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Cour d’appel fédérale |
CANADA |
Federal Court of Appeal |
LA PREMIÈRE NATION DE FORT McKAY
et
intimé
Audience tenue à Calgary (Alberta), le 10 juin 2009.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE SHARLOW
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE RYER
LA JUGE TRUDEL
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Cour d’appel fédérale |
CANADA |
Federal Court of Appeal |
Date : 20090723
Dossier : A‑102‑09
Référence : 2009 CAF 235
CORAM : LA JUGE SHARLOW
LE JUGE RYER
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
LA PREMIÈRE NATION DE FORT McKAY
appelante
et
STANLEY LAURENT
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel de l’ordonnance en date du 24 février 2009 par laquelle le juge Campbell a déclaré invalide le [TRADUCTION] « Code électoral de la Première nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004 ». La même ordonnance a déclaré invalide la décision en date du 11 février 2008 de la directrice de scrutin Pauline Gauthier rejetant la mise en candidature de l’intimé Stanley Laurent à l’élection du 25 février 2008, ainsi que sa déclaration selon laquelle Jim Boucher y avait été élu sans concurrent. L’exposé des motifs du juge Campbell a été publié sous l’intitulé Stanley Laurent c. Pauline Gauthier et la Première nation de Fort McKay et sous la référence 2009 CF 196. Le 2 avril 2009, il a été sursis à l’exécution de l’ordonnance susdite du juge Campbell en attendant la décision du présent appel, dont l’instruction a fait l’objet d’une procédure accélérée.
Le contexte
[2] M. Laurent était de naissance membre de la Première nation denesuline de Fond‑du‑Lac, localité sise à 160 milles au nord-est de Fort McKay. Les deux collectivités se composent de Dénés et sont parties au Traité no 8. M. Laurent habite la réserve de la Première nation de Fort McKay avec sa femme depuis 1990. Le couple a quatre enfants. M. Laurent a participé à de nombreuses activités communautaires à Fort McKay. Il y a notamment été élu capitaine des sapeurs-pompiers volontaires en 1990, poste qu’il a occupé jusqu’en 2001. Il a aussi occupé plusieurs postes rémunérés à la Première nation de Fort McKay et dans l’une des entreprises de cette dernière. En 1997, M. Laurent et sa femme ont fondé une entreprise qu’ils exploitent à partir de la réserve de la Première nation de Fort McKay. Depuis, environ 50 membres de celle‑ci ont travaillé pour eux, et ils en employaient 18 à la date de l’affidavit de M. Laurent, soit le 6 mars 2008.
[3] M. Laurent est membre de la Première nation de Fort McKay depuis qu’il a demandé à y être admis en 1995. Il a dû d’abord renoncer à son appartenance à la Première nation denesuline de Fond‑du‑Lac et afficher un avis donnant 30 jours pour s’exprimer à quiconque voudrait s’opposer à son admission, ce que personne n’a fait. M. Laurent a été élu conseiller à Fort McKay en 1999 pour un mandat de deux ans. En 2002 et en 2004, il s’est porté candidat au poste de chef, mais a été défait les deux fois par le chef sortant, Jim Boucher, qui était son seul concurrent.
[4] La Première nation de Fort McKay a toujours élu son chef et ses conseillers selon des règles coutumières. Elle ne s’est dotée d’un code électoral écrit qu’en 2005. Les règles de chaque élection étaient auparavant fixées par une résolution du conseil de bande. Suivant les résolutions de cette nature prises en 1999, 2002 et 2004, tout membre de la Première nation de Fort McKay âgé d’au moins 18 ans et proposé comme candidat par dix autres membres pouvait briguer les suffrages.
[5] Après l’élection de 2004, il s’est élevé un différend relatif à la gouvernance entre le chef Boucher et les deux conseillers. À la demande du chef Boucher, un administrateur a été nommé pour gérer les affaires de la Première nation de Fort McKay en attendant la résolution de ce différend, lequel a été réglé par une entente prévoyant entre autres conditions un effort concerté en vue de l’adoption d’un code électoral écrit.
[6] On a établi plusieurs versions du projet de code électoral, mais, aux fins du présent appel, il n’est nécessaire d’en examiner que deux. La première, ci‑après désignée « l’ancien projet », a été établie avant décembre 2004 et contenait la disposition suivante :
[TRADUCTION] 106.1 Le présent code entre en vigueur à la date à laquelle il est approuvé par les électeurs lors d’une réunion extraordinaire où au moins (50 %) des électeurs sont présents. |
[7] Selon cette disposition, le projet de code électoral devait être adopté2 à la « double majorité », c’est‑à‑dire que son adoption était subordonnée à la participation de la majorité des électeurs admissibles, ainsi qu’au vote affirmatif de la majorité des votants. Suivant la règle de la double majorité, le projet de code électoral ne pouvait être adopté par une assemblée réunissant moins de la majorité des électeurs admissibles.
[8] Le projet de code électoral en date du 22 décembre 2004, ci‑après désigné « le projet de décembre », ne contient pas de disposition d’entrée en vigueur ni ne prévoit l’application de la règle de la double majorité. Par conséquent, il suffisait de la majorité des voix exprimées pour assurer l’adoption du code électoral sous la forme du projet de décembre.
