ENTRE :
et
SANDRA BUSCHAU, SHARON M. PARENT, ALBERT POY, DAVID ALLEN,
EILEEN ANDERSON, CHRISTINE ASH, FREDERICK SCOTT ATKINSON,
JASPAL BADYAL, MARY BALFRY, CAROLYN LOUISE BARRY, RAJ
BHAMBER, EVELYN BISHOP, DEBORAH LOUISE BISSONNETTE, GEORGE
BOSHKO, COLLEEN BURKE, BRIAN CARROLL, LYNN CASSIDY, FLORENCE
K. COLBECK, PETER COLISTRO, ERNEST A. COTTLE, KEN DANN, DONNA DE
FREITAS, TERRY DEWELL, KATRIN DOLEMEYER, ELIZABETH ENGEL,
KAREN ENGLESON, GEORGE FIERHELLER, JOAN FISHER, GWEN FORD, DON
R. FRASER, MABEL GARWOOD, CHERYL GERVAIS, ROSE GIBB, ROGER
GILODO, MURRAY GJERNES, DAPHNE GOODE, KAREN L. GOULD, PETER
JAMES HADIKIN, MARIAN HEIBLOEM-REEVES, THOMAS HOBLEY, JOHN
IANNANTUONI, VINCENT A. IANNANTUONI, RON INGLIS, MEHROON
JANMOHAMED, MICHAEL J. JERVIS, MARLYN KELLNER, KAREN KILBA,
DOUGLAS JAMES KILGOUR, YOSHINORI KOGA, MARTIN KOSULJANDIC,
URSULA M. KREIGER, WING LEE, ROBERT LESLIE, THOMAS A.
LEWTHWAITE, HOLLY LI, DAVID LIDDELL, RITA LIM, BETTY C. LLOYD, ROB
LOWRIE, CHE-CHUNG MA. JENNIFER MACDONALD, ROBERT JOHN
MACLEOD, SHERRY M. MADDEN, TOM MAKORTOFF, FATIMA MANJI,
EDWARD B. MASON, GLENN A. MCFARLANE, ONAGH METCALFE, DOROTHY
MITCHELL, SHIRLEY C.T. MUI, WILLIAM NEAL, KATHERINE SHEILA NIMMO,
GLORIA PAIEMENT, LYNDA PASACRETA, BARBARA PEAKE, VERA PICCINI,
INEZ PINKERTON, DAVE PODWORNY, DOUG PONTIFEX, VICTORIA
PROCHASKA, FRANK RADELJA, GALE RAUK, RUTH ROBERTS, ANN LOUISE
RODGERS, CIFFORD JAMES ROE, PAMELA MAMON ROE, DELORES ROSE,
SABRINA ROZA-PEREIRA, SANDRA RYBCHINSKY, KENNETH T. SALMOND,
MARIE SCHNEIDER, ALEXANDER C. SCOTT, INDERJEET SHARMA, HUGH
DONALD SHIEL, MICHAEL SHIRLEY, GEORGE ALLEN SHORT, GLENDA
SIMONCIONI, NORM SMALLWOOD, GILLES A. ST.DENNIS, GERI STEPHEN
GRACE ISOBEL STONE, MARI TSANG, CARMEN TUVERA, SHEERA
WAISMAN, MARGARET WATSON, GERTRUDE WESTLAKE, ROBERT E.
WHITE, PATRICIA JANE WHITEHEAD, AILEEN WILSON, ELAINE WIRTZ, JOE
WUYCHUK, ZLATKA YOUNG
Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 mai 2009.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE NOËL
LE JUGE NADON
Dossier : A-453-08
Référence : 2009 CAF 258
CORAM : LE JUGE NOËL
LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
ENTRE :
ROGERS COMMUNICATIONS INC.
appelante
et
SANDRA BUSCHAU, SHARON M. PARENT, ALBERT POY, DAVID ALLEN,
EILEEN ANDERSON, CHRISTINE ASH, FREDERICK SCOTT ATKINSON,
JASPAL BADYAL, MARY BALFRY, CAROLYN LOUISE BARRY, RAJ
BHAMBER, EVELYN BISHOP, DEBORAH LOUISE BISSONNETTE, GEORGE
BOSHKO, COLLEEN BURKE, BRIAN CARROLL, LYNN CASSIDY, FLORENCE
K. COLBECK, PETER COLISTRO, ERNEST A. COTTLE, KEN DANN, DONNA DE
FREITAS, TERRY DEWELL, KATRIN DOLEMEYER, ELIZABETH ENGEL,
KAREN ENGLESON, GEORGE FIERHELLER, JOAN FISHER, GWEN FORD, DON
R. FRASER, MABEL GARWOOD, CHERYL GERVAIS, ROSE GIBB, ROGER
GILODO, MURRAY GJERNES, DAPHNE GOODE, KAREN L. GOULD, PETER
JAMES HADIKIN, MARIAN HEIBLOEM-REEVES, THOMAS HOBLEY, JOHN
IANNANTUONI, VINCENT A. IANNANTUONI, RON INGLIS, MEHROON
JANMOHAMED, MICHAEL J. JERVIS, MARLYN KELLNER, KAREN KILBA,
DOUGLAS JAMES KILGOUR, YOSHINORI KOGA, MARTIN KOSULJANDIC,
URSULA M. KREIGER, WING LEE, ROBERT LESLIE, THOMAS A.
LEWTHWAITE, HOLLY LI, DAVID LIDDELL, RITA LIM, BETTY C. LLOYD, ROB
LOWRIE, CHE-CHUNG MA. JENNIFER MACDONALD, ROBERT JOHN
MACLEOD, SHERRY M. MADDEN, TOM MAKORTOFF, FATIMA MANJI,
EDWARD B. MASON, GLENN A. MCFARLANE, ONAGH METCALFE, DOROTHY
MITCHELL, SHIRLEY C.T. MUI, WILLIAM NEAL, KATHERINE SHEILA NIMMO,
GLORIA PAIEMENT, LYNDA PASACRETA, BARBARA PEAKE, VERA PICCINI,
INEZ PINKERTON, DAVE PODWORNY, DOUG PONTIFEX, VICTORIA
PROCHASKA, FRANK RADELJA, GALE RAUK, RUTH ROBERTS, ANN LOUISE
RODGERS, CIFFORD JAMES ROE, PAMELA MAMON ROE, DELORES ROSE,
SABRINA ROZA-PEREIRA, SANDRA RYBCHINSKY, KENNETH T. SALMOND,
MARIE SCHNEIDER, ALEXANDER C. SCOTT, INDERJEET SHARMA, HUGH
DONALD SHIEL, MICHAEL SHIRLEY, GEORGE ALLEN SHORT, GLENDA
SIMONCIONI, NORM SMALLWOOD, GILLES A. ST.DENNIS, GERI STEPHEN
GRACE ISOBEL STONE, MARI TSANG, CARMEN TUVERA, SHEERA
WAISMAN, MARGARET WATSON, GERTRUDE WESTLAKE, ROBERT E.
WHITE, PATRICIA JANE WHITEHEAD, AILEEN WILSON, ELAINE WIRTZ, JOE
WUYCHUK, ZLATKA YOUNG
intimés
MOTIFS DU JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] Le présent appel constitue le dernier épisode en date d’un litige qui oppose depuis longtemps Rogers Cablesystems Inc. (depuis devenue Rogers Communications Inc.) (Rogers) aux employés et anciens employés (les employés) d’une entreprise de câblodistribution de Vancouver, Premier Communications Ltd. (Premier), achetée par Rogers en 1980. En acquérant Premier, Rogers a également acquis les droits et obligations incombant à l’employeur au titre du régime de retraite (le régime de retraite de Premier ou le Régime), que Premier avait, en 1974, établi pour ses employés. Peu après que Rogers eut acquis Premier, on s’est aperçu que ce régime de retraite affichait un excédent actuariel considérable. Rogers tenta de s’approprier cet excédent. Pour leur part, les employés en revendiquaient la propriété. Rogers et les employés s’opposent depuis lors au sujet de cet excédent.
[2] Le présent appel a pour origine la décision, en date du 27 avril 2007, par laquelle la surintendante intérimaire du Bureau du surintendant des institutions financières a approuvé une modification du régime de retraite révoquant la fusion du Régime avec d’autres régimes de retraite de Rogers et permettant la réouverture du régime de retraite de Premier à de nouveaux participants (la décision de la surintendante). La surintendante intérimaire a depuis été confirmée dans les fonctions de surintendante et c’est ainsi qu’elle sera désignée en l’espèce.
