ENTRE :
et
Audience tenue à Montréal (Québec), le 19 novembre 2008.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NADON
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE BLAIS
LE JUGE PELLETIER
Dossier : A-8-08
Référence : 2009 CAF 135
CORAM : LE JUGE NADON
LE JUGE BLAIS
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
appelante
et
CASCADES INC.
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit en l’espèce d’un appel de la décision de la juge Lucie Lamarre de la Cour canadienne de l’impôt, 2007CCI1730, rendue le 6 décembre 2007, accueillant l’appel de l’intimée interjeté à l’égard d’une détermination de perte établie en vertu des paragraphes 40(3.3), 40(3.4) et 40(3.5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1 (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2000. La juge a décidé que l’intimée Cascades Inc. (« Cascades ») avait le droit de déclarer une perte en capital de 15 941 608$ au cours de son année d’imposition 2000, puisque cette perte n’était pas réputée nulle aux termes du paragraphe 40(3.4) de la Loi.
[2] L’interprétation des paragraphes 40(3.3), 40(3.4) et 40(3.5) de la Loi est la seule question que soulève l’appel. Nous sommes appelés à décider si l’alinéa 40(3.5)c) trouve application lorsque l’une des conditions prévues aux alinéas 40(3.3)a), 40(3.3)b) et 40(3.3)c) n’est pas remplie. Plus particulièrement, il s’agit de déterminer le sens de l’expression « s’appliquent » que l’on retrouve à l’alinéa 40(3.5)c).
[3] Puisque ces dispositions sont au cœur du débat, je les reproduis immédiatement par souci de commodité :
40. (3.3) Le paragraphe (3.4) s’applique lorsque les conditions suivantes sont réunies : a) une société, une fiducie ou une société de personnes (appelées « cédant » au présent paragraphe et au paragraphe (3.4)) dispose d’une immobilisation, sauf un bien amortissable d’une catégorie prescrite, en dehors du cadre d’une disposition visée à l’un des alinéas c) à g) de la définition de «perte apparente » à l’article 54; b) au cours de la période qui commence 30 jours avant la disposition et se termine 30 jours après cette disposition, le cédant ou une personne affiliée à celui-ci acquiert le même bien ou un bien identique (appelés « bien de remplacement » au présent paragraphe et au paragraphe (3.4)); c) à la fin de cette période, le cédant ou une personne affiliée à celui-ci est propriétaire du bien de remplacement. [Je souligne] (3.4) Lorsque le présent paragraphe s’applique par l’effet du paragraphe (3.3) à la disposition d’un bien, les présomptions suivantes s’appliquent : a) la perte du cédant résultant de la disposition est réputée nulle; […] [Je souligne]
(3.5) Les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre des paragraphes (3.3) et (3.4) : a) le droit d’acquérir un bien (sauf le droit servant de garantie seulement et découlant d’une hypothèque, d’une convention de vente ou d’un titre semblable) est réputé être un bien qui est identique au bien; b) l’action du capital-actions d’une société qui est acquise en échange d’une autre action dans le cadre d’une opération à laquelle s’appliquent les articles 51, 85.1, 86 ou 87 est réputée être un bien qui est identique à l’autre action; c) lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent à la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et que, après cette disposition, la société est fusionnée avec une ou plusieurs autres sociétés en dehors du cadre d’une opération relativement à laquelle l’alinéa b) s’applique à l’action ou fait l’objet d’une liquidation à laquelle s’applique le paragraphe 88(1), la société issue de la fusion ou la société mère, au sens de ce paragraphe, est réputée être propriétaire de l’action tant qu’elle est affiliée au cédant; d) lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent à la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et que, après cette disposition, l’action est rachetée, acquise ou annulée par la société en dehors du cadre d’une opération relativement à laquelle les alinéas b) ou c) s’appliquent à l’action, le cédant est réputé être propriétaire de l’action tant que la société lui est affiliée. [Je souligne]