[9] Le dossier indique que la règle de la double majorité a fait l’objet d’un débat entre le chef, les conseillers et l’administrateur; cependant, on n’y trouve rien qui explique clairement pourquoi elle figurait dans l’ancien projet, mais pas dans le projet de décembre.
[10] Le projet de décembre contenait les dispositions suivantes, sous le titre [TRADUCTION] « Qualités des candidats » :
[TRADUCTION]
9.1 |
Une personne peut être mise en candidature à toute élection prévue au présent Code si, au jour de clôture des candidatures, elle : |
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9.1.1 |
est membre de la Première nation; |
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9.1.2 |
est âgée d’au moins 18 ans; |
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9.1.3 |
n’est pas employée par la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
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9.1.4 |
n’a pas été reconnue coupable d’une infraction criminelle punissable par mise en accusation; |
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9.1.5 |
n’a pas été jugée responsable dans une action civile ou dans une action criminelle pour vol, fraude, ou mésusage d’un bien appartenant à la Première nation ou à toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
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9.1.6 |
n’a pas de dette pour laquelle un paiement a été demandé par écrit 90 jours avant le jour de clôture des candidatures, y compris notamment des avances de salaire ou de voyage, un loyer ou un prêt, envers la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
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9.1.7 |
n’a pas été révoquée de son poste de chef ou de conseiller conformément à l’art. 101.3 du Code lors de son mandat précédent; |
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9.1.8 |
est membre à vie de la Première nation et n’a jamais été membre d’une autre Première nation. |
[11] L’alinéa 9.1.8 est le principal objet du litige dans la présente espèce. Il n’est pas précisé si cette disposition figurait dans les projets antérieurs.
[12] M. Laurent soutient entre autres que l’on a inclus l’alinéa 9.1.8 dans le projet de code électoral principalement afin de l’empêcher de se porter candidat aux postes de chef ou de conseiller. La seule explication proposée par la Première nation de Fort McKay pour la promulgation de l’alinéa 9.1.8 se trouve au paragraphe 21 de l’affidavit de Larry Hewko, en date du 27 juin 2008. M. Hewko, comptable agréé, remplit la fonction de directeur financier de la Première nation de Fort McKay. Le paragraphe 21 de son affidavit est rédigé comme suit :
[TRADUCTION] 21. S’agissant de l’historique de l’article 9.1.8 du Code électoral, les renseignements que j’ai reçus de la part des membres indiquent que cet article a été ajouté au Code pour dissiper les préoccupations concernant les personnes qui n’avaient pas de lien historique avec Fort McKay. La Première nation de Fort McKay a interprété et appliqué cet article comme une limite aux personnes ayant choisi volontairement de changer leur statut de membres et de changer de Première nation. Ces personnes n’ont pas de lien historique avec la Première nation de Fort McKay et n’ont pas été élevées dans sa culture et ses traditions. Ainsi, l’article 9.1.8 est généralement considéré comme un moyen de protéger et de préserver la culture, les traditions et les valeurs de la Première nation de Fort McKay. |
[13] Le chef et les conseillers ont décidé de soumettre le projet de décembre aux électeurs par la voie d’un référendum. Ils ont en outre établi des lignes directrices pour la conduite de celui‑ci. L’alinéa 1.1.7 de ces lignes directrices formule comme suit la question référendaire :
[TRADUCTION] Approuvez-vous le projet de code électoral de la Première nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004? |
[14] Le paragraphe 9.1 des mêmes lignes directrices dispose que le sort du projet de code électoral se décidera à la majorité simple des voix exprimées. Il est rédigé comme suit :
[TRADUCTION]
9.1 |
La décision sur la question référendaire est prise à la majorité simple des électeurs ayant participé au scrutin référendaire. |
[15] Il n’est pas précisé quand ces lignes directrices ont été adoptées, ni si elles ont été distribuées aux électeurs, ni, dans l’affirmative, quand elles l’ont été.
[16] Le 8 janvier 2005, le chef et les conseillers ont avisé les électeurs de la Première nation de Fort McKay qu’un projet de code électoral serait soumis à leur examen et ferait l’objet d’un référendum prévu pour le 8 février de la même année. L’avis de référendum formule comme suit la question :
[TRADUCTION] Approuvez-vous le code électoral proposé à la Première nation de Fort McKay à partir de maintenant? |
[17] Cette formulation est légèrement différente de celle des lignes directrices du référendum, mais personne n’a soutenu que cette différence tirait à conséquence.
[18] L’avis de référendum informait les électeurs que le projet de code électoral changerait sensiblement la manière de conduire les élections de la bande. On peut ainsi y lire ce qui suit :
[TRADUCTION] Les membres de la bande sont fortement encouragés à examiner le nouveau code électoral proposé puisqu’il contient beaucoup de nouvelles dispositions qui constituent une dérogation aux pratiques habituelles de la bande relativement aux élections précédentes. |
[19] L’avis de référendum portait aussi que le texte du projet de code électoral pouvait être examiné aux bureaux administratifs et que des exemplaires en avaient été envoyés aux électeurs par la poste. Il n’est pas contesté que l’objet du référendum était le projet de décembre. La Première nation de Fort McKay n’a pas produit d’éléments tendant à prouver que c’était le projet de décembre qu’on avait proposé à l’examen des électeurs et qu’on leur avait expédié par la poste, mais M. Laurent n’a pas soutenu le contraire. À ce propos, le juge Campbell note au paragraphe 8 de ses motifs qu’aucun élément de preuve n’indique quel projet a été proposé à l’examen des électeurs ou leur a été envoyé par la poste. Il a raison sur ce point, mais il me semble que, comme il n’était pas contesté que l’objet du référendum était le projet de décembre, il incombait à M. Laurent d’établir que ce n’était pas ce même projet qu’on avait proposé à l’examen des électeurs ou qu’on leur avait expédié par la poste. Or, M. Laurent ne s’est pas acquitté de cette charge.