[3] La surintendante a rejeté la demande des employés visant à mettre fin au régime de retraite et à répartir l’excédent actuariel. La demande de contrôle judiciaire de cette décision, déposée par les employés, a été accueillie par le juge O’Keefe de la Cour fédérale dans une décision répertoriée sous l’intitulé Buschau c. Canada (procureur général) et Rogers Communications Inc., 2008 CF 1023, [2008] A.C.F. no 1283. Rogers fait appel de la décision du juge O’Keefe. Abstraction faite de la question du bien-fondé de la décision de la surintendante, une des principales questions soulevées en l’espèce est de savoir dans quelle mesure le pouvoir discrétionnaire de la surintendante était limité par les décisions des tribunaux qui ont eu à se prononcer dans cette affaire tout au long de l’interminable litige auquel donne lieu ce régime de retraite.
[4] Pour les motifs ci-dessous, j’accueillerais l’appel et infirmerais l’ordonnance de la Cour fédérale. J’adjugerais à Rogers les dépens tant en appel qu’en première instance.
LE CONTEXTE
[5] Pour bien saisir le contexte dans lequel se situe la décision de la surintendante, il convient de faire l’historique du litige tel qu’il s’est déroulé d’abord devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, puis devant la Cour suprême du Canada.
[6] L’exposé des faits repris ci-dessous est tiré des motifs concordants du juge Bastarache de la Cour suprême :
65. En janvier 1974, la société remplacée par RCI a mis sur pied le régime de retraite de Premier, un régime non contributif à prestations déterminées, au moyen de deux documents, soit une convention de fiducie et un document relatif au régime. — la suite d’acquisitions et de fusions de sociétés, le régime de Premier a fini par devenir l’un des nombreux régimes de retraite que RCI gérait pour le compte de ses employés et de ceux de ses filiales.
66. L’adhésion au régime de Premier était obligatoire pour tous les employés à temps plein âgés de plus de 25 ans et comptant une année de service. En 1984, RCI a modifié le régime de Premier de manière à le fermer aux employés embauchés après le 1er juillet 1984. L’année suivante, sur recommandation de son cabinet d’actuaires, T.I. Benefits, RCI a retiré la somme de 968 285 $ du surplus du régime et a commencé à s’accorder des périodes d’exonération de cotisations. En 1992, RCI a fusionné le régime de Premier avec quatre autres de ses régimes en modifiant les documents relatifs à ces régimes de manière à créer un texte de régime commun. Aucune mesure n’a été prise en vue de modifier la convention de fiducie distincte relative au régime de Premier ou de fusionner officiellement la fiducie de Premier avec celles établies pour les autres régimes de RCI. Cependant, les modifications prévoyaient que tout surplus qui resterait au moment de la cessation reviendrait à RCI plutôt qu’aux participants. Les intimés affirment que la fusion était un moyen d’utiliser le surplus du régime de Premier pour compenser les déficits de certains autres régimes fusionnés.
67. Conformément aux dispositions de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.) (« LNPP »), et de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), le régime de retraite issu de la fusion (le régime de RCI) a été agréé auprès du surintendant et de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.
68. En 1995, les intimés ont intenté contre RCI une action dans laquelle ils sollicitaient diverses formes de réparation, dont un jugement déclarant illégale la fusion du régime de Premier avec d’autres régimes qui était à l’origine du régime de RCI, ainsi que la restitution de la somme retirée de la fiducie. Le procès a eu lieu en 1998, et la fusion a été jugée légale. Le juge de première instance a conclu que les participants avaient droit aux avantages qui leur avaient été promis dans le cadre du régime initial et notamment à tout surplus qui existerait au moment de la cessation du régime fusionné : (1998), 54 B.C.L.R. (3d) 125. Le 11 janvier 2001, la Cour d’appel a confirmé la conclusion selon laquelle la fusion était valide, mais elle a jugé que la fusion des régimes de retraite n’avait aucun effet sur la fiducie de Premier qui continuait d’exister comme une entité distincte. La cour a ordonné que [traduction] « les participants au régime de Premier soient libres d’engager devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique des procédures destinées à mettre fin à la fiducie de Premier en se fondant soit sur la règle de Saunders c. Vautier soit sur la Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463, dans la mesure où l’une ou l’autre pourra s’appliquer ». La Cour d’appel a décidé que RCI n’avait aucun « intérêt » dans la fiducie et qu’il n’était donc pas nécessaire d’obtenir son consentement selon la règle de Saunders c. Vautier (voir Buschau no 1). Avant le prononcé du jugement, RCI a remboursé la partie du surplus qu’elle avait retirée. Bien que la décision de la Cour d’appel sur cette question ne soit pas portée en appel, je tiens à souligner au départ qu’il ne fait aucun doute que la conclusion tirée par cette cour dans l’arrêt Buschau no 1, selon laquelle le régime (et la caisse) et la fiducie peuvent être dissociés et traités séparément, est en grande partie à l’origine des difficultés qui se posent dans le présent pourvoi.
69. Le 24 mai 2001, les intimés ont demandé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre une ordonnance mettant fin à la fiducie de Premier. Cette requête a marqué le début de la présente instance. Les intimés sollicitaient notamment une ordonnance enjoignant [traduction] « de mettre fin au régime de retraite de Premier ou, subsidiairement, au surplus du régime de retraite de Premier ».
70. La juge Loo a entendu la requête en deux étapes. En novembre 2001, au terme de la première audition, elle a conclu que la question de l’applicabilité de la règle de Saunders c. Vautier avait été tranchée dans la décision antérieure de la Cour d’appel, et que la règle s’appliquait. Elle a ordonné à RCI de fournir aux intimés les renseignements sur le régime [traduction] « qui leur permettront d’obtenir les consentements requis pour mettre fin au régime » ((2002), 100 B.C.L.R. (3d) 327, 2002 BCSC 624, par. 12 et 33).
71. Le 7 janvier 2003, les intimés se sont présentés à la cour munis des consentements signés par les 144 participants au régime. Toutefois, ils n’avaient pas obtenu le consentement d’environ 25 des bénéficiaires que les participants avaient désignés conformément aux dispositions du régime. Les intimés ne pouvaient pas invoquer la règle de Saunders c. Vautier pour mettre fin à la fiducie de Premier parce qu’elle exige le consentement de tous les bénéficiaires éventuels. Ils ont donc demandé à la cour de consentir à la cessation au nom des bénéficiaires désignés, conformément à l’art. 1 de la Trust and Settlement Variation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 463.
72. Dans des motifs déposés le 1er mai 2003 ((2003), 13 B.C.L.R. (4th) 385, 2003 BCSC 683), la juge Loo a décidé que les intimés avaient le droit de mettre fin à la fiducie de Premier, et a donné, au nom des bénéficiaires désignés, le consentement de la cour à cette cessation.
73. Le 20 février 2004, la juge Newbury a déposé des motifs de jugement au nom de la Cour d’appel (Buschau no 2 2004 [Buschau c. Rogers Communications Inc., 2004 BCCA 80, (2004)24 B.C.L.R. (4th) 85]) . Elle a conclu ceci, aux par. 11 et 22 de l’arrêt Buschau no 2 :
a) la juge Loo a commis une erreur en décidant que la question de l’applicabilité de la règle de Saunders c. Vautier avait été tranchée dans le jugement antérieur de la Cour d’appel. Elle a cependant eu raison de conclure que cette règle s’appliquait;
b) les intimés n’avaient pas le droit de mettre fin à la fiducie de Premier en application de la règle de Saunders c. Vautier parce qu’ils n’avaient pas obtenu le consentement de tous les bénéficiaires désignés;
c) la juge Loo a commis une erreur en décidant que, aux termes de la Trust and Settlement Variation Act, la cour avait compétence pour consentir à la cessation de la fiducie de Premier au nom de bénéficiaires désignés ayant la capacité juridique;
d) RCI ne pouvait pas rouvrir le régime de Premier à de nouveaux participants [traduction] « étant donné que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, ce n’était pas une mesure que cet employeur pouvait prendre de bonne foi eu égard aux bénéficiaires existants ».
74. La cour a conclu que « normalement » l’appel serait accueilli, mais qu’en l’espèce elle attendrait pendant trois mois avant de rendre jugement afin que les intimés puissent, comme elle le proposait, révoquer les désignations de bénéficiaires existants (qui n’étaient pas devant elle), obtenir d’autres consentements et présenter d’autres arguments (par. 11 et 103).