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40. (3.3) Subsection 40(3.4) applies when (a) a corporation, trust or partnership (in this subsection and subsection 40(3.4) referred to as the “transferor”) disposes of a particular capital property (other than depreciable property of a prescribed class) otherwise than in a disposition described in any of paragraphs (c) to (g) of the definition "superficial loss" in section 54; (b) during the period that begins 30 days before and ends 30 days after the disposition, the transferor or a person affiliated with the transferor acquires a property (in this subsection and subsection 40(3.4) referred to as the “substituted property”) that is, or is identical to, the particular property; and (c) at the end of the period, the transferor or a person affiliated with the transferor owns the substituted property. [Emphasis added]
(3.4) If this subsection applies because of subsection 40(3.3) to a disposition of a particular property, (a) the transferor’s loss, if any, from the disposition is deemed to be nil […] [Emphasis added]
(3.5) For the purposes of subsections 40(3.3) and 40(3.4), (a) right to acquire a property (other than a right, as security only, derived from a mortgage, hypothec, agreement for sale or similar obligation) is deemed to be a property that is identical to the property; (b) a share of the capital stock of a corporation that is acquired in exchange for another share in a transaction to which section 51, 85.1, 86 or 87 applies is deemed to be a property that is identical to the other share; (c) where subsections 40(3.3) and 40(3.4) apply to the disposition by a transferor of a share of the capital stock of a corporation, and after the disposition the corporation is merged with one or more other corporations, otherwise than in a transaction in respect of which paragraph 40(3.5)(b) applies to the share, or is wound up in a winding-up to which subsection 88(1) applies, the corporation formed on the merger or the parent (within the meaning assigned by subsection 88(1)), as the case may be, is deemed to own the share while it is affiliated with the transferor; and (d) where subsections 40(3.3) and 40(3.4) apply to the disposition by a transferor of a share of the capital stock of a corporation, and after the disposition the share is redeemed, acquired or cancelled by the corporation, otherwise than in a transaction in respect of which paragraph 40(3.5)(b) or 40(3.5)(c) applies to the share, the transferor is deemed to own the share while the corporation is affiliated with the transferor. [Emphasis added] |
Les faits
[4] Les faits en l’espèce ne sont pas contestés. Ils peuvent être résumés brièvement comme suit.
[5] À la fin de mai 2000, Cascades détenait 71.1% des actions ordinaires de la société Les Industries Paperboard International Inc. (« PII »). Les 33 025 966 actions de PII détenues par Cascades avaient, à ce moment-là, un prix de base rajusté de 68 783 154$ et une valeur marchande de 52 841 546$.
[6] Le 8 septembre 2000, la société 3715965 Canada Inc. (la « société ») était constituée et Cascades devenait sa seule actionnaire. La société est une société affiliée à Cascades au sens de l’article 251.1 de la Loi.
[7] Le 5 décembre 2000, Cascades vendait à la société la totalité des actions ordinaires de PII qu’elle détenait, pour une contrepartie égale à la juste valeur marchande de ces actions, provoquant ainsi la réalisation d’une perte en capital de 15 941 608$ (prix de base rajusté de 68 783 154$ moins le produit de disposition de 52 841 546$). En contrepartie, Cascades recevait 33 025 966 actions ordinaires de la société.
[8] Le 31 décembre 2000, soit 26 jours plus tard, PII et la société étaient fusionnées, la société issue de la fusion étant 384894-9 Canada Inc. (« PII Fusionco »). Lors de la fusion, chacune des actions ordinaires de la société détenues par Cascades fut convertie en une action ordinaire de PII Fusionco. PII Fusionco est une société affiliée à Cascades en vertu de l’article 251.1 de la Loi. Cascades réclamait la perte en capital de 15 941 608$ réalisée à la vente des actions ordinaires de PII dans le calcul de son revenu imposable pour l’année d’imposition 2000.
[9] Le 23 janvier 2004, le ministre du Revenu national (le « ministre ») réputait nulle la perte de Cascades en vertu des paragraphes 40(3.3), 40(3.4) et 40(3.5) de la Loi. Cascades a fait appel de cette détermination à la Cour canadienne de l’impôt, appel qui a été accueilli et qui fait l’objet du litige en l’espèce.
