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Date : 20090408

Dossier : A-7-08

Référence : 2009 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ALEXANDRE DUBÉ

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec) le 20 novembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 8 avril, 2009.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

MOTIFS CONCOURANTS :                                                                   LE JUGE PELLETIER

Y A SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE BLAIS

 


Date : 20090408

Dossier : A-7-08

Référence : 2009 CAF 109

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

ALEXANDRE DUBÉ

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision du juge Angers de la Cour canadienne de l’impôt, 2007CCI1393, en date du 6 décembre 2007, rejetant l’appel d’Alexandre Dubé (« l’appelant ») des cotisations établies par le ministre du Revenu national(le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1 (la « Loi de l’impôt ») concernant ses années d’imposition 1997 à 2002 inclusivement.

 

[2]               L’appel soulève la question de savoir si les revenus de placement de l’appelant, un Indien en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, c. I-5 (la « Loi sur les Indiens »), sont situés sur une réserve, et par conséquent sont exonérés d’impôt, en vertu de l’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt et de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

Les faits

[3]               Le résumé suivant des faits est nécessaire afin de bien situer le débat soulevé par l’appel.

 

[4]               L’appelant, qui est membre de la bande autochtone d’Obedjiwan depuis sa naissance, utilise les services de la Caisse populaire Desjardins de Pointe-Bleue (la « Caisse »), située dans la réserve de Mashteuiatsh. Il n’y a aucune institution financière située dans la réserve d’Obedjiwan, qui est située à approximativement 300 kilomètres de celle de Mashteuiatsch.

 

[5]               Les membres de la Caisse sont vraisemblablement en majeure partie des autochtones. La Caisse a trois principales sources de revenus. Premièrement, 25% des dépôts des membres de la caisse sont placés auprès de la Fédération des caisses populaires Desjardins (la « Fédération »), qui fait des placements dans des fonds d’investissement et des fonds de liquidité qui sont, à leur tour, investis dans le marché ordinaire hors de la réserve. Deuxièmement, le restant des dépôts, soit 75% du total, est prêté aux membres de la caisse résidant dans la réserve et hors réserve. Finalement, la Caisse reçoit des revenus engendrés par les produits accessoires, tels que les frais d’administration, les frais de courtier et autres.

 

[6]               L’appelant considère qu’il est un résident de la réserve d’Obedjiwan, même si, durant quelques années, il a été propriétaire d’une résidence à St-Félicien et, par la suite, à Roberval. Il a fait l’acquisition de ces maisons principalement afin de permettre à ses enfants de fréquenter les écoles de St-Félicien. Son épouse et deux de ses enfants ont habité ces maisons durant la période scolaire, soit pendant 10 mois de l’année, et l’appelant a reconnu y être demeuré aussi, même s’il aurait précisé qu’il retournait à Obedjiwan presque toutes les fins de semaine.

 

[7]               L’appelant a utilisé les services de la Caisse pour ses fins personnelles et pour les fins de son entreprise, par laquelle il offre des services de transport, notamment de la réserve d’Obedjiwan à Roberval, pour des résidents de la réserve ayant besoin de soins médicaux. Il n’est pourtant pas certain que ce sont les revenus d’entreprise de l’appelant qui ont servi de fonds pour générer les revenus de placement, puisque l’appelant n’a pas pu clairement identifier la provenance des fonds en question, à la satisfaction du juge de première instance.

 

[8]               Le ministre a établi des cotisations et nouvelles cotisations pour les années 1997 à 2002. Pour les années 1997 à 1999, le ministre a ajouté les revenus de placement provenant de la Caisse dans le calcul des revenus imposables de l’appelant. Pour les années 2000, 2001 et 2002, l’appelant a inclus ses revenus de placement de la Caisse dans ses déclarations mais il a demandé la déduction de ces montants. Le ministre a toutefois refusé la déduction. Le ministre a aussi imposé une pénalité pour production tardive pour les années d’imposition 1997, 1998, 2000 et 2001. La pénalité imposée est, respectivement, de 7%, 8%, 10% et 6% sur l’impôt payable pour chacune des années d’imposition.

 

[9]               Les revenus de placement de l’appelant pour chacune des années d’imposition en question sont de 19 956$ pour l’année 1997, de 12 115$ pour l’année 1998, de 73 210$ pour l’année 1999, de 82 303$ pour l’année 2000, de 80 116$ pour l’année 2001 et de 49 530$ pour l’année 2002.

 

[10]           L’appelant a porté ces cotisations en appel à la Cour canadienne de l’impôt.