75. La Cour d’appel a, par la suite, reçu des requêtes en jugement déposées par RCI et les intimés. Dans une ordonnance rendue le 18 mai 2004 dans l’arrêt Buschau no 3, elle a conclu que l’appel devait être accueilli, mais elle a notamment ajouté ceci par voie d’ordonnance :
[traduction]
LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli, que l’ordonnance de la juge Loo soit annulée et que la requête fondée sur la Trust and Settlement Variation Act soit rejetée;
LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que l’appelante, Rogers Communications Inc. (« RCI »), n’a dans la fiducie aucun « intérêt » qui, selon Saunders c. Vautier, rendrait nécessaire son consentement à la cessation;
LA COUR DÉCLARE que, pourvu que tous les participants et toutes les personnes actuellement désignées comme bénéficiaires aient donné leur consentement à la cessation de la fiducie, les requérants seront libres d’invoquer la règle de Saunders c. Vautier;
. . .
LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que RCI ne peut modifier le régime de retraite de Premier pour permettre l’adhésion de nouveaux participants.
76. Dès le 31 mars 2002, la part de l’actif de la fiducie principale attribuée à la fiducie de Premier représentait environ 11 millions de dollars de plus que la provision actuarielle au titre des participants au régime de Premier (mémoire de RCI, par. 24).
77. La Cour d’appel a en outre décidé que la fiduciaire devrait s’assurer que les conditions de la règle de Saunders c. Vautier avaient été remplies et que toutes les exigences légales avaient été respectées avant de procéder à la répartition. La fiduciaire pouvait, au besoin, présenter une demande de directives fondée sur l’art. 86 de la Trustee Act, R.S.B.C. 1996, ch. 464. Étant donné qu’il pouvait être mis fin à la fiducie en vertu de la règle de Saunders c. Vautier même, la cour a également rejeté l’argument selon lequel une instance fondée sur la Trust and Settlement Variation Act serait nécessaire (Buschau no 3).
Rogers c. Buschau, 2006 CSC 28, [2006] 1 R.C.S. 973 (Rogers)
[7] Il convient, pour être juste envers les employés, de compléter cet énoncé des faits par les précisions suivantes, auxquelles les employés accordent une importance considérable. Ce résumé est tiré des motifs exposés par la juge Deschamps de la Cour suprême au nom de la majorité :
5. En 1980, Rogers Cablesystems Inc. (devenue par la suite Rogers Communications Inc. (« Rogers »)) fait l’acquisition de Premier Communication Ltd. En septembre 1983, l’actuaire du Régime estime qu’un surplus évalué à environ 800 000 $ peut servir à bonifier les prestations des participants. Le 12 avril 1984, l’actuaire recommande effectivement de bonifier les prestations. Cet actuaire est remplacé le 22 mai 1984. Le 1er juillet 1984, le Régime est fermé aux futurs employés. Le 11 juillet 1984, Rogers demande à la fiduciaire d’alors, Canada Trust, de lui rembourser une partie de ses cotisations. Canada Trust estime devoir bénéficier d’un avis juridique avant de le faire. Le 31octobre 1984, Canada Trust est remplacée par la Compagnie Trust National (« Trust National »). Le 15 juillet 1985, Rogers demande à la nouvelle fiduciaire, Trust National, de lui rembourser 968 285 $, ce que fait Trust National. Dès le 31 décembre 1986, Rogers s’accorde également des périodes d’exonération de cotisations évaluées à 842 000 $. En décembre 1992, Rogers modifie le Régime pour le fusionner rétroactivement avec quatre autres régimes de retraite dans le Régime de retraite de Rogers Communications Inc. (« régime de RCI »). Comme l’indique une note de service interne datée du 16 juillet 1990, Rogers connaît le point de vue des employés au sujet de cette fusion :
[traduction] Il est clair que [le représentant des employés de Premier] n’est pas en faveur de la fusion du régime de Premier avec le régime de RCI, à moins que nous puissions démontrer l’existence d’un avantage évident (ce qui est peu vraisemblable).
6 L’objectif à long terme que Rogers poursuit quant au Régime est exposé dans une autre note de service interne datée du 22 avril 1993 :
[traduction] Vous avez demandé de faire le point sur le régime de retraite de Premier. Comme vous le savez, nos objectifs concernant ce régime étaient (i) d’avoir accès au surplus du régime et (ii) de réduire au minimum notre gestion (c’est‑à‑dire éliminer un état financier vérifié et un dépôt annuel réglementaire, etc.).
Nous avons pu atteindre les objectifs susmentionnés en combinant tous les régimes à prestations déterminées en un seul régime. En conséquence, toute autre mesure devenait superflue.
Rogers, précité, paragraphes 5 et 6
[8] Rogers et la fiduciaire, Trust National, ont toutes deux formé un pourvoi devant la Cour suprême contre l’arrêt Buschau no 2 rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. (La demande d’autorisation de pourvoi visant l’arrêt Buschau no 1 a été rejetée : voir [2004] C.S.C.R. no 350). La Cour suprême du Canada a jugé, à l’unanimité, que la règle de Saunders c. Vautier ne pouvait pas être invoquée pour mettre fin à la fiducie comprenant les actifs du régime de Premier, mais c’est à quatre voix contre trois que la Cour s’est prononcée sur la question de savoir si la surintendante pouvait effectivement autoriser qu’il soit mis un terme au régime de Premier.
[9] Dans les motifs rédigés au nom de la majorité de la Cour suprême, la juge Deschamps a estimé que, dans la mesure où le régime de retraite ne prévoyait pas qu’il puisse y être mis fin à la demande des participants, la surintendante « pourrait ordonner une répartition si [elle] était en présence d’une situation qui s’inscrit à l’intérieur des paramètres de la LNPP ». (Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. 1985, ch. 32 (2e suppl.) (la LNPP) : voir Rogers, précité, au paragraphe 39. Cela veut, d’après moi, dire que la surintendante pouvait effectivement enjoindre la répartition du surplus si elle estimait que les circonstances justifiaient la cessation du régime de retraite et la répartition entre les participants du surplus qu’affichait la fiducie. Il s’agissait alors de savoir si de telles circonstances existaient effectivement.
[10] La juge Deschamps a reconnu que l’un des facteurs allant à l’encontre d’une cessation du Régime serait le fait que Rogers soit en droit de le modifier afin d’y admettre de nouveaux membres. En raison des motifs exposés dans le cadre des arrêts Buschau no 1 et Buschau no 2, elle a exprimé le doute à cet égard. L’arrêt Buschau no 2 tranchait l’appel de la décision de la juge Loo (répertorié sous 2002 BCSC 624, 100 B.C.L.R. 3(d) 327), à qui les employés avaient sollicité une ordonnance au titre de la règle de Saunders c. Vautier. Dans le cadre de ses motifs, la juge Loo a conclu que Rogers ne pouvait pas exercer son droit de modification du Régime afin d’y admettre de nouveaux participants :
[traduction]
29 La Cour d’appel ne pouvait permettre aux participants de mettre fin à la fiducie que si la fiducie était fermée et qu’aucun autre bénéficiaire n’était ajouté. Selon moi, d’après la preuve qui m’a été présentée, c’est en réaction aux démarches des participants visant à mettre fin au régime et à obtenir le surplus que RCI a songé pour la première fois à rouvrir le régime à de nouveaux participants. C’est pourquoi il faut rejeter l’argument de RCI selon lequel la règle est inapplicable parce qu’elle peut modifier le Régime de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants.
[11] Dans l’arrêt Buschau no 2 tranchant l’appel de la décision de la juge Loo, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique est revenue sur la question. Elle a estimé que, compte tenu des circonstances de l’affaire, Rogers ne pouvait pas, en toute bonne foi, exercer son droit de modification du Régime afin d’y admettre de nouveaux participants, car cela ne serait, pour Rogers, qu’un autre stratagème lui permettant de recueillir les avantages du surplus actuariel : voir Buschau no 2, paragraphe 61. Il convient de relever que dans Buschau no 2, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique se dit en accord avec la conclusion de la juge Loo, mais sans adopter son raisonnement, pour dire que Rogers ne pouvait pas modifier le Régime afin d’y admettre de nouveaux participants. La Cour d’appel a en effet adopté une démarche différente, estimant que Rogers ne pouvait pas, en toute bonne foi, exercer les pouvoirs que lui conféraient les documents relatifs au Régime. Dans l’arrêt de la Cour suprême, la distinction ainsi établie prend une certaine importance.