Décision de la Cour canadienne de l’impôt
[10] La juge Lamarre a commencé son analyse en examinant les principes d’interprétation applicables aux lois fiscales qui ont été élaborés par la Cour suprême du Canada. Ces principes concernent, entre autres, la pertinence de l’interprétation textuelle de ces lois ainsi que l’importance d’interpréter les dispositions dans leur contexte, c’est-à-dire eu égard à l’esprit général de la loi. La Cour suprême a aussi expliqué que lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent.
[11] En tenant compte de ces principes d’interprétation, la juge Lamarre a conclu qu’il est clair que les conditions du paragraphe 40(3.3) doivent toutes être réunies pour que s’applique le paragraphe 40(3.4), lequel prévoit qu’une perte est réputée nulle. Or, le paragraphe 40(3.3) prévoit à son alinéa c) qu’à la fin de la période prévue dans le paragraphe, le cédant (en l’espèce, Cascades) ou une personne affiliée à lui doit être propriétaire du bien de remplacement (en l’espèce, les actions de PII). Par conséquent, en ne regardant que les paragraphes 40(3.3) et (3.4), la perte de Cascades ne peut être réputée nulle puisqu’à la fin de la période en question, aucune entité ne détenait les actions de PII, compte tenu du fait que PII avait été fusionnée avec la société et n’existait plus.
[12] Le ministre avait toutefois prétendu que le paragraphe 40(3.5), et en particulier son alinéa c), venait précisément lui permettre de réputer la perte nulle, puisque cet alinéa prévoit que la société issue de la fusion (en l’espèce, PII Fusionco) est réputée être propriétaire de l’action tant qu’elle est affiliée au cédant. Toutefois, en analysant l’application du paragraphe 40(3.5), la juge a conclu que ce paragraphe s’appliquait seulement si les paragraphes 40(3.3) et (3.4) s’appliquaient déjà, puisque l’alinéa 40(3.5)c) en question édicte que « lorsque les paragraphes 40(3.3) et (3.4) s’appliquent à la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et que, après cette disposition, la société est fusionnée avec une ou plusieurs autres sociétés [...] la société issue de la fusion [...] est réputée être propriétaire de l’action tant qu’elle est affiliée au cédant » [Je souligne]. Par conséquent, puisque les conditions du paragraphe 40(3.3) n’étaient pas toutes remplies, et donc puisque le paragraphe 40(3.4) ne s’appliquait pas non plus, l’alinéa 40(3.5)c) ne trouvait pas application en l’espèce et ne pouvait permettre au ministre de réputer la perte nulle.
[13] Dans son analyse du paragraphe 40(3.5), la juge a expliqué que si le législateur avait voulu dire ce que prétendait le ministre, il aurait pu s’exprimer plus clairement, en prévoyant par exemple à l’alinéa c) des termes comme les suivants : « lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) [visent ou concernent] la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société… ». La juge a plutôt interprété l’alinéa 40(3.5)c) comme indiquant que le cédant peut réclamer sa perte s’il y a eu fusion après la période de 61 jours (laquelle est la période mentionnée dans le paragraphe 40(3.3)), car autrement il aurait perdu le droit à sa perte.
[14] Par ailleurs, la juge s’est dite d’avis que la règle sur la minimisation des pertes, que l’on retrouve au paragraphe 40(3.4), ne vise pas nécessairement le cas actuel. Alors que cette règle est une mesure spécifique anti-évitement visant à empêcher un contribuable de reconnaître immédiatement une perte en capital latente sur une immobilisation non amortissable, la restructuration proposée par Cascades n’a pas été faite dans ce but, selon la juge.
Les prétentions de l’appelante
[15] L’appelante prétend que la juge a commis des erreurs de droit dans son interprétation des paragraphes 40(3.3), (3.4) et (3.5) de la Loi, en concluant que la présomption de l’alinéa 40(3.5)c) a été instaurée pour permettre la reconnaissance éventuelle de la perte dans le cas de fusion après la période prévue à l’alinéa 40(3.3)b); en tenant compte de l’intention de Cascades dans son analyse des dispositions en cause; et en concluant qu’on ne peut invoquer la présomption qui se trouve à l’alinéa 40(3.5)c) pour déterminer si les paragraphes 40(3.3) et (3.4) s’appliquent.