[20] On peut lire ce qui suit au bas de l’avis de référendum :
[TRADUCTION] L’article 106 du code électoral de la Première nation de Fort McKay prévoit ce qui suit : [...] 106.1 Le présent code entre en vigueur à la date à laquelle il est approuvé par les électeurs lors d’une réunion extraordinaire où au moins (50 %) des électeurs sont présents. |
[21] Cette déclaration est inexacte puisque la version citée du paragraphe 106.1 figure dans l’ancien projet, mais pas dans le projet de décembre, sur lequel portait le référendum. Le dossier n’explique pas comment cette erreur s’est produite. La Première nation de Fort McKay soutient qu’il s’agit là simplement d’une inadvertance : on a pu commettre cette erreur, par exemple, en rédigeant l’avis de référendum en même temps qu’on examinait l’ancien projet et en oubliant de changer la première rédaction de l’avis après qu’on eut décidé que le référendum porterait sur le projet de décembre.
[22] M. Laurent a admis que le référendum portait effectivement sur le projet de décembre, mais il a soutenu que celui‑ci ne pouvait être adopté comme code électoral que conformément à la règle de la double majorité énoncée dans l’avis de référendum.
[23] M. Laurent écrit ce qui suit au paragraphe 21 de son affidavit, touchant sa réaction à l’avis de référendum :
[TRADUCTION] 21. J’ai eu avec d’autres membres de la Première nation de Fort McKay des entretiens et des réunions où nous avons discuté du référendum et de la condition de participation des électeurs à raison de 50 % + 1. Nous étions un bon nombre à nous opposer au projet de code électoral. Afin d’empêcher son adoption, moi-même et de nombreux autres membres avons boycotté l’assemblée. |
[24] Donc, d’après ce passage, M. Laurent et [TRADUCTION] « de nombreux autres membres » auraient interprété l’avis de référendum comme signifiant que le projet de code électoral ne pouvait être adopté qu’à la double majorité, et ils auraient tous décidé pour cette raison de ne pas participer au scrutin. Si cela est vrai, je suppose que M. Laurent et les autres espéraient que la majorité des électeurs s’abstiendraient de voter, rendant ainsi impossible l’adoption du projet de code à la double majorité.
[25] Le référendum a eu lieu le 8 février 2005. Le projet de décembre a été approuvé par la majorité des votants et il a en conséquence été déclaré adopté. Pour des raisons de commodité, je désignerai ci‑après « le Code électoral » le projet de décembre adopté à la suite de ce référendum.
[26] Les votants de ce référendum ne constituaient pas la majorité des électeurs admissibles. Par conséquent, le projet de code a été adopté à la majorité simple et non à la double majorité. Cependant, personne n’a contesté le résultat proclamé du référendum dans un délai raisonnable suivant sa proclamation. Pas même M. Laurent, qui, en fait, n’a exprimé son désaccord qu’en novembre 2007, en formant une demande (dont je reparlerai plus loin) devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.
[27] L’alinéa 106.1.1 du Code électoral prévoit l’examen de son alinéa 9.1.8 dans les 60 jours suivant l’adoption dudit Code. Cette disposition est rédigée comme suit :
[TRADUCTION]
106.1.1 |
Dans l’éventualité où une réunion des membres est tenue dans les 60 jours suivant la ratification du présent Code pour déterminer si l’art. 9.1.8 du présent Code devrait être supprimé et, à la condition qu’un scrutin secret tenu lors de cette même réunion permet d’obtenir 50 % plus 1 ou plus de votes en faveur de la suppression de l’art. 9.1.8, alors ledit article est supprimé […] |
Ni M. Laurent ni qui que ce soit d’autre n’ont pris de mesures sous le régime de cette disposition dans le délai de 60 jours.
[28] L’une des dispositions du Code électoral portait le nombre des conseillers de deux à quatre, et une autre faisait passer le mandat du chef et des conseillers de deux à quatre ans. Personne n’a contesté cette prolongation du mandat du chef et des conseillers en exercice. En 2005, on a tenu une élection partielle aux deux autres postes de conseillers. Personne non plus n’a contesté l’augmentation du nombre des conseillers sous le régime du Code électoral ni les résultats de cette élection partielle. En outre, aucun élément de preuve ne tend à établir que quelque candidat éventuel que ce soit à cette élection ait été déclaré inéligible.
[29] Une élection visant à pourvoir les sièges du chef et des quatre conseillers a été annoncée – il n’est pas précisé quand – pour le 25 février 2008. La date limite fixée pour le dépôt des mises en candidature était le 11 février 2008. M. Laurent souhaitait se présenter au poste de chef, auquel le seul autre candidat était le chef sortant, M. Jim Boucher.