[12] Après examen des conclusions tirées dans les instances antérieures, la Cour suprême s’est prononcée en ces termes :
Si Rogers pouvait modifier le régime fusionné de RCI de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il n’est pas certain que la caisse en fiducie de Premier pourrait servir à capitaliser les prestations dues aux nouveaux participants sans enfreindre le jugement qui lie Rogers. Les tribunaux d’instance inférieure ont considéré que l’utilisation de la caisse en fiducie de Premier pour capitaliser des prestations destinées à de nouveaux participants ou pour capitaliser des prestations dues aux participants d’un régime fusionné revenait au même. Je n’ai pas à me prononcer de manière définitive sur la possibilité de modifier le Régime car, sauf dans la mesure où Rogers est liée par l’arrêt Buschau no 1, cela est du ressort du surintendant.
Rogers, précité, paragraphe 44
[13] Si la surintendante décidait que Rogers ne peut pas ouvrir le Régime à de nouveaux participants, peut-être n’y aurait-il aucune raison de maintenir ce régime dans la mesure où les prestations de retraite prévues dans le cadre du Régime pourraient être assurées par l’achat de rentes.
[14] Compte tenu de la définition de « cessation » inscrite dans la LNPP, c’est-à-dire qu’« il n’est plus porté de droits à prestation en faveur des participants », la juge Deschamps a posé la question de savoir si l’on pouvait, du fait que Rogers n’a pas contribué au Régime depuis 1984, considérer qu’il avait été mis fin au Régime. Ayant posé la question, la juge Deschamps a conclu que c’était à la surintendante de décider si, compte tenu des circonstances, l’exonération de cotisations que s’était accordée Rogers avait entraîné la « cessation » du Régime.
[15] La juge Deschamps s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la surintendante pouvait déclarer la cessation du Régime aux termes du paragraphe 29(2) de la LNPP, qui prévoit que :
29 (2) Le surintendant peut, dans les cas suivants, déclarer la cessation totale ou partielle d’un régime de pension : a) la suspension ou l’arrêt de paiement des cotisations patronales relativement à plusieurs ou à l’ensemble des participants; b) l’abandon total ou progressif de tout ou partie des secteurs d’activité de l’employeur où travaillent un nombre important de ses salariés qui participent au régime;
c) le surintendant est d’avis que le Régime n’est pas conforme aux critères et normes de solvabilité réglementaires, relativement à la capitalisation prévue au paragraphe 9(1).
|
29 (2) The Superintendent may declare the whole or part of a pension plan terminated where
(a) there is any suspension or cessation of employer contributions in respect of all or part of the plan members;
(b) the employer has discontinued or is in the process of discontinuing all of its business operations or a part thereof in which a substantial portion of its employees who are members of the pension plan are employed; or (c) the Superintendent is of the opinion that the pension plan has failed to meet the prescribed tests and standards for solvency in respect of funding referred to in subsection 9(1)
|
[16] Il s’agissait de décider, en premier lieu, si l’exonération de cotisations que s’était accordée Rogers était problématique au regard de l’alinéa 29(2)a) de la LNPP. Selon la Cour, dans la mesure où l’alinéa 29(2)c) a trait à l’insolvabilité, l’alinéa 29(2)a) doit s’entendre d’un arrêt de paiement des cotisations qui ne risque pas de porter atteinte à la solvabilité d’un régime de retraite. La Cour a signalé que les périodes d’exonération du paiement de cotisations sont peut-être légitimes, mais qu’elles pourraient se révéler illégitimes si elles servent à camoufler le refus injustifié de mettre fin à un régime de pension. Là encore, la question de savoir si la cessation du Régime était justifiée en l’espèce était laissée à l’appréciation de la surintendante.
[17] En somme, la majorité de la Cour a estimé que la surintendante avait la compétence nécessaire pour remédier à la situation dont se plaignaient les employés :
[…] Je n’ai pas à examiner les allégations des participants voulant que Rogers ait agi de mauvaise foi, lesquelles n’ont pas été retenues par les juges des tribunaux d’instance inférieure. Rogers a effectivement tenté de s’approprier le surplus. Sa résistance à la recommandation de l’actuaire de bonifier les prestations des employés, son remplacement de l’actuaire et de la fiduciaire moins influençables, les notes de service internes et les modifications illicites du Régime montrent amplement que Rogers a fait ce qu’elle pouvait pour avoir accès au surplus. Toutefois, la conduite antérieure n’est pertinente que si elle aide à répondre à la question qui se pose pour l’avenir : Y a‑t‑il un intérêt légitime à conserver le Régime ou faudrait‑il y mettre fin et le liquider? Le surintendant peut trancher à la fois des questions de fait et des questions de droit, et les parties peuvent lui faire des recommandations appropriées. Le surintendant a toute la compétence voulue pour interpréter les dispositions de la LNPP et du Règlement qui portent sur les obligations de l’employeur.
Rogers, précité, paragraphe 53
[18] Cela étant, la majorité de la Cour a par ailleurs estimé que la surintendante avait certaines obligations envers les employés :
Je partage l’avis de la Cour d’appel de l’Ontario et j’estime que le pouvoir que l’al. 29(2)a) LNPP confère au surintendant devient presque une obligation lorsque des employés lui demandent d’agir. Il doit exercer son pouvoir conformément à l’objet réparateur des dispositions de la LNPP.
Rogers, précité, paragraphe 56
[19] Se prononçant au nom de la minorité concordante, le juge Bastarache a estimé qu’effectivement, s’agissant d’un régime de pension moderne, la règle de Saunders c. Vautier ne s’applique pas. Selon lui, cependant, la surintendante n’a aucun pouvoir discrétionnaire général de mettre fin à un régime de retraite :
Aucune disposition de la LNPP ne permet aux bénéficiaires d’un régime de retraite de mettre fin à ce régime. De plus, aucune disposition de la LNPP ne permet à quiconque (employeur, administrateur, fiduciaire, surintendant, participants au régime ou autres bénéficiaires) de mettre fin à la fiducie en vertu de laquelle les cotisations à la caisse de retraite sont détenues à titre de garantie du versement des prestations du régime, avant la cessation du régime et indépendamment de celle‑ci. Les bénéficiaires peuvent demander au surintendant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 29(2), mais le pouvoir du surintendant de mettre fin à un régime ne peut être exercé que si les conditions préalables énoncées sont remplies. Le surintendant n’a aucun pouvoir discrétionnaire général de mettre fin à des régimes de retraite.
Rogers, précité, paragraphe 84
[20] En ce qui concerne l’application de la règle de Saunders c. Vautier, le juge Bastarache a estimé que s’agissant d’un régime de retraite à prestations déterminées, comme c’est le cas en l’espèce :
[…] L’employeur assume le risque lié à un tel régime; lorsque les taux d’intérêt et le rendement des investissements sont élevés, un surplus est réalisé, et lorsque l’économie fluctue, il en résulte souvent un passif non capitalisé. L’objectif est d’exiger de l’employeur des cotisations suffisantes pour assurer le versement des prestations déterminées durant de longues périodes en dépit des fluctuations du marché. Permettre la cessation du régime lorsqu’un surplus a été réalisé, sans égard aux modalités du régime, n’est pas compatible avec son objet ou avec le régime législatif applicable. Le contrat prévoyait clairement l’existence continue d’un régime doté d’une caisse permanente; il n’était pas possible de gérer séparément la caisse en « fermant » le régime de Premier. Il est donc erroné d’inférer que la règle de Saunders c. Vautier peut avoir pour effet de créer une façon de réaliser le surplus actuariel (la caisse) contrairement aux modalités du régime. Dans le cas du présent régime de retraite, il ne pouvait y avoir de droit absolu au surplus qu’une fois le surplus devenu réel, c’est‑à‑dire une fois qu’il aurait été mis fin au régime et à la fiducie.