 

La décision du juge Angers

[11]           De prime abord, le juge Angers a observé que l’application de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, qui donne lieu à une exemption d’impôt, exige la présence de trois éléments, soit le fait d’être un Indien au sens de la Loi sur les Indiens, le fait d’avoir en sa possession un bien meuble et le fait que ce bien meuble soit situé dans une réserve. Le juge a noté qu’il était admis en l’espèce que l’appelant était un Indien et que le revenu de placement était un bien meuble. Par conséquent, la question en litige était de savoir si les revenus de placement étaient bel et bien situés dans une réserve.

 

[12]           Pour répondre à cette question, le juge a examiné attentivement les principes juridiques provenant de la jurisprudence, et en particulier des décisions Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877 (« Williams ») et Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85 (« Mitchell ») de la Cour suprême et de la décision de cette Cour dans Recalma c. Canada, (1998) 98 D.T.C. 6238 (« Recalma »).

 

[13]           Le juge Angers a souligné que dans Recalma, précité, cette Cour a repris les principes énoncés dans l’arrêt Williams, précité, et a identifié quatre facteurs de rattachement à considérer dans la détermination du situs d’un revenu de placement : (1) le lien du revenu de placement avec la réserve; (2) l’effet bénéfique du revenu de placement sur le mode de vie traditionnel des autochtones; (3) le risque potentiel d’une atteinte aux biens des autochtones; et (4) la mesure dans laquelle le revenu de placement peut être considéré comme provenant d’une activité du marché ordinaire. Selon le juge Angers, le dernier de ces quatre critères était toutefois le plus important en l’espèce.

 

[14]           En se fondant sur une analyse des facteurs de rattachement, le juge a trouvé qu’il y avait bien plusieurs liens entre les revenus de placement et la réserve. En outre, la réserve était le lieu de résidence de l’appelant, la source du capital, l’emplacement de la Caisse, l’endroit ou au moins une bonne partie du revenu de placement a été utilisé, l’emplacement du véhicule de placement, et l’endroit où le revenu de placement a été versé. Toutefois, le juge a conclu qu’il s’agissait de facteurs de moindre importance dans la détermination du situs d’un revenu de placement, et que l’accent devait plutôt être mis sur la manière dont ce revenu a été gagné. En l’espèce, le juge a conclu que les activités génératrices de revenu provenaient d’une activité du marché ordinaire et qu’elles n’étaient pas étroitement liées à la réserve. Par conséquent, les revenus de placement n’étaient pas exonérés d’impôt.

 

Les prétentions des parties

A.        Les prétentions de l’appelant :

[15]           L’appelant conteste la décision du juge Angers, premièrement, au motif que le juge a commis une erreur quant à l’appréciation de certains faits : entre autres, l’appelant soumet que sa résidence de St-Félicien ou de Roberval n’était qu’une résidence secondaire, qu’il n’y a aucune preuve que ses revenus proviennent d’autre part que de son entreprise, et que la Caisse est impliquée dans le développement économique autochtone.

 

[16]           En deuxième lieu, l’appelant soutient que le juge a erré dans son appréciation des facteurs de rattachement en accordant une importance démesurée au critère de l’emplacement des montants ayant servi à payer les revenus de placement. Selon l’appelant, l’arrêt Recalma, précité, suggère la possibilité que des fonds investis dans une institution bancaire située sur une réserve soient exempts d’impôt si les fonds sont utilisés exclusivement ou principalement pour effectuer des prêts à des autochtones dans la réserve. Or, l’appelant prétend qu’en l’espèce les prêts de la Caisse étaient principalement consentis à des autochtones dans la réserve. L’appelant prétend, par ailleurs, que la présente affaire doit être distinguée de l’affaire Lewin c. Canada, 2002 CAF 461 (« Lewin »).

 

[17]           Troisièmement, l’appelant prétend que le juge a erré en omettant d’apprécier le risque d’atteinte aux biens des autochtones par l’imposition des revenus de placement, et en omettant de considérer adéquatement les effets bénéfiques des revenus de placement sur le mode de vie traditionnel autochtone.

 

[18]           Enfin, l’appelant soutient que son compte bancaire est clairement situé sur une réserve, et que le juge a erré en faisant une distinction entre le capital, qui ne serait pas menacé par l’imposition en question, et les fruits de ce capital.