[30] M. Laurent, craignant d’être déclaré inéligible aux motifs qu’il n’était pas « membre à vie » de la Première nation de Fort McKay (alinéa 9.1.8 du Code électoral) et qu’il avait un casier judiciaire (alinéa 9.1.4) – il explique dans son affidavit qu’il a été déclaré coupable d’une infraction à la fin de son adolescence, mais ne sait pas si cette infraction était punissable par mise en accusation –, a voulu prévenir cette éventualité en introduisant en novembre 2007 une instance devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Il demandait à cette dernière, entre autres choses, une déclaration portant que le Code électoral n’avait pas été valablement adopté et, subsidiairement, que ses alinéas 9.1.3 à 9.1.8 étaient entachés de nullité sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés. M. Laurent a ensuite formé une requête en ordonnance interlocutoire interdisant à la Première nation de Fort McKay de le déclarer inéligible au poste de chef dans l’élection prévue pour le 25 février 2008, requête que le juge J.M. Ross de la Cour susdite a rejetée le 5 février 2008 (Laurent c. Fort McKay First Nation, 2008 AQBQ 84). La procédure albertaine a par la suite été suspendue.
[31] M. Laurent a présenté sa mise en candidature le 11 février 2008. Il savait qu’il était tenu de produire une attestation de vérification de casier judiciaire, mais, explique‑t‑il, il n’a pu en obtenir une à temps pour la date limite de dépôt des mises en candidature. La directrice du scrutin, Pauline Gauthier, a rejeté sa mise en candidature. Elle expose les motifs de sa décision dans une lettre en date du 11 février 2008, dont voici les passages pertinents :
[TRADUCTION] Le Code électoral de la Première nation de Fort McKay porte les dispositions suivantes :
En outre, le formulaire de mise en candidature porte ce qui suit :
Après avoir examiné votre mise en candidature, nous vous informons que vous ne remplissez pas les exigences suivantes :
Par conséquent, nous vous retournons votre mise en candidature, et votre nom n’apparaîtra pas sur le bulletin de vote des élections générales qui auront lieu le 25 février 2008. |
[32] M. Laurent avait prévu sans se tromper l’un des motifs auxquels sa candidature serait rejetée, à savoir le fait qu’il n’est pas « membre à vie de la Première nation et [...] a [déjà] été membre d’une autre Première nation », contrairement à la condition énoncée à l’alinéa 9.1.8 du Code électoral. Les deux autres motifs étaient la non-production de deux documents exigés par le paragraphe 13.2 du Code électoral, soit une attestation relative au casier judiciaire (alinéa 9.1.4), ainsi qu’une lettre relative aux dettes envers la Première nation de Fort McKay et les sociétés apparentées à celle‑ci ou qu’elle contrôle (alinéa 9.1.6).
[33] Comme le seul autre candidat au poste de chef était le chef sortant, M. Jim Boucher, la directrice du scrutin a déclaré ce dernier élu sans concurrent.
[34] Le 11 mars 2008, M. Laurent a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il y sollicitait entre autres une déclaration comme quoi le Code électoral était nul pour n’avoir pas été promulgué valablement et, subsidiairement, une déclaration portant que les alinéas 9.1.3 à 9.1.8 dudit Code étaient nuls au motif qu’ils portaient atteinte aux droits que lui garantissaient les articles 3 et 15 de la Charte, ainsi que le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
[35] Le juge Campbell a conclu qu’il y avait un consensus de la collectivité selon lequel l’adoption d’un code électoral ne pouvait se faire qu’à la double majorité et que la direction de la Première nation de Fort McKay avait agi irrégulièrement en déclarant le Code électoral adopté alors qu’il n’avait été approuvé que par une majorité simple. Se fondant sur ces conclusions, il a prononcé une ordonnance déclarant le Code électoral nul et annulant aussi, pour défaut de compétence, la décision par laquelle la directrice du scrutin avait rejeté la mise en candidature de M. Laurent et déclaré le chef sortant réélu sans concurrent. La Première nation de Fort McKay a contesté cette ordonnance en appel. Comme je le disais plus haut, il a été sursis à l’exécution de l’ordonnance du juge Campbell en attendant la décision du présent appel.
Analyse
[36] L’appel de la Première nation de Fort McKay met en œuvre plusieurs moyens, que j’examinerai suivant l’ordre où ils sont exposés dans son mémoire des faits et du droit.
Le point de savoir s’il aurait fallu rejeter la demande au motif de sa présentation tardive
[37] La Première nation de Fort McKay soutient que la demande de M. Laurent aurait dû être rejetée au motif qu’elle n’avait pas été formée dans les 30 jours suivant l’adoption du Code électoral, délai que prévoit le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le juge Campbell a rejeté ce moyen au motif que la demande contestait la décision de la directrice du scrutin en date du 11 février 2008 et que M. Laurent l’avait présentée dans les 30 jours suivant la date où, selon ses dires, il avait reçu communication de cette décision. Le juge Campbell a conclu qu’il était permis à M. Laurent d’invoquer contre la décision de la directrice du scrutin le moyen selon lequel cette dernière avait agi sans compétence au motif que le Code électoral n’avait pas été valablement adopté. Je pense comme le juge Campbell que la demande de M. Laurent n’était pas hors délai.
