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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20090909

Dossiers : A-78-09

A-79-09

 

Référence : 2009 CAF 259

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

Dossier : A-78-09

ENTRE :

MOHAMEDOU OULD SLAHI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU

RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et

LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA

intimés

 

Dossier : A-79-09

ENTRE :

AHCENE ZEMIRI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU

RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et

LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA

intimés

 

 

Appel entendu à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                    LE JUGE EVANS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20090909

Dossier : A-78-09

Référence : 2009 CAF 259

 

CORAM :      LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

MOHAMEDOU OULD SLAHI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU

RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et

LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA

intimés

 

Dossier : A-79-09

 

ENTRE :

AHCENE ZEMIRI

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU

RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ et

LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2009)

 

LE JUGE EVANS

[1]               L’appel vise la décision de la Cour fédérale par laquelle le juge Blanchard (le juge de première instance) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants. Se fondant sur l’arrêt Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125 (« l’arrêt Khadr »), les appelants demandaient la communication des documents relatifs à leurs entretiens avec des fonctionnaires canadiens à la base américaine de Guantanamo ainsi que toute documentation qui aurait été remise aux autorités des États-Unis à la suite de ces entretiens.

 

[2]               Les appelants invoquaient à l’appui de leur demande l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge de première instance a toutefois estimé qu’ils ne pouvaient se prévaloir de cet article parce que le comportement qu’ils reprochent aux fonctionnaires canadiens a eu lieu hors du Canada et qu’ils n’ont pas la citoyenneté canadienne. D’après le juge de première instance, le simple fait que les appelants aient à une certaine époque résidé au Canada ne crée pas entre eux et ce pays un lien justifiant qu’on leur accorde la protection de l’article 7.

 

[3]               La décision rendue par la Cour fédérale à l’égard de ces demandes réunies est répertoriée sous Slahi c. Canada (Justice), 2009 CF 160.

 

[4]               L’unique question à trancher dans les présents appels est celle de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les appelants ne peuvent se prévaloir de l’article 7 pendant leur détention à la base de Guantanamo par les autorités américaines parce qu’ils ne sont pas des citoyens canadiens. Pour essentiellement les mêmes motifs que le juge de première instance, nous estimons que la conclusion à laquelle il est parvenu est correcte. Une distinction peut être faite d’avec l’arrêt Khadr puisque M. Khadr avait la citoyenneté canadienne, ce qui n’est pas le cas des appelants. En outre, ceux-ci ne sont visés au Canada par aucune procédure susceptible de créer un lien entre eux et ce pays.

 

[5]               Nous souhaitons toutefois préciser que s’il est vrai que certains articles de la Charte ne garantissent des droits qu’aux citoyens canadiens, alors que d’autres dispositions, dont l’article 7, ne comportent pas cette restriction, ce constat ne revêt guère d’importance lorsqu’on soutient que la Charte peut faire l’objet d’une application extraterritoriale. Normalement, la Charte s’applique à l’action gouvernementale à l’intérieur des frontières du Canada, et c’est dans cet esprit‑là que le texte a été conçu.

 

[6]               L’avocat des appelants avance deux arguments. En premier lieu, il affirme que dans le cadre de l’analyse en deux temps permettant de décider si les dispositions de la Charte s’appliquent à une enquête menée hors du Canada par des responsables canadiens, il n’y a pas lieu de tenir compte de la citoyenneté de l’individu en cause : R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, au par. 113. L’avocat des appelants soutient qu’en exigeant en outre l’existence d’un lien entre l’individu concerné et le Canada, le juge de première instance a commis une erreur puisqu’il a modifié le critère qui doit régir l’application extraterritoriale de la Charte selon la Cour suprême.

 

[7]               Nous ne partageons pas cette opinion. Comme M. Hape avait la citoyenneté canadienne, il existait évidemment un lien entre lui et le Canada, et la Cour n’avait pas à soulever la question. On ne saurait en conséquence prétendre qu’en exigeant, dans une affaire où la personne en cause n’a pas la citoyenneté canadienne, un lien entre cette personne et le Canada, le juge de première instance est allé à l’encontre de l’arrêt Hape. Il a à juste titre établi entre l’affaire dont il était saisi et l’affaire Khadr une distinction fondée sur le fait que M. Khadr a la citoyenneté canadienne, contrairement aux appelants.

 

[8]               En deuxième lieu, l’avocat des appelants fait valoir que toute interprétation de la Charte doit prendre en compte les obligations incombant au Canada en vertu du droit international. D’après lui, l’interprétation que le juge de première instance a faite de l’article 7, en estimant que cette disposition n’accorde en l’espèce aucune protection aux appelants, ne saurait être retenue parce qu’elle est incompatible avec les obligations incombant au Canada aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, R.T. Can. 1976 no 47. Il relève notamment que le paragraphe 2(1) du Pacte prévoit que les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, sans distinction aucune, notamment d’origine nationale.

 

[9]               L’argument ne nous paraît guère convaincant. Non seulement il a été jugé que les faits de l’espèce ne permettaient pas aux appelants de se prévaloir de l’article 7 non pas en raison de leur origine nationale, mais de leur nationalité, mais encore à l’époque où les appelants étaient détenus à la base de Guantanamo, ils relevaient de la compétence des États‑Unis et non de celle du Canada. Le simple fait qu’ils se sont entretenus avec des fonctionnaires canadiens à la base de Guantanamo n’a pas pour effet de les faire relever de la compétence du Canada au sens du paragraphe 2(1) du Pacte.

 

[10]           L’avocat des appelants a invoqué à l’appui de la thèse voulant que le membre de phrase « relevant de leur compétence » doive être interprété de manière suffisamment large pour englober les faits de la présente affaire des énoncés tirés d’avis juridiques d’entités internationales, mais ceux‑ci s’inscrivent dans des contextes tout à fait différents. Par exemple, l’avis consultatif Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (CIJ Recueil 2004, p. 180), de la Cour internationale de Justice, avait trait à des activités menées par le gouvernement d’Israël hors de son territoire, mais dans les limites du territoire qu’il occupait. Quant à Lopez Burgos c. Uruguay (doc. ONU CCPR/C/13/D/1979 (1981)), le Comité des droits de l’homme des Nations Unies était saisi de la plainte déposée à l’encontre de l’Uruguay par un ressortissant de ce même pays.

 

[11]           Pour ces motifs, les appels seront rejetés. Un seul mémoire de dépens sera adjugé, et une copie des présents motifs sera versée dans chacun des deux dossiers.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 A-78-09 / A-79-09

 

 

INTITULÉ :                                                                Mohamedou Ould Slahi / Ahcene Zemiri

 

                                                                                     et

 

Le Ministre de la justice et Procureur général du Canada, le Ministre des Affaires étrangères, le Directeur du Service Canadien du renseignement de sécurité et le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        Le 9 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :            Le juge Sexton

                                                                                     Le juge Evans

                                                                                     La juge Layden-Stevenson

 

PRONONCÉ À L’AUDIENCE PAR :                      Le juge Evans

 

DATE DES MOTIFS :                                               Le 9 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nathan Whitling

POUR L’APPELANT

 

Doreen Mueller

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parlee McLaws s.r.l.

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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