[16] L’appelante explique que le paragraphe 40(3.4) est une des règles dans la Loi sur la minimisation des pertes, lesquelles visent principalement à limiter la réalisation de pertes entre personnes affiliées. L’appelante soutient que l’alinéa 40(3.5)c) assure que la règle de report de pertes contenue au paragraphe (3.4) s’applique même si l’action dont on a disposé disparaît suite à une fusion. Sans la présomption de l’alinéa 40(3.5)c), la fusion permettrait au cédant de reconnaître la perte alors que celle-ci est toujours à l’intérieur du groupe apparenté. Selon l’appelante, il est clair que les paragraphes 40(3.3) et (3.4) ne doivent pas d’abord avoir trouvé application avant que la présomption de l’alinéa 40(3.5)c) puisse être invoquée. De fait, l’expression « s’appliquent » dans l’alinéa 40(3.5)c) fait référence à la portée des paragraphes (3.3) et (3.4) et non à leur mise en application; cette expression a donc le sens ordinaire et clair de « sont applicables à », « concernent », ou « visent ». Cette interprétation est aussi la plus conforme avec la partie introductive du paragraphe 40(3.5), qui édicte que « les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre des paragraphes (3.3) et (3.4) ».
Les prétentions de l’intimée
[17] L’intimée soutient que le texte de l’alinéa 40(3.5)c) est clair : il stipule que la mise en application de la présomption de l’alinéa 40(3.5)c) ne survient que lorsque les conditions prévues
au paragraphe 40(3.3) sont remplies. Le contexte et l’objet de l’alinéa 40(3.5)c) doit donc s’interpréter en tenant compte de la règle du « 30 jours avant, 30 jours après » prévue au paragraphe 40(3.3) et qui a pour effet de créer une distinction quant au traitement fiscal entre les événements ou transactions survenant à l’intérieur de cette période et ceux survenant après. L’intimée prétend aussi que les notes techniques publiées par le ministère des Finances indiquent sans ambiguïté que pour donner lieu à l’application des dispositions du paragraphe 40(3.4) et pour réputer une perte nulle, les trois conditions du paragraphe 40(3.3) doivent être présentes.
Question en litige
[18] La question en l’espèce est de savoir si la juge Lamarre a erré en concluant que l’intimée avait le droit de déclarer la perte, et plus particulièrement, si elle a erré dans son interprétation des paragraphes 40(3.3), 40(3.4) et 40(3.5) de la Loi.
Analyse
A. La norme de contrôle applicable :
[19] Même si les parties n’ont pas soumis d’arguments sur la norme de contrôle, je suis satisfait, compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans Housen v. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte, puisque la seule question en litige en est une de droit, à savoir l’interprétation des paragraphes 40(3.3), 40(3.4) et 40(3.5) de la Loi.
B. Les principes d’interprétation :
[20] Les principes qui doivent nous guider relativement à l’interprétation des lois fiscales sont maintenant bien connus en raison de plusieurs décisions récentes de la Cour suprême du Canada.
[21] Dans Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, [2006] 2 R.C.S. 447 au para 27, la Cour suprême nous enseignait que l’interprétation textuelle des lois fiscales demeurait pertinente, même s’il fallait interpréter ces dispositions dans leur contexte, c’est-à-dire eu égard à l’esprit général de la Loi, comme l’exige la méthode moderne d’interprétation législative. Plus particulièrement, dans Hypothèques Trustco Canada c. R., [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour suprême s’exprimait comme suit au paragraphe 10 des motifs écrits par la juge-en-chef et le juge Major :
10. Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.
[Je souligne]
[22] Dans Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, la Cour suprême entérinait les propos des juges McLachlin et Major prononcés dans Hypothèques Trusco Canada, précité, dans les termes suivants aux paragraphes 22 et 23 des motifs du juge LeBel :
22. Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada, par. 10. De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. » La juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».
23. Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation. Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer. La mention de l’objet de la disposition [traduction] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5e éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622. Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.