[38] Malgré ma conclusion sur la question de la conformité au délai prescrit, je note que la Première nation de Fort McKay avance plusieurs arguments valables à l’appui de la thèse que la validité du Code électoral aurait dû être contestée dès que possible après son adoption. Le plus convaincant de ces arguments est que le fait de recevoir la contestation du Code électoral par M. Laurent si longtemps après son adoption et après qu’il a été appliqué pendant presque trois ans risque de causer de l’instabilité et de l’incertitude dans la direction des affaires de la Première nation de Fort McKay. Cependant, ces considérations n’influent pas sur la compétence de la Cour fédérale pour examiner la demande de contrôle judiciaire de la décision d’un directeur de scrutin sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il convient plutôt de voir dans lesdites considérations autant de facteurs en fonction desquels établir si la Cour fédérale devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre la demande ou, dans le cas où elle conclurait que la décision de la directrice du scrutin est défectueuse, de prononcer des mesures de réparation où il serait tenu compte du caractère tardif de la demande.
Une erreur de fait manifeste et dominante
[39] La Première nation de Fort McKay soutient que la décision du juge Campbell ne peut être confirmée au motif qu’elle est fondée sur une erreur de fait manifeste et dominante.
[40] Selon mon interprétation, la décision du juge Campbell est basée sur sa conclusion de fait comme quoi l’élaboration du projet de code électoral a fait l’objet d’une consultation de la collectivité. Il écrit au paragraphe 5 de l’exposé de ses motifs que c’est là un fait incontesté. Or, cette conclusion de fait ne se fonde sur aucun élément de preuve au dossier. M. Laurent déclare dans son affidavit qu’il n’a pas connaissance qu’on a procédé à une telle consultation. En fait, l’un de ses sujets de plainte est précisément que le chef Boucher et ses conseillers aient rédigé les divers projets de code électoral sans consulter la population.
[41] Le juge Campbell a aussi conclu, sur le fondement de son interprétation selon laquelle la collectivité avait été consultée, qu’il y avait consensus de celle‑ci sur le fait que l’adoption du projet de code électoral devrait se faire à la double majorité, conformément au passage de l’avis de référendum citant le paragraphe 106.1 de l’ancien projet. Il insiste plusieurs fois sur ce point dans ses motifs, comme l’attestent les extraits suivants (je souligne) :
[TRADUCTION] 27. Comme il a été mentionné, le Code est le résultat final d’un processus de consultation ayant donné lieu à un certain nombre d’ébauches. […] 30. Il faut se rappeler que l’élaboration du code électoral écrit fondé sur la coutume a eu lieu à la suite d’une consultation avec les membres de la Première nation de Fort McKay. Ainsi, indépendamment de la nature du débat interne lié à la direction tel que décrit, les dispositions du Code doivent être interprétées comme l’expression de la volonté des membres de la Première nation de Fort McKay que le référendum soit remporté par la majorité des électeurs. Rien ne démontre que les membres ont conféré à la direction le pouvoir d’écarter cette expression de volonté. 31. J’estime qu’il est juste d’affirmer que l’élaboration de l’art. 106.1, à un certain moment durant le processus de consultation ayant mené au scrutin référendaire, prouve l’importance qu’accordent les électeurs de la Première nation de Fort McKay aux changements apportés à la coutume en matière de gouvernance, notamment aux qualités requises des candidats qui se présentent aux élections. Selon l’art. 106.1, la majorité des électeurs de la Première nation de Fort McKay est tenue d’assister à la réunion référendaire, et le référendum est remporté uniquement par un vote majoritaire de ces électeurs. En effet, l’énoncé du Code prévoyant qu’un vote majoritaire des électeurs de la Première nation de Fort McKay est nécessaire pour pouvoir mettre le Code en application, sans toutefois exiger que la majorité des électeurs assistent à la réunion référendaire, prouve également l’importance considérable des changements proposés. Par contre, rien dans le présent dossier n’indique que les électeurs ont conféré le pouvoir d’adopter la disposition contraire en matière de vote prévue dans les Lignes directrices relatives au référendum portant que le Code peut être mis en application seulement par la majorité simple des votes exprimés dans un scrutin référendaire. […] 40. La deuxième question soulevée est de savoir s’il existe une preuve convaincante à partir de laquelle on pourrait inférer qu’il y a consensus sur le fait que le défaut de la direction de suivre la norme relative à l’approbation par voie de référendum prévue dans le Code a été accepté, comme je l’ai mentionné plus haut. Il est important de se rappeler que le Code est une expression de la coutume de la Première nation de Fort McKay, et que cette coutume prévoit des dispositions claires concernant la mise en application du Code et la façon de le modifier. Dans le cas qui nous occupe, sur la question des élections fondées sur la coutume, il existe parmi les membres de la Première nation de Fort McKay un consensus, lequel est exprimé dans le Code même, portant que le Code doit être adopté par la majorité des électeurs; la direction a apparemment ignoré ce consensus. La question est donc maintenant de savoir si cette indifférence à l’égard du consensus est acceptable selon la coutume. La réponse à cette question dépend entièrement de la qualité de la preuve. |
[42] Mon examen du dossier ne m’a permis d’y découvrir aucun élément établissant l’existence d’un consensus de la collectivité sur la question de savoir si l’adoption d’un projet de code électoral devait se faire à la double majorité ou à la majorité simple dans le cadre d’un référendum. Comme il n’y avait pas au dossier d’éléments de preuve établissant qu’on avait consulté la collectivité, le juge Campbell ne pouvait valablement conclure qu’on était parvenu à un tel consensus par suite d’une consultation de cette dernière.
