ENTRE :
INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA
et
Requête écrite décidée sans comparution des parties.
Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2009.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE TRUDEL
Dossier : A-229-09
Référence : 2009 CAF 256
Présent : LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA
demandeur
et
GUY VEILLETTE
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] L’institut professionnel de la fonction publique du Canada (Institut) est un agent négociateur accrédité en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui compte environ 57 000 membres (affidavit Edward Gillis, dossier de requête du demandeur, page 30).
[2] Monsieur Veillette, un fonctionnaire fédéral, a occupé diverses fonctions syndicales auprès de l’Institut de 1999 jusqu’en janvier 2007. C’est alors que le conseil d’administration de l’Institut lui a imposé une sanction disciplinaire suite à une altercation physique survenue avec un autre délégué. Ainsi, monsieur Veillette a été suspendu de ses fonctions syndicales pour une période de 2 ans, laquelle se terminait le 15 janvier 2009.
[3] Saisie de la plainte de monsieur Veillette, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (Commission) a ordonné, par une décision du 7 mai 2009, la réintégration de celui-là « dans son statut de délégué syndical et [dans] les fonctions syndicales qu’il occupait au moment de sa suspension » (ordonnance de la Commission, dossier de requête du demandeur, page 28).
[4] La Commission a conclu, entre autres, que le processus disciplinaire menant à la suspension et la suspension imposée au défendeur ne respectaient pas les principes de justice naturelle.
[5] De plus, l’auteure des motifs de la Commission a spécifié qu’elle demeurait « saisie de cette affaire pour une période de 45 jours afin de trancher toute question découlant de son exécution ».
[6] L’Institut a demandé le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission [2009 CRTFP 58; 561-34-153]. Dans le cadre de cette demande, l’Institut présente une requête visant :
1. L’obtention d’une ordonnance de suspension des procédures devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada (la Commission);
2. L’obtention d’une ordonnance de suspension de la décision 2009 CRTFP 58 rendue le 7 mai 2009 jusqu’à ce que cette Cour se soit prononcée sur la demande de contrôle judiciaire de cette décision;
3. Toute autre ordonnance que le requérant jugera appropriée et que cette Cour pourra ordonner.
[7] Afin de mieux comprendre le litige qui oppose les parties, il faut ajouter qu’à l’échéance des deux années de suspension (15 janvier 2009) qui lui ont été imposées, le défendeur a été de nouveau suspendu pour une période non définie, de tous postes élus ou nommés à l’Institut, « à titre de mesure administrative et non disciplinaire » jusqu’à ce que les procédures de son dossier à la Commission soient terminées. Cette seconde suspension, annoncée le 27 janvier 2009, a donné lieu à une nouvelle plainte auprès de la Commission qui a tranché en faveur du défendeur, non pas en ordonnant sa réintégration comme délégué syndical, mais en ordonnant au demandeur d’amender sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi (2009 CRTFP 64, 29 mai 2009).
[8] Dans son argumentation écrite, le défendeur réfère à un second dossier d’appel portant le numéro A-266-09. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de cette seconde décision de la Commission présentée par l’Institut. Pour les fins du sursis demandé, ce dossier n’est pas devant la soussignée.
[9] Revenant donc au dossier sous étude, le sursis d’ordonnance ne sera accordé que si le demandeur relève le fardeau qui est le sien en respectant le critère en trois étapes établi dans l’affaire R.J.R. - Macdonald inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.
[10] Ce critère à trois volets requiert que le demandeur démontre :
1. qu’il y a une question sérieuse à juger;
2. qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé;
3. que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.
[11] Le demandeur doit satisfaire à chacun des volets du critère et l’analyse doit se dérouler dans l’ordre prévu.
1) La question sérieuse à débattre
[12] Ce critère est peu exigeant. Sans exprimer d’opinion sur le bien-fondé de la demande, j’accepte l’argument du demandeur que la relation entre la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, c.22, art. 2 plus particulièrement son paragraphe 188c) portant sur les pratiques déloyales par les organisations syndicales et la capacité de l’Institut de s’autoréglementer en matière disciplinaire est une question sérieuse, laquelle importe pour l’Institut et l’ensemble des associations de salariés assujetties à la loi précitée.