[Je souligne]
[23] Par conséquent, comme je l’affirmais dans Les Papiers Scott Limitée c. Sa Majesté la Reine, 2006 CAF 372; (2006), 355 N.R. 387 au paragraphe 45, relativement à l’article 68 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 :
[45] … bien que l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique soit appropriée pour interpréter l’article 68, si le libellé de la disposition est « précis et non équivoque », le sens ordinaire des mots aura beaucoup de poids pour l’interprétation de la disposition. Cependant, si le libellé de l’article 68 peut avoir plus d’un sens raisonnable, le sens ordinaire des mots aura moins de poids.
C. La juge Lamarre a-t-elle erré en concluant que l’intimée avait le droit de déclarer la perte?
[24] Ces principes à l’esprit, je passe maintenant à l’interprétation des paragraphes 40(3.3), (3.4) et (3.5) de la Loi.
[25] Le paragraphe 40(3.4) prévoit que la perte du cédant résultant d’une disposition est réputée nulle si les conditions du paragraphe 40(3.3) sont remplies, soit les trois suivantes : la société, c’est-à-dire le cédant, dispose d’une immobilisation non amortissable, en l’espèce des actions (alinéa 40(3.3)a)); le cédant ou une personne qui lui est affiliée acquiert le même bien ou un bien identique au cours de la période qui commence 30 jours avant la disposition et se termine 30 jours après la disposition (alinéa 40(3.3)b)); et le cédant ou une personne affiliée à lui est le propriétaire du bien à la fin de cette période (alinéa 40(3.3)c)). Les parties sont d’accord que les deux premières conditions prévues aux alinéas 40(3.3)a) et b) sont remplies. Quant à la troisième condition, prévue à l’alinéa 40(3.3)c), elle n’est pas au premier abord remplie puisque ni le cédant ni une personne affiliée à lui n’était propriétaire des actions en cause à la fin de la période en question. Tel est le cas puisque ces actions, i.e. celles de PII, n’existent plus car PII a été fusionnée avec une autre compagnie et donc n’existe plus.
[26] Si l’analyse s’arrêtait là, il serait donc possible pour Cascades de déclarer sa perte en capital, les trois conditions du paragraphe 40(3.3) n’ayant pas été remplies pour permettre au ministre de réputer la perte nulle, en application du paragraphe 40(3.4). Toutefois, il faut interpréter les paragraphes 40(3.3) et (3.4) en tenant compte du paragraphe 40(3.5), lequel prévoit, dans son préambule, que les « présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre des paragraphes (3.3) et (3.4) ». Le paragraphe 40(3.5) prévoit quatre présomptions aux alinéas a) à d). En l’espèce, c’est l’alinéa c) qui est en cause; il prévoit ce qui suit, et je le reproduis à nouveau par souci de commodité :
40. (3.5) Les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre des paragraphes (3.3) et (3.4) : […] c) lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent à la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et que, après cette disposition, la société est fusionnée avec une ou plusieurs autres sociétés en dehors du cadre d’une opération relativement à laquelle l’alinéa b) s’applique à l’action ou fait l’objet d’une liquidation à laquelle s’applique le paragraphe 88(1), la société issue de la fusion ou la société mère, au sens de ce paragraphe, est réputée être propriétaire de l’action tant qu’elle est affiliée au cédant.