[43] Je me vois ainsi obligé de conclure que l’ordonnance du juge Campbell est fondée sur une erreur de fait manifeste et dominante. Il me paraît en conséquence que notre Cour peut légitimement, et doit en fait, examiner de novo les moyens exposés par M. Laurent dans sa demande.
L’effet juridique de la déclaration erronée contenue dans l’avis de référendum
[44] M. Laurent soutient que le chef et les conseillers, ayant cité la règle de la double majorité dans l’avis de référendum, étaient tenus de l’appliquer, et qu’il ne leur était pas permis d’appliquer celle de la majorité simple. La Première nation de Fort McKay fait valoir le contraire.
[45] À mon avis, les membres de la Première nation de Fort McKay ont le droit de s’attendre à ce que les renseignements qu’on leur communique sur les affaires de leur bande soient présentés de manière juste, qu’ils soient relativement exacts et qu’ils ne soient pas de nature à induire en erreur. Lorsqu’un référendum est proposé, les électeurs devraient recevoir tous les renseignements dont ils ont plausiblement besoin pour décider en connaissance de cause s’ils vont voter et comment ils vont le faire. C’est là la norme adoptée pour les consultations des membres de personnes morales en général; voir Goldex Mines Ltd. c. Revill et al. (1975), 7 O.R. (2d) 216. La norme applicable aux consultations des membres d’une Première nation autonome ne peut être moins rigoureuse.
[46] Cependant, ce principe ne signifie pas que la Première nation de Fort McKay soit nécessairement tenue de se conformer à un passage erroné de l’avis de référendum. L’effet juridique du passage erroné dépend plutôt de la question de savoir s’il a induit en erreur suffisamment d’électeurs pour influer sur le résultat du scrutin. On trouvera rarement des éléments de preuve directe sur ce point, mais il doit exister des éléments dont un tribunal puisse raisonnablement tirer une inférence.
[47] Il est possible que le passage erroné de l’avis de référendum ait été susceptible d’induire les électeurs à penser, à tort, que s’ils s’opposaient au projet de code électoral, ils pouvaient voter en fait contre lui en s’abstenant de voter, à condition que le nombre des votants n’ait pas atteint la majorité des électeurs.
[48] Cependant, la possibilité d’une telle impression erronée ne peut à elle seule justifier l’invalidation du résultat du référendum. Il doit y avoir des éléments de preuve dont on puisse raisonnablement inférer que le passage en cause a induit suffisamment d’électeurs en erreur pour influer sur ce résultat. À ce propos, je note qu’il n’est pas raisonnable d’inférer de la preuve que la déclaration erronée en question ait induit en erreur la totalité des électeurs, ou la totalité de ceux qui étaient opposés à l’adoption du projet de code électoral.
[49] Les seuls éléments de preuve relatifs à cette question se trouvent dans l’affidavit de M. Laurent, selon lequel lui-même et [TRADUCTION] « de nombreux autres membres » de la Première nation qui étaient contre le projet de code électoral avaient décidé de s’abstenir de voter au référendum en se fondant sur l’interprétation selon laquelle la règle de la double majorité serait appliquée. Si M. Laurent avait effectivement cru que la règle de la double majorité régirait le référendum, il aurait pu en contester le résultat immédiatement après avoir appris que cette règle n’avait pas été appliquée. Or il ne l’a pas fait, et son affidavit ne propose aucune explication de cette abstention. Chose plus importante, M. Laurent ne désigne pas nommément les autres membres dont il parle ni même n’en précise le nombre.
[50] À mon sens, il n’est pas raisonnable d’inférer du dossier que le passage erroné de l’avis de référendum a induit suffisamment d’électeurs en erreur pour influer sur le résultat du référendum. Il s’ensuit que M. Laurent ne peut être reçu en sa demande tendant à obtenir une déclaration comme quoi le Code électoral serait nul.
L’acquiescement
[51] L’appelante affirme que, même si le passage erroné de l’avis avait pour effet de vicier le référendum, le comportement de la Première nation de Fort McKay après l’adoption du Code électoral devrait être considéré comme prouvant l’existence d’un large consensus des électeurs en faveur de ce code. Le juge Campbell a rejeté ce moyen. L’appelante soutient qu’il l’a fait parce qu’il avait interprété à tort ledit moyen comme un argument où la coutume antérieure de la Première nation de Fort McKay aurait été invoquée en tant que disposition dérogatoire.
[52] La Première nation de Fort McKay fait valoir à l’appui de sa thèse d’un acquiescement équivalent à un large consensus le fait que n’ait pas été contestée l’élection partielle de 2005 aux deux postes additionnels de conseillers, l’absence de toute contestation du droit du chef Boucher et des deux conseillers élus en 2004 de rester en fonction pour le reste du mandat de quatre ans prévu par le Code électoral, et les nombreuses affaires qui ont été réglées sur le fondement des dispositions de gouvernance du Code électoral sans susciter les protestations d’aucun électeur, pas même de M. Laurent.