2) Le préjudice irréparable
[13] Le deuxième volet du critère est celui du préjudice irréparable. Le demandeur doit donc me convaincre, selon la balance des probabilités, que la réintégration du défendeur donnera lieu à un préjudice irréparable. Le préjudice présumé ne peut pas être spéculatif ni hypothétique (Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, paragraphe 12.
[14] Dans son argumentation écrite, le demandeur plaide ainsi :
8. En réintégrant l’intimé Veillette dans ses fonctions syndicales, la Commission a créé une situation telle qu’aucune mesure de réparation ne pourra compenser le demandeur pour le préjudice subi, soit celui de devoir écarter d’une fonction de direction syndicale un membre qui a été régulièrement désigné en fonction des règles applicables à la dotation de ces fonctions syndicales qui doivent normalement être soumises au choix des membres ou de la direction du syndicat;
9. Il s’agit d’un préjudice réel qui ne peut être évité et qui ne pourra faire l’objet d’une réparation si la Cour annule la décision de la Commission ou si elle annule l’ordonnance de réintégration;
Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Canadian Airport Workers Union 2009 CAF 44 paragraphe 29.
10. Il ne relève pas des tribunaux juridictionnels ou judiciaires de déterminer qui doit assumer un mandat de représentation, ce choix revenant exclusivement aux personnes habiles à voter sur cette question;
11. L’ordonnance dirigée contre le demandeur et son président devra les amener à démettre de leurs fonctions les officiers syndicaux qui ont été régulièrement élus ou nommés à ces fonctions;
12. Dépouiller une personne élue du mandat qui lui a été donné en conformité avec les règles démocratiquement adoptées par l’assemblée générale annuelle (AGA) des membres qui est l’instance suprême du requérant, constitue un geste contraire au principe même de la démocratie par délégation qui ne peut être compensé si la décision ayant forcé ce dépouillement est annulée;
13. Tolérer une telle immixtion dans la conduite des affaires du requérant constitue une usurpation du pouvoir des membres à désigner leurs dirigeants. A cet égard, il s’agit d’un préjudice à l’intérêt public qu’aucune réparation monétaire ne saurait compenser.
[15] Ainsi, l’Institut plaide, sans plus de détails, que l’éviction des titulaires des postes qu’occupait monsieur Veillette constitue un préjudice irréparable. Étonnamment, cet argument ne correspond pas aux déclarations du secrétaire exécutif de l’Institut qui a signé l’affidavit au soutien de la requête sous étude. En effet, selon ce dernier, la réintégration de monsieur Veillette irait à l’encontre des statuts et règlements de l’Institut puisqu’il y aurait alors deux titulaires aux postes qu’il occupait : la personne élue ou nommée à chacun des postes et monsieur Veillette.
[16] Quel que soit l’angle sous lequel le préjudice irréparable est envisagé (l’éviction des titulaires en poste ou le non respect des statuts de l’Institut), je suis d’avis que l’Institut n’a pas fait la preuve d’un préjudice irréparable.
[17] Le préjudice allégué de manière très générale n’est rien de plus que la conséquence usuelle d’une ordonnance de réintégration.
[18] Par ailleurs, le demandeur invite aussi la Cour à prendre en compte, à cette étape, l’intérêt public des membres généraux de l’Institut.
[19] Il me semble plus approprié d’en tenir compte à la troisième étape de l’analyse. Ceci dit, à tout événement, l’exercice de démocratie syndicale qui avait mené au choix du défendeur est tout aussi important que l’exercice subséquent qui a mené au choix de ses remplaçants. Dans le présent contexte, il n’y a pas lieu d’en préférer l’un par rapport à l’autre en lui accordant une importance accrue. Selon l’affidavit précité, les postes qu’occupait le défendeur en 2007, et auxquels d’autres titulaires ont accédés, constituent des mandats de deux ou trois ans. Les membres à la base seront donc appelés à nouveau à exercer leur droit.
[20] Puisque j’en viens à la conclusion que l’Institut n’a pas fait la preuve d’un préjudice irréparable, il n’y a pas lieu de discuter du troisième volet, soit de la balance des inconvénients.
[21] La demande de sursis sera rejetée sans frais.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-229-09
INTITULÉ : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Guy Veillette
REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LA JUGE TRUDEL
DATE DES MOTIFS : Le 3 septembre 2009
OBSERVATIONS ÉCRITES :
POUR LE DEMANDEUR
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SE REPRÉSENTE LUI-MÊME
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
POUR LE DEMANDEUR
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