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40. (3.5) For the purposes of subsections 40(3.3) and 40(3.4), … (c) where subsections 40(3.3) and 40(3.4) apply to the disposition by a transferor of a share of the capital stock of a corporation, and after the disposition the corporation is merged with one or more other corporations, otherwise than in a transaction in respect of which paragraph 40(3.5)(b) applies to the share, or is wound up in a winding-up to which subsection 88(1) applies, the corporation formed on the merger or the parent (within the meaning assigned by subsection 88(1)), as the case may be, is deemed to own the share while it is affiliated with the transferor;
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[27] La juge Lamarre a conclu qu’en raison de l’expression « lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent » que l’on retrouve à l’alinéa 40(3.5)c), les trois conditions du paragraphe 40(3.3) devaient être remplies avant que puisse s’appliquer l’alinéa 40(3.5)c). Avec respect, je crois que la juge a mal interprété le texte de l’alinéa 40(3.5)c). À mon avis, cet alinéa ne requiert nullement que les trois conditions du paragraphe 40(3.3) soient remplies avant que la présomption qui s’y trouve puisse s’appliquer. Si l’intention du législateur était de donner à l’alinéa 40(3.5)c) le sens que lui donne la juge, l’alinéa aurait pu être rédigé comme suit, avec notamment une virgule : « lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent, et qu’il y a disposition par un cédant d’une action […]. »
[28] Mon interprétation de l’alinéa 40(3.5)c) est conforme au préambule du paragraphe 40(3.5), qui prévoit que « les présomptions suivantes s’appliquent dans le cadre des paragraphes (3.3) et (3.4) ». Suivant ce préambule, seuls les alinéas c) et d) commencent par les mots « lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent ». Par conséquent, il faut comprendre que les quatre alinéas du paragraphe (3.5) contiennent des présomptions qui s’appliquent, comme le préambule l’énonce, dans le cadre d’une analyse des paragraphes (3.3) et (3.4), mais que les alinéas c) et d) donnent des précisions supplémentaires : ces alinéas trouvent application seulement lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) « s’appliquent à » une situation particulière, à savoir lorsqu’il y a une disposition d’actions du capital-actions d’une société et qu’après cette disposition (dans le cas de l’alinéa c)), la société est fusionnée avec une ou d’autres sociétés.
[29] À mon avis, les mots « s’appliquent à » ont le sens que donne Le Nouveau Petit Robert, 2004 au verbe « s’appliquer » : être « applicable à », « concerner », ou « viser ». Par conséquent, la présomption énoncée à l’alinéa 40(3.5)c) trouve application lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) « visent », « concernent », ou « sont applicables à » la situation décrite dans l’alinéa 40(3.5)c).
[30] Une lecture du texte anglais de l’alinéa 40(3.5)c) me mène à la même conclusion. D’après le Oxford Compact Thesaurus, 2005, le terme « apply » a le sens des mots suivants : « pertain », « relate », « concern », « deal with ». Il faut donc comprendre que la présomption contenue à l’alinéa 40(3.5)c) trouve application lorsque les paragraphes (3.3) et (3.4) « pertain to », « relate to », « concern », ou « deal with » le cas décrit dans l’alinéa 40(3.5)c).
[31] Sans cette interprétation des mots « s’appliquent à », la partie introductive des alinéas 40(3.5)c) et d) serait redondante, compte tenu du préambule du paragraphe 40(3.5). En ce qui concerne l’alinéa 40(3.5)c), il prévoit donc une présomption qui s’applique non seulement dans le cadre d’une analyse des paragraphes (3.3) et (3.4), mais spécifiquement dans le cadre d’une analyse de ces paragraphes lorsqu’il y a disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et qu’après cette disposition, la société est fusionnée.
[32] Une lecture des autres alinéas du paragraphe 40(3.5), et en particulier des alinéas a) et b), me confirme d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire que les paragraphes (3.3) et (3.4) aient déjà trouvé application avant de pouvoir invoquer les présomptions du paragraphe (3.5). En effet, il est nécessaire de consulter les alinéas 40(3.5)a) et b) pour comprendre la signification d’un « bien identique », une expression qui est mentionnée mais non définie à l’alinéa 40(3.3)b). Les alinéas 40(3.5)a) et b) indiquent que le droit d’acquérir un bien est réputé être un bien qui est identique au bien lui-même, d’une part, et qu’une action d’une société qui est acquise en échange d’une autre action est réputée être un bien identique à l’autre action, d’autre part.
[33] Par conséquent, il est clair que le paragraphe 40(3.5) permet de mieux interpréter la portée des paragraphes (3.3) et (3.4). Les conditions qui doivent être remplies pour que l’alinéa (3.5)c) s’applique sont la disposition par un cédant d’une action du capital-actions d’une société et, suite à cette disposition, le fusionnement de la société avec une ou plusieurs autres sociétés. Si ces conditions sont présentes, la présomption s’applique : en analysant les paragraphes (3.3) et (3.4), il faut considérer que la société issue de la fusion est réputée être propriétaire de l’action tant qu’elle est affiliée au cédant.