[53] Notre Cour a admis un nouvel élément de preuve, soit l’affidavit de Kelsey Becker Brookes en date du 8 juin 2009. Me Brookes est une avocate dont le cabinet a été engagé pour superviser un référendum de la Première nation de Fort McKay tenu le 13 mars 2009. Me Brookes a été nommée directrice de ce scrutin référendaire, où la question soumise aux électeurs était la suivante :
[TRADUCTION] Est‑il exact selon vous que le Code électoral de la Première nation de Fort McKay (en date du 22 décembre 2004) est notre loi coutumière reconnue en matière électorale depuis le 8 février 2005? |
[54] Me Brookes a été avisée que 386 personnes étaient habilitées à voter à ce référendum. Selon son compte rendu des résultats, 273 bulletins de vote ont été déposés, dont 176 étaient affirmatifs et 96 négatifs, un bulletin ayant été rejeté. On a donc là une double majorité.
[55] M. Laurent a contesté la validité de la décision du chef et des conseillers de tenir le référendum du 13 mars 2009. Je ne me prononcerai pas sur ce point. Je note cependant que le résultat de ce référendum prouve que le Code électoral jouit d’un soutien important parmi les électeurs de la Première nation de Fort McKay.
[56] Même si l’on m’avait convaincue qu’il serait raisonnable d’inférer de la preuve que le passage erroné de l’avis pourrait avoir influé sur le résultat du référendum, j’aurais conclu qu’il ne convenait pas de déclarer le Code électoral nul sur ce fondement. Selon moi, suffisent à établir l’acquiescement le temps écoulé entre le référendum du 8 février 2005 et l’introduction par M. Laurent de ses instances devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et la Cour fédérale, le fait que la Première nation de Fort McKay ait tenu une élection sous le régime du Code électoral, le fait que le chef et les conseillers aient décidé de nombreuses questions de gestion de la collectivité sous ce même régime, l’absence d’autres contestations dudit Code et le résultat du référendum du 13 mars 2009.
La contestation constitutionnelle des alinéas 9.1.3 à 9.1.8
[57] La demande formée par M. Laurent devant la Cour fédérale comprenait une contestation des alinéas 9.1.3 à 9.1.8 du Code électoral sous le régime de la Charte et du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le juge Campbell n’ayant pas estimé nécessaire d’examiner les moyens de M. Laurent fondés sur la Charte, nous ne pouvons profiter de son analyse. Je note d’entrée de jeu que le fait que le Code électoral jouisse d’un soutien important dans la collectivité ne commande pas en soi le rejet de la contestation constitutionnelle des alinéas 9.1.3 à 9.1.8 par M. Laurent.
[58] Les alinéas 9.1.3 à 9.1.8 ne permettent que soit mise en candidature aux postes de chef ou de conseiller que la personne qui :
[TRADUCTION]
9.1.3 |
n’est pas employée par la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
9.1.4 |
n’a pas été reconnue coupable d’une infraction criminelle punissable par mise en accusation; |
9.1.5 |
n’a pas été jugée responsable dans une action civile ou dans une action criminelle pour vol, fraude ou mésusage d’un bien appartenant à la Première nation ou à toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
9.1.6 |
n’a pas de dette pour laquelle un paiement a été demandé par écrit 90 jours avant le jour de clôture des candidatures, y compris notamment des avances de salaire ou de voyage, un loyer ou un prêt, envers la Première nation ou toute autre société par actions apparentée ou autre entité qui appartient à la Première nation ou qui est sous sa responsabilité, en tout ou en partie; |
9.1.7 |
n’a pas été révoquée de son poste de chef ou de conseiller conformément à l’art. 101.3 du Code lors de son mandat précédent; |
9.1.8 |
est membre à vie de la Première nation et n’a jamais été membre d’une autre Première nation. |
[59] La Première nation de Fort McKay fait valoir que M. Laurent aurait dû invoquer ses moyens constitutionnels dans le cadre de la voie de recours prévue par le Code électoral. Selon elle, la Cour fédérale devrait refuser d’entendre les moyens constitutionnels de M. Laurent au motif que le Code électoral lui offrait à cet égard un recours suffisant.
[60] La partie 7 du Code électoral prévoit la nomination d’un arbitre des appels apte à régler tout litige électoral fondé sur l’un ou l’autre des motifs énumérés au paragraphe 81.1, à condition que l’avis de recours ait été déposé auprès du directeur du scrutin dans les 14 jours suivant la proclamation du résultat de celui‑ci. Les passages pertinents du paragraphe 81.1 disposent ce qui suit :
[TRADUCTION]
81.1 |
Un candidat ou un électeur qui a voté aux élections peut interjeter appel de ces élections au motif que : |
|
|
81.1.1 |
Le directeur du scrutin a fait une erreur dans l’interprétation ou l’application du Code, ce qui a influencé le résultat des élections […] |
[61] Le paragraphe 78.1 prescrit au directeur du scrutin de nommer un arbitre des appels au moins 20 jours avant la date fixée pour l’élection. Les conditions de nomination de l’arbitre des appels sont énoncées au paragraphe 80.1, ainsi libellé :
[TRADUCTION]
80.1 |
L’arbitre des appels : |
|
|
80.1.1 |
est soit un avocat habilité à exercer en Alberta, soit un juge de toute juridiction ou de tout niveau à la retraite; |
|
80.1.2 |
ne peut avoir déjà représenté ni la Première nation, ni le candidat en question, ni l’appelant, ni une société par actions ou autre personne morale apparentée à la Première nation, ou qu’elle possède ou contrôle en tout ou partie, ni le Conseil tribal d’Athabaska. |
[62] Le paragraphe 88.1 du Code électoral confère à l’arbitre des appels un certain nombre de pouvoirs, notamment celui de trancher les questions de droit qui se posent au cours de la procédure d’appel. Le paragraphe 89.2 dispose que l’arbitre des appels peut soit rejeter l’appel, soit y faire droit mais refuser de prononcer des mesures accessoires au motif que les faits établis par l’appelant n’ont pas influé sur les résultats de l’élection, soit accueillir l’appel et prononcer des mesures accessoires, notamment la tenue d’une nouvelle élection. Le paragraphe 90.2 du Code électoral porte que la décision de l’arbitre des appels peut être contestée devant la Cour fédérale par la voie d’une demande de contrôle judiciaire, mais seulement sur le fondement d’une erreur de droit ou d’un manquement à la justice naturelle.