 

B.        Les prétentions de l’intimée :

[19]           L’intimée soutient que cette Cour s’est déjà penchée à plusieurs reprises sur la question des facteurs de rattachement, et qu’il n’y a pas lieu dans cette affaire de reconsidérer la méthode pour identifier le situs d’un revenu de placement, dans le cadre de l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[20]           Selon l’intimée, la décision du juge Angers est conforme aux principes élaborés par la jurisprudence. En particulier, l’intimée prétend qu’il n’y a pas de distinction importante entre cette affaire et l’affaire Lewin, précitée, laquelle concernait les revenus d’intérêts tirés de certificats de dépôt auprès du même établissement en cause, soit la Caisse populaire du Village Huron.

 

Question en litige

[21]           Il est incontesté dans la présente affaire que l’appelant est un Indien et que les revenus de placement sont un bien meuble. L’appel soulève donc une seule question, qui est de savoir si le juge Angers a commis une erreur en concluant que les revenus de placement de l’appelant ne sont pas des biens « situés une réserve » et que par conséquent, ils ne sont pas exonérés d’impôt.

 

Analyse

A. Dispositions législatives :

[22]           L’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt prévoit qu’une somme exonérée d’impôt par une autre loi fédérale n’est pas incluse dans le calcul du revenu d’un contribuable :

81. (1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

a) une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de la loi au Canada.

 

81. (1) There shall not be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

(a) an amount that is declared to be exempt from income tax by any other enactment of Parliament, other than an amount received or receivable by an individual that is exempt by virtue of a provision contained in a tax convention or agreement with another country that has the force of law in Canada.

 

 

[23]           L’exemption prévue par une autre loi est celle que l’on trouve à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, qui se lit comme suit :

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83, les biens suivants sont exempts de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou de terres cédées;

b) les bien meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2) Nul indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83, the following property is exempt from taxation, namely,

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

 

 

B. Norme de contrôle :

[24]           La décision de la Cour suprême dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, nous apprend que la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle de la décision correcte, et qu’une conclusion de fait ou mixte de fait et de droit du juge de première instance ne peut être infirmée que si le juge a commis une erreur manifeste et dominante.

 

C. Les revenus de placement sont-ils situés sur une réserve indienne?

[25]           À mon avis, le juge Angers a bien fondé son analyse sur les principes juridiques qui ont été développés par la jurisprudence et il n’a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste et dominante. En outre, je ne puis détecter aucune erreur dans l’analyse qu’a faite le juge Angers des facteurs de rattachement élaborés par cette Cour dans l’arrêt Recalma, précité.

 

[26]           Afin de déterminer si les revenus de placement d’un Indien sont situés sur une réserve, il faut d’abord garder à l’esprit l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens et les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Mitchell et Williams, précités.

 

[27]           L’objet visé par l’exonération prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens a été expliqué de la manière suivante par le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell, précité, aux paragraphes 86 à 88 :

     […] Historiquement, les exemptions de taxe et de saisie ont protégé de deux façons la capacité des Indiens de profiter de cette propriété.  Premièrement, elles empêchent qu'un palier de gouvernement, par l'imposition de taxes, puisse porter atteinte à l'intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes.  Deuxièmement, la protection contre les saisies assure que l'exécution de jugements obtenus par des non-Indiens en matière civile ne pourra entraver les Indiens dans la libre jouissance des avantages qu'ils ont acquis ou pourront acquérir conformément à l'exécution par la Couronne de ses obligations prévues par traité.  Dans les faits, ces articles ont protégé les Indiens contre l'imposition d'obligations de nature civile qui pouvaient conduire, quoique indirectement, à l'aliénation de leurs terres à la suite de ventes forcées et par d'autres moyens semblables; voir l'examen par le juge Brennan du but des exemptions de taxe accordées aux Indiens en contexte américain dans l'arrêt Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976), à la p. 391.

 

     En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763.  Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

 

     Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer.  Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens.  Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

 

[Je souligne]

 

 

[28]           Par ailleurs, le juge La Forest a élaboré sur l’obligation qu’a la Couronne de ne pas déposséder les Indiens de leurs biens au paragraphe 112 :

     […] Comme dans le cas des restrictions à l'aliénabilité auxquelles j'ai fait allusion plus tôt, le but de ces articles est d'éviter que les Indiens soient victimes d'opérations peu scrupuleuses de la part de non-Indiens et dépossédés de leurs droits.

[Je souligne]

 

 

[29]           Dans l’arrêt Williams, précité, le juge Gonthier s’est exprimé sur le choix dont jouit un contribuable autochtone quant à la manière d’organiser ses biens personnels, et de les situer sur une réserve ou hors de celle-ci. Au paragraphe 18, il énonce ce qui suit :

En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

 

 

[30]           De plus, au paragraphe 61, le juge Gonthier a expliqué comment déterminer l’emplacement des biens personnels incorporels :

Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants: l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

 

[Je souligne]

 

 

[31]           Par ailleurs, le juge Gonthier a aussi souligné, au paragraphe 35, que chaque affaire doit être jugée selon ses faits particuliers :

De plus, il serait dangereux de soupeser les facteurs de rattachement de manière abstraite, indépendamment de l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens. Un facteur de rattachement n'est pertinent que dans la mesure où il identifie l'emplacement du bien en question aux fins de la Loi sur les Indiens. Dans des catégories particulières de cas, un facteur de rattachement peut donc avoir beaucoup plus de poids qu'un autre. On pourrait facilement perdre cette réalité de vue en soupesant les facteurs de rattachement cas par cas.

 

 

[32]           Ces facteurs de rattachement ont été repris dans Recalma, précité, où cette Cour a reconnu certains critères à considérer dans la détermination du situs d’un revenu de placement. La partie essentielle du raisonnement dans cette affaire a été énoncée au paragraphe 11 par le juge Linden :

[11]      De même, lorsqu'un revenu de placement est en cause, ce revenu doit être considéré en fonction de son lien avec la réserve, de son effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones, du risque potentiel d'une atteinte aux biens des autochtones et de la mesure dans laquelle il peut être considéré comme provenant d'une activité du marché ordinaire. À notre avis, le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à la façon dont le revenu de placement a été produit, comme les tribunaux l'on fait dans les cas mettant en cause un emploi, des prestations d'assurance-chômage et un revenu d'entreprise. Étant un revenu passif, le revenu de placement n'est pas produit par le travail individuel du contribuable. D'une certaine façon, le travail est accompli par l'argent qui est investi partout dans le pays. Le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à des facteurs comme la résidence de l'émetteur des titres, l'endroit où sont exercées les activités génératrices du revenu de l'émetteur, et l'endroit où se trouvent les biens de l'émetteur des titres. Le courtier de ces titres, la succursale locale de la Banque de Montréal, était situé sur la réserve, mais pas les émetteurs des titres; les sociétés qui offraient les acceptations bancaires et les gestionnaires des fonds communs de placement en cause n'avaient aucun lien avec la réserve. Ils se trouvaient dans les sièges sociaux des sociétés dans des villes bien éloignées des réserves. De même, l'activité principale qui génère le revenu des émetteurs est située dans les villes du Canada et partout dans le monde, et non pas dans les réserves. En outre, les biens des émetteurs des titres en question se trouvaient principalement en dehors des réserves ce qui, en cas de défaillance, serait un facteur des plus importants.

 

[Je souligne]

 

 

[33]           L’arrêt Recalma, précité, a été suivi par cette Cour dans Lewin, précité, ainsi que dans Sero c. Canada, 2004 CAF 6 (« Sero »). Recalma est maintenant l’arrêt de principe sur la question de savoir si l’article 87 peut exonérer d’impôt certains revenus de placement (voir Sero au paragraphe 16).

 

[34]           L’appelant tente pourtant de distinguer la jurisprudence pertinente à l’article 87 de la présente affaire. En particulier, il soutient que la décision Lewin, précitée, doit être distinguée. Selon l’appelant, dans cette affaire, plusieurs facteurs de rattachement n’étaient pas présents: entre autres, M. Lewin ne résidait pas dans la réserve, le capital à l’origine du placement avait été constitué par du travail hors réserve, et les intérêts payés à M. Lewin n’avaient pas contribué à la sauvegarde du mode de vie traditionnel des autochtones vivant dans la réserve.

 

[35]           L’état du droit sur la question de l’imposition des revenus de placement d’un Indien est à présent bien établi. Je suis satisfait qu’il n’existe aucune distinction essentielle entre cette affaire et les décisions de cette Cour dans Recalma, Lewin, et Sero, précitées. Les distinctions factuelles que tente d’invoquer l’appelant ne sont, à mon avis, que des distinctions sans substance.

 

[36]           Lorsqu’un Indien invoque l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens pour obtenir une exemption d’impôt sur ses revenus de placement, et que les revenus en question sont générés hors de la réserve, l’exemption ne peut être accordée. Dans un tel contexte, les autres facteurs de rattachement entre les revenus et la réserve ont peu d’importance. En particulier, le simple fait que l’institution financière soit située dans la réserve mérite peu de poids. Ce qui importe est de voir si les revenus de placement, c’est-à-dire les fruits générés par un capital placé dans une institution financière, ont été produits sur le territoire de la réserve ou hors réserve. En d’autres mots, si tous les fonds ou une grande partie des fonds ont été investis dans le marché ordinaire, l’exemption d’impôt prévue dans l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens ne trouve pas application.

 

[37]           Dans l’affaire Recalma, précitée, le juge Linden laisse sous-entendre, au paragraphe 14 de ses motifs, que « le résultat pourrait être différent dans des situations où les fonds investis directement ou par l’entremise de banques dans les réserves sont utilisés exclusivement ou principalement pour consentir des prêts aux autochtones vivant dans les réserves. » Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce et, par conséquent, nous n’avons pas à nous prononcer sur une telle question. Il est important de se rappeler que l’objet de l’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens n’est pas, comme l’a souligné le juge La Forest dans l’arrêt Mitchell, précité, de permettre à un Indien d’acquérir et d’aliéner des biens situés à l’extérieur de la réserve à des meilleures conditions que tout autre Canadien.

 

[38]           Par conséquent, je ne vois aucune erreur dans la décision du juge d’accorder une grande importance au fait que la Caisse populaire Desjardins de Pointe-Bleue investissait ses fonds dans le marché ordinaire.

 

[39]           Par ailleurs, je ne crois pas, contrairement à ce que prétend l’appelant, que le juge a commis d’erreur en faisant une distinction entre le capital investi à la Caisse et les fruits générés par ce capital. En fait, il s’agit là d’une distinction fondamentale qui était au cœur de la question en litige. Le juge était tout à fait justifié de conclure qu’il n’y avait aucun risque d’une atteinte aux biens des autochtones, puisque les revenus de placement avaient été générés par le capital investi à la Caisse et que ce capital lui-même n’était pas menacé.

 

Disposition

[40]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

 

 

 


LE JUGE PELLETIER (MOTIFS CONCOURANTS)

[1]               Je suis d'accord avec les motifs énoncés par mon collègue le juge Nadon, mais j'ajouterais les propos suivants aux siens.

 

[2]               Dans l’affaire Recalma c. Canada (1998), 98 D.T.C. 6238, le juge Linden reconnaît la possibilité que dans certaines circonstances, notamment lorsque « les fonds investis directement ou par l’entremise de banques dans les réserves sont utilisés exclusivement ou principalement pour consentir des prêts aux autochtones vivant dans les réserves », un revenu de placement pourrait être à l’abri de l’imposition. Dans son analyse, ce facteur n’en était qu’un parmi d’autres, mais il y attachait plus d'importance que les autres.

 

[3]               Il fut peut-être un temps où les caisses populaires se distinguaient des autres institutions financières par leurs activités restreintes et le lien commun qui existait entre les membres, mais ce n’est plus le cas. Comme la preuve le démontre dans cette cause, les caisses populaires ne sont plus limitées dans leurs opérations géographiques et financières. Leur appartenance à une centrale fait en sorte qu’elles participent à plein titre dans le marché du capital dans la mesure où leurs besoins de liquidité le permettent ou que leur surplus de fonds l’exige.

 

[4]               D’autre part, le marché du capital, comme le démontrent les événements des mois récents, est un marché global. Bien que les sources du capital mis sur ce marché soient locales, bien que les projets dans lesquels ce capital est investi soient locaux, il n’en reste pas moins que le marché lui-même est global. Un investisseur peut accéder à ce marché à partir de sa localité, mais le point d’entrée ne limite pas en soi le marché dans lequel l’investisseur encaisse ses profits et essuie ses pertes.

 

[5]               Je conclus donc que dans le cas du placement de capital par l’entremise d’une institution financière, y compris une caisse populaire, le facteur primordial dans la détermination du situs du revenu de placement est le caractère du marché du capital lui-même, qui ne se limite pas à une réserve, ou encore à une province ou même à un pays.

 

[6]               Je rejetterais donc l’appel comme le propose mon collègue le juge Nadon.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Pierre Blais j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-7-08

 

INTITULÉ :                                                                           ALEXANDRE DUBÉ c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Québec, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 20 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Nadon

 

MOTIFS CONCOURANTS :                                               Le juge Pelletier

Y A SOUSCRIT:                                                                    Le juge Blais

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 8 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Dallaire, c.r.

POUR L’APPELANT

 

 

Sophie-Lyne Lefebvre

POUR L’INTIMÉÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cain Lamarre Casgrain Wells

Saint-Félicien (Québec)

POUR L’APPELANT

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

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