Rogers, précité, paragraphe 90
[21] Quant à la question de savoir dans quelle mesure Rogers pouvait modifier le Régime, le juge Bastarache s’est dit en désaccord avec le raisonnement adopté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique pour conclure que Rogers ne pouvait pas, en toute bonne foi, exercer son droit de modifier le Régime pour l’ouvrir à de nouveaux participants :
Il me semble clair que la conclusion de la Cour d’appel sur la question de la bonne foi était fondée sur sa décision antérieure selon laquelle la modification priverait les bénéficiaires de la fiducie de Premier de leur droit d’y mettre fin en application de la règle de Saunders c. Vautier. Je suis arrivé à la conclusion que les intimés ne peuvent se fonder sur cette règle pour mettre fin à la fiducie. Toutefois, il est évident que les parties ne pouvaient pas faire abstraction de l’arrêt Buschau no 1 de la Cour d’appel. — la suite de cette décision, une comptabilité distincte était requise pour la fiducie de Premier. RCI a alors envisagé la possibilité de rendre le régime accessible à de nouveaux participants de manière à pouvoir intégrer dans le régime de Premier les employés qui se trouvaient dans la même situation, mais qui participaient à des régimes non contributifs à prestations déterminées. C’est ce que la Cour d’appel a rejeté. Son raisonnement repose toutefois sur l’idée qu’on avait promis aux participants au régime, en plus de leurs prestations de retraite, le droit de demander la répartition du surplus de la fiducie s’ils satisfaisaient aux conditions de la règle de Saunders c. Vautier. La décision concernant la mauvaise foi ne peut être maintenue si elle est dénuée de fondement.
Rogers, précité, paragraphe 103
[22] Le juge Bastarache examine ensuite quels seraient les comportements susceptibles d’entraîner, pour l’employeur, la déchéance de ses pouvoirs de modifications du Régime. À son avis, une telle conséquence découlerait d’un abus de pouvoir, ou d’actions contrevenant aux normes sociales de raisonnabilité, concernant l’emploi de l’actif de la fiducie au profit des employés actuels et futurs. En fait, la norme est énoncée à l’alinéa 8(10)b) de la LNPP, qui prévoit qu’en cas de conflit d’intérêts entre l’employeur en tant qu’employeur et l’employeur en tant qu’administrateur, l’employeur est tenu d’agir de façon à servir les intérêts des participants : voir Rogers, précité, paragraphe 103.
LA DÉCISION DE LA SURINTENDANTE
[23] Munis de l’arrêt de la Cour suprême, Rogers et les employés ont pris contact avec le Bureau du surintendant.
[24] Les employés demandaient à la surintendante soit de déclarer qu’il y avait eu cessation du régime de Premier, soit de déclarer immédiatement la cessation du Régime en vertu de l’article 29 de la LNPP ou encore d’enjoindre à Rogers de mettre un terme au Régime en application de l’article 11 de la LNPP. Les employés tentaient en outre d’obtenir la nomination d’un autre administrateur à la place de Rogers, sollicitant aussi la liquidation du Régime et le partage du surplus entre les participants.
[25] Dans sa demande, Rogers sollicitait de la surintendante l’autorisation de modifier le Régime. L’entreprise proposait également que soit révoquée la fusion du Régime avec d’autres régimes de retraite de Rogers. Rogers demandait en outre de pouvoir dorénavant faire participer au Régime les nouveaux employés de l’employeur qui a succédé à Premier, en l’occurrence Rogers Cable Communications Inc. (Cable Inc.), entreprise dérivée de l’entreprise principale et constituant un employeur distinct.
[26] La surintendante s’est prononcée sur les deux demandes dans le cadre d’une seule décision. C’est en ces termes qu’elle a résumé sa conclusion :
Ayant soigneusement examiné les demandes, je conclus que la décision de RCI de révoquer la fusion du Régime et du Régime de RCI puis de permettre à Cable Inc. de rouvrir le Régime n’est contraire ni aux modalités du Régime, ni aux dispositions de la LNPP. Je considère en outre comme une question de fait que le Régime n’ait pas été frappé de cessation aux termes de la LNPP et que l’employeur n’en a pas non plus déclaré la cessation. Je décide par ailleurs de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de déclarer la cessation du Régime, et de ne pas émettre une directive en vertu de l’article 11 de la LNPP. Ayant examiné toute la preuve et les observations des parties, je suis convaincue que le maintien de ce régime constitue un objectif valable et que l’employeur continue de verser les prestations prévues, en plus de respecter les exigences de solvabilité.
Cahier d’appel, page 47
[27] À l’appui de sa décision, la surintendante fait état du régime législatif établi par la LNPP et fait remarquer qu’il vise à soumettre les régimes de retraite à des normes minimums et « suppose que le maintien en place d’un régime de retraite est un objectif valable » : voir Cahier d’appel, page 47. Aux termes de la LNPP, un régime de pension doit avoir une capitalisation suffisante pour assurer le service des prestations de pension promises aux participants. La mission confiée au Bureau du surintendant des institutions financières (le BSIF) reflète les objectifs de la LNPP. C’est ainsi que le paragraphe 4(3) de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. 1985, ch. 18 (3e suppl.) impose au BSIF l’obligation de s’efforcer « de protéger […] les droits […] des participants, actuels ou anciens, des régimes de pension et de toute autre personne ayant droit à une prestation de pension ou à un remboursement au titre des régimes. » : voir Cahier d’appel, page 47.
[28] La surintendante a ensuite relevé que l’existence d’un surplus actuariel indique simplement que s’il était mis fin à un régime à une date d’évaluation donnée, la valeur de l’actif couvrirait ou dépasserait le montant des sommes nécessaires pour assurer le service des prestations de retraite prévues à la date en question. La surintendante a cependant fait remarquer qu’en l’espèce, les participants au Régime n’étaient pas en droit de « réclamer une part d’un excédent actuariel sans qu’il ne soit mis fin au Régime. » : voir Cahier d’appel, page 48.
[29] La surintendante a ensuite relevé que les régimes de retraite sont, de façon générale, établis en tant que mécanismes à long terme dont l’objectif est d’assurer des prestations de retraite à une catégorie définie d’employés. Le BSIF considère que la cessation d’un régime constitue une mesure extrême qui ne devrait être prise que si d’autres mesures d’intervention réglementaires ont échoué. Parmi les situations où la cessation d’un régime pourrait se justifier, citons le cas où les prestations de retraite sont en péril lorsque la capitalisation du régime ne peut pas être renforcée ou lorsque l’objet même du régime est contrecarré.
[30] La surintendante s’est alors penchée sur les circonstances du dossier dont elle était saisie. Elle est parvenue à deux conclusions importantes. En premier lieu, elle a souscrit à la position de Rogers et de Cable Inc. selon qui « les modifications en cause sont apportées par la « Société », au sens du Régime, et par l’employeur, au sens de la LNPP. » Autrement dit, elle a admis que Cable Inc. avait succédé à Premier. Deuxièmement, elle a estimé que, « en rouvrant le Régime, Cable Inc. ne contrevient ni aux dispositions de la LNPP, ni à celles dudit régime ou de l’acte de fiducie établissant ce dernier. » La surintendante a, en outre, estimé que « l’objet général du Régime est maintenu et que le Régime est conforme aux critères et aux normes de capitalisation. » : voir Cahier d’appel, page 48.
[31] Voici en quels termes la surintendante a résumé la conclusion à laquelle elle était parvenue à l’égard de ces diverses questions :
Les modalités du Régime, de l’Acte de fiducie et de la LNPP n’empêchent pas Cable Inc. d’apporter ces modifications pour permettre à ses nouveaux employés de participer au Régime. La décision de Cable Inc. de rouvrir le Régime a été prise conjointement avec une autre visant à bloquer la souscription à un autre régime de retraite établi pour les employés de Cable Inc. (les « employés de Cable »). Il n’est pas question de fusionner ce régime et le Régime qui a été rouvert. Les prestations de retraite cumulées dans cet autre régime demeurent maintenues dans cet autre régime de Cable Inc. Les modifications instaurant ces décisions n’abolissent pas les droits existants. La capitalisation du Régime rouvert sera assurée par Cable Inc. Je suis d’avis que, en décidant de révoquer la fusion et de rouvrir le Régime aux nouveaux employés, RCI et Cable Inc. ne contreviennent pas aux pratiques financières et commerciales sûres et saines, ne mettent pas en péril les prestations de retraite des Participants, et ne contreviennent ni à la LNPP, ni aux modalités du Régime.
Cahier d’appel, page 49
[32] La surintendante s’est alors penchée sur la demande dans laquelle les employés demandaient qu’elle déclare la cessation du Régime, ou ordonne qu’il y soit mis un terme. Elle a relevé qu’étant donné que l’employeur est un intervenant de poids à l’égard d’un régime de retraite, il lui fallait tenir compte de sa position. En l’espèce, l’employeur ne souhaitait pas la cessation du Régime.
[33] La surintendante a ensuite examiné l’argument des employés, qui ont fait valoir qu’étant donné que l’acquisition des prestations avait cessé et que, de façon générale, aucune prestation n’était plus portée au crédit des participants au Régime, on devait considérer qu’il y avait eu « cessation » du Régime au sens de la LNPP.
