revendication 17 du brevet 080 inclut la forme semi‑hydratée de tous les composés de la revendication 2, dont la lévofloxacine.
[18] S’agissant de la question de la contrefaçon, le juge Shore a conclu que les comprimés d’Apotex contreferaient le brevet 080 de Janssen et il a donc rejeté l’allégation d’Apotex que son produit ne constituerait pas une contrefaçon parce que le brevet 080 n’embrassait pas la forme semi‑hydratée de la lévofloxacine. Le juge Shore a noté qu’Apotex a reconnu que le principe actif de ses comprimés était la lévofloxacine semi‑hydratée et qu’il s’ensuivait que si la revendication 4 du brevet incluait la forme semi‑hydratée, son allégation de non‑contrefaçon ne pouvait être justifiée.
[19] S’agissant de l’antériorité, le juge Shore a rejeté l’argumentation d’Apotex que chacune des revendications du brevet 080 était antériorisée par la divulgation antérieure de l’ofloxacine dans le brevet 840. Le juge Shore s’est appuyé sur les conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm pour conclure qu’Apotex n’avait produit aucune preuve justifiant que l’on s’écarte de la décision du juge Hughes sur cette question.
[20] S’agissant de la question de l’évidence, le juge Shore a rejeté l’argumentation d’Apotex selon laquelle les inventeurs vérifiaient simplement les qualités prévisibles de composés connus. Le juge Shore a conclu au contraire qu’il ne pouvait s’agir d’une vérification, car les inventeurs avaient découvert des propriétés imprévues et imprévisibles de nouveaux composés.
[21] Pour l’analyse de la question de l’évidence, le juge Shore a défini ce qui pouvait être considéré comme l’état de la technique et conclu qu’aucune des références à l’état de la technique alléguées par Apotex n’aurait mené, directement et sans difficultés, une personne versée dans l’art à l’invention révélée dans le brevet 080, c’est-à-dire la lévofloxacine et ses propriétés bénéfiques imprévues. Plus précisément, le juge Shore n’a pas accepté comme élément de l’état de la technique les « documents de Gerster », concernant une affiche qui faisait publiquement état du fait que l’énantiomère (-) de la fluméquine est celui des deux énantiomères qui est le plus actif sur le plan antimicrobien, et qu’il est donc plus actif que son racémate. Le juge Shore a conclu que les documents de Gerster ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour permettre à une personne ayant des connaissances et des compétences ordinaires dans le domaine de saisir la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, uniquement grâce à une habileté d’ordre technique.
[22] La juge Shore a conclu qu’Apotex a interprété erronément la promesse du brevet 080 et l’utilité de l’invention. Il s’est référé aux conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm, selon lesquelles l’utilité de la revendication 4 du brevet 080 était que la forme (S)- ou (-)- de l’ofloxacine possède une plus grande activité microbienne, une toxicité réduite et une solubilité dans l’eau remarquablement plus élevée, ce qui lui donne la chance de devenir un agent pharmaceutique très utile.
[23] Le juge Shore a conclu que le brevet 080 n’était pas nul au sens du paragraphe 30(1) de la Loi sur les brevets, L.R. 1985, ch. P‑4 (la Loi sur les brevets), qui dispose que la demande est tenue pour avoir été abandonnée si le demandeur ne répond pas aux exigences de l’examinateur. Apotex a soutenu que Daiichi n’avait pas répondu aux questions demandées dans le délai prescrit et qu’elle avait contrevenu aux alinéas 40(1)a) et c) des Règles sur les brevets, C.R.C., ch. 1250 (les Règles sur les brevets), car elle n’avait pas fourni à l’examinateur les détails d’une procédure de conflit de priorité ni les éléments de l’état de la technique cités à l’encontre de la demande.
[24] S’agissant de l’alinéa 40(1)c) des Règles sur les brevets, le juge Shore a conclu qu’il n’avait pas été contrevenu à cette disposition du fait que l’agent de brevets de Daiichi avait omis en toute innocence et par inadvertance de répondre dans le délai prescrit à une seule des huit questions de l’examinateur. Le juge Shore a noté que l’agent de brevets avait répondu à la question ultérieurement.
[25] S’agissant de l’alinéa 40(1)a) des Règles sur les brevets, le juge Shore a conclu que l’agent de brevets de Daiichi avait communiqué toutes les références à l’état de la technique citées en opposition aux demandes correspondantes aux États-Unis et en Europe. Le juge Shore, semble‑t‑il, a accepté qu’il suffisait de fournir à l’examinateur des références au sujet des demandes faites sur l’état de la technique et qu’il n’était pas nécessaire de fournir les documents eux‑mêmes.
[26] En outre, le juge Shore a rejeté l’argumentation d’Apotex selon laquelle Daiichi avait manqué à son obligation de franchise en raison des contraventions alléguées aux alinéas 40(1)a) et c) des Règles sur les brevets. Le juge Shore a conclu que l’obligation de franchise n’existait pas au Canada et que même si cette obligation était implicite, rien dans l’examen du brevet 080 ne donnait à penser que la demanderesse n’avait pas agi avec franchise et de bonne foi.
[27] Enfin, le juge Shore s’est demandé, à la lumière de l’arrêt de la Cour Sanofi-Aventis c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, [2008] 1 R.C.F. 174, si Apotex avait présenté « de meilleurs éléments de preuve ou [… ] un argument juridique plus valable » (l’expression provient du paragraphe 50 de l’arrêt Sanofi-Aventis, précité, sur lequel je reviendrai sous peu) que ceux qui avaient été présentés au procès Novopharm et qui lui donneraient le droit de faire opposition à la procédure d’interdiction engagée par les intimées.
[28] Le juge a conclu qu’Apotex n’avait pas satisfait aux exigences exposées dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, selon lequel de meilleurs éléments de preuve ou des arguments juridiques plus valables devaient être présentés pour qu’il soit justifié de débattre à nouveau les mêmes questions ou des questions similaires. Par conséquent, le juge a conclu que c’était un abus de procédure de la part d’Apotex de débattre à nouveau des questions tranchées dans la procédure Novopharm et dans le procès Novopharm.
LES OBSERVATIONS D’APOTEX
[29] Premièrement, Apotex fait valoir que le juge Shore a commis une erreur dans son interprétation de la revendication 4 du brevet 080. Selon Apotex, la revendication 4 donne simplement une description non ambiguë de la molécule de lévofloxacine et le recours au reste du mémoire descriptif pour élargir ou diminuer la portée de la revendication est inadmissible. Apotex soutient que le juge Shore a commis une erreur en s’éloignant du texte de la revendication 4, en adoptant une interprétation de la revendication axée sur les résultats et en ne distinguant pas la revendication 4 des autres revendications du brevet 080.
[30] Deuxièmement, Apotex prétend que le juge Shore a commis une erreur en rejetant son allégation de non-contrefaçon. Apotex soutient qu’il ne peut y avoir contrefaçon si elle interprète correctement la revendication 4, c’est-à-dire si la revendication n’englobe pas la forme semi‑hydratée de la lévofloxacine.
[31] Troisièmement, Apotex affirme que le juge Shore a commis une erreur en concluant que le brevet 080 n’était pas invalide pour cause d’antériorité. Selon Apotex, les propriétés et le procédé de production de la lévofloxacine ne sont pas pertinents dans une analyse de l’antériorité. Apotex fait aussi valoir que, comme le juge Shore a conclu que le brevet 840 divulgue l’ofloxacine comme composé contenant de la lévofloxacine, le brevet 840 a nécessairement divulgué aussi la lévofloxacine à la personne versée dans l’art à laquelle il s’adresse. En réalité, Apotex soutient que la preuve a clairement établi que les personnes versées dans l’art qui sont visées connaissaient les techniques existantes pour isoler les énantiomères des mélanges racémiques et que comme le juge Shore n’a pas fait mention de cette preuve, il faut présumer qu’il n’en a pas tenu compte. Apotex soutient aussi que le juge Shore semble avoir tranché la question de l’antériorité en adoptant la décision du juge Hughes dans le procès Novopharm, au lieu de la trancher sur la seule preuve dont il était saisi.