[34] En l’espèce, une interprétation textuelle des paragraphes 40(3.3), (3.4) et (3.5) mène donc à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire que les conditions prévues aux alinéas 40(3.3)a) et b) soient toutes remplies et, par conséquent, que les paragraphes (3.3) et (3.4) s’appliquent avant que le paragraphe (3.5) puisse trouver application. D’autre part, si l’on considère l’esprit général de la Loi et des dispositions en question, il faut considérer que celles-ci établissent une règle sur la minimisation des pertes. Comme le souligne Gerald D. Courage dans son article Utilization of Tax Losses and Debt Restructuring, 2006 Ontario Tax Conference, (Toronto; Canadian Tax Foundation, 2006), 9 :1-86, à la page 2 :
… the Act contains a number of so called “stop-loss rules” where there has been a transfer of property with an accrued loss within a statutorily defined closely held group. While the transfer might otherwise be treated as a sufficient realization so as to permit recognition of the loss, nevertheless the loss is denied until the property (or, in some cases, property received in exchange on the transfer) is transferred out of the group, at which point there is effectively a “true” realization by the group of the loss for tax purposes.
[35] Comme le suggère l’appelante dans son mémoire des faits et du droit, la décision de la juge mène à un résultat illogique : dans les cas où il y a, comme en l’espèce, une disposition d’actions suivie d’une fusion durant la période qui se termine 30 jours après la disposition, la règle ne s’appliquerait pas et les contribuables pourraient déduire leur perte pour l’année de la disposition, même si celle-ci n’a pas véritablement été réalisée par le groupe de sociétés affiliées. Cependant, dans les cas où la fusion a lieu à la suite de la période se terminant 30 jours après la disposition, le paragraphe 40(3.4) s’appliquerait et la perte serait réputée nulle jusqu’à ce qu’elle soit véritablement réalisée par le groupe de sociétés affiliées.
[36] Pour ces motifs, je conclus donc que la présomption prévue au paragraphe 40(3.5)c) trouve application et, par conséquent, que la troisième condition du paragraphe 40(3.3), soit celle qui est stipulée à l’alinéa 40(3.3)c), est remplie : à la fin de la période prévue à l’alinéa 40(3.3)b), PII Fusionco, qui est une société affiliée à Cascades, est réputée être propriétaire des actions de PII, malgré le fait que PII a été fusionnée et n’existe plus. Le paragraphe 40(3.4) trouve donc application, par l’effet du paragraphe 40(3.3), et la perte de Cascades résultant de la disposition des actions de PII est réputée nulle.
[37] Enfin, je ne puis que conclure que la juge a erré en considérant l’intention de Cascades dans son analyse des dispositions en cause. De fait, la juge a indiqué au paragraphe 36 de ses motifs que la restructuration proposée par Cascades n’avait pas été faite dans l’intention de réaliser une perte de façon prématurée. La juge explique au paragraphe 34 de ses motifs que la restructuration était destinée à assurer à Cascades une meilleure valorisation des marchés financiers et à soutenir sa croissance future. Or, comme le souligne l’appelante, l’intention de Cascades n’est pas pertinente dans le cadre d’une analyse des paragraphes 40(3.3), (3.4) et (3.5). La règle sur la minimisation des pertes contenue dans ces paragraphes ne comporte aucun critère d’intention. Si les conditions du paragraphe 40(3.3) sont remplies, la règle doit s’appliquer, peu importe l’intention du contribuable.
Disposition
[38] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt, et rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais avec dépens l’appel de l’intimée déposé à l’encontre de la détermination de perte effectuée par le ministre qui réduisait de 15 941 608 $ les pertes en capital déclarées par l’intimée au cours de l’année d’imposition 2000.
« Je suis d’accord.
Pierre Blais j.c.a. »
« Je suis d’accord.
J.D. Denis Pelletier j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-8-08
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE c. CASCADES INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 novembre 2008
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE NADON
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE BLAIS
LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : Le 30 avril 2009
COMPARUTIONS :
POUR L’APPELANTE
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POUR L’INTIMÉE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
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POUR L’APPELANTE
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Montréal (Québec) |
POUR L’INTIMÉE
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