[63] L’intimé soutient qu’il n’aurait pas dû être tenu de suivre une procédure prévue par le Code électoral alors qu’il contestait la validité de celui‑ci. Cet argument doit être rejeté, puisque M. Laurent n’a pas établi le défaut de validité du Code électoral.
[64] M. Laurent soutient subsidiairement qu’il n’aurait pas dû être tenu de suivre la procédure d’appel prévue par le Code électoral au motif qu’elle témoigne intrinsèquement d’un parti pris contre lui et qu’elle n’aurait pas donné lieu à des mesures de réparation appropriées.
[65] Aucun élément de preuve n’étaye l’argument de M. Laurent selon lequel la procédure d’appel témoignerait intrinsèquement d’un parti pris contre lui. À mon sens, les conditions de nomination de l’arbitre des appels énoncées au paragraphe 80.1 constituent une protection solide contre un tel risque. Qui plus est, toute allégation de parti pris pourrait fonder une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre des appels.
[66] Je pense comme la Première nation de Fort McKay que la procédure d’appel offre un recours approprié. Il est vrai qu’elle n’aurait pas permis à M. Laurent d’obtenir une décision invalidant le Code électoral, mais il ne peut plus invoquer cet argument. M. Laurent aurait pu contester la décision par laquelle la directrice du scrutin avait rejeté sa mise en candidature sur le fondement des alinéas 9.1.4, 9.1.6 et 9.1.8. Il aurait pu fonder son appel sur le moyen prévu à l’alinéa 81.1.1 du Code électoral, c’est‑à‑dire – plus précisément – qu’il aurait pu faire valoir que la directrice du scrutin s’était trompée dans l’application à son cas des alinéas 9.1.4, 9.1.6 et 9.1.8 au motif que cette application portait atteinte aux droits que lui garantissent la Charte et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les conclusions de fait et de droit que l’arbitre des appels aurait formulées afin de rendre une décision sur ce moyen d’appel entrent bien dans le champ des pouvoirs attribués à un tel arbitre; voir à ce sujet : Martin c. Nouvelle‑Écosse (Worker’s Compensation Board), [2003] 2 R.C.S. 504; et Paul c. Colombie Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585. Toute décision de l’arbitre des appels sur une question de droit ou tout manquement de sa part à un principe de justice fondamentale seraient susceptibles de contrôle par la Cour fédérale.
[67] Je souscris à la thèse de la Première nation de Fort McKay selon laquelle M. Laurent aurait pu avoir recours, pour sa contestation constitutionnelle des alinéas 9.1.3 à 9.1.8, à la procédure d’appel que prévoit le Code électoral. Sur ce fondement, je déclarerais ladite contestation irrecevable dans la présente demande de contrôle judiciaire.
Le fond des moyens constitutionnels
[68] Étant donné les conclusions qui précèdent, il ne convient pas de formuler d’observations sur le fond des moyens constitutionnels de M. Laurent. Je note cependant qu’il serait difficile de parvenir à une conclusion de fond sur les questions constitutionnelles en litige en se fondant sur le dossier de la présente espèce. Il serait regrettable que les importantes questions constitutionnelles soulevées par M. Laurent doivent être tranchées sur le fondement de l’incapacité de ce dernier à s’acquitter de la charge de prouver qu’il a été dérogé à la Constitution ou de l’incapacité de la Première nation de Fort McKay à s’acquitter de la charge de justifier, le cas échéant, la ou les dérogations constatées.
Conclusion
[69] Pour ces motifs, j’accueillerais le présent appel et annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale. Rendant l’ordonnance que cette dernière aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire formée par M. Laurent. Comme la Première nation de Fort McKay n’a pas demandé de dépens, il ne devrait pas en être adjugé.
« Je suis d’accord
C. Michael Ryer, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Johanne Trudel, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A‑102‑09
INTITULÉ : PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY c.
STANLEY LAURENT
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 juin 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE SHARLOW
LA JUGE TRUDEL
DATE DES MOTIFS : Le 23 juillet 2009
COMPARUTIONS :
POUR L’APPELANTE
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Natalie Whyte |
POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edmonton (Alberta) |
POUR L’APPELANTE
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Priddis (Alberta) |
POUR L’INTIMÉ
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