[32] Quatrièmement, Apotex soutient que le juge Shore a commis une erreur en n’appréciant pas le brevet 080 comme un brevet de sélection. Selon Apotex, le brevet 080 se présente comme un brevet de sélection, mais il n’en remplit pas les conditions parce que la lévofloxacine ne possède pas d’avantages particuliers, importants et non manifestes sur l’ofloxacine et parce qu’aucun avantage n’est correctement divulgué. Apotex fait notamment valoir que le juge Shore a commis des erreurs manifestes et dominantes dans son appréciation du dossier au sujet du niveau d’activité, de la toxicité et de la solubilité de la lévofloxacine en regard de l’ofloxacine. Apotex soutient également que le juge Shore a dit erronément que Novopharm avait avancé sans succès la même argumentation dans le procès Novopharm alors que le juge Hughes n’avait pas en fait analysé le brevet 080 comme un brevet de sélection dans sa décision.
[33] Cinquièmement, Apotex dit que le juge Shore a commis une erreur en concluant que le brevet 080 n’était pas invalide pour cause d’évidence. Apotex fait valoir que le juge Shore a commis un certain nombre d’erreurs manifestes et dominantes dans son appréciation du dossier et, en particulier, n’a pas apprécié correctement la preuve dont il était saisi quand il a conclu que les concurrents de Daiichi n’avaient pas intérêt à isoler les énantiomères et que Daiichi avait mis quatre ans pour effectuer la séparation. Apotex soutient au contraire que la preuve laisse entendre que les concurrents de Daiichi avaient une réelle motivation à résoudre l’ofloxacine en ses énantiomères et que pendant presque toute cette période de quatre ans, Daiichi n’effectuait pas de travaux de résolution des énantiomères. Apotex soutient également que le juge Shore a adopté les conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm, même si le dossier dont était saisi le juge Shore ne pouvait le mener à la même conclusion. En outre, Apotex fait valoir que le juge Shore a apprécié l’évidence à une date erronée, antérieure à la date de l’invention, ce qui l’a empêché de prendre en compte diverses pièces pertinentes concernant l’état de la technique, notamment l’affiche de Gerster publiée en 1985.
[34] Sixièmement, Apotex soutient que le juge Shore a commis une erreur en ne concluant pas que la demande relative au brevet 080 avait été tenue pour abandonnée. Selon Apotex, le juge Shore a commis une erreur en concluant que répondre à sept des huit exigences suffisait pour la poursuite de l’examen de la demande et en concluant qu’une erreur faite en toute innocence ou par inadvertance dégage un demandeur de l’obligation de répondre dans le délai prescrit. En fait, Apotex soutient que ces motifs pour ne pas satisfaire à une exigence ne sont pas prévus dans les Règles sur les brevets. Apotex fait aussi valoir que le juge Shore a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas d’obligation de franchise ou de bonne foi qui s’appliquait alors que la jurisprudence confirme le contraire.
[35] Enfin, Apotex soutient que le juge Shore a commis une erreur dans son application du critère relatif à l’abus de procédure. Selon Apotex, le juge Shore a appliqué une forme extrême d’irrecevabilité qui l’a privée d’une audience équitable et qui signifiait en réalité que le procès Novopharm définissait ses droits à toutes fins. Apotex soutient en particulier que le juge Shore n’aurait pas dû exiger qu’elle produise de meilleurs éléments de preuve que dans le procès Novopharm, étant donné que ni Apotex ni le juge Shore n’avaient accès au dossier de la preuve dans cette affaire. De plus, Apotex fait valoir que le fardeau de la preuve était différent dans le procès Novopharm : Novopharm était tenue d’établir l’invalidité alors qu’en l’espèce c’est aux intimées qu’il incombait d’établir l’absence de bien‑fondé des allégations d’Apotex. Apotex soutient que comme elle conteste en justice pour la première fois le brevet 080, elle ne devrait pas avoir été chargée d’un fardeau de preuve plus lourd et que ce sont les intimées qui devraient être empêchées de débattre à l’encontre d’Apotex des questions qui ont déjà été tranchées à deux reprises dans des procédures judiciaires contre Novopharm.
[36] Le présent appel soulève les questions suivantes :
1. Le juge Shore a-t-il commis une erreur dans son interprétation de la revendication 4 du brevet 080?
2. Le juge Shore a-t-il commis une erreur en concluant que la commercialisation par Apotex de ses comprimés de lévofloxacine contreferait la revendication 4 du brevet 080 de Janssen?
3. Si le juge Shore n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions sur la contrefaçon, en a-t-il commis une en concluant que le brevet 080 n’est pas invalide? En particulier, le juge Shore a‑t-il commis une erreur en concluant que le brevet n’est pas invalide pour les motifs suivants : a) l’antériorité; b) l’évidence; c) le juge Shore aurait-il dû analyser le brevet 080 comme un brevet de sélection et conclure à son invalidité en tant que brevet de sélection?
4. Le juge Shore a-t-il commis une erreur en concluant que le brevet 080 n’est pas nul pour cause d’abandon?
5. Le juge Shore a-t-il commis une erreur en appliquant le critère de l’abus de procédure?
L’ANALYSE
[37] Pour les motifs qui suivent, j’aurai seulement à traiter la question de l’abus de procédure. J’ai déjà exposé les observations d’Apotex sur la question. Les intimées, comme on pouvait s’y attendre, ne sont pas d’accord avec la position d’Apotex. Elles disent que le juge Shore a correctement appliqué le critère relatif à l’abus de procédure et que les arguments que soulève Apotex sur la question ont déjà été évalués et pris en considération par la Cour au regard de l’intérêt d’éviter les résultats incohérents qui menacent l’intégrité de l’administration de la justice. Les intimées soutiennent que le juge Shore avait le droit de trancher ces questions de fait par référence aux conclusions des décisions judiciaires antérieures, comme la décision du juge Hughes dans le procès Novopharm. En outre, les intimées font valoir que la preuve présentée au procès Novopharm était publique, mais qu’Apotex n’a fait aucun effort pour la produire. Les intimées contestent aussi l’argumentation d’Apotex que seuls les résultats des procédures antérieures en vertu du Règlement devraient être pris en considération au sujet de l’abus de procédure, et que les résultats d’une action en justice ne devraient pas l’être en raison du caractère plus exigeant du fardeau qui incombe au fabricant du médicament générique dans une action pour invalidité. Cette argumentation, soutiennent les intimées, ne tient pas compte de l’effet produit sur l’administration de la justice.
[38] À mon avis, le juge a manifestement commis une erreur en concluant, comme il le fait au paragraphe 205 de ses motifs, que « la Cour souscrit effectivement aux arguments des demanderesses au sujet de l’abus de procédure ». Plus précisément, le juge a accueilli les observations des intimées selon lesquelles, comme la validité du brevet 080 avait déjà été décidée par la Cour fédérale dans le procès Novopharm et par la Cour dans l’appel de Novopharm, la présente procédure d’Apotex pour contester la validité du brevet en tant que brevet de sélection n’était en réalité qu’une tentative, camouflée sous une argumentation différemment formulée, visant à débattre à nouveau des questions qui l’avaient été dans le procès Novopharm et dans l’appel de Novopharm. Comme la plupart, sinon la totalité, des arguments avancés par Apotex dans ces procédures avaient été considérés et traités par la Cour fédérale et la présente Cour, il n’y avait absolument aucun fondement pour autoriser Apotex à contester la validité du brevet 080, à moins qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable ».
[39] Pour décider si le comportement d’Apotex, dans son envoi d’un AA aux intimées et sa contestation de leur demande d’interdiction, constitue un abus de procédure, le juge Shore a pris en compte l’arrêt de la Cour Sanofi-Aventis, précité. S’appuyant sur cet arrêt, il a conclu que la seconde personne qui s’oppose à un brevet en faisant valoir des motifs semblables à ceux qui ont été présentés dans un procès antérieur par un autre fabricant de médicaments génériques devait établir, comme condition préalable à l’examen de sa cause, qu’elle pouvait faire état « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable » que ceux du procès antérieur.
[40] Dans l’arrêt Sanofi-Aventis, précité, le juge Sexton, s’exprimant au nom de la majorité, a fait les observations suivantes au paragraphe 50 de ses motifs :
[50] Enfin, Sanofi‑Aventis et Schering soutiennent qu’en l’espèce, une conclusion d’abus de procédure serait source d’iniquité. Elles affirment que, bien qu’il soit interdit aux premières personnes de se défendre contre les allégations que font des fabricants ultérieurs après que l’on a conclu que l’allégation identique faite par un fabricant antérieur est justifiée, les fabricants ultérieurs sont autorisés à répéter les allégations déjà faites antérieurement par d’autres fabricants, et ce, même s’il a été conclu que les allégations antérieures étaient injustifiées. Cependant, il n’y aucune iniquité dans ce scénario. Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. De la même façon, les fabricants de médicaments génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments. Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’iniquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’iniquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.