[34] La surintendante a reconnu à cet égard que des prestations continuaient à être portées au crédit de deux participants et que Cable Inc. avait choisi de proroger le Régime pour les nouveaux employés de Cable Inc. La surintendante a, par conséquent, estimé que les droits à prestation continuaient à être portés au crédit des participants et que la « cessation » du Régime n’avait pas été déclarée.
[35] En ce qui concerne la demande de déclaration de cessation du Régime présentée par les employés, la surintendante a fait valoir que la seule disposition pertinente de la LNPP est l’alinéa 29(2)a) qui s’applique en cas de suspension ou d’arrêt de paiement des cotisations patronales relativement à plusieurs ou à l’ensemble des participants. En l’occurrence, l’arrêt de paiement correspond à une exonération des cotisations patronales. Selon la surintendante, cette exonération de cotisations est conforme à la LNPP et ne menace ni la solvabilité du Régime ni le service des prestations des participants. D’après elle, cette exonération de cotisations n’a pas pour effet de contrecarrer l’objet du Régime.
[36] Voici en quels termes la surintendante a exposé les conclusions auxquelles elle est parvenue au sujet de la demande présentée par les employés :
En l’occurrence, la cessation du Régime ne protégera ni l’objet du Régime, ni les prestations de retraite de l’ensemble des participants du Régime. Dans ces circonstances, pour décider s’il convient de déclarer la cessation du Régime, je dois aussi tenir compte du point de vue de l’employeur, qui est une autre partie au contrat. Cable Inc. s’oppose à la cessation du Régime. Le libellé du Régime confère à l’employeur le droit de décider de modifier le Régime ou d’y mettre fin. Cable Inc. n’a pris aucune mesure en vue de mettre fin au Régime et n’a donné aucune indication de son intention de mettre fin au Régime. Le fait que le Régime pourrait être liquidé après sa cessation et que les Participants pourraient avoir droit à l’excédent ne suffit pas à justifier mon intervention pour déclarer la cessation du Régime. La cessation est une mesure extrême, et je ne dispose pas de raisons suffisantes pour m’ingérer dans l’administration et le fonctionnement du Régime en en déclarant la cessation.
Cahier d’appel, page 50
[37] Conformément à la logique de la position qu’elle avait adoptée au sujet de la cessation, la surintendante a également rejeté la demande accessoire des employés qui souhaitaient la voir émettre une directive entraînant, en application du paragraphe 11(1) de la LNPP, la cessation du Régime. La surintendante a également rejeté la demande des employés visant l’octroi d’une réparation accessoire, en l’occurrence le remplacement de l’administrateur du Régime et la liquidation de la fiducie.
[38] La décision de la surintendante a ainsi mis fin aux efforts des employés en vue de se voir distribuer en espèces le solde de l’excédent actuariel.
LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[39] Les employés ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la surintendante, demande à laquelle a fait droit le juge O’Keefe (le juge de première instance). Après examen de la décision de la surintendante, le juge de première instance a cerné en les termes suivants les sept questions en litige :
1- Quelles sont les normes de contrôle applicables à chacune des questions soulevées?
2- La question de la réouverture était-elle chose jugée lorsque la surintendante a rendu sa décision?
3- Dans la négative, la surintendante a-t-elle commis une erreur en concluant que Rogers Inc. avait le droit de rouvrir le régime à de nouveaux participants?
4- La surintendante a-t-elle commis une erreur dans la manière dont elle a interprété et appliqué la définition d’une cessation?
5- La surintendante a-t-elle commis une erreur en refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 29(2) de la Loi?
6- La surintendante a-t-elle limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en déclarant que la cessation était une mesure extrême?
7- La surintendante a-t-elle commis une erreur en ne reconnaissant pas que Rogers Inc. était en situation de conflit d’intérêts?
Motifs du jugement, paragraphe 22
[40] Après avoir résumé les arguments avancés par les parties sur ces divers points, le juge de première instance s’est livré à une analyse de la norme de contrôle applicable et a conclu que les questions de droit et de compétence soulevées en l’espèce relevaient du critère de la décision correcte alors que les questions mixtes de droit de fait relevaient du critère de la décision raisonnable. Le juge de première instance est ensuite passé directement à la cinquième question, celle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 29(2) de la LNPP confère au surintendant, se prononçant en les termes suivants à l’égard de la demande de contrôle judiciaire :
[51] À mon avis, la surintendante n’a pas déterminé l’étendue du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 29(2)a) et elle a rendu une décision qui, au vu des éléments de preuve soumis, était déraisonnable. Deux raisons me confortent dans cette opinion. Premièrement, la surintendante n’a pas reconnu que même des périodes légitimes d’exonération de cotisation qui sont valides en vertu de la Loi peuvent être considérées comme illégitimes pour l’application de l’alinéa 29(2)a) si ces périodes servent à masquer un refus irrégulier de la part de l’employeur de mettre fin à un régime. Au nombre des éléments de preuve soumis à la surintendante figurait le fait que, dans le passé, Rogers Inc. avait remplacé un actuaire et fiduciaire peu coopératif, avait modifié irrégulièrement le régime et avait retiré irrégulièrement des fonds de ce dernier, le tout dans le dessein de s’approprier le surplus du régime. À mon avis, cette preuve, conjuguée au fait que Rogers Inc. avait fermé le régime en 1984, avait cessé de verser des cotisations à ce dernier et n’avait aucune intention de le rouvrir avant que les demandeurs ne présentent leur requête en cessation, font que la conclusion de la surintendante est déraisonnable.
[52] Deuxièmement, la surintendante ne s’est pas rendue compte de l’obligation qu’elle a envers les employés selon l’alinéa 29(2)a). Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada, les pouvoirs délégués en vertu de la Loi doivent être exercés compte tenu de son objet réparateur. C’est là une obligation qui ne doit pas être prise à la légère, car elle procure aux participants au régime une mesure réparatrice bien nécessaire. Compte tenu de ces omissions de la part de la surintendante, je suis d’avis que sa décision de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en application de l’alinéa 29(2)a) est déraisonnable. Il convient de faire droit à la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.
Motifs du jugement, paragraphes 51 et 52
[41] Le juge de première instance a donc fait droit à la demande de contrôle judiciaire et renvoyé la question à la surintendante pour réexamen.
[42] La décision du juge de première instance est problématique en ce qu’elle n’aborde pas les motifs invoqués par la surintendante à l’appui de ses conclusions. Faute d’une telle analyse, il est difficile de dire dans quelles circonstances il serait loisible à un tribunal d’intervenir pour infirmer la décision en cause.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[43] En l’occurrence, il s’agit essentiellement de savoir si, en autorisant Rogers/Cable Inc. à révoquer la fusion du Régime et à modifier celui-ci afin d’y laisser participer les nouveaux employés de Cable Inc., la surintendante a mal exercé son pouvoir discrétionnaire ou commis une erreur de droit susceptible de révision. En particulier, s’il était loisible à la surintendante de permettre à Rogers/Cable Inc. de rouvrir le Régime en y admettant de nouveaux participants, il n’était dès lors pas déraisonnable de sa part de conclure que « le maintien de ce régime constitue un objectif valable et que l’employeur continue de verser les prestations prévues, en plus de respecter les exigences de solvabilité ». Si, par contre, il n’était pas loisible à la surintendante d’autoriser la modification entraînant la réouverture du Régime, l’argument voulant que le maintien du Régime réponde aux objectifs de celui-ci ou de la LNPP est plus difficile à défendre.
ANALYSE
[44] Dans l’arrêt Cousins c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 226, [2008] A.C.F. no 1011, au paragraphe 22, la Cour a jugé que la norme de contrôle applicable à une décision du surintendant des institutions financières, sur une question concernant l’interprétation des dispositions de la LNPP, est celle du caractère raisonnable de la décision. Cela est conforme à l’opinion de la Cour suprême du Canada selon laquelle « [l]e surintendant a toute la compétence voulue pour interpréter les dispositions de la LNPP et du Règlement qui portent sur les obligations de l’employeur. » : voir Rogers, précité, paragraphe 53.
[45] Notre Cour a jugé qu’en matière de contrôle judiciaire, les décisions relevant du pouvoir discrétionnaire du surintendant appellent, dans la mesure où elles prennent en compte « une gamme de réparations ancrées dans des politiques, qui nécessitent la pondération d’intérêts multiples appartenant à des groupes de citoyens opposés » une certaine déférence : voir Cousins, paragraphe 24. Cela est d’ailleurs conforme à ce qu’a décidé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour ayant rappelé, au paragraphe 53, qu’« [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée ». [Renvois omis.]