[Non souligné dans l’original.]
[41] Il s’agit là du paragraphe sur lequel le juge appuie précisément son opinion sur l’abus de procédure en l’espèce. Les intimées fondent aussi leurs observations sur l’abus de procédure sur ce paragraphe. Il est important de noter que la question soulevée dans l’arrêt Sanofi-Aventis, précité, était de savoir si la première personne (Sanofi‑Aventis), qui n’avait pas réussi à établir dans une procédure d’AC antérieure contre un fabricant de médicaments génériques différent (Apotex) le caractère injustifié de l’allégation d’invalidité d’un AA, utilisait abusivement la procédure de l’AC en cherchant à faire juger à nouveau la même allégation d’invalidité formulée par un second fabricant de médicaments génériques (Novopharm).
[42] Dans l’arrêt Sanofi-Aventis, précité, la question de l’abus de procédure était soulevée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement, qui prévoit que sur requête d’une seconde personne, la Cour fédérale peut rejeter une demande d’interdiction au motif qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure.
[43] Dans le présent appel, toutefois, la question n’est pas de savoir si la demande de la première personne constitue un abus de procédure, mais plutôt d’établir si les allégations de la seconde personne dans son AA équivalent à un abus de procédure. L’alinéa 6(5)b) du Règlement ne s’applique manifestement pas en l’espèce et la Cour n’est pas appelée à rejeter une demande d’interdiction sur requête présentée par une seconde personne. Sans conteste, les observations du juge Sexton dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, sont des remarques incidentes qui ne lient pas la Cour et qui, de toute façon, n’étayent pas la position adoptée par le juge.
[44] À mon avis, l’interprétation correcte du paragraphe 50 des motifs du juge Sexton dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, n’entraîne pas la conclusion qu’une seconde personne ne peut présenter un AA pour des motifs semblables à ceux d’un fabricant de médicaments génériques dans d’autres procédures que dans le cas où elle dispose de meilleurs éléments de preuve ou de meilleurs arguments juridiques. J’estime que le juge Sexton, au paragraphe 50 de ses motifs, cherchait simplement à expliquer son point de vue, soit que malgré la possibilité que des décisions différentes soient rendues à l’égard d’AA identiques ou similaires, l’équité exigeait que le fabricant de médicaments génériques, comme Apotex en l’espèce, qui n’avait pas encore débattu les questions qu’il soulevait dans son AA, soit autorisé à faire valoir son point de vue devant la Cour. À mon avis, on ne peut prétendre sérieusement que le juge Sexton soutenait qu’il fallait d’abord apprécier la preuve et les arguments juridiques du second fabricant de médicaments génériques avant que celui‑ci puisse envoyer son AA et répondre à la demande d’interdiction.
[45] Je suis donc persuadé que rien dans l’arrêt de la Cour Sanofi‑Aventis, précité, n’appuie la conclusion du juge selon laquelle une seconde personne, sauf si elle est en mesure d’établir qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable », ne peut envoyer un AA à un breveté et, de ce fait, répondre à la demande d’interdiction présentée par le breveté, en faisant valoir des motifs semblables à ceux qui ont été avancés par un autre fabricant de médicaments génériques dans d’autres procédures touchant le même breveté. Je conclus donc que le juge a commis une erreur en concluant comme il l’a fait sur la question de l’abus de procédure.
[46] Par conséquent, s’il est vrai que le juge Shore a mal compris l’opinion de la Cour dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, la question qui doit maintenant être tranchée est de savoir si son erreur justifie notre intervention. En d’autres termes, l’appréciation de la preuve dont était saisi le juge a-t-elle été viciée par sa position erronée de l’abus de procédure?
[47] En l’absence d’un d’abus de procédure de la part d’Apotex, le juge était tenu d’apprécier la preuve dont il était saisi par les deux parties d’une manière indépendante des conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm. J’aborderai maintenant cette question. Toutefois, avant d’y répondre, j’estime essentiel de reprendre les arguments d’Apotex lorsqu’elle dit que le juge a commis une erreur en appliquant le critère relatif à l’abus de procédure et que la Cour doit donc intervenir.
[48] La position d’Apotex, réduite à l’essentiel, est qu’elle soulevait les questions dont est maintenant saisie la Cour pour la première fois, qu’elle avait donc droit à une décision nouvelle du juge sur ces questions, fondée sur la preuve dont il était saisi, et que cette décision devait être rendue sans égard aux faits et conclusions établis par le juge Hughes dans le procès Novopharm. Par conséquent, Apotex soutient qu’elle n’a pas eu d’audience équitable et que le procès Novopharm a déterminé l’issue de sa procédure.
[49] Contrairement à ma collègue la juge Layden‑Stevenson, je ne puis conclure, comme elle le fait, que le juge a procédé, sur les questions dont il était saisi, en l’occurrence l’interprétation de la revendication, l’antériorité et l’évidence, à un examen distinct de son analyse de l’abus de procédure. Bien que le juge cherche à établir des conclusions de fait, je ne suis pas certain de la nature de ses conclusions. Établit‑il ses conclusions d’une manière réellement indépendante ou en conformité avec celles du juge Hughes dans le procès Novopharm? Est‑il d’avis qu’Apotex, pour avoir gain de cause, devait produire de meilleurs éléments de preuve et rassembler des arguments juridiques plus valables que ceux que Novopharm avait présentés à son procès?
[50] J’arrive à cette conclusion principalement en raison de la difficulté que j’éprouve à comprendre les motifs du juge. Je propose donc de revoir les motifs du juge pour faire ressortir cette difficulté.
[51] Le juge s’est expressément penché sur l’abus de procédure et s’est demandé si Apotex avait présenté « de meilleurs éléments de preuve et [… ] un argument juridique plus valable » que ceux qui avaient été produits dans le procès Novopharm et dans l’appel de Novopharm. Il l’a fait à deux reprises, au début et à la fin de son analyse. Le juge semble également avoir eu à l’esprit les principes de l’abus de procédure tout au long de ses motifs.
[52] Au début du paragraphe 40 de ses motifs, sous l’intitulé « La question de l’abus de procédure », le juge expose le principe établi par la Cour dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité. Puis il présente sous le sous‑titre « De meilleurs éléments de preuve » les arguments respectifs des parties sur la question de savoir si Apotex avait présenté de meilleurs éléments de preuve que ceux dont avait été saisi le juge Hughes dans le procès Novopharm. Il poursuit sous le sous‑titre « Un argument juridique plus valable » en exposant les « arguments juridiques nouveaux » qu’Apotex soutient avoir à offrir dans la procédure. Il présente également la réponse des intimées à ce sujet.
[53] Puis, après avoir dressé la liste des témoins, experts et de faits, qui ont comparu devant lui, le juge est passé à l’interprétation de la revendication. Il déclare au paragraphe 62 de ses motifs que toutes les décisions judiciaires qui ont considéré la revendication 4 du brevet 080 l’ont interprétée « d’une manière qui cadrait avec l’interprétation du juge Hughes [dans le procès Novopharm] ».
[54] Aux paragraphes 63 et 64 de ses motifs, le juge cite longuement l’interprétation de la revendication 4 à laquelle arrive le juge Hughes dans le procès Novopharm. Il conclut sur la question au paragraphe 70 de ses motifs :
[70] Compte tenu de la décision du juge Hughes et de l’accord ultérieur à l’égard de cette décision qui est exprimé dans le jugement de la Cour d’appel fédérale, présidé par la juge Karen Sharlow, la revendication 4 est considérée comme n’imposant aucune limite à la question de savoir si le composé est hydraté et à quel degré :
L’ofloxacine S(-), différente du produit constituant le racémate, obtenue sous une forme raisonnablement pure.
[Non souligné dans l’original.]
[55] Je n’arrive pas à comprendre le sens exact du paragraphe 70 des motifs du juge Shore. Comme j’ai eu des difficultés semblables au sujet de ses motifs relatifs aux autres questions dont il était saisi, je poursuivrai mon aperçu de ses motifs et, à la fin de l’exercice, j’énoncerai les raisons qui me font conclure que son appréciation de la preuve a été viciée par son incompréhension de la notion de l’abus de procédure.
[56] Au terme de son analyse de l’interprétation de la revendication, le juge est passé à la question de la contrefaçon, sous l’intitulé « L’allégation de contrefaçon d’Apotex est‑elle justifiée? ». Cette partie des motifs, qui va du paragraphe 71 au paragraphe 83, comporte notamment ce qui suit aux paragraphes 82 et 83 :
[82] Dans le Procès Novopharm, le juge Hughes a conclu que le brevet 840 ne contenait aucune indication que les énantiomères de l’ofloxacine seraient plus actifs que le racémate, pas plus qu’il n’indiquait au lecteur de quelle façon effectuer la séparation ou la production d’un énantiomère. (Procès Novopharm, précité, ainsi qu’il est décrit paragraphe 104.)
Conclusion
[83] La Cour conclut que les comprimés de 250 mg, de 500 mg et de 750 mg d’Apotex contreferaient le brevet 080 de Janssen.
[57] Après son analyse de la contrefaçon, le juge est passé à la question de l’invalidité sous l’intitulé « Les allégations d’invalidité d’Apotex sont‑elles justifiées? » Cette partie des motifs débute au paragraphe 84 pour se terminer au paragraphe 176. Le juge y traite des questions de l’antériorité et de l’évidence aux paragraphes 87 à 104 et aux paragraphes 105 à 176 respectivement.
[58] S’agissant de l’antériorité, au terme de son examen de l’argumentation et de la preuve, le juge conclut aux paragraphes 103 et 104 :
[103] Dans le Procès Novopharm, le juge Hughes est arrivé à la conclusion suivante :
[104] Ni le brevet 840, ni le document publié ne contiennent d’indication relative à une activité plus puissante de l’isomère optique de l’ofloxacine par rapport au racémate et ils n’instruisent pas non plus le lecteur sur la façon d’effectuer la séparation ou la production [d’un isomère optique].
[…]
[108] Le critère établi par la Cour suprême exige que l’inventeur préalable ait pris possession très précisément de l’invention revendiquée « en y laissant sa marque » et que les instructions contenues pour y parvenir soient d’une clarté telle qu’une personne ordinaire au fait de l’art arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Ni le brevet 840 ni la publication de Daiichi ne laissent une telle « marque » ni ne donnent de telles instructions. Il n’y a pas d’antériorité au regard de l’objet de la revendication 4 du brevet.
[104] Apotex n’a fourni à la Cour aucune preuve qui justifierait que l’on s’écarte de la décision du juge Hughes sur cette question. Il n’y a donc pas d’antériorité au regard de l’objet de la revendication 4 du brevet 080.
[59] Il est incontestable que le juge a simplement adopté les conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm au sujet de l’antériorité.
[60] Le juge s’est ensuite penché sur l’évidence. Dans son examen de la question, il a décidé que la revendication 4 était inventive et constituait une revendication valide. Il fait l’observation suivante au paragraphe 170 :
[170] Dans le Procès de Novopharm, le [sic] Hughes a conclu que la revendication 4 du brevet 080 était inventive et valide. Sa décision a été confirmée en appel. Dans la présente demande, c’est la même question qui est soulevée, de pair avec les mêmes références d’antériorité et essentiellement les mêmes éléments de preuve.
(Procès de Novopharm, précité, paragraphes 109-115; Appel de Novopharm, précité, paragraphes 23-45; Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, paragraphe 50, Eli Lilly, 2007 CF 596, précité, pages 238-239.)
[61] Le dernier paragraphe du juge sur l’évidence est le paragraphe 176 :
[176] Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la défenderesse n’est pas parvenue à établir que la revendication 4 est invalide pour cause d’évidence ou d’absence d’inventivité. C’est donc dire que le brevet 080 n’est pas évident.
[Non souligné dans l’original.]
[62] Aux paragraphes 177 à 187, le juge a traité une question différente, cherchant à établir si les revendications avaient une portée plus large que l’invention réalisée et si elles comportaient ou non une prédiction valable. Il conclut sur la question au paragraphe 187 :
[187] Apotex interprète erronément la promesse du brevet 080 et l’utilité de l’invention. Dans son AA, Apotex déclare que les [traduction] « tests antimicrobiens in vitro déclarés n’étaient qu’un test unique sur lequel on s’était fondé pour tenter de prédire l’utilité de la lévofloxacine – qu’il s’agirait d’un agent pharmaceutique fort utile, comparativement à l’ofloxacine »; cependant, le brevet 080 mentionne simplement qu’il est « prévu » que la lévofloxacine sera un agent pharmaceutique très utile, comparativement à l’ofloxacine. Le juge Hughes a résumé éloquemment l’utilité de la revendication 4 dans le Procès de Novopharm :
[126] […] En fin de compte, ce que le brevet affirme est présenté à la page 2. La forme S(-) de l’ofloxacine possède une plus grande activité microbienne, une toxicité réduite et une solubilité dans l’eau remarquablement plus élevée, lui donnant la chance de devenir un agent pharmaceutique très utile. Cette déclaration est exacte. Découvrir cette distribution d’attributs, nommément, plus de propriétés bénéfiques et à tout le moins pas plus de propriétés nuisibles, était en soi remarquable.
[63] Enfin, aux paragraphes 203 et 204 de ses motifs, le juge arrive à sa conclusion cruciale sur les questions dont il a traité dans ses motifs :
[203] Tout compte fait, pour ce qui est de chacune des questions soulevées dans le cadre de la présente instance relative à un AC, aucune preuve n’a été faite au sujet de l’invalidité ou de la contrefaçon. Il convient de reconnaître les instances antérieures, instruites par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, dans lesquelles ont été analysées à fond les revendications relatives au brevet 080. En l’espèce, aucune meilleure preuve, ni aucun argument juridique plus approprié n’ont été présentés.
[204] Les demanderesses obtiennent donc l’ordonnance d’interdiction qu’elles sollicitent.
[Non souligné dans l’original.]
[64] À la lumière de cette conclusion, l’on se serait attendu qu’au terme de cette analyse les intimées obtiennent l’ordonnance qu’elles avaient demandée. Inopinément, toutefois, le juge passe à un nouveau sujet qu’il intitule « Analyse de l’abus de procédure et conclusion ». Je dis « inopinément » parce qu’à ce point des motifs, comme je viens de l’indiquer, le juge a accordé aux intimées la réparation qu’elles demandaient et indiqué que le principe formulé dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, n’avait pas été respecté.
[65] Au paragraphe 205, le juge dit qu’il souscrit aux observations des intimées sur l’abus de procédure et déclare ensuite au paragraphe 210 :
[210] Comme la Cour d’appel fédérale a tranché cette affaire directement, le précédent qui émane du tribunal d’instance supérieure met fin à la question pour la Cour.
[66] J’ai reproduit des paragraphes des motifs du juge parce qu’à mon avis ils éclairent davantage son raisonnement. En d’autres termes, ces paragraphes sont relativement importants pour établir si le raisonnement du juge était vicié par son opinion erronée sur l’abus de procédure. Au total, tout au long de ses motifs, le juge se réfère au minimum 43 fois à la décision et à l’opinion du juge Hughes dans le procès Novopharm. Je ne veux pas dire ou suggérer que le nombre de renvois est à lui seul un facteur déterminant. Cependant, à la lecture des motifs du juge dans leur ensemble, je doute véritablement qu’il ait effectivement apprécié les faits d’une manière indépendante de l’appréciation du juge Hughes dans le procès Novopharm.
[67] Comme je l’ai déjà indiqué, au paragraphe 203 de ses motifs, immédiatement après ce que l’on pourrait appeler son analyse du bien‑fondé de la cause, le juge déclare sans équivoque qu’Apotex n’a produit aucune meilleure preuve ni aucun argument juridique plus valable que ceux dont était saisi le juge Hughes dans le procès Novopharm. Cette conclusion donne à entendre que le juge, dans son appréciation de la preuve dont il était saisi, cherchait à déterminer si la preuve produite par Apotex était de nature à lui permettre de dégager une conclusion différente de celle du juge Hughes dans le procès Novopharm. Le nombre considérable de renvois aux conclusions du juge Hughes, à mon avis, appuie fortement l’argumentation que le juge n’a pas rendu ses conclusions d’une manière indépendante de celles du juge Hughes. S’il l’a fait, je me permets de penser que cela ne ressort pas suffisamment de ses motifs.
[68] Il est remarquable également que, malgré le fait qu’au paragraphe 204 de ses motifs le juge accorde l’ordonnance d’interdiction demandée par les intimées, il poursuive ensuite son analyse en s’engageant de nouveau dans un examen de l’abus de procédure. Après la conclusion du juge accueillant la demande d’interdiction, l’on se serait attendu à ce qu’il expose simplement son ordonnance et traite la question des dépens. À mon humble avis, cet examen de l’abus de procédure est dénué de toute pertinence. Selon ce que je crois comprendre des motifs du juge, il ne mène à aucune conclusion, sauf à l’observation qui figure au paragraphe 247 :
[247] Considérés dans leur ensemble, les « nouveaux éléments de preuve » concernant l’inventivité ne sont rien de plus que des éléments contradictoires ou une répétition des éléments de preuve déjà soumis au juge Hughes. Comme il a été dit plus tôt, quand, dans la seconde affaire, les « meilleurs éléments de preuve » sont susceptibles d’interprétations différentes, ils ne satisfont pas au critère qui s’applique à la situation où une seconde affaire peut être examinée, compte tenu de conclusions contraires tirées dans la première affaire. Les éléments de preuve d’Apotex, dans le meilleur des cas, sont susceptibles d’interprétations différentes. Dans une telle situation, « il serait nettement préférable d’observer [le témoin] pendant qu’il témoigne en cour ». (Sanofi-Aventis c. Novopharm, précité, paragraphe 39; Pfizer c. Novopharm, précité, paragraphe 55.)
[69] En d’autres termes, comme le juge a clairement indiqué au paragraphe 203 de ses motifs, quand il dit « [e]n l’espèce, aucune meilleure preuve, ni aucun argument juridique plus approprié n’ont été présentés », que les conditions exposées dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, n’ont pas été remplies, il est difficile de comprendre l’objet de son examen ultérieur. Je me permets de penser que cet examen ne fait qu’ajouter à la difficulté de compréhension de ses motifs.
[70] En résumé, j’ai lu à de nombreuses reprises les motifs du juge. Chaque fois, j’ai tenté de comprendre le raisonnement qui les sous‑tend pour décider s’il avait apprécié la preuve d’une manière indépendante de l’appréciation faite par le juge Hugues dans le procès Novopharm. Comme j’ai été incapable d’en arriver à cette conclusion, je suis inévitablement forcé de penser que l’incompréhension par le juge des principes exposés dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, a vicié son appréciation de la preuve dont il était saisi. Pour employer une autre formulation, j’estime que le juge, au lieu d’effectuer un examen parallèle, a mené un examen mélangeant la preuve dont il était saisi et les conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm.
[71] Dans les circonstances, je suis d’avis qu’il serait préférable de renvoyer l’affaire au juge pour qu’il rende une nouvelle décision sur les questions en conformité avec les présents motifs.
[72] Avant de conclure, je souhaiterais traiter une autre question.
[73] Dans ses observations écrites et à l’audience dans l’appel, les avocats d’Apotex ont attiré notre attention sur le fait suivant : dans ses motifs, le juge a reproduit textuellement un minimum de 90 paragraphes du mémoire des intimés produit en première instance. En réalité, vérification faite, le juge a reproduit textuellement, sans le dire, environ 100 paragraphes du mémoire, notamment un grand nombre des intitulés, des soulignés, des notes de bas de page et des renvois à la preuve.
[74] Cette constatation est troublante à mes yeux, car les éléments que le juge a reproduits textuellement du mémoire des intimées concernent toutes les questions cruciales dont il était saisi, notamment l’antériorité et l’évidence. Cela vaut pour une partie importante des conclusions du juge sur les témoignages des témoins experts.
[75] Pareille situation a poussé Apotex à dire que le juge n’avait pas pleinement pris en considération les éléments de preuve dont il était saisi.
[76] Par exemple, les paragraphes 146 à 175 des motifs du juge, qui examinent si les propriétés de la lévofloxacine étaient bénéfiques, surprenantes et imprévues, sont la reproduction textuelle du mémoire des intimées en première instance. La question de l’abandon du brevet est aussi un autre exemple digne de mention; aux paragraphes 188 à 202, le juge se penche sur les alinéas 40(1)a) et c) de la Loi. Chacun des paragraphes de ses motifs est tiré textuellement du mémoire des intimées en première instance.
[77] Je me permets de penser qu’il serait indiqué, dans le cas où un juge entend adopter une partie importante des observations écrites d’une partie, de le dire explicitement. Dans le cas où le juge est en présence d’une affaire où les faits sont complexes, ce qui est le cas en l’espèce, l’adoption des observations écrites d’une des parties sans mention de la chose peut donner l’impression que le juge ne s’est pas acquitté des fonctions qui lui incombent, soit d’examiner tous les éléments de la preuve dont il est saisi et de dégager les conclusions appropriées.
[78] L’on doit se rappeler que lorsque les parties présentent des observations écrites, elles n’ont pas à prendre en compte la position de la partie adverse. En fait, les parties ont tendance à maximiser les points forts et minimiser les points faibles de leur dossier. Il revient au juge, après un examen attentif de l’ensemble de la preuve et de l’argumentation, de les départager correctement.
[79] Je ne suis pas disposé à conclure, et aucun fondement ne me justifie de le faire, que le juge ne s’est pas acquitté de son obligation d’examiner la preuve, comme il avait à le faire. Bien que le juge ait commis une erreur en raison de son incompréhension de l’arrêt de la Cour Sanofi‑Aventis, précité, cette erreur ne peut en aucune manière appuyer l’argumentation que le juge n’a pas rempli son obligation.
LE DISPOSITIF
[80] Pour ces motifs, j’accueillerais donc l’appel avec dépens, j’annulerais la décision du juge et lui renverrais l’affaire pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fondement qu’il n’y a pas eu d’abus de procédure de la part d’Apotex quand elle a fait les allégations figurant dans son AA et quand elle s’est opposée à la demande d’une ordonnance d’interdiction intentée par les intimées. Je demanderais également au juge d’apprécier la preuve dont il a été saisi indépendamment des conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm. S’agissant de la procédure engagée à la Cour fédérale, je ne rendrais pas d’ordonnance sur les dépens.
« M. Nadon »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
LA JUGE LAYDEN-STEVENSON (motifs dissidents)
[81] J’ai lu les motifs de mon collègue et je suis d’accord, pour les raisons qu’il donne, que l’arrêt de la Cour Sanofi‑Aventis, précité, n’appuie pas la position qu’à moins que la seconde personne soit capable d’établir qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve et d’un argument juridique plus valable », elle ne peut envoyer un AA à un breveté et répondre à la demande d’interdiction du breveté pour des motifs semblables à ceux qui ont été présentés par un fabricant de médicaments génériques différent dans d’autres procédures avec le même breveté. Il s’ensuit nécessairement que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant comme il l’a fait sur l’abus de procédure.
[82] D’autres motifs justifient le caractère erroné de la conclusion sur l’abus de procédure. La question de savoir si la revendication 4 du brevet 080 comprenait à la fois les formes anhydre et hydratée de la lévofloxacine n’avait pas été jugée antérieurement. Il en va de même pour l’allégation d’Apotex que le brevet 080 avait été tenu pour abandonné au cours de l’examen. En fin de compte, les deux allégations ont été jugées non fondées, mais elles ne pouvaient pas et ne devaient pas être considérées comme un abus de procédure.
[83] Je souscris également aux observations de mon collègue au sujet du caractère inapproprié de l’adoption par un juge des observations écrites d’une partie sans en faire expressément mention. J’appuie et je partage les observations de mon collègue sur le sujet. Cependant, Apotex a spécifiquement refusé de laisser entendre qu’il y avait eu mauvaise foi de la part du juge et elle n’a fait valoir aucun motif d’appel ou allégation précise d’erreur à cet égard. Les motifs de la décision comptent 250 paragraphes. Comme mon collègue l’a noté, rien ne justifie de conclure que le juge des requêtes « ne s’est pas acquitté de son obligation d’examiner la preuve, comme il avait à le faire ». Dans les circonstances, je ne suis pas disposée à accorder un poids indu à ce facteur.
[84] Tout en souscrivant à l’avis de mon collègue que le juge des requêtes a commis une erreur dans sa conclusion sur l’abus de procédure, je me permets de ne pas convenir avec lui que les conclusions du juge Shore au sujet de l’antériorité et de l’évidence étaient viciées par la question de l’abus de procédure. Au vu de ses motifs, je suis d’avis que le juge des requêtes a effectué des examens parallèles. En d’autres termes, ses analyses relatives à l’antériorité et à l’évidence ont été menées séparément et distinctement de son analyse de l’abus de procédure.
[85] S’agissant à la fois de l’antériorité et de l’évidence, le juge des requêtes a traité les allégations, analysé la preuve selon sa compréhension, pris en considération les arguments juridiques et dégagé ses conclusions. Il l’a fait sans faire mention ou tenir compte du fait que l’AA d’Apotex constituait ou non un abus de procédure. Chaque fois, après avoir défini ses conclusions sur l’antériorité et l’évidence respectivement, il est passé à la question de l’abus de procédure en regard de chacune. Ses observations sur l’abus de procédure s’ajoutaient à ses conclusions antérieures. Alors que la question de l’abus de procédure était reliée, du moins en partie, aux conclusions relatives à l’antériorité et l’évidence, les analyses des questions d’antériorité et d’évidence ont conduit à des conclusions autonomes, sans lien avec la question de l’abus de procédure. À mon avis, les observations du juge des requêtes sur l’abus de procédure n’ont pas influé sur ses conclusions antérieures indépendantes en matière d’antériorité et d’évidence. Par conséquent, je ne partage pas l’avis de mon collègue et ne pense pas que les dernières ont été viciées par les premières.
[86] Apotex soutient que le juge des requêtes a commis une erreur en interprétant la revendication litigieuse, qu’il a commis des erreurs factuelles et s’est mépris au sujet de l’antériorité, de l’évidence et de la validité de la sélection. L’interprétation des revendications est une question de droit susceptible d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Whirlpool Corp. c. Cameo Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) C.S.C.) (Whirlpool). À tous autres égards, Apotex doit transcender le critère défini dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux conclusions et aux inférences de faits ainsi qu’aux questions mixtes de fait et de droit, à moins que le juge des requêtes n’ait clairement commis une erreur de principe facilement isolable dans la détermination du droit, ou dans son application, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit, qui est assujettie à la norme de la décision correcte.
L’interprétation de la revendication
[87] Je ne vois aucune erreur de la part du juge des requêtes dans son interprétation de la revendication. Apotex fait valoir que le juge des requêtes a adopté une interprétation [traduction] « axée sur les résultats » et qu’il a incorrectement interprété la revendication 4 du brevet 080 sous deux aspects : 1) en incluant seulement la lévofloxacine sous une forme raisonnablement pure; 2) en incluant la lévofloxacine semi‑hydratée.
[88] On peut répondre succinctement à ces allégations. Premièrement, je n’accepte pas la notion d’interprétation [traduction] « axée sur les résultats ». Le juge des requêtes s’est contenté d’identifier la question en rapport avec une analyse de la contrefaçon. Deuxièmement, s’il n’est pas admissible de considérer la divulgation pour élargir le monopole, la divulgation peut être examinée pour interpréter les revendications du brevet : Whirlpool; Freeworld Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024. Les principes établis par cette jurisprudence sont bien connus, souvent cités et n’ont pas besoin d’être repris ici.
[89] Troisièmement, même si Apotex soutient que la revendication 4 n’est pas ambiguë et que le recours à la divulgation n’est donc pas nécessaire et n’aurait pas dû avoir lieu, cette position ne tient pas compte du fait que la formulation de la revendication 4 ne précise pas si le composé revendiqué est hydraté ou anhydre, question d’importance. Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en prenant en compte le mémoire descriptif.
[90] Quatrièmement, ce n’est pas une erreur, à mon avis, de renvoyer à l’interprétation de la revendication par des juges différents dans des procédures antérieures (dont l’une a été confirmé par la Cour). Ces interprétations peuvent être persuasives, selon les éléments de preuve, comme l’a conclu le juge des requêtes en l’espèce.
[91] En outre, je n’estime pas que le juge des requêtes a commis une erreur en acceptant l’interprétation que donne le juge Hugues de la revendication 4, soit une lévofloxacine « différente du produit constituant le racémate, obtenue sous une forme raisonnablement pure ». L’invention du brevet 080 visait clairement la production d’une lévofloxacine raisonnablement pure, plutôt que de l’ofloxacine racémique. De plus, le juge des requêtes ne s’est pas trompé quand il interprète la revendication 4 comme englobant à la fois la lévofloxacine semi‑hydratée et la lévofloxacine anhydre. Comme il l’a fait observer, la divulgation a explicitement donné des renseignements sur le mode de fabrication de ces deux composés.
[92] Bref, le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur d’interprétation de la revendication 4. Il était incontesté que le produit d’Apotex contiendrait de la lévofloxacine semi‑hydratée. Par conséquent, la conclusion portant que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex n’était pas justifiée était correcte.
L’antériorité et l’évidence
[93] S’agissant des diverses erreurs factuelles alléguées, je ne suis pas persuadée que les erreurs identifiées, si elles existent vraiment, atteignent le degré nécessaire pour justifier d’annuler la décision.
[94] Apotex soutient que la preuve relative à la disponibilité commerciale d’un matériel permettant de séparer les énantiomères de l’ofloxacine n’a pas été prise en considération et elle note que Daiichi a utilisé ce matériel.
[95] Le juge des requêtes, au paragraphe 102 de ses motifs, a reconnu l’existence de techniques permettant de séparer les énantiomères de façon générale. Toutefois, il a conclu que ces techniques n’offraient aucune garantie de la possibilité d’obtenir un énantiomère sensiblement pur sur le plan optique d’un nouveau racémate lui‑même, voire un énantiomère sensiblement pur sur le plan optique d’un intermédiaire. Il a noté que M. Kellogg avait reconnu n’avoir relevé dans aucune publication antérieure les trois procédés de production de la lévofloxacine (procédés A, B et C) divulgués dans le brevet 080.
[96] Apotex n’a établi aucune erreur manifeste et dominante sur ce point. En outre, la disponibilité d’un matériel commercial permettant de séparer l’ofloxacine ne serait pas suffisante pour antérioriser la revendication 4 du brevet 080. Aucune publication antérieure ni aucun brevet ne divulguait la lévofloxacine isolée ou ses avantages.
[97] Apotex fait également valoir que le juge des requêtes [traduction] « s’est appuyé sur l’affidavit de M. Hayakawa pour dire que Daiichi avait mis quatre ans pour obtenir la lévofloxacine, mais a passé sous silence que M. Hayakawa avait admis en contre‑interrogatoire que Daiichi n’avait pas travaillé pendant la plus grande partie de cette période et que les chercheurs de Daiichi possédaient très peu de connaissances et d’expérience de la réalisation des résolutions quand ils ont commencé leurs travaux ».
[98] M. Hayakawa a effectivement reconnu qu’il n’existait pas d’essais documentés par Daiichi, entre novembre 1982 et le 16 juin 1984, pour séparer les énantiomères de l’ofloxacine et que la plupart des membres du groupe de recherche ne possédaient pas vraiment d’expérience dans la séparation des énantiomères (contre‑interrogatoire Hayakawa, dossier d’appel, vol. XXXI, onglet 50). Toutefois, même si le juge des requêtes [traduction] « a passé sous silence » cet élément de preuve, cette omission ne constitue pas une erreur manifeste et dominante. Ces faits, joints aux autres éléments de preuve, ne justifient pas de dire que la lévofloxacine et ses avantages avaient été divulgués et rendus réalisables par un brevet ou une publication antérieurs.
[99] Apotex affirme que le juge des requêtes n’a pas pris en compte la preuve relative à l’intérêt qu’avaient les concurrents de Daiichi à effectuer la résolution de l’ofloxacine et au fait qu’ils y étaient parvenus à peu près au même moment que Daiichi. Apotex déclare notamment que le 10 décembre 1985, Bayer AG, concurrente de Daiichi, a déposé une demande de brevet allemand pour la lévofloxacine, qui divulguait son activité antimicrobienne supérieure à celle de l’ofloxacine et une méthode de synthèse. Bien que cette demande de brevet ne constitue pas un document faisant partie de « l’état de la technique », Apotex estime qu’elle infirme la conclusion du juge des requêtes que les concurrents de Daiichi n’avaient pas la motivation de résoudre l’ofloxacine.
[100] Au paragraphe 232 de ses motifs, le juge des requêtes a reconnu que la preuve d’Apotex établissait « qu’en 1985 quatre concurrents ont obtenu la lévofloxacine peu après Daiichi ». Bien que cette observation ne fasse pas partie de l’analyse de l’évidence, elle indique néanmoins que le juge des requêtes n’a pas « fait abstraction » de la preuve ou « passé sous silence » celle-ci. Quoi qu’il en soit, la motivation des concurrents à l’égard de la réalisation de l’invention ne représente qu’un des facteurs à prendre en considération dans une analyse de l’évidence. Le juge des requêtes a dressé une liste de facteurs qui militent en faveur de l’absence d’évidence de la revendication 4 du brevet 080, notamment les suivants :
· jusqu’en juin 1985 au moins, aucun chercheur à part Gerster n’avait obtenu les énantiomères d’une fluoroquinolone racémique, malgré la nature concurrentielle de ce domaine;
· la seule autre fluoroquinolone dont les énantiomères avaient été séparés (la fluméquine) avait une structure différente de celle de l’ofloxacine;
· d’autres fluoroquinolones semblables amoindrissaient l’importance de la chiralité du groupement méthyle;
· il n’y avait aucune attente généralisée que la majeure partie de l’activité antibactérienne de l’ofloxacine résiderait en un seul énantiomère;
· il était imprévu que la lévofloxacine aurait une toxicité inférieure et que l’énantiomère présentant une toxicité inférieure serait aussi le plus actif;
· la solubilité supérieure de la lévofloxacine était imprévue.
[101] Apotex fait aussi valoir que le juge des requêtes a commis une erreur en appréciant l’évidence en juin 1985 plutôt qu’à la date de l’invention (décembre 1985). Cette erreur l’a manifestement empêché de prendre en considération divers éléments de l’état de la technique, notamment l’affiche de Gerster publiée en 1985. Je ne suis pas de cet avis. Le juge des requêtes a clairement pris en compte l’affiche de Gerster publiée en 1985 dans son analyse de l’évidence. Il a reconnu que l’affiche de Gerster publiée en 1985 enseignait que l’énantiomère « S » de la fluméquine était plus actif que l’énantiomère « R ». Il a toutefois conclu, du fait de la distinction structurelle entre la fluméquine et l’ofloxacine, que les propriétés de la première ne pouvaient servir à prédire celles de la dernière.
[102] Les autres allégations d’« erreurs manifestes et dominantes » constituent simplement l’expression d’un désaccord avec le juge des requêtes sur le poids que celui‑ci a accordé à la preuve. Dans l’hypothèse où il y a eu des erreurs, elles n’étaient pas manifestes ou dominantes.
Le brevet de sélection
[103] Apotex fait valoir que si le juge des requêtes avait pris en compte son argumentation relative au brevet de sélection, il aurait conclu différemment au sujet de l’antériorité et de l’évidence. Je n’en suis pas convaincue. Dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, le juge Rothstein a effectué son analyse en se référant aux faits établis par le juge des requêtes. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc. et al. (2009), 74 C.P.R. (4th) 141 (C.A.F.), le juge Noël de la Cour a procédé de la même façon. J’ai l’intention de faire de même.
[104] Ayant examiné les motifs du juge des requêtes, je suis persuadé qu’il a correctement analysé l’antériorité, bien qu’il ne bénéficiait pas au moment de l’audience des motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi‑Aventis. S’agissant des questions relatives à la validité de la sélection et à l’évidence, les décisions factuelles du juge des requêtes, quand on les soumet à l’analyse de l’arrêt Sanofi‑Aventis, incitent à conclure à la validité du brevet 080.
a) La validité de la sélection
[105] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême a fait référence à une jurisprudence issue de l’arrêt I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) à l’appui de sa conclusion qu’un système de brevets de genre et de sélection est admis en principe. Trois conditions sont essentielles à la validité du brevet de sélection.
1. L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.
2. Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.
3. La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière. (Sanofi, paragraphe 10).
[106] Le juge des requêtes a conclu que la combinaison des propriétés de la lévofloxacine lui conférant une activité supérieure, une faible toxicité et une solubilité accrue lui donnait un avantage sur l’ofloxacine. Les éléments de preuve dont il était saisi étayaient cette conclusion de fait. Apotex soutient que l’omission du juge des requêtes de faire référence à des éléments de preuve constitue une erreur, mais je n’accepte pas son argument. L’examen des éléments de preuves notés indique que certains, pris dans leur contexte, ne justifient pas la position à l’appui de laquelle ils sont cités. Dans d’autres cas, certains éléments de preuve ont été contredits par d’autres. Répétons‑le, tout se résume à la valeur accordée à la preuve. Apotex n’a pas établi d’erreur manifeste et dominante à cet égard.
[107] En l’espèce, la sélection était constituée d’un énantiomère. Par conséquent, la deuxième condition n’est pas pertinente en l’espèce. Le juge des requêtes a également conclu que l’énantiomère d’ofloxacine R(+) n’avait pas la qualité d’un caractère particulier. Les conclusions de fait du juge des requêtes satisfont au critère du brevet de sélection de l’arrêt Sanofi.
b) L’antériorité
[108] L’arrêt Sanofi a perfectionné le critère relatif à l’antériorité. L’examen embrasse maintenant les exigences de la divulgation antérieure et du caractère réalisable, considérées distinctement. Le raisonnement de l’arrêt Sanofi est résumé dans les paragraphes ci‑dessous.
[109] S’agissant de la divulgation, la personne versée dans l’art lit les éléments de l’état de la technique pour comprendre s’ils divulguent la seconde invention. Les essais successifs ou l’expérimentation ne sont pas permis. Si l’exigence relative à la divulgation est remplie, l’exigence relative au caractère réalisable impose que la personne versée dans l’art soit en mesure de réaliser l’invention.
[110] Dans le cas d’un brevet de sélection, le composé produit en vue du brevet de sélection n’a été valablement prédit qu’au moment du brevet de genre. Il n’avait pas été réalisé et ses avantages particuliers n’étaient pas connus. C’est pourquoi on ne saurait refuser un brevet à l’inventeur qui, le premier, a réalisé le composé de sélection et découvert ses avantages particuliers. Si le brevet de genre divulgue les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection, il y a divulgation antérieure et le critère relatif à l’antériorité n’est pas rempli. Si les avantages particuliers de l’invention du brevet de sélection ne sont pas divulgués, l’exigence relative au caractère réalisable entre en jeu, c’est-à-dire que la personne versée dans l’art doit être en mesure d’exécuter ou de réaliser l’invention du brevet sans trop de difficultés. Au paragraphe 37, la Cour suprême a exposé une liste non exhaustive de facteurs qui devraient normalement être pris en considération.
1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.
2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.
3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.
4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.
[111] L’analyse du juge des requêtes portant que le brevet 080 n’a pas été antériorisé par le brevet 840 cadrait avec l’analyse de l’arrêt Sanofi. Le juge des requêtes a correctement énoncé et appliqué les exigences relatives à la divulgation et au caractère réalisable. Il a décidé que le brevet 840 divulguait un procédé de production de l’ofloxacine racémique et non d’une lévofloxacine dans une forme raisonnablement pure. Si l’absence de divulgation dans le brevet 840 était en soi suffisante pour conclure que ce brevet n’antériorisait pas la revendication, le juge des requêtes a conclu en outre que le brevet 840 n’enseignait pas à la personne versée dans l’art comment réaliser l’invention de la revendication 4, parce qu’il n’existait pas de techniques courantes permettant à la personne versée dans l’art d’isoler la lévofloxacine.
c) L’évidence
[112] L’arrêt Sanofi a adopté l’examen relatif à l’évidence exposé dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.) (Windsurfing), reformulé dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] EWCA Civ 588 (Pozzoli).
1. a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne.
2. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.
3. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation.
4. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?
[113] À la quatrième étape de la démarche établie dans l’arrêt Windsurfing se pose la question de « l’essai allant de soi ». Pour conclure qu’une invention « allait de soi » et que, partant, elle est invalide pour cause d’évidence, l’arrêt Sanofi enseigne que « le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas. » (paragraphe 66). Le critère de « l’essai allant de soi » sera indiqué dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, comme dans la branche pharmaceutique. Le paragraphe 69 propose une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération.
1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
3. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?
[114] Les mesures concrètes qui ont mené à l’invention peuvent constituer un facteur important. Dans cet examen, la seule possibilité de trouver l’invention ne suffit pas. L’invention doit être évidente en elle‑même en raison de l’état de la technique et des connaissances générales courantes pour qu’elle satisfasse au critère de « l’essai allant de soi ».
[115] Au paragraphe 85, le juge Rothstein a fait expressément référence au fait d’isoler les énantiomères d’un racémate dans les termes suivants :
La seule existence de procédés connus permettant d’isoler les isomères d’un racémate ne signifie pas qu’une personne versée dans l’art y recourrait nécessairement. Il n’est d’ailleurs pas tenu compte de l’existence de tels procédés lorsque aucun élément n’établit qu’il allait plus ou moins de soi d’y recourir. Il est vrai que, selon la preuve, à l’époque considérée, une personne versée dans l’art aurait su que les avantages d’un racémate pouvaient différer de ceux de ses isomères. Toutefois, la possibilité de découvrir l’invention ne suffit pas. Pour satisfaire au critère de l’« essai allant de soi », l’invention doit être évidente au regard de l’antériorité et des connaissances générales courantes, ce que la preuve n’établit pas en l’espèce.
[116] Il est admis que le juge des requêtes n’a pas effectué l’analyse de l’évidence comme l’arrêt Sanofi l’enseigne. Néanmoins, ses conclusions de fait, quand on les soumet à l’analyse de l’arrêt Sanofi, appuient la conclusion de l’inventivité de la revendication 4.
Identifier la personne versée dans l’art
[117] Personne n’a contesté la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la personne versée dans l’art devrait « au moins posséder une éducation universitaire de premier cycle ainsi que quelques années d’expérience dans le domaine des composés chimiques et de leurs dérivés optiquement actifs, particulièrement dans le domaine des composés utilisés en médecine » (paragraphe 57).
Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne
[118] Le juge des requêtes a conclu que la personne versée dans l’art serait bien au fait des principes et de la nomenclature de la stéréochimie (paragraphes 56 et 58) et, bien qu’il existait des techniques générales connues pour séparer les énantiomères, du fait qu’aucune technique particulière n’aurait permis de séparer les énantiomères de l’ofloxacine (paragraphes 100, 102, 144 et 173).
Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation
[119] Le juge des requêtes a identifié le concept inventif de la revendication 4 comme celui de la lévofloxacine isolée ainsi que de ses avantages imprévus, sur le plan de la solubilité accrue, de l’activité supérieure et de la toxicité réduite, en regard de l’ofloxacine (paragraphes 143 à 168). Il a conclu ensuite que la combinaison des ces trois propriétés bénéfiques constituait un avantage qui ne pouvait pas être prédit (paragraphe 169).
Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation
[120] Le juge des requêtes a conclu que la lévofloxacine était fondamentalement différente de l’ofloxacine et qu’elle était deux fois plus puissante, moins toxique et dix fois plus soluble dans l’eau que l’ofloxacine (paragraphes 143 à 169). Il a conclu de plus qu’on ne pouvait produire la lévofloxacine en se basant sur les publications antérieures (paragraphe 102).
Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?
a) Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?
[121] Le juge des requêtes a conclu que la définition des propriétés de la lévofloxacine exigeait davantage qu’une simple vérification (paragraphe 111). Il a conclu avec raison qu’il est impossible de « vérifier » des propriétés imprévues et imprévisibles (paragraphe 111). Le juge des requêtes a aussi conclu que les propriétés supérieures de la lévofloxacine étaient imprévisibles (paragraphes 143 à 169) et qu’aucune technique ordinaire ne pouvait être utilisée pour séparer les énantiomères (paragraphe 102). S’il s’agissait de quelque chose de plus que la simple vérification, l’avantage de la sélection de la lévofloxacine n’aurait pas été relativement évident. Les décisions sur les faits indiquent clairement que l’invention n’était pas évidente.
b) Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention?
[122] Le juge des requêtes a conclu en fait que les inventeurs de la lévofloxacine ont dû concevoir de nouveaux procédés pour isoler cet énantiomère de la forme racémique de l’ofloxacine, parce qu’ils étaient incapables de l’obtenir en recourant aux techniques usuelles (paragraphe 173).
c) L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet '080?
[123] Le juge des requêtes a reconnu la concurrence qui existe dans le secteur pharmaceutique (paragraphe 126). Toutefois, sa conclusion factuelle en fin de compte a été que rien dans le brevet 840 ni dans les connaissances générale courantes ne poussait spécifiquement la personne versée dans l’art à isoler les énantiomères de l’ofloxacine, compte tenu aussi qu’aucune attente généralisée ne laissait entrevoir qu’un seul énantiomère posséderait les propriétés inattendues de la lévofloxacine (paragraphe 127).
d) Quelle démarche a mené à l’invention?
[124] Le juge des requêtes a conclu que Daiichi a commencé à tenter de séparer les énantiomères de l’ofloxacine en avril 1981 (paragraphe 24), mais n’y est parvenue qu’en avril 1985 (paragraphe 25), au moment où l’on a aussi découvert que l’ofloxacine avait un niveau d’activité supérieur. En outre, la solubilité supérieure et la toxicité inférieure de la lévofloxacine n’ont été découvertes qu’en septembre et octobre 1985, respectivement (paragraphes 26 et 27).
[125] Lorsqu’on soumet les conclusions de fait notées par le juge des requêtes à l’analyse de l’arrêt Sanofi, la conclusion qui s’impose est que le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en concluant que le brevet 080 ne devenait pas évident en raison du brevet 840. Les analyses des questions relatives à la sélection et à l’évidence n’ont sans doute pas été menées en conformité rigoureuse avec la manière dont elles sont définies dans l’arrêt Sanofi, mais l’arrêt Sanofi n’avait pas été rendu au moment où le juge des requêtes a rendu ses décisions. Lorsque l’analyse de l’arrêt Sanofi est effectuée, à partir des conclusions factuelles du juge des requêtes, on conclut à la validité et au caractère non évident du brevet de sélection 080.
L’abandon présumé
[126] Apotex n’a pas traité cette question dans son argumentation à l’audience. Dans ses observations écrites, elle a affirmé que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que la demande relative au brevet 080 avait fait l’objet d’un abandon présumé au cours de l’examen. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[127] Pour examiner cet argument, le juge des requêtes devait prendre en compte la Loi sur les brevets dans sa version immédiatement antérieure au 1er octobre 1989. Le juge des requêtes a tiré un certain nombre de conclusions factuelles, dont aucune ne présente d’erreur manifeste et dominante. Soumettant ces conclusions au droit pertinent et, en particulier, à l’arrêt Bourgault Industries Ltd. c. Flexi-Coil Ltd. (1999), 86 C.P.R. (3d) 221 (C.A.F.), autorisation d’appel rejetée, [1999] C.S.C.R. n° 223 (Flexi‑Coil), il a conclu que le brevet n’était pas tenu pour abandonné. Plus précisément, il a conclu que l’arrêt Flexi-Coil était déterminant. À mon avis, cette conclusion était correcte.
[128] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.
« Carolyn Layden-Stevenson »
j.c.a.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-373-08
INTITULÉ : APOTEX INC. c.
JANSSEN-ORTHO INC. et al.
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 avril 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NADON
MOTIFS DISSIDENTS : La juge Layden‑Stevenson
DATE DES MOTIFS : Le 22 juin 2009
COMPARUTIONS :
Richard Naiberg Belle Van
|
POUR L’APPELANTE
|
Lindsay Neidrauer
Michael E. Charles Andrew I. McIntosh |
POUR L’INTIMÉE, JANSSEN‑ORTHO INC.
POUR L’INTIMÉE, DAIICHI SANKYO COMPANY, LTD. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
|
POUR L’APPELANTE
|
Toronto (Ontario)
Bereskin & Parr Toronto (Ontario) |
POUR L’INTIMÉE, JANSSEN‑ORTHO INC.
POUR L’INTIMÉE, DAIICHI SANKYO COMPANY, LTD. |