[46] L’analyse de la norme de contrôle applicable ayant déjà été menée, il n’y a pas lieu de la reprendre ici. Je considère que la norme de contrôle applicable à la décision de la surintendante, tant en ce qui concerne les questions touchant l’interprétation des dispositions de la LNPP qu’en ce qui a trait aux décisions discrétionnaires concernant l’administration d’un régime de retraite, est celle du caractère raisonnable de la décision en question.
[47] Un examen de la décision de la surintendante permet de constater que cette décision a été prise eu égard aux principes et objectifs de la LNPP, notamment au principe selon lequel le maintien d’un régime de retraite constituait un objectif valable. Il serait difficile de soutenir le contraire. Il serait notamment difficile de faire valoir que, dans une situation où une certaine somme d’argent a été mise de côté pour assurer le service de prestations de retraite, il serait davantage conforme aux objectifs de la LNPP d’employer cet argent à d’autres fins, que ce soit dans l’intérêt de l’employeur ou dans celui des employés, au lieu d’assurer le maintien d’un régime de pension solidement capitalisé et correctement géré.
[48] La question essentielle en l’espèce est celle de l’admission au régime de Premier des nouveaux employés de Cable Inc., le nouvel employeur. À moins que l’on autorise la réouverture du Régime, les diverses manœuvres dont a usé Rogers ont eu pour résultat une fiducie délaissée, qui existe maintenant indépendamment du régime de Premier qui a été fusionné et fondu dans le régime de pension consolidé de Rogers. Ainsi que l’a relevé la Cour suprême, Rogers est liée par la conclusion voulant que la fiducie de Premier ne soit aucunement affectée par la fusion du régime de Premier fondu dans le régime consolidé de Rogers : voir Rogers, paragraphe 11.
[49] Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans les arrêts Buschau no 1 et Buschau no 2 supposent l’existence d’une fiducie valable à laquelle s’appliquerait la règle de Saunders c. Vautier. Or, la validité d’une fiducie exige notamment la certitude quant aux bénéficiaires : voir Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24, au paragraphe 45. Il ne fait aucun doute que les tribunaux de la Colombie-Britannique sont partis de l’idée que la fiducie de Premier avait pour objet de servir les intérêts des participants du régime de Premier, objet qui n’a pas été contrecarré par le fusionnement du régime de Premier avec le régime consolidé de Rogers. C’est ce qu’il faut entendre par cet extrait de l’arrêt Buschau no 1 :
[traduction]
[…] Je considère pour ma part que le droit des fiducies comporte toute une série de règles qui lui sont propres et qui non seulement s’ajoutent au droit des contrats et aux règles régissant leur interprétation, mais l’emportent sur ces règles. C’est dire que les participants au régime de Premier conservent des droits distincts de ceux des participants aux autres régimes qui, comme lui, ont été fusionnés avec le régime de RCI. Ces droits ne peuvent pas être unilatéralement supprimés par l’employeur à moins que celui-ci n’y soit autorisé de manière précise par les règles de la fiducie.
Buschau no 1, au paragraphe 66
[50] Les droits distincts dont bénéficient les participants au régime de Premier figurent uniquement dans les clauses de constitution de la fiducie de Premier et du régime de Premier. En révoquant la fusion, Rogers/Cable Inc. n’a fait que rétablir ce qui existait avant le fusionnement. La surintendante a estimé que la décision que Rogers avait prise de fusionner le régime de Premier avec son propre régime consolidé n’avait rien d’irrévocable. La seule raison de juger que les modifications apportées au régime de Premier étaient irrévocables et que Rogers/Cable Inc. ne pouvait pas rouvrir le Régime afin d’y admettre de nouveaux participants était l’opinion selon laquelle les employés avaient, en vertu de la règle de Saunders c. Vautier, des droits sur l’excédent. Comme tant les juges majoritaires que minoritaires de la Cour suprême ont convenu que la règle de Saunders c. Vautier ne s’applique pas au régime de pension, sous réserve de l’argument concernant la bonne foi, il n’y a rien de déraisonnable dans la décision de la surintendante d’autoriser Rogers à annuler ses malencontreuses modifications.
[51] À partir du moment où le régime de Premier retrouve sa situation antérieure après l’annulation du fusionnement du Régime avec le régime consolidé de Rogers, la question demeure de savoir si le Régime est viable. La surintendante a constaté que les prestations continuent d’être portées au crédit de deux participants dans le cadre du régime de Premier et que le Régime ne peut donc pas être considéré en état de « cessation » au sens de la LNPP. Il s’agit là d’une conclusion de fait jointe à une conclusion mixte de fait et de droit, et ni l’une ni l’autre de ces conclusions n’est déraisonnable. La surintendante s’est alors penchée sur la modification proposée d’ouvrir le régime de Premier aux nouveaux employés de Cable Inc., entreprise qui est, selon elle, la « société » au sens du Régime et l’« employeur » au sens la LNPP. Encore une fois, la surintendante pouvait raisonnablement parvenir à cette conclusion au vu des éléments versés au dossier. Et, enfin, la surintendante a estimé que la réouverture du Régime n’était pas contraire aux modalités du Régime ni aux dispositions de la fiducie ou de la LNPP. Elle a en outre estimé que la réouverture du Régime était conforme aux objectifs généraux de celui-ci et que le Régime respectait les normes applicables en matière de solvabilité et de capitalisation.
[52] La surintendante a estimé en somme qu’il serait plus conforme aux objectifs tant du Régime que de la LNPP d’affecter le surplus actuariel du Régime à la capitalisation des pensions de retraite destinées aux participants au Régime, y compris ses nouveaux participants, plutôt que d’accorder un gain fortuit aux participants actuels, car il aurait fallu pour cela mettre un terme à un régime de retraite viable. Il ne fait aucun doute que la répartition du surplus actuariel (qui, en 2002, s’élevait à 11 000 000 $) entre le nombre restreint de participants au régime de Premier aurait permis à chacun d’entre eux de toucher une somme considérable. Mais, comme la surintendante l’a fait remarquer dans sa décision, « [l]e fait que le Régime pourrait être liquidé après sa cessation et que les Participants pourraient avoir droit à l’excédent ne suffit pas à justifier mon intervention pour déclarer la cessation du Régime » : voir cahier d’appel, page 50.
[53] À partir du moment où la surintendante a décidé d’autoriser les modifications apportées au Régime, la question de la cessation de celui-ci devait être examinée à la lumière de l’existence d’un régime viable et du nombre croissant de ses participants. La surintendante s’est penchée sur les arguments fondés sur le paragraphe 29(2) de la LNPP et a conclu qu’en l’occurrence, seul l’alinéa 29(2)a) pourrait s’appliquer, mais qu’il ne s’appliquait pas en l’espèce, étant donné que l’arrêt de paiement des cotisations patronales par Rogers était attribuable à une exonération de cotisations conforme à la LNPP, ne menaçait pas les prestations des participants et ne contrecarrait pas l’objet du Régime. Selon la Cour suprême, le surintendant a toute la compétence voulue pour interpréter les dispositions de la LNPP et du Règlement. Il n’y a, dans les conclusions de la surintendante, rien de déraisonnable appelant l’intervention de la Cour.
[54] Cela vaut également pour les conclusions auxquelles la surintendante est parvenue quant à l’application de l’article 11 de la LNPP et pour la manière dont elle s’est prononcée sur la demande des employés sollicitant le remplacement de l’administrateur du Régime.
[55] Enfin, il y a la question de savoir dans quelle mesure la surintendante était tenue d’agir en réponse à une demande présentée par les participants au Régime. À supposer que cela soit effectivement le cas, cela ne veut cependant pas dire que la surintendante soit tenue de prendre la mesure que sollicitent d’elle les participants au Régime. La Cour suprême a, en effet, précisé que le surintendant doit exercer son pouvoir conformément à l’objet réparateur des dispositions de la LNPP. Or, en l’espèce, la surintendante a estimé que les modifications apportées au Régime étaient conformes aux objectifs tant du Régime que de la LNPP. Dans ces circonstances, il est difficile de concevoir que la liquidation du Régime et de la fiducie soit davantage conforme aux objectifs de la LNPP que les mesures approuvées par la surintendante.
[56] Il ne faut pas perdre de vue que, avant de lui demander de mettre un terme au Régime, les employés n’ont jamais pris contact avec la surintendante. Or, ils pourront à l’avenir faire appel aux pouvoirs de surveillance du Bureau du surintendant si jamais Cable Inc. abusait soit de sa position d’administrateur, soit de ses droits en tant qu’employeur. Cela étant, les mesures prises par Rogers faute de surveillance réglementaire, ne permettant guère de prévoir quel sera son comportement à l’avenir dans le contexte d’une surveillance réglementaire qu’on ne manquera pas d’exercer.
[57] Cela dit, la seule question qui demeure est de savoir si l’autorité de la chose jugée empêchait la surintendante de décider comme elle l’a fait. Au paragraphe 40 de ses motifs, la Cour suprême a cerné les questions auxquelles s’appliquerait l’autorité de la chose jugée :
[…] Rogers a concédé que les modifications de 1992 lui donnant droit à tout surplus en cas de cessation étaient [traduction] « inopposables aux [participants] » (Buschau no 1, par. 38). La Cour d’appel a conclu (Buschau no 1, par. 63 et 66) que la fusion était incomplète quant au Régime et que les participants conservaient des droits distincts de ceux des participants aux autres régimes qui avaient été fusionnés dans le régime de RCI. L’arrêt Buschau no 1 lie désormais Rogers. Bien que les participants ne possèdent pas de droit précis sur le surplus avant la cessation, les conclusions de l’arrêt Buschau no 1 limitent le droit de Rogers de l’utiliser.
[58] La Cour suprême a en outre rappelé que la juge Loo avait précisé que la conclusion à laquelle la Cour d’appel était parvenue dans l’arrêt Buschau no 1 empêchait Rogers d’exercer son pouvoir de modifier le Régime pour l’ouvrir à de nouveaux participants. Selon la Cour suprême, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique semble, dans son arrêt Buschau no 2, avoir repris à son compte cette conclusion lorsqu’elle a jugé que Rogers ne pouvait pas, de bonne foi, exercer le droit d’ouvrir le Régime à de nouveaux participants, en les faisant bénéficier des avantages découlant de la fiducie de Premier, y compris de l’excédent :
[traduction] […] On arriverait à un résultat similaire : parce qu’il a manqué à son obligation de fiduciaire ou à son obligation d’agir de bonne foi, l’employeur serait tenu de rendre compte aux participants existants comme si le Régime n’avait pas été rouvert.
Buschau no 2, paragraphe 61
[59] Cela a porté la majorité de la Cour suprême à dire que :
Si Rogers pouvait modifier le régime fusionné de RCI de manière à l’ouvrir à de nouveaux participants, il n’est pas certain que la caisse en fiducie de Premier pourrait servir à capitaliser les prestations dues aux nouveaux participants sans enfreindre le jugement qui lie Rogers. Les tribunaux d’instance inférieure ont considéré que l’utilisation de la caisse en fiducie de Premier pour capitaliser des prestations destinées à de nouveaux participants ou pour capitaliser des prestations dues aux participants d’un régime fusionné revenait au même. Je n’ai pas à me prononcer de manière définitive sur la possibilité de modifier le Régime car, sauf dans la mesure où Rogers est liée par l’arrêt Buschau no 1, cela est du ressort du surintendant.
Rogers, paragraphe 44
[60] La majorité de la Cour suprême a soulevé la question de savoir si Rogers pouvait effectivement modifier le Régime afin de l’ouvrir à de nouveaux participants, mais elle ne s’est pas prononcée sur ce point, laissant cela à l’appréciation de la surintendante, sous réserve de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée.
[61] Les parties reconnaissent que Rogers ne pouvait pas modifier le Régime afin d’obtenir le contrôle de l’excédent. Avant qu’un jugement n’intervienne dans le cadre de l’affaire Buschau no 1 , Rogers a, de fait, rendu les sommes qu’elle avait retirées de la fiducie : voir Rogers, paragraphe 68. Nul ne conteste non plus qu’en l’espèce, la soi-disant fusion du régime de Premier avec les autres régimes de Rogers n’avait aucun effet sur la fiducie. La conduite de Rogers à la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada découlait du maintien de la fiducie de Premier. Nul ne conteste, en outre, qu’en l’espèce, les participants au régime de Premier avaient, vis-à-vis la fiducie de Premier, des droits que n’avaient pas les autres participants au régime consolidé (le régime de RCI). Cela découle tout simplement du fait que la fiducie de Premier avait pour objet la capitalisation de prestations qui seraient servies aux participants du régime de Premier, c’est-à-dire que ceux qui ne comptaient pas parmi les participants au régime de Premier ne pouvaient revendiquer, ni en droit ni en equity, une partie de l’actif de la fiducie de Premier et ne pouvaient pas acquérir de tels droits en vertu de leur participation à un régime consolidé : voir Buschau no 2, paragraphe 61.
[62] Le seul point qui importe en l’espèce est de savoir si l’arrêt Buschau no 1 ou l’arrêt Buschau no 2 empêchait Rogers de modifier le Régime pour révoquer sa fusion avec le régime consolidé et rouvrir le Régime aux nouveaux employés de Cable Inc.
[63] Pour apporter une réponse à cette question, il n’y a pas lieu, selon moi, de faire l’exégèse des motifs de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans les arrêts Buschau no 1 et Buschau no 2. Le seul type de modification dont il soit ici question aurait fait que les prestations versées aux participants du régime consolidé de Rogers auraient été prises sur l’actif de la fiducie de Premier. Voici en quels termes, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume, dans Buschau no 1, les arguments avancés par Rogers :
[traduction]
65. M. Nathanson opère une distinction entre la fusion de régimes de retraite - dont la validité est une question essentiellement contractuelle – et la fusion de fiducies de retraite qui, elle, dépend du droit des fiducies. D’après lui, la fusion des régimes dans la présente affaire était compatible avec les larges pouvoirs de modification que Premier s’était réservés dans le cadre des régimes précédents, y compris le régime de Premier, et que, cela étant, les demandeurs sont maintenant des participants au régime de RCI et auront, à la cessation de celui-ci, droit, au même titre que les autres participants au régime de RCI, à une partie de l’excédent. M. Nathanson fait valoir, par contre, que la fiducie de Premier, elle, n’a pas été fusionnée. Il affirme pourtant en même temps que la caisse de retraite de Premier, combinée avec les avoirs des quatre autres régimes, est détenue au profit des 4 300 participants au régime de RCI. Après tout, l’employeur aurait pu simplement, en vertu des pouvoirs qui lui étaient expressément reconnus, ajouter 4 200 nouveaux participants au régime de Premier. Selon M. Nathanson, la fusion a eu sensiblement le même résultat. (Non souligné dans l’original)
[64] C’est là l’unique argument donné au sujet de la fusion devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et, ainsi que l’a relevé le juge Bastarache, c’est justement l’argument qu’a rejeté la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Dans l’arrêt Buschau no 2, la démarche retenue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique supposait que les participants au régime de Premier avaient, en vertu de la règle de Saunders c. Vautier, certains droits qui ne pouvaient pas être supprimés par la fusion effectuée par Rogers. À partir du moment où était, en l’espèce, écartée la règle de Saunders c. Vautier qui aurait eu pour effet de donner naissance à des droits à l’égard du surplus actuariel non réalisé, la question du droit qu’avait Rogers de rouvrir le Régime restait posée. C’est essentiellement ce qu’entendait le juge Bastarache dans ses motifs concordants. La majorité de la Cour n’a pas repris à son compte le raisonnement du juge Bastarache, mais elle ne l’a pas non plus écarté. J’estime que ce raisonnement est juste et qu’il y aurait lieu de l’adopter en l’espèce.
[65] Je conclus en conséquence que le principe de l’autorité de la chose jugée n’empêche nullement la surintendante de permettre à Rogers/Cable Inc. de révoquer la fusion du régime de Premier avec le régime consolidé de Rogers et de rouvrir le régime de Premier aux nouveaux employés de Cable Inc.
CONCLUSION
[66] Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens tant en appel qu’en première instance et j’infirmerais l’ordonnance du juge de première instance.
« Je suis d’accord.
Marc Noël. j.c.a »
« Je suis d’accord.
M. Nadon. j.c.a »
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-453-08
INTITULÉ : Rogers Communications Inc. c. Sandra Buschau et al.
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 12 mai 2009
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : Le 9 septembre 2009
COMPARUTIONS :
Stephen R. Schachter, c.r.
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pour l’appelante
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Robert D. Gibbens
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pour l’intimée Sandra Buschau et al.
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Wendy Divoky |
pour l’intimé le procureur général du